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De la ville moderne à la ville contemporaine

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Academic year: 2022

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UR 02 - Cours 5 Philippe Dehan

De la ville moderne à la ville contemporaine

Productions urbaines, politiques et doctrines de l‟urbanisme

De l’étalement à l’éclatement urbain

Grandes étapes de la croissance urbaine 19e – 20e siècles : la ville des réseaux

Etalement urbain : premières poussées pavillonnaires

L‟enjeu du logement populaire : des HBM aux lotissements défectueux De la reconstruction aux ZUP

Mutations urbaines de l‟urbanisme moderne Naufrage des grands ensembles

Rurbanisation

Théories urbaines après l’urbanisme moderne

Formes et structure de la ville contemporaine : un archipel en réseau / la ville sectorisée Extension et fragmentation de l’aire urbaine

De la métropole à la métapole

Modification structurelle des agglomérations Des centralités plurielles

Une mutation inéluctable

Evolutions des formes urbaines : la ville sectorisée Entrées de ville et ville franchisée

Ville passante et ville durable

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La croissance urbaine commence avec le développement du capitalisme. Pour le géographe Pierre Georges un premier saut d’échelle a lieu au moment de la naissance du grand commerce maritime et du début des grandes spéculations financières et commerciales qui l‟accompagne : entre la fin du 15e et le début du 16e siècle1. Le commerce change de dimension, la ville avec lui. De grandes villes naissent alors et, pour la première fois, on peut parler de métropoles. Amsterdam en est l‟un des meilleurs exemples. L‟autre grande poussée urbaine conduisant à la constitution de très grandes villes, et à leur géné- ralisation, est liée à l’industrialisation du 19e siècle. Cette dernière a des répercussions technologiques mais aussi écono- miques et sociales. Le développement des industries « amorce un énorme mouvement géographique »2. La circulation des matières premières et des produits fabriqués appelle la mise en service « de nouveaux systèmes de transports, de nouveaux organismes de commercialisation »3. Parallèlement, les besoins en main d‟œuvre et la surpopulation des campagnes condui- sent à des phénomènes importants de migrations de la campagne vers les villes.

La construction des chemins de fer, des ports, la création de grandes zones d‟entrepôts ou de production, conduisent à une augmentation des dynamiques urbaines et à une modification radicale des formes et des densités urbaines. « Les villes qui cumulent des activités productives, des activités de gestion, des activités d‟entrepôt ou de redistribution, de transport et de transit, des activités culturelles et des activités administratives » deviennent très grosses. Le « noyau hérité de la période précédente est très rapidement enfermé dans un magma plus ou moins organisé de constructions fonctionnelles et résidentielles nouvelles »4. Cette croissance se fait « naturellement », c‟est à dire, sans organisation, ce qui engendre des dysfonctionnements importants, ceux-là mêmes qui conduiront aux critiques hygiénistes et à l‟urbanisme moderne. Pierre Georges souligne que le „laissez-faire‟ de l‟économie libérale appliqué au développement urbain, a un résultat lourd de conséquences : « la période où les grandes villes se sont le plus développées et se sont développées le plus vite est celle où elles ont grandi sans règle, sans principe, au grès de la spéculation des lotisseurs et des bâtisseurs d‟immeubles dits de rapport »5.

La nouvelle croissance accentue ces maux, en introduisant les usines et leurs fumées, les taudis ou les casernes pour la main d‟œuvre et leur famille, une croissance des transports, etc. conduisant à dégrader les conditions de vie d‟une population qui s‟accroît fortement. Pour remédier, au moins partiellement à ces maux, les responsables améliorer la ville, en la dotant de réseaux et d‟équipements (mairies, écoles, bains douches, …). Le 19e siècle voit ainsi une grande mutation dans les structures urbaines. Les réseaux existaient depuis les romains. Mais, mal entretenus, il étaient en mauvais état et n‟avaient pas suivi la croissance de la ville. Au 19e siècle, se met en place une politique active de réforme et de développement des réseaux qui s‟étendent et se généralisent. Gabriel Dupuy souligne que ce développement est une de principales caractéristiques de la ville du 19e et 20e siècles6.

Cette croissance concerne tous les réseaux. Pour la distribution de l‟eau, dans un premier temps, à partir du 18e siècle, on multiplie les fontaines dans la ville. Puis, on crée des points d‟eau dans les cours d‟immeubles. L‟eau arrivera enfin directe- ment sur les paliers ou dans les logements. L‟assainissement suit un développement similaire. A la place des entreprises de vidanges, se met en place, à partir de 1850, sous l‟action d‟Haussmann à Paris, un réseau d‟assainissement qui, progressive- ment, devient le « tout à l‟égout ».

De nouveaux types de réseaux se mettent en place : le gaz au cours du 19e siècle, le téléphone après 1880, l‟électricité après 1910. L‟extension puis la généralisation des réseaux créent un nouveau type de relation entre les habitants qui modifie les

1 Georges Pierre, « Précis de géographie urbaine », Paris, PUF 1961 2 Georges P., « Précis … » op. cit.

3 Georges P., « Précis … » op. cit. p28 4 Georges P., « Précis … » op. cit. p30 5 Georges P., « Précis … » op. cit. p31

6 Dupuy Gabriel, « L‟urbanisme des réseaux, théorie et méthodes », Amand Colin, Paris, 1991

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comportements et les modes de vie. La vie quotidienne telle qu‟on la connaît aujourd‟hui est née de ces réseaux qui se met- tent en place dans la ville haussmannienne à la fin du 19e siècle.

Parallèlement, les réseaux de transport se développent aussi. Le traitement des voiries s‟améliore aussi avec la création de trottoirs, le pavage puis le revêtement en bitume des chaussées facilitant la circulation. Des transports en commun apparaissent, avec la création de lignes d‟omnibus hippomobiles (1830 à Nantes), puis les trains et métros (Londres à partir de 1863, Paris 1900). L‟émergence du train, du tramway puis de l‟automobile (au début du 20e siècle) va induire une transformation radicale de la ville en permettant d‟accéder à des sites éloignés des centres villes ce qui va contribuer à développer les surfaces urbanisées. On va passer des faubourgs aux banlieues.

Etalement urbain

Après une phase de densification interne au cours de la première industrialisation, la croissance urbaine des villes euro- péennes va, au 20e siècle, principalement s‟effectuer de manière exogène, c'est-à-dire par un étalement de l‟aire urbaine, et non par une surdensification de la ville existante. Au cours du 20e siècle, la ville tend progressivement à se dédensiffier au cours de sa croissance ce qui induit une augmentation importante de la surface urbaine.

Premier étalement urbain : les zones pavillonnaires du 19e et début du 20e siècle

Alors que la croissance naturelle de la ville sous la pression de l‟industrie et de l‟économie de marché tend à créer des ban- lieues à dominante industrielles autour de la ville, la deuxième moitié du 19e siècle voit naître un premier phénomène d‟étalement urbain généralement lié au développement des voies ferrées : autour des gares se créent des lotissements pavil- lonnaires. C‟est un premier phénomène de fragmentation de la ville, car ces lotissements ne se font pas dans la continuité urbaine, mais sont directement liés à la gare : la ville n‟est plus continue.

