ESSAI D'ÉLABORATION D'UNE STRATÉGIE DIDACTIQUE
AUTOUR
DE LA
NOTION D'EAU
PURE
:
PREMIERS
APPRENTISSAGES DE LA CHIMIE AU COLLÈGE
Alain BAZIN
LU.F.M. Picardie, M.A.F.P.E.N. de l'Académie d'AMIENS
MOTS.CLÉS : CONCEPT D'EAU PURE DÉMARCHE SCIENTIFIQUE QUESTIONCLÉ -SITUATIaN-PROBLEME
RÉSUMÉ: Au cours d'une recherche-action menée en 1993 dans un collège urbain classé en
Z.E.P., les élèves ontàrésoudre en groupes un problème complexe: "obtenir de l'eau pureàpartir
de l'eau de la Somme" . En s'appuyant sur les questions formulées par les élèves, regroupées en
questions-clés définissant des situations-problèmes intermédiaires, on parvient de proche en procheà
la construction de nouveaux savoirs conceptuels, techniques et méthodologiques, etàl'émergence de
nouveaux questionnements.
SUMMARY:
A. GIORDAN, J.•L. MARTINAND et D. RAICHV ARG, Actes JIES XVI, 1994
1. INTRODUCTION
Certaines études ont montré d'une part que les élèves maîtrisent mal la capacité à pratiquer une démarche scientifique (l'évaluation pédagogique dans les collèges, M.E.N. 1982 et 1984, mais aussi
de nombreuses opérations menées localement), et qu'ils éprouvent des difficultésà s'approprier le
concept de substance chimique et ce que sont les interactions entre substances (Solomonidou, 1991). Or, les principes directeurs des nouveaux programmes de chimie de 1992, élaborés par le Groupe Technique Disciplinaire de Chimie, accordent la priorité à l'acquisition "des méthodes propres aux
démarches scientifiques et technologiques", età "la formation du citoyen-consommateur au bon usage
des produits chimiques". Par ailleurs, les contenus du programme de 4e mettent l'accent sur la construction du concept de corps pur et sur une première approche de la notion de réaction chimique. C'est dans le cadre de ces nouvelles orientations de l'enseignement de la chimie au collège que nous tentons d'élaborer et de valider une stratégie didactique autour de la notion d'eau pure en 4e.
2. UNE ÉTUDE DE CAS
2.1 La question de recherche
Quelles pratiques de classe peuvent, au tout début de l'initiationà la chimie, aider efficacement les
jeunes élèves à s'approprier le concept d'eau pure et à acquérir simultanément certaines compétences
méthodologiques propresà la démarche scientifique?
2.2 Le cadre théorique
L'élaboration du dispositif envisagé se fonde sur quatre options didactiques essentielles.
1 -Àce stade d'initiation, les apprentissages conceptuels et méthodologiques visés ne peuvent relever
de la transmission ou du conditionnement. Nous nous situons résolument dans une approche constructiviste prenant en compte notamment les représentations initiales des élèves et leur évolution.
2 -Larésolution de situations-problèmes concrètes par les élèves est plus favorable au franchissement
des obstacles et aux apprentissages de la démarche scientifique que les pratiques d'enseignement habituelles de type inductiviste (Robardet, 1990).
3 - L'acquisition par les élèves des concepts fondamentaux de la chimie, nécessite une construction au niveau manipulatoire : substance, propriété, identité d'une substance... (Solomonidou, 1991). 4 - La référence des activités scolaires aux pratiques sociales de la chimie (vie quotidienne et laboratoires) donne sens et authenticité aux investigations des élèves.
2.3 Le dispositif didactique 2.3.1 Le problème posé aux élèves
Le dispositif conçu repose d'abord sur le choix d'un problème complexe que l'enseignant proposeà
toute la classe.Larésolution collective de ce problème doit pennettre aux élèves des apprentissages
cadre de rravail -programme de chimie de 4e, § 1 : "un constituant des boissons: l'eau''- le problème proposé consiste à obtenir de l'eau pure à partir de l'eau de la Somme, fleuve côtier qui longe le collège. La résolution devrait, en partant de l'idée commune que les élèves ont de l'eau pure (eau
buvable), les ameneràmodifier leur point de vue età accéderàune représentation plus scientifique de
l'eau pure. Elle devrait aussi leur permettre d'acquérir les diverses compétences visées par le programme.
2.3.2Les conditions de la résolution du problème
Les élèves ontàrésoudre ce problème en petits groupes autoconstitués.Àpartir des questions-clés
qu'ils se posent et qui émergent par étapes successives, des situations-problèmes intermédiaires sont conçues par la classe entière avec l'aide de l'enseignant. La résolution en groupes de ces
situations-problèmes conduit de proche en proche, à la construction de nouveaux savoirs, conceptuels,
techniques et méthodologiques, à l'évolution des représentations initiales de l'eau pure et à la
formulation de nouveaux questionnements.
Des temps de réflexion métacognitifs, de débats scientifiques, d'apports d'information, d'aides (voire
de recoursàdes techniciens de laboratoires), concernant la classe entière, sont nécessaires. Mais ils
ne sont pas organisésa prioripar l'enseignant- tout dépend du cheminement suivi réellement par les
élèves au cours de leurs investigations.
