Les môles hydatiformes partielles au Maroc : étude épidémiologique et clinique
H. Boufettal,
1P. Coullin,
2S. Mahdaoui,
1M. Noun,
1S. Hermas
1et N. Samouh
1RÉSUMÉ La présente étude rétrospective a examiné les cas de môle hydatiforme partielle (MHP) diagnostiqués au CHU de Casablanca de 2000 à 2010 et rapporte le profil épidémiologique, clinique, thérapeutique et évolutif de cette entité pathologique. Ont été inclus tous les cas de MHP évoqués échographiquement et cliniquement puis confirmés à l’examen anatomo-pathologique. Nous avons recensé 24 cas de MHP parmi 60 748 accouchements et 1704 avortements spontanés, ce qui donne une fréquence de 0,4 pour 1000 grossesses et 1,4 % des avortements. La moyenne d’âge était de 26 ans (extrêmes 16-55 ans). Les circonstances de découverte clinique et échographique étaient variées : 79,2 % des patientes consultaient pour des métrorragies ; un syndrome thyrotoxicosique clinique était retrouvé chez une patiente (4,2 %). L’examen physique montrait un utérus augmenté de taille dans 83,3 % des cas associé à une masse latéro-utérine dans 25 % des cas. Le diagnostic était étayé par un examen échographique associé à un dosage de β -HCG plasmatique. La confirmation était histologique dans tous les cas et le traitement était une aspiration endo-utérine. La dérive néoplasique a été observée dans un cas (4,2 %) qui a évolué vers la rémission sous chimiothérapie.
1
Service de gynécologie-obstétrique « C », Faculté de Médecine et de Pharmacie, Centre hospitalier universitaire Ibn Rochd, Centre d’Études Doctorales de Biologie Moléculaire et Génétique, Faculté de Médecine et de Pharmacie, Université Hassan II - Aïn Chock, Casablanca (Maroc) (Correspondance à adresser à H. Boufettal : mohcineb@yahoo.fr).
2
Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), Unité 782, Endocrinologie et génétique de la reproduction et du développement, Université Paris-Sud, Clamart (France).
Reçu : 10/01/12; accepté : 12/02/12
Partial hydatidiform mole in Morocco: an epidemiological and clinical study
ABSTRACT This retrospective study reviewed cases of partial hydatidiform mole (PHM) diagnosed at the University Hospital in Casablanca from 2000 to 2010 in order to examine the epidemiological, clinical, therapeutic and progressive pathological factors associated with PHM. All PHM cases confirmed clinically and sonographically at pathological examination were included. We identified 24 cases of PHM among 60 748 births and 1704 abortions, giving a frequency of 0.4 per 1000 pregnancies and 1.4% of abortions. The mean age was 26 years (range: 16–55 years).
The circumstances of discovery and clinical ultrasound varied: 79.2% of patients sought consultation for bleeding;
clinical thyrotoxicosis syndrome was found in 1 patient (4.2%). Physical examination showed increased uterine size in 83.3% of cases associated with a latero-uterine mass in 25%. The diagnosis was supported by an ultrasound examination combined with measurement of plasma βHCG. Histological confirmation was made in all cases and treatment was endo-uterine aspiration. Neoplastic drift was observed in 1 case (4.2%) which went into remission with chemotherapy.