Nous avons déjà vu que les lotissements de quelques patrons paternalistes constituent les premiers ensembles de maisons individuelles qui, sauf dans quelques villes spécifiques comme Le Creusot ou Mulhouse, restent quantitativement négli- geables. Mais, il n‟y a pas que les patrons pour s‟intéresser au sort des ouvriers. Des mouvements philanthropiques ou coopératifs7 se créent autour de certaines personnalités pour favoriser l‟éclosion d‟un logement ouvrier. L‟abbé Lemire est une personnalité importante de cette mouvance. Elu député, il milite ardemment pour introduire « la petite propriété insaisis- sable » et parvient à développer des jardins ouvriers. Des jardins ouvriers sur lesquels bien souvent les locataires construisent des « tonnelles », qu‟ils remplacent parfois par « des maisons construites par les jardiniers eux-mêmes »8. C‟est ainsi, qu‟entre 1850 et 1894, se développent « spontanément » un certain nombre de quartiers pavillonnaires, dans la périphérie, sur des terrains moins chers, souvent à proximité d‟une gare de banlieue. La première poussée constructive touche en particulier Paris et les agglomérations minières du Nord et du Pas-de-Calais. Cette vague de « construction individuelle » se prolonge entre 1870 et 1914 dans certaines régions, industrielles et minières. En fait, « les premiers à s‟installer, vers 1860, ne sont généralement pas des ouvriers, à qui leur travail ne permet pas de quitter la ville, mais des retraités, des boutiquiers, des arti- sans »9. Leurs raisons de s‟établir en banlieue : amélioration des transports, développement de l‟emploi sur place lié à

« l‟accroissement des activités industrielles des banlieues » mais aussi, la « pression croissante à l‟intérieur des villes ». Le nombre d‟installations extra muros va croître et s‟étendre à des catégories sociales plus défavorisées. L‟extension de cette première vague pavillonnaire suit les progrès des transports. Ainsi, à Paris, « les premières bicoques sont au pied des fortifi- cations, mais ensuite le développement pavillonnaire s‟étend aussi loin que les tramway et les chemins de fer le permet-

7 DEZES Marie-Geneviève, La politique pavillonnaire, Centre de recherche d‟urbanisme, 1966, réed. L‟Harmattan, Paris 2001, p 182 8 Cabedoce Béatrice, « A Saint-Etienne : les jardins du père Volpette », in Cabedoce B. et Pierson Ph. (Dir) op. cit. p. 79

9 Raymond H., Haumont N., et Alii, « L‟habitat pavillonnaire », L'harmattan, Paris 2001. p 34

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tent »10. Mais « ces constructions sont des constructions sauvages dans la mesure où elles se développent hors de toute ré- glementation : pas d‟eau, pas d‟égout, pas d‟évacuation des ordures »11.

Emergence du logement populaire : des HBM aux lotissements défectueux

Comme nous l‟avons déjà vu, la situation du logement populaire n‟était pas bonne au 19e siècle. La première guerre mondiale accentue les choses. Les destructions, d‟abord, aggravent la situation. En 1918, on dénombre 450000 logements détruits.

Ensuite, au mois de mars 1916, le gouvernement instaure, par décret, un moratoire permettant aux locataires de suspendre le paiement des loyers. Ces mesures concernent les familles des mobilisés, les veuves, et autres victimes de la guerre. Mais au sortir de la guerre, en 1919, une loi instaure le blocage des loyers, ce qui conduit à la chute de l‟investissement privé dans la construction et à la suppression de la construction « d‟immeubles de rapport ». Ainsi, de manière paradoxale, cette loi à vocation sociale, accentue la crise du logement déjà très forte et qui touche d‟abord les couches populaire, mais aussi les classes moyennes. Face à cette situation catastrophique, l‟Etat va essayer, progressivement d‟impulser de nouvelles dynamiques pour que des organismes para public (office public de HBM) prennent le relais des patrons éclairés, des coopératives ouvrières et des philanthropes.

En 1894, une première loi avait été promulguée qui créait les Comités locaux d'habitations à bon marché (HBM) – ancêtres des HLM - qui va conduire à la réalisation de logements sociaux sous différentes formes, pavillons ou « immeubles HBM », qu‟on trouve en particulier le long des boulevards extérieurs de Paris.

En 1919, deux textes de lois élargissent les sources de financement public offertes aux offices d‟HBM : un crédit de 300 millions de francs à la caisse des dépôts et consignations est créé pour fournir des prêts aux offices d‟HBM lorsque la construction est destinée à des logements locatifs. En 1928, la loi Loucheur engage l‟Etat pour une durée de cinq ans, sur un programme de financement permettant la réalisation de HBM qui conduira à la réalisation de 40 000 logements.

Les opérations de HBM se multiplient à Caen et à Lyon (1919), à Bordeaux (1920), Grenoble et Saint-Etienne (1921), Brest (1922). A Saint-Etienne, on prévoit d‟emblée la construction de 808 logements et de 110 immeubles dans les quartiers les plus délabrés. A Paris, quelques réalisations voient le jour dans les arrondissements périphériques, puis les HBM commencent à se bâtir à plus grande échelle le long des anciennes fortifications, sur les boulevards extérieurs. Des réalisation qui elles confortent plutot la densité de la ville et seront d‟ailleurs souvent critiquées pour cela par les hygiénistes.

Mais cette naissance du logement social public prend aussi la forme d‟une deuxième grande vague de constructions pavillonnaires entre 1915 et 1939. C‟est d‟ailleurs une période où le nombre de maisons individuelles construites dépasse largement le nombre de logements collectifs12 , ce qui contribue à accentuer l‟étalement urbain.

La loi Loucheur est dans la perspective philosophique de l‟abbé Lemire. Elle encourage « la petite propriété »13 et définit le premier programme général de construction des pavillons dits de "banlieue" avec l'objectif de faire 500 000 „‟nouveaux propriétaires‟‟. C‟est ainsi que vont naître les banlieues pavillonnaires des grandes villes.

Malheureusement, n‟étant pas encadré par des règlements adéquats, les lotissements induits par la loi Loucheur, furent souvent réalisées par des spéculateurs sans scrupule qui continuèrent à édifier des lotissements dit « défectueux » c‟est à dire, sans voirie équipée ni réseaux. L‟image de ces nouvelles banlieues et de la maison individuelle n‟est alors pas très bonne.

10 RAYMOND Henri, op. cit. p 34 11 RAYMOND Henri, op. cit. p 34 12 RAYMOND Henri, op. cit. p 42 13 DEZES Marie-Geneviève, op. cit.

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De la reconstruction aux ZUP

Même si un effort est fait pour promouvoir le logement social, l‟action contradictoire du blocage des loyers ayant conduit à la suppression de l‟investissement privé, le nombre de logements réalisés entre les deux guerres est sans rapport avec les besoins. La crise du logement est donc loin d‟être résolue entre les deux guerres.

Avec la seconde guerre mondiale, dans laquelle l‟aviation devient l‟arme principale, les dégâts augmentent. 70 départements sont atteints. C‟est ainsi qu‟on dénombre au total 550 000 logements détruits entre 1939 et 1944.

La résorption de la crise du logement ne fera pas partie des priorité du premier Plan, le Plan Monnet, et, dix ans après la guerre, en 1954, un bilan montre que 35% des logements de 1 à 5 pièces et 50 % des logements de 1 ou 2 pièces sont surpeuplés14. L‟exode rural qui continue et le baby boom qui suit la fin de la guerre accentuent encore ce phénomène.

La reconstruction

De 1945 à 1954, on va reconstruire, c‟est à dire permettre aux propriétaires de retrouver un bien équivalent à ceux qu‟ils ont perdu. Cette période de la Reconstruction produit des formes urbaines et une architecture typiques, reconnaissables malgré la volonté de respecter un certain régionalisme. Elle marie normalisation et industrialisation de certains composants constructifs (préfabrication) et composition classique, autour d‟un îlot modernisé et aéré. La reconstruction permet de réparer les villes détruites, mais ne résout en rien la crise du logement.

Les grands ensembles

En 1948 Eugène Claudius-Petit est nommé ministre de la Reconstruction et de l‟urbanisme. C‟est un homme engagé qui soutient des positions proches de celles de la Charte d‟Athènes. C‟est d‟ailleurs lui qui donnera l‟occasion à Le Corbusier de construire sa première Unité d‟habitation. C‟est aussi lui qui, avec son successeur Pierre Courant, va impulser la construction de logements sociaux à grande échelle

En 1949, la loi sur les HLM (habitations à loyer modéré), se substitue à celle des HBM. Elle affirme la reconnaissance d‟un droit au logement décent et fixe de nouvelles normes au logement social. La production passer progressivement de 40000 logements en 1949 à 84000 en 1952 puis à 162000 en 195415.