2.4 L'expérimentation 2.4.1Les élèves concernés
Il s'agit d'une classe de 3e (18 élèves) d'un collège urbain classé en Z.E.P., peu motivée depuis
longtemps par l'enseignement de la physique, mais intéressée par ce projet mis en place en 1993. 2.4.2La durée de la séquence d'enseignement
14 séances de 1 h, 1,5 h ou 2 h (2 séances par semaine) et 2 visites de 3 h au laboratoire départemental de la Somme.
2.4.3Le recueil des données
L'analyse des comportements des élèves s'est appuyée sur des techniques de recueil de données classiques :
- l'observation directe systématique de la classe,
- les productions des élèves (cahiers de laboratoires de groupes, brouillons), - un pré-test (représentations initiales de l'eau pure),
- deux tests intermédiaires (acquisitions notionnelles, techniques, méthodologiques, évolution des représentations),
- un post-test (acquisitions terminales, capacité de transfert), - une enquête sur les opinions des élèves.
Le rôle joué par l'enseignant (et par les techniciens du laboratoire) a été analyséàpartir de la
description chronologique du déroulement de chaque séance. 2.4.4La démarche suivie par les élèves
Letableau résume schématiquement la démarche suivie par les élèves durant la séquence.
SCHEMA
GLOBAL
DE
LA
DEMARCHE
PURE eau sale et polluée eau pure au sens -7 commun = eau buvable eau limpide, buvable? eau potable 1 eau limpide -7 non potable "eau sans rien dedans" -7 eau pure ~ mélanges à base d'eau eau de Somme brute • rôle de la filtration? -retient les matiéres en suspension. Toutes? -retient les microbes? les substanc~s dissoutes? décantation / filtration -7 • Comment comparer l'eau de Somme brute et l'eau de Somme filtrée? -turbidité -dénombrement bactérien -composition ionique • Peut-on éliminer l'ion nitrate? tous les ions? rupture eau pure = eau buvable et eau Dure = eau sans rien dedans eau de Somme filtrée test de turbidité contrôles bactériologiques et ioniques • Obtient-on le même liquide en distillant diverses eaux? -quasi absence d'ions (contrôle) • mêmes propriétés (ébullition et fusion) • Comment distinguer J'eau pure des mélanges? -comparaison ébullition et fusion distillationB
-7 eau pure contrôles ébullition / fusion DE laboratoire du collège laboratoire départemental laboratoire dl! col!ège et laboratoire départemental3. CONCLUSIONS: QUELQUES PERSPECTIVES POUR L'ENSEIGNEMENT
L'analyse des résultats pennet de dégager quelques caractéristiques utiles pour l'enseignement. 1 - L'authenticité du problème facilite son appropriation par les élèves et la mise en œuvre d'une démarche de recherche collective.
2 - L'ancrage des investigations successives sur les questions que se posent réellement les élèves pennet la prise en compte effective des représentations initiales et de leur évolution.
3 - Le rapport étroit aux pratiques sociales de la chimie (contrôle de qualité des eaux, collaboration avec des techniciens de laboratoires professionnels, comportements vis-à-vis de l'environnement) donne sens aux apprentissages et développe la dimension culturelle de l'enseignement.
4 - Les élèves ne disposant pas de modèles théoriques de la matière au niveau microscopique, les activités manipulatoires et techniques ont une fonction déterminante pour la résolution du problème à ce stade de l'enseignement de la chimie. Le statut de certaines techniques, telles que les dosages (souhaités par les élèves au cours de leurs investigations), peut d'ailleurs se limiter à celui de "boîte noire" : ce qui compte ici, c'est le résultat recherché.
5 -L'apprentissage de certains éléments de démarche scientifique, comme par exemple, la conception
et/ou la réalisation de protocoles et de plans d'expérience, le contrôle de la validité de résultats, l'analyse comparative de données, semble accessible aux élèves.
6 -Dans cette approche, l'enseignant tient une place centrale.TIest amenéà jouer différents rôles dont
l'un, en particulier est essentiel. En cas de blocage des élèves, il doit être capable de concevoir et de
proposer desactivités élucidantes, dont le but est de fournir aux élèves des moyens pour avancer,à
l'exclusion de toute démarche pour la résolution du problème.
BIBLIOGRAPHIE
ARTIGUE M., Ingénierie didactique,Recherches en didactique des mathématiques, 1988,3.
ASTOLFI J.-P.,L'école pour apprendre, E.S.F., 1993.
ASTOLFI J.-P., PETERFALVI B., VÉRIN A., Compétences méthodologiques en sciences
expérimentales,LN.R.P., 1991.
ROBARDET G., Enseigner les sciences physiquesàpartir de situations-problèmes,BD.P., 1990,
720.
SOLOMONIDOU
c.,
Comment se représenter les substances et leurs interactions? Thèse,Université Paris7, 1991.
Bulletin Officiel, MEN., 30 juillet 1992, n031.