ةيريسرو ةيئابو ةسارد :برغلما في ةيئزلجا ةيرادعلا ةسيكلا
حومس ةميعن ،سامره ديعس ،نون دممح ،يوادهم رخص ،ينلوك بيليف ،لاّتفوب ينسح
ةترفلا في ءاضيبلا رادل ا في يعمالجا ىفشتسلما في تصخش يتلا ةيئزلجا ةيرادعلا ةسيكلا تلااح ةيداعتسلاا ةساردلا هذه في نوثحابلا ضرعتسا :ةـصلالخا
ًايريسر ةتبثم تلاالحا عيجم تناكو .ةيئزلجا ةيرادعلا ةسيكلاب ةطبترلما ةيمقافتلا ةيجولوثابلاو ةيجلاعلاو ةيريسرلاو ةيئابولا لماوعلا ةسارد ةَيْغُب 2010-2000
طاقسإ 1704 و ةدلاو 60748 ينب نم ةيئزلجا ةيرادعلا تاسيكلا نم ةلاح 24 لىع نوثحابلا فرعتو .يجولوثابلا صحفلابو توصلا قوف جاومأب صحفلابو
ءارجإو تلاالحا فاشتكا فورظ تناكو .)ًاماع 55-16 :لاجلما( ًاماع 26 يطسولا رمعلا ناك دقو .طاقسإ لكب % 1.4 و لحم فلأ لكب 0.4 اهرتاوت لعيج امم
ىدل يقردلا مماسنلال ةيريسرلا ةمزلاتلما تظحولو ،فزـنلا ببسب ةروشلما تاضيرلما نم % 79.2 سمتلا دقف ،ةفلتمخ توصلا قوف جاوملأاب صحفلا
دقو .تلاالحا نم % 25 في ةيبناج ةيحمر ةلتكب ةقفارـتم ،تلاالحا نم % 83.3 ىدل محرلا مجح في ةدايز رهظأف يدسلجا صحفلا امأ .)% 4.2 ( ةدحاو ةضيرم
يجولوتسلها دُّكأتلا متو . BHCG اتيب ةيشربلا ةيئمايشلما ةيلسانتلا ددغلا ةه ِّجوم ىوتسم سايقب ًاعوفشم ةيتوصلا قوف جاوملأاب صحفلاب صيخشتلا معد مت
.ةيئايميكلا ةلجاعلماب َع َجارتو ) % 4.2 ( ةدحاو ةلاح في يمرو حايزنا ظحول دقو .محرلا نطاب نم فشرلاب ةلجاعلما تناكو ،تلاالحا عيجم في
Introduction
L a m a l a d i e t r o p h o b l a s t i q u e gestationnelle (MTG) correspond à une transformation kystique des villosités choriales associée à une prolifération du trophoblaste avec sécrétion excessive de l’hormone choriogonadotrophine [1]. Les môles hydatiformes complètes (MHC) et partielles (MHP) sont des entités bénignes. Elles peuvent évoluer, avec des probabilités différentes, vers des entités cliniquement malignes appelées tumeurs trophoblastiques gestationnelles (TTG) [1,2].
La MHP est généralement une triploïdie diandrique. Elle dérive de la fécondation d’un ovule normal par deux spermatozoïdes (dispermie) ou un spermatozoïde dupliqué, demeuré diploïde [3]. Elle est caractérisée par une hyperplasie focalisée et discrète du trophoblaste, une dégénérescence localisée des villosités choriales, une structure fœtale ou un tissu embryonnaire identifiable [1,4].
Les MHP et MHC présentent des caractéristiques histopathologiques et cytogénétiques ainsi qu’une évolution très distinctes. L’étude de la MHP et de la MHC séparément montre une différence importante en ce qui concerne l’association de facteurs, notamment l’âge maternel, la parité, le groupe sanguin, le rôle des facteurs exogènes, cette association étant plus fréquente dans l’une que dans l’autre [1,2].
Nous rapportons une série de môles hydatiformes partielles, à travers laquelle nous allons présenter nos résultats épidémiologiques, cliniques, thérapeutiques et évolutifs et distinguer les particularités de cette entité.
Méthodes
Cette étude rétrospective des MHP marocaines porte sur une période de 11 années, qui s’étale de janvier 2000
à décembre 2010. Elle a été réalisée sur la base de l’activité du service de gynécologie-obstétrique « C » du Centre Hospitalier Universitaire Ibn Rochd de Casablanca au Maroc, où 24 cas de MHP ont ainsi pu être colligés.
L e s c r i t è r e s d ’ i n c l u s i o n étaient les suivants : toutes les MHP évoquées échographiquement et cliniquement puis confirmées à l’examen anatomo-pathologique.
Nous avons étudié en particulier les données épidémiologiques, cliniques, thérapeutiques et évolutives des MHP.
Le test du χ
2a été utilisé pour les comparaisons statistiques de certains résultats.
Résultats
Épidémiologie
D u r a n t l a p é r i o d e d ’ é t u d e , 60 748 femmes ont été admises pour accouchement et 1704 pour avortement spontané. Pendant cette même période, nous avons recensé 24 cas de môle hydatiforme partielle (MHP) et 267 cas de môle hydatiforme complète (MHC). Les MHP