Mais cette production reste insuffisante, et souvent inaccessible aux plus démunis.

Pour ces derniers, il faut attendre l‟épisode médiatique de l‟hiver 1954 où, sous la pression de l‟abbé Pierre, après qu‟un bébé soit mort de froid, pour que le gouvernement adopte un programme de 12000 logements en cités d‟urgence, destinées à accueillir les familles ou les personnes isolées qui sont à la rue. Cette politique manque encore d‟efficacité. L‟importance de la crise et la difficulté à augmenter la production, conduit à une loi-cadre en 1957 : mise en place de la politique des ZUP (zones à urbaniser en priorité) qui, pour la première fois, prend en compte parallèlement à la création de logements, les équipements publics nécessaires à ces logements. Un programme quinquennal de constructions de logements HLM est mis en place. L‟objectif est de réaliser 300 000 logements par an (ce qui sera le cas dès 59).

C‟est donc, en 1958, le vrai départ de la politique des grands ensembles. Cette dernière favorise très nettement le logement locatif et collectif au détriment la maison individuelle en acquisition. Elle s‟appuie aussi sur une application, plus ou moins fidèle, plus ou moins pertinente, des préceptes de l‟urbanisme moderne.

Il faut souligner que ceux qui cherchent à mettre en œuvre d‟autres modèles et à développer d‟autres principes ont des difficultés. C‟est le cas du promoteur Jacques Riboud qui, entre 1950 et 1970, réalise de grandes opérations de maisons individuelles, en bandes, proches de ce qui se fait alors en Angleterre et aux USA et inspirées des cités jardins. Il crée par

14 Cité par Jacques Lucan et Odile Seyler, Logement social 1950-1980, Bulletin de l‟IFA supplément au n°95, mai 1985

15 Lucan et Seyler op. cit., p2

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exemple la ville nouvelle, de la Haie Bergerie, à Villepreux dans les Yvelines16 qui comporte environ 1500 logements, puis la ville nouvelle de Maurepas qui deviendra le premier noyau de la ville nouvelle de Saint-Quentin-en-Yvelines. Son architecte, Roland Priédieri, raconte la difficulté de faire autre chose que ce que l‟Etat avait définit. L‟Etat finançait, l‟Etat délivrait les permis de construire, ses représentants firent tout pour empêcher la construction de la Haie Bergerie qui proposait une alternative aux grands ensembles. Seuls quelques ministres qui n‟étaient pas convaincus de la politique de l‟Etat aidèrent Riboud pour faire aboutir ses opérations.

Mutations urbaines de l’urbanisme moderne

Alors que les cités-jardins, les ensembles HBM, ou les villes reconstruites utilisaient un urbanisme traditionnel rationalisé, les nouvelles opérations, désormais de grande dimension, vont utiliser les préceptes de l‟urbanisme moderne issus de la Charte d‟Athènes. Les architectes ont convaincu les décideurs : « soleil, verdure, espace » sont désormais les maîtres mots de l‟urbanisme qui, grâce à cette formule hygiénique, doit supprimer les maladies liées aux logements insalubres. Cette victoire des hygiénistes à la fin des années 50 est paradoxale puisque la pénicilline fut inventée au cours de la seconde guerre mondiale et qu‟avec le développement des antibiotiques, on sait désormais soigner les maladies comme la tuberculose. Mais les courants d‟idées ne change pas au fil des découvertes. Il faut un temps d‟adaptation. L‟urbanisme moderne, conçu comme le moyen de faire une ville saine, va donc être appliqué.

Mais, pour les urbanistes et les architectes qui ont à mettre en œuvre ces nouvelles formes urbaines, se pose le problème d‟une certaine imprécision de la doctrine : au delà de ses slogans comment l‟urbanisme moderne se concrétise-t-il ? Rien n‟est dit sur la forme de ces nouveaux espaces publics17. Les architectes vont donc appliquer à l‟urbanisme moderne certaines recettes de leur formation académique (des Beaux-arts) et souvent, se forger une culture personnelle en allant visiter certaines opérations phares comme les villes nouvelles du Royaume Unis ou des opérations phares des Pays-bas.

Du point de vue de la composition urbaine, les réalisations s‟appuient sur quelques principes majeurs18 :

-

la volonté de créer un espace vert majeur au cœur de l‟opération

-

l‟orientation des édifices en fonction de l‟ensoleillement

-

la ségrégation des circulations

-

l‟autonomie d‟implantation des bâtiments par rapport à la voirie

-

la volonté d‟intégrer les équipements nécessaires à la vie quotidienne au parc ou au bâtiment.

A ces objectifs, directement liés à la doctrine de l‟urbanisme moderne, l‟Etat français en surimpose deux autres :

-

résoudre la crise du logement

-

créer une industrie du bâtiment digne de ce nom.

L‟ensemble de ces objectifs va conduire à transformer les opérations et les formes urbaines qu‟elles constituent :

-

augmentation progressive de la taille des opérations (jusqu‟à 3000 voire 10000 logements) ;

-

transformations des formes urbaines avec abandon de la relation espace public/espace construit et implantation des édifices dans un parc plus ou moins bien fait ;

-

maîtrise globale du sol par la création de grandes entités non redécoupées.

16 voir Jacques Riboud, Expérience d‟urbanisme provincial, Ed Mazarine, Paris, 1961

17 voir le livre de Picon-Lefebvre Virginie (dir), « Les espaces publics modernes, situation et propositions », Le Moni- teur, Paris 1997

18 Voir l‟article de Dehan Philippe & Béatrice Jullien, « Au détour des chemins de grue », in Picon-Lefebvre (Dir), Les espaces publics modernes, editions du Moniteur

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Ces transformations posent quelques problèmes comme la déterritorialisation du bâti et la fragilité des espaces publics et de leur paysage.

. déterritorialisation du bâti : les cités-jardins restaient sur une structure foncière de base similaire à celle de la ville ancienne. Elles étaient simplement plus aérées. Des voies découpent des îlots divisés en parcelles sur lesquelles s‟implantent des bâtiments de la dimension d‟un immeuble ou d‟une maison. A l‟opposé, l‟urbanisme moderne cherche à disposer d‟un

« sol libre » où l‟on peut bâtir sans contrainte : l‟immeuble est déterritorialisé et le sol n‟appartient plus à ses habitants, mais seulement au gestionnaire, impersonnel ou collectif. Ce qui limite les possibilités d‟évolution de la ville.

. fragilité des espaces publics : les formes urbaines de l‟urbanisme moderne pose deux autres problèmes. Le premier est celui d‟une extension extraordinaire des surfaces collectives qu‟il faut aménager puis entretenir. Le second est celui d‟une diminution des traitements minéraux au profit des espaces végétaux. Or un espace vert est beaucoup plus fragile qu‟un espace urbain minéral et doit régulièrement être entretenu. Dans les quartiers riches, les parcs sont bien entretenus mais, dès qu‟il y a moins d‟argent ou/et des problèmes sociaux, la dégradation du milieu physique est très rapide. Beaucoup plus que dans un espace urbain traditionnel.

En conclusion, le bilan de l‟urbanisme moderne n‟est pas totalement négatif : certaines réalisations de cette époque sont remarquables. L‟avantage de cet urbanisme est qu‟il propose des résidences centrées sur un parc préservé des nuisances automobiles. Lorsque les conditions sociales et financières sont réunies, certains ensembles fonctionnent bien, quarante ans après leur construction : à Boulogne, Meudon la Forêt, Marly-le-Roi, Neuilly-sur-Seine, etc., lorsque les réalisations sont de qualité, que les espaces verts sont entretenus, qu‟il n‟y a pas de problèmes sociaux, même si ce n‟est pas vraiment de la ville, l‟urbanisme moderne produit des résidences agréables où l‟on habite dans la verdure. Sans doute l‟urbanisme moderne, coûteux dans sa structure comme dans son entretien, aurait-il du être réservé aux riches.

Il n‟en va en effet pas de même des quartiers populaires, en tout cas, dans les pays où les gens ont le choix de leur logement et peuvent quitter les grands ensembles pour acheter une maison individuelle.

Naufrage des grands ensembles

Tout avait pourtant bien commencé. Dans un premier temps, malgré d‟innombrables problèmes de réalisation, les grands ensembles furent habités par les classes populaires et moyennes, satisfaites d‟avoir enfin un appartement suffisamment grand et équipé de toutes les facilités : salle de bain, wc, etc. Au tournant des années 60, les familles abandonnent volontiers, leurs petits logements surpeuplés et sans confort pour les grands ensembles.

Ils furent pourtant rapidement critiqués. Pour leur monotonie, pour leur manque d‟équipements urbains, pour leurs situations excentrées et sans transport collectif, pour leur manque de respect vis-à-vis des modes de vie, …, mais aussi pour leurs formes urbaines. C‟est ainsi que, dès 1961, Jane Jacobs publie aux USA, « Death and life of great american cities » dans lequel elle critique cette forme d‟urbanisme et prône un retour aux principes traditionnels, en s‟appuyant sur les questions sociales, alors que les sciences sociales sont totalement oubliées par les architectes modernes. En France, au début des années 60, le suicide d‟une habitante dépressive dans le grand ensemble de Sarcelle, conduit un journaliste à inventer le terme

« sarcellite » qui aura une grande fortune.

En fait, au début des années 60, les conditions matérielles de la vie dans les grands ensembles sont plutôt mauvaises dès qu‟on sort de son logement bien équipé. Mais pas le climat social : on vit dans la boue, dans un chantier permanent, avec des difficultés pour se déplacer, pour faire les courses, etc., mais cela crée des solidarités, on s‟entraide, on se ligue contre le gestionnaire défaillant.

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La dégradation du climat social des grands ensembles commence dans les années 70 et s‟étend au début des années 80, à cause de trois principaux facteurs :

-

la libéralisation de la construction de la maison individuelle qui conduit les classes moyennes à partir pour réaliser leur rêve : acheter une maison individuelle, ce qui induit une homogénéisation sociale par le bas de la population ; ce phénomène n‟a pas eu lieu dans d‟autres pays comme les pays de l‟est et, du coup les grands ensembles - pourtant aussi mal construit que les français – ne sont pas devenus des ghettos (pas encore ?).

-

la politique de regroupement familial qui conduit les familles des migrants à remplacer les classes moyennes dans les grands ensembles, alors que ce type de logement est totalement inadapté aux modes de vie d‟étrangers qui sont des ruraux déracinés.

Les promoteurs des grands ensembles (architectes, maîtres d‟ouvrage, organismes HLM, Etat) avaient conscience de l‟inadéquation des logements proposés pour reloger les habitants des bidonvilles. Mais ils adhéraient alors à la vision optimiste d‟un homme universel. Ils ne s‟intéressaient ni à la sociologie ni à l‟ethnologie mais croyaient à la vertu éducatrice de l‟espace. Dans leur esprit, il fallait éduquer la population, lui apprendre à habiter, pour qu‟elle fasse bon usage des nouveautés techniques, eau chaude, baignoire, cuisinière, chauffage... On cite régulièrement l‟anecdote d‟une famille qui utilise la baignoire pour entreposer son charbon ! C‟est ainsi qu‟on a créé des cités de transits, dans lesquelles les nouveaux urbains, déracinés de leurs campagnes françaises ou coloniales, devaient s‟adapter progressivement au confort de la vie moderne avant d‟intégrer un grand ensemble. Malheureusement, les habitants de ces cités provisoires ont souvent du attendre 20 ou 30 ans avant d‟être relogés, dans de mauvaises conditions.

-

le chômage qui, à partir de la crise pétrolière de 1973, touche beaucoup les habitants des grands ensembles, en particulier les travailleurs immigrés, ce qui déstabilise leurs structures familiales.

Ainsi, la structure sociale des habitants des grands ensembles se modifie en profondeur en une décennie décennies : nivellement social par le bas, ségrégation. Ceux qui restent sont ceux qui ne peuvent pas partir. Cette fragilisation de la population avec l‟augmentation du taux d‟inactivité, la déstabilisation des familles, de leur culture, de leurs repères conduit à une concentration des problèmes. De coup on constate une augmentation des loyers impayés qui conduit alors certains organismes HLM à minimiser l‟entretien de leur patrimoine, ce qui induit une spirale de dégradation matérielle et symbolique du lieu.

Toutes les conditions sont réunies pour une dégradation des grands ensembles qu‟aucune des politiques successives ne parviendra à enrayer de manière globale malgré quelques succès locaux, souvent fragiles.

En fait, la médiocre qualité des bâtiments, avec leurs façades industrialisées et répétitives, souvent sans balcon, leurs plans figés par des refends en béton, le manque de qualité des espaces urbains, leur éloignement des centres urbains et des infrastructure de transport font que les grands ensembles sont figés dans leurs problèmes. On ne peut espérer faire revenir les classes moyennes dans ces lieux, sans une modification radicale et volontaire du bâti et de l‟infrastructure. L’urbanisme moderne n’est pas un urbanisme durable car il crée des situations figées, non évolutives. On peut comparer cette situation à celle de Harlem à New York qui, avec sa structure urbaine traditionnelle, a pu évoluer, pour le meilleur et pour le pire : de quartier blanc et bourgeois il est devenu un quartier noir très vivant, puis un ghetto ethnique et social, avant de redevenir un quartier chic et branché. Harlem est un morceau de ville durable puisque recyclable. Une telle évolution est impensable dans les grands ensembles ou les formes de l‟urbanisme moderne figent les choses. Il faut des modifications radicales et profondes, sur tous les plans, il est probablement indispensable de démolir. C‟est ce qu‟essaient de faire aujourd‟hui les GPV.

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La construction des grands ensembles engendre un étalement urbain relativement limité, mais une forte fragmentation : les zones bâties sont rarement reliées à l‟existant et constitue des enclaves séparées de la ville proprement dite. C‟est d‟ailleurs l‟un de leurs problèmes majeurs.

Changement de politique : la rurbanisation, étalement urbain à grande échelle

Les critiques atteignent les gouvernements et, à la fin des années 60, les grands ensembles sont d‟abord limités, puis, dans une circulaire de 1973, Olivier Guichard, qui a succédé à Albin Chalandon au ministère de l‟Urbanisme en 1972, arrête la construction des grands ensembles. Dorénavant on ne peut plus réaliser de groupements de plus de 500 logements d‟un seul tenant. Ce qui reste très important si l‟on compare aux réalisations des décennies antérieures.

Pour des raisons de coûts, la construction des grands ensembles s‟est généralement faite sur de grandes emprises foncières en périphérie, proche mais sans continuité directe avec la ville existante, au contraire des HBM antérieurs. Par ailleurs, le principe du zoning introduit par l‟urbanisme moderne, qui vise à séparer chaque fonction sur le territoire urbain, s‟est intégré aux plans d‟urbanisme réglementaire, renforçant ainsi l‟éclatement de la ville. Les grands ensembles ont ainsi induit une nouvelle fragmentation urbaine s‟ajoutant aux premiers développements pavillonnaires.

La nouvelle politique va engendrer un étalement urbain encore plus significatif avec une troisième poussée pavillonnaire prenant la forme de ce que Bauer et Roux ont appelé justement la rurbanisation19. L‟automobile diminue les distances, et désormais, une partie croissante de l‟espace rural est utilisé par les urbains. La rurbanisation modifie profondément la structure de la ville et la vie des citadins qui, bien qu‟ils soient urbains dans leur mode de vie, peuvent vivre à la campagne.

C‟est une nouvelle phase de transformation de la ville.

Car depuis la rurbanisation des années 70, la fragmentation urbaine se poursuit sans interruption. Et le parc d‟habitat se modifie en profondeur puisque, dans les années 90, il se composait de 54% de maisons individuelles contre 46% de collectifs.

La maison de rêve

Dès la sortie de la guerre les enquêtes montrent les français que (72% en 1951) préfèrent la maison individuelle20. Une préférence que les enquêtes plus récentes confirment : près de 83 % des français « sont partisans de la maison individuelle »21.

La maison possède une dimension ethnologique fondamentale : on dit le Toit, le Foyer, etc. Dans son essence, la maison individuelle est l‟habitation humaine. La maison répond à la cosmologie de l‟individu, permet de vivre avec le ciel et la terre, avec les saisons, et elle offre aux habitants de nombreux espaces d’appropriation, qui sont beaucoup plus limités dans le logement collectif22. Elle permet aussi une diversité de mode de vie, ce qui aurait sans doute facilité l‟intégration des migrants ruraux. Cette préférence et sa permanence s‟expliquent donc aisément.

Mais ce ne fut pas le choix des dirigeants. Les gouvernements d‟après guerre refusent catégoriquement le développement de la maison, car il ne correspond pas à leur vision de la ville et du développement du territoire. La maison individuelle est donc largement exclue des politiques officielles pendant plus de 15 ans (1950 – 1967).

C‟est à partir du milieu des années 60, que les ministres Pisani, Nungesser, puis Chalandon (à partir de 1968), très critiques vis-à-vis de la production des grands ensembles, décident de mettre en place une politique plus favorable aux maisons individuelles. Ce retournement politique, conjugués à l‟enrichissement global de la population au cours des « trente

19 Bauer Gérard et Roux Jean-Michel, La rurbanisation, Ed. du Seuil, 1976

20 Sondage IFOP publié dans la revue Rapport France-Etats-Unis n°55, octobre 1951, p20 21 HAUMONT Nicole, op. cit. p 9

22 Voir Philippe Dehan Eloge de la maison, rapport de recherche pour le PUCA, 2004

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glorieuses » (50-70) vont permettre aux classes moyennes de réaliser leur rêve : habiter une maison individuelle.

Cette nouvelle aventure urbaine ne va pas sans quelques problèmes rappelant ceux de la Loi Loucheur. En 1969 Albin Chalandon, lance un vaste programme de construction de maisons individuelles qui deviendront célèbres sous le surnom de

« Chalandonnettes », à cause de leurs nombreuses malfaçons. En effet, dans un contexte de concurrence très forte avec les grosses entreprises de BTP, de nombreux entrepreneurs se lancent sur ce nouveau marché, sans avoir toujours les moyens de leurs ambitions.

Des facteurs diversifiés pour une politique nouvelle

Sous couvert de mieux répondre aux aspirations des familles françaises, cette nouvelle politique répond à plusieurs objectifs : - mieux mobiliser les ressources financières des ménages en leur proposant l‟accession à la propriété de leur maison, ce qui permet un certain désengagement de l‟Etat à l‟égard du financement du logement.

- élargir le champ d‟intervention et de profit des banques, grâce à la mise sur le marché de nouvelles formules d‟épargne et de prêts.

- offrir de nouveaux débouchés aux grandes entreprises de construction, par le lancement de nouveaux produits leur permettant de rentabiliser leurs investissements dans l‟industrialisation du bâtiment : les «builders » sont invités à mettre au point des modèles clés en main à travers toute la France.

Le développement de la maison individuelle a donc des fondements politiques et économiques. Mais son succès s‟explique aussi par son adéquation aux évolutions sociales et la modification de son image auprès des classes moyennes supérieures. Dans les années 30, le pavillon est « ouvrier » ou petit bourgeois. Il a une connotation populaire qui fait fuir une grande partie de la bourgeoisie. La naissance d'une génération de cadres influencés par la situation américaine rehausse la maison dans la pensée sociale. Et, dès sa libéralisation, on assiste à l‟explosion de la construction des maisons individuelles sous toutes ses formes (lotissements, nouveaux villages, pavillonnaire diffus). Ce développement profite de la diffusion croissance de la voiture. Ainsi, au lieu de se concentrer, les nouvelles extensions urbaines sont éclatées, augmentant considérablement les surfaces urbanisées. Les modes de vie changent avec comme caractéristique, celui d‟un accroissement de la mobilité. On se déplace en permanence, et pas seulement pour le travail, mais aussi et de plus en plus, pour le loisir.

Théories urbaines après l’urbanisme moderne

Bilan critique de l’urbanisme moderne

L‟urbanisme fonctionnaliste fut souvent critiqué pour ses formes, pour sa monotonie. Il n‟a pourtant pas produit que les grands ensembles et n‟a pas produit que des catastrophes (Marly les grandes Terres, Meyrin en Suisse, Tiergarten à Berlin,

…). Lorsque les conditions sociales sont bonnes, certains quartiers modernes fonctionnent bien, en particulier pour l‟habitat23. Mais c‟est une ville rigide, anti-urbaine. En effet, la volonté de rendre la ville claire et fonctionnelle conduit le modèle de l‟urbanisme fonctionnaliste à supprimer la mixité fonctionnelle des quartiers alors que, lorsqu‟on regarde l‟histoire de la ville, tout laisse penser que c‟était un fondement essentiel de la dynamique économique du fait urbain. Par ailleurs elle conduit aussi à supprimer le découpage foncier qui est un autre élément fondateur matériel de la ville. En conséquence, l‟urbanisme moderne conduit à transformer de manière radicale les composantes et les modes d’évolution de la ville. Il supprime toute possibilité d’évolution partielle liée aux diverses initiatives de ses multiples habitants. Les doctrines de l’urbanisme moderne oublient le temps. Or, la ville n‟est pas un objet fini, mais un espace social évolutif. La ville

23 On peut citer « Marly les Grandes Terres », de Lods, Neuilly Bagatelle de Coulon, Mourenx, de Coulon, Sarcelle de Labourdette, etc. Voir in l‟article « Au détour des chemins de grue », de Ph. Dehan et B. Jullien, in Picon-Lefebvre Virginie (dir), « Les espaces publics modernes, situation et propo- sitions », Le Moniteur, Paris 1997

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moderne se réduit à la production d‟un espace figé, sans réalité sociale et ne répondant pas aux aspirations, évolutives, des habitants. Comme le proclamait un grand architecte français actif entre 1930 et 1970, Marcel Lods : pour pouvoir faire une vraie ville moderne, il faudrait supprimer « le dernier habitant et le cadastre ».

Face aux échecs de l‟urbanisme moderne, en particulier dans les quartiers populaires, de nombreuses critiques vont s‟élever.

Jane Jacobs le fait dès les années 60. Elle ne propose pas de forme, mais simplement un retour aux principes d‟organisation traditionnels de l‟espace urbain. De tous côtés vont apparaître des propositions réhabilitant la ville traditionnelle et qui cherchent à revenir à des formes urbaines plus classiques.

La redécouverte de la valeur de la ville ancienne et la réhabilitation

Les italiens ont réalisé beaucoup moins de grands ensembles que les français. Ils ont toujours préservés les centres anciens alors que les français les éventraient pour remplacer les îlots par des tours et des barres comme ce fut le cas à la place des Fêtes à Paris ou dans le quartier des Olympiades. Ils avaient comme référence l‟ouvrage et les travaux de G. Giovannoni24, et ce seront les premiers à proposer de réhabiliter les villes pour améliorer les logements anciens plutôt que de les raser et reconstruire.

Un certain nombre d‟architectes-enseignants, comme Aldo Rossi ou Carlo Aymonino, vont mettre au point des méthodes d‟analyse du bâti existant dites « typo-morphologiques » qui consistent à regarder l‟existant dans le détail soit pour le réhabiliter soit pour proposer des projets s‟en inspirant. A Bologne, sous l‟impulsion d‟une municipalité communiste, une équipe d‟architectes va mener une vaste entreprise d‟analyse des immeubles anciens puis de réhabilitation des logements, c‟est à dire d‟adaptation au confort contemporain, sans destruction. Une innovation radicale dans le panorama des années 60 –70. Ce type de démarche sera ensuite défendu par des associations de parisiens, soutenus par des professionnels, en particulier des architectes-enseignants de l‟école d‟architecture de Paris la Villette. Ces efforts seront couronnés de succès puisque, dans le 20e arrondissement, ces associations parviendront à stopper les rénovations lourdes pour des projets plus mesurés de réhabilitation et de substitution par parcelles, qui préservent les formes urbaines existantes. Ce sont ceux là qui militent pour un urbanisme scientifique qui s‟appuie sur les études, sur la connaissance du bâti mais aussi sur la connaissance des populations.

La défense de la ville européenne

Dans les années 70-80, une proposition de retour à la ville classique européenne va se mettre en place autour de l‟école d‟architecture Belge de la Cambre. Des architectes comme Maurice Culot, Léon Krier et Rob Krier vont concevoir, avec leurs étudiants, des projets très polémiques dans lesquels on retrouve des tracés classiques pré-haussmannien, des îlots bien fermés, agrémentés d‟une architecture de pierre tout à fait rétro. Une revue (Les Archives d‟Architecture Moderne – AAM) est consacrée à la diffusion des projets (généralement sans commande) et à la critique des architectes modernes célèbres épinglés parce que beaucoup de ceux qui construisent des grands ensembles habitent des maisons ou hôtels particuliers des siècles passés. L‟école d‟architecture de Versailles participera un moment à cette mouvance. L‟école de la Cambre sera fermée, la revue disparaîtra, mais le message est repris, en particulier aux Etats-Unis, où certains promoteurs voient dans ce

« revival » un marché, et en Grande-Bretagne, où le prince Charles va prendre fait et cause pour cette doctrine et lui même prendre la plume pour défendre cette vision d‟un urbanisme passéiste et humaniste, mais un peu élitiste et coupé des réalités sociales et économiques25.

Avec l‟appui du Prince Charles, certains projets seront néanmoins menés à bien et partiellement réalisés à partir des années 90. Aujourd‟hui en France, certains promoteurs voient aussi cette esthétique passéiste comme un moyen de séduire « le

24 Giovannoni G., « L‟urbanisme face aux villes anciennes », Le seuil 25 Prince Charles., « Le prince et la cité »

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marché ». On trouve désormais un certain nombre de projets en cours, qui s‟inscrivent dans cette vision. C‟est ainsi le cas à Marne-la-vallée où, à Val D‟Europe sur la commune de Serris un centre commercial est conçu comme une rue bordée de commerce dans des maisons individuelles. Autour, des quartiers néo Haussmanniens cherchent à créer une diversité artificielle. Avant la diversité urbaine résultait de son évolution, de l‟empilement progressif de ses couches. Aujourd‟hui, il faut de la diversité esthétique instantanée. Fini les hauteurs homogènes, fini les couleurs homogènes des toits. Tuiles variées, se marient à des ardoises ou du zinc, toute l‟histoire de l‟architecture est convoquée dans des pastiches plus ou moins réussis.

A Val d‟Europe, ou le projet qui s‟inscrit dans la zone d‟Euro Disney, le projet est piloté par Disney et on se rapproche des concepts du royaume magique avec un côté scène (la rue commerçante) et un côté coulisse (les livraisons et le stationnement). Mais il faut constater que le soin apporter aux coulisses crée une véritable qualité urbaine : le parking du centre commercial de val d‟Europe n‟a rien à voir avec celui des hypermarchés classiques : bien planté, il est doté de bâtisses style 19e siècle offrant de l‟ombre et un décor agréable. Cet urbanisme nous propose une vision de la ville ancienne avec des décors pittoresques mais une fonctionnalité contemporaines, une ville idéale et humaine, comme elle n‟a jamais existé.

Aujourd‟hui, beaucoup de promoteurs et certains élus ont adopté cette vision avec plus ou moins de talent et plus ou moins de cohérence

Modernité et urbanité

Dans les années 80, tout le monde ne partage pas la vision passéiste de l‟école de la Cambre et des frère Krier, mais les jeunes architectes sont presque unanimes à critiquer les projets prolongeant l‟urbanisme moderne. Le quartier des halles est un exemple frappant de l‟état de la pensée urbaine au milieu des années 70. Les halles de Baltard ne sont pas encore considérées comme un objet patrimonial. Elles sont détruites alors que le projet de réaménagement n‟est pas encore figé. Ce dernier évolue à chaque changement de pouvoir. Un « contre concours » va être lancé qui va recevoir plus de 600 projets ! Les projets sont de toutes sortes, de toutes tendances, mais ils sont globalement plus urbains que les projets précédents. Et, ils permettent à quelques jeunes architectes d‟affirmer leur position urbaine.

Un projet phare de cette mutation est celui que Christian de Portzamparc (Grand prix d‟urbanisme 2005) et Georgia Benamo réalisent en 1979 : ils reconstruisent le passage des Haute-Formes, à côté de la faculté Tolbiac. Autour d‟un véritable passage, bordé d‟immeubles très hauts, ils recomposent un espace urbain traditionnel retrouvant l‟urbanité de la ville, des îlots, sans pour autant adopter un vocabulaire architectural passéiste. C‟est finalement cette position qui va se répandre, en particulier dans les travaux de l‟Apur (l‟agence parisienne d‟urbanisme), qui abandonne les rénovations lourdes pour des plans constituant des îlots même si souvent le sol n‟est pas redécoupé en parcelles.

De ces recherches ressort la volonté de réinventer un nouvel îlot qui s‟inspire des expériences du début du siècle, avant l‟urbanisme moderne : les îlots des quartier de Berlage à Amsterdam ou des italiens des années 30 : un îlot ouvert dans lequel le centre est occupé par un vaste jardin. Un projet symbolique est celui de la Zac de Bercy, conçue par Jean-Pierre Buffi, qui crée des îlots ouverts sur le parc et sur la Seine.

Ce retour à l‟architecture urbaine est largement répandu en Europe. On peut citer de nombreux autres projets parisiens, mais aussi la reconstruction de Berlin, où l‟on retrouve, des rues, des îlots, même si la dimension des parcelles et des opérations s‟est considérablement agrandie.

Cela ne veut pas dire que les préceptes modernistes soient totalement abandonnés. En d‟autres lieux, comme en Asie, en Chine, à Honk-Kong, à Singapour par exemple, on construit encore des grands ensembles, et des tours gigantesques qui empilent les fonctions et qui semblent bien fonctionner socialement.

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La congestion urbaine et le troisième âge de la ville

Parallèlement à ce qui est devenu l‟urbanisme officiel en Europe, réalisé avec plus ou moins de brio, deux doctrines se sont affirmées.

D‟un côté, il y a des architectes dans la mouvance du hollandais Rem Koolhass. Ce dernier, après avoir écrit Délirius Manhattan26, une apologie pleine d‟humour du gratte-ciel New-yorkais, milite pour développer la congestion urbaine. C‟est lui qui a ainsi conçu le plan d‟Euralille qui cherche à renforcer la mixité, la superposition des fonctions, même lorsque ce n‟est pas « naturel ».

De l‟autre coté, il y a Portzamparc qui prétend inventer le troisième âge de la ville, représentant une synthèse entre l‟urbanisme moderne, aéré et vert et l‟urbanisme traditionnel d‟îlot. Il essaye, dans son projet de la ZAC Seine Rive gauche, dont nous reparlerons bientôt, de mettre en place des règles complexes permettant de concilier densité et végétal et en évitant la monotonie de l‟îlot haussmannien. Ces projets sont à suivre… Un représentant de la Semapa nous les présentera dans quelques séances.

Urbanisme durable et éco-quartiers :

Depuis quelques années, se développe ce qu'on appelle les “éco-quartiers” qui sont des projets urbains globaux à vocation écologique. Ce mouvement qui est actuellement en plein développement est né en Allemagne et en hollande avec quelques exemples pionnier en Autriche, en Grande Bretagne et dans les pays scandinaves, a fini avec quelques décennies de retard par atteindre la France.

Il n'y a pas de norme ni de recette d'éco quartier. Leur forme et contenu varie en fonction des lieux et des enjeux.

Exemple Stuttgart et Freiburg

Exemple Hollande : EvaLanxmeer, DeKersentuin à Utrecht, GWL à Amsterdam Annonce de villes entières chinoises, mais pour l'instant rien de concret.

A Grenoble depuis deux mandats électoraux, la municipalité a développé différentes projets de Zac prenant la forme d'eco quartiers, et refondu totalement son PLU pour lui donner un caractère écologique.

A Paris : la Zac de Rungis est devenue plus écologique sous la pression d'associations citoyennes. La nouvelle Zac Batignolle est conçu comme un grand éco-quartier.

Aujourd'hui toutes les grandes villes sont concernées, et mettent en place des éco-quartiers dont il faudra analyser la pertinence.

A Lille, la deuxième tranche d'Euralille se veut écologique et abandonne la congestion urbaine pour des échelles plus modeste avec des systèmes de récupération d'eau pluviales, une forte végétalisation, des bâtiments basses consommation, etc.

Des réalisation en cours qui vous seront présentées par David Vautry lors du dernier cours.

Urbanisme réglementaire et écologie

A quand des Eco PLU ? Officiellement les PLU devraient être attentifs à l'environnement. Dans les faits, l'interprétation de ce que doit être la protection de l'environnement varie et fait que les PLU ne sont pas toujours réellement écologiques. Un exemple : certains articles du règlement imposent des règles sur la hauteur ou l'aspect du bâtiment qui peuvent aller à l'encontre de la pose de panneaux solaires, de toiture végétalisées, etc.

26 Rem Koolhaas, New York Délire, un manifeste rétroactif pour Manhattan, 1978, réed fr ., Parenthèse, Marseille 2002

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Un cours entier portera sur cette question que je développerai ultérieurement

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FORMES ET STRUCTURES DE LA VILLE CONTEMPORAINE

La ville contemporaine se met en place à partir des structures léguées par la ville industrielle. Un certain nombre de caractère marquent la ville contemporaine :

1-

la croissance des agglomérations et la diffusion des modes de vie urbain au dela des aires urbaines

2-

l‟étalement urbain d‟abord par la création de quartier de maisons individuelles, ensuite par l‟implantation du commerce et de l‟activité en dehors des centres villes

3-

Structures de la ville contemporaine : un archipel sectorisé

Croissance urbaine et diffusion des modes de vie urbains

Nous sommes aujourd’hui dans une civilisation urbaine : une très forte majorité de la population vit dans des villes. 50% à l’échelle mondiale, mais ce taux est beaucoup plus fort en Europe ou en Amérique du nord où il atteignait en 2000 respecti- vement 79 et 78 %27. Désormais, dans les pays industrialisés, presque 80 % de la population sont urbains. Parallèlement, les modes de vie se sont homogénéisés sur beaucoup de plans : les modes de vie urbains ont colonisé celui des ruraux qui regar- dent la télévision, voyagent, prennent des vacances, mangent des plats variés sans relation à la production saisonnière et locale, font leurs courses au super ou à l’hypermarché.

Evolutions des formes urbaines : la ville sectorisée

Conséquence de la modification de la structure globale des villes, les formes urbaines contemporaines se caractérisent par quatre facteurs principaux : la modification profonde de la structure viaire de l’agglomération, la sectorisation accrue de la ville, la multiplication du nombre de types de tissus urbains et la dédensification de la plupart des fragments urbains.

Modification profonde de la structure viaire

David Mangin note que le modèle de croissance radioconcentrique reste le modèle de croissance dominant (ce qui est normal puisque c’est le modèle « naturel » - celui qui prévaut lorsqu’on n’agit pas). Dans les années 60, l’anglais Colin Douglas Buchanan (1907-2001) a produit un ouvrage important sur la question des transports et du

fonctionnement des déplacements en voiture. Il insistait en particulier son atout majeur : transporter personnes et colis, de porte à porte. Il a aussi comparés les différents systèmes de desserte de ville à ville : selon lui, le principe des raccordements est plus efficace et moins coûteux que les système de rocades. David Mangin montre qu’en France, les deux systèmes ont été additionnés : les raccordement reliant les rocades des différentes villes. Les rocades contribuent à une croissance radioconcentrique de la ville, tout en créant de nouveaux pôles de

croissances péri-urbains. Au lieu d’être éloignées et préservées de l’urbanisation, les branches des raccordements sont souvent utilisées comme pôles de desserte de nouveaux fragments urbains, en particulier des zones

commerciales ou d’activité, mais aussi des lotissements autonomes (« nouveaux villages ») ou de la rurbanisation, diffuse ou groupée, qui touche les bourgs en périphérie de la ville.

C’est ainsi que cette nouvelle structure viaire enveloppe la ville et la refaçonnent en créant les nouveaux axes de développement de l’agglomération, mais aussi, en constituant des barrières qui délimitent des secteurs relativement

27 Source ONU cité par Pierre Bloc-Duraffour in Les villes dans le monde Armand Colin Paris 2003, p8

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étanches, très différents des formes urbaines antérieures. Mangin parle de ville sectorisée. C’est en s’appuyant sur ces nouvelles infrastructures et la diminution de la « distance temps » qu’elle permettent que se développent les nouvelles formes urbaines : « L’habitat diffus se développe (…) à partir des bourgs, et les nouveaux lotissements cherchent avant tout une proximité avec les nœuds d’échanges du réseau. Les rocades génèrent ainsi des situations de périphérie en rupture avec une croissance continue de l’agglomération, (…) »28. Et c’est aux nœuds de ces voies (croisements, sorties) que s’implantes les nouvelles « centralités périphériques » que sont les zones d’activités, les centres commerciaux du grand commerce qui, au-delà de leur fonction de base intègrent de

nouvelles fonctions comme le travail tertiaire (bureaux) ou le loisir (multiplexes, centre de fitness, hôtels restaurants).

Ce phénomène peut être redoublé par la création de plusieurs anneaux de rocades, comme c’est le cas à Rennes ou Paris.

C’est le modèle français dominant. Certains cas particulier, comme les vallées du Rhône et de la Saône, ou la côte d’azur voient un développement linéaire reliant les différentes villes pour forme une conurbation globale en réseau29.

Multiplication des types de tissus :

Jusque dans les premières décennies du 20e siècle, on avait un nombre limité de tissus urbains : centre historique, centre ville, faubourg, banlieue, secteur industriels. Dans la première partie du 20e siècle, les formes des tissus pavillonnaires et d’urbanisme moderne s’ajoutent à cet épannelage. Avec l’éclatement urbain des années 1980-90, les formes urbaines se multiplient : nouveaux villages, lotissements périurbain, lotissements rurbain, pavillonnaire diffus, villages ruraux, etc., ainsi que les nouvelles « centralités périphériques » : zones d’activités, zones artisanales, zones commerciales.

Ces dernières sont des éléments urbains à part entière.

Ce sont même, désormais, les principaux acteurs de l’économie commerçante : elles représentent 70% des chiffres d’affaires contre 20 % dans les centre ville et 10 % dans les quartiers. C’est une spécificité française puisqu’en Allemagne, les chiffres sont respectivement de 30%, 30% et 40%30.

La mutation touche aussi les centres ville qui d’un côté s’embourgeoise, et de l’autre voit sa structure commerciale se transformer. Les commerces se spécialisent (prêt-à-porter) et devient le lieu du développement d’annexes au grand commerce à travers le développement d’enseignes franchisées. C’est ainsi que, le centre ville comme les zones commerciales deviennent deux pôles complémentaires des mêmes stratégies économiques. David Mangin parle de « ville franchisée ».

Sectorisation de la ville

Le fonctionnement de ces fragments urbains diffère grandement de celui des tissus antérieurs : la plupart sont conçus comme des secteurs autonomes, desservis uniquement par l’automobile et dont les accès sont limités en nombre. On ne traverse pas ces secteurs comme on le faisait dans les tissus urbains traditionnels et leur dimension est généralement très supérieure à celle des îlots antérieurs. Pour ceux qui peuvent choisir leur mode de vie, cette sectorisation peut paraître positive. On peut vivre entre soi dans un nouveau village, disposant à la fois du bien être

28 Mangin D. « La ville franchisée, formes et structures de la ville contemporaine », ed de la Villette, Paris 2004, p84 29 Mangin D. « La ville franchisée,… », op.cit. p 89

30 Mangin D. « La ville franchisée,… », op.cit. p 109

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de la (presque) campagne et grâce à deux ou trois voitures, des services urbains. Mais pour les moins favorisés, ceux qui abandonnent le centre ville parce qu’il est trop cher, les choses sont moins positives. David Mangin le souligne : « Ce découpage physique atomise la pratique quotidienne de la ville. Il engendre de véritable

phénomènes de relégations interne pour les habitants, une « double peine » urbanistique en quelque sorte. Déjà soumis aux nuisances induites par la voie rapide, ceux-ci se voient par surcroît, écartés du centre-ville et de ses services par des infrastructures rendues quasi infranchissables (…) »31

Ils sont situés en marge des voies de passage principales. Ces nouveaux types, sont peu reliés aux autres secteurs et très figés dans leurs formes comme dans leurs programmes. C’est ce que David Mangin appelle la sectorisation de la forme urbaine.

C’est ainsi que les règlements des lotissements interdisent toute activité (autre que les professions libérales), limitent fortement les extensions et interdisent les divisions parcellaire ou la construction en hauteur. Ces tissus urbains sont figés, à l’exception de petits ajouts comme des vérandas. De la même manière, bien qu’elles soient en permanente transformations, les zones d’activités et les zones commerciales, n’admettent pas de mixité : on ne peut y implanter de logements, l’évolution de ces zones se fera probablement plus par abandon (friche) puis requalification globale que par mutation progressive.

Dédensification

La dédensification de l’agglomération est d’abord liée à l’intégration de territoires périphériques et rurbains dans l’aire urbaine. L’extension de la zone urbaine, fait que désormais de nombreux secteurs, très peu denses sont intégrés. La dédensification touche aussi tous les tissus de centre ville. La qualité de vie exige plus d’espaces verts, des cours ou jardins plus grands, des logements plus grands. Le phénomène NIMBY (« Note In My Bacyard ») y contribue : dès qu’ils sont installés dans une zone, les gens ne veulent plus de construction nouvelle près de chez eux, et pour le public, la densité à mauvaise presse. Les électeurs font pression sur les élus pour que les règlements urbains minimise les autorisations de construire. Toutes ces évolutions contribuent à faire baisser la densité des centres urbains. Les seuls secteurs où la densité augmente sont ceux en mutations, banlieue ou friches urbaines (industrielle, militaire, ferroviaire, …), qui lors du réaménagement sont construits alors qu’ils étaient souvent occupés par de grands bâtiments de faible densité. La densité des centres anciens était souvent trop forte par rapport aux exigences de qualité de vie actuelle. Mais, l’un des enjeux majeurs d’un urbanisme durable est de redonner une certaine compacité à l’agglomération, donc à augmenter la densité des secteurs périphérique. Il faut sans doute changer les réglementations urbaines en imposant des densités minimales pour limiter la croissance urbaine et permettre de doter l’agglomération de services performants et plus économiques.

Entrées de ville et ville franchisée

Cette mutation de l’agglomération s’est effectuée sur un temps très court et marque à la fois les formes et l’image des villes. Elle commence en 1960 (création du premier hypermarché et prend tout son essor dans les années 90.

Certains aspects, comme la création de zones d’activité ou de grand commerce sera accélérée par la décentralisation de 1983 qui met les communes d’une même agglomération en concurrence. Elle a pour conséquence une homogénéisation globale des périphéries françaises et, en particulier des entrées de ville. C’est

31 Mangin D. « La ville franchisée,… », op.cit. p 99

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d’ailleurs l’aspect esthétique qui sera le premier critiqué, mobilisant certains hommes politiques et de nombreux urbanistes. C’est ainsi que le sénateur Ambroise Dupont s’en est inquiété, produisant un rapport visant à prévenir et réparer les entrées de ville.

Mais il est vrai que les enjeux dépassent les problèmes esthétiques. En France, première nation touristique au monde, l’apparence et l’image de la ville ont une importance économique. C’est d’ailleurs un touriste anglais qui attirera l’attention du sénateur Dupont sur la question : « comment les français ont-ils pu laisser faire cela ». Il y a longtemps que le parcours d’entrées de ville, n’était pas une limite très claire. La constitution, de faubourgs ou de banlieues industrielles, avec leurs bâtiments hétéroclites, et en perpétuelles mutations, avait déjà fortement marqué le paysage. Mais l’avènement du grand commerce, en deux décennies va conduire à une homogénéisation globale des parcours d’entrée de ville, qui constitue une bien piètre vitrine pour la cité. L’entrée de ville franchisée est en effet marquée par trois phénomènes :

- celui d’une logique d’investissement à court terme (les bâtiments sont en perpétuelle évolution et sont amortis en quelques années) – nous sommes dans la ville jetable - ;

- celui d’une visibilité commerciale de la marque : logo, couleurs ou formes de bâtiment doivent être les mêmes sur tout le territoire, voire dans le monde entier (Auchan, Carrefour, Leclerc, Mc Donald, Ikéa, …), les particularités locales doivent être gommées.

- celui d’une visibilité locale du parking démontrant qu’il est simple de se garer

Ce phénomène avait déjà marqué les Etats-Unis. L’architecte Robert Venturi, avait de manière un peu provocante propose d’adopter une vision positive de cet urbanisme commercial. Au début des années 70, il écrit un ouvrage analysant l’Enseignement de las Vegas 32. Il lance «à l’architecte le défi de (…) regarder positivement, sans préjugé»

l’urbanisme commercial des grandes avenues de la ville ludique du Nevada. Pour lui, l’architecture de Las Végas faite « de styles et d’enseignes est antispatiale, (…) c’est une architecture de communication qui prévaut sur l’espace». Elle crée «un nouveau paysage de grands espaces, accordé aux vitesses accélérées et aux programmes multiples». Pour qualifier les bâtiments, Venturi distingue deux types architecturaux : le hangar décoré, bâtiment économique dont la façade est utilisée comme grand panneau d’affichage pour l’activité commerciale ; le canard, édifice ou enseigne géante, qui épouse généralement la forme du produit vendu.

Peut-on, dans cette ligne, adopter une vision positive du « strip » français ?

En fait, nos entrées de ville supportent difficilement la comparaison. Les entrées de ville françaises sont largement composées de hangars décorés, parallélépipèdes en bardage colorés, sur lesquels s’accrochent des enseignes omniprésentes. Les canards, sont plus rares, se limitant à quelques caravanes, camions ou des maisons clé en main implantés au bord de la route ou sur le toit des bâtiments. Ce déficit en Canards induit une ambiance nettement moins kitsch et moins ludique que celle du Strip de Las Vegas. Le paysage de Las Vegas était très riche et foisonnant. Ce n’est pas le cas de nos entrées de ville qui ne respirent ni la fantaisie, ni l’originalité.

On pourrait chercher à favoriser l’émergence de Canards pour en faire des lieux ludiques, ça pourrait être drôle.

De manière plus classique et plus conforme à la tradition urbaine européenne les urbanistes français requalifient les entrées de villes, en cherchant à domestiquer et à rendre plus urbaines ces entrées de ville.

32 Venturi Robert, Denise Scott Brown, Steven Izenour «L’enseignement de Las Vegas ou le symbolisme oublié de la forme architecturale», MIT 1971, traduction française, Pierre Mardaga, Liège 1978.

Références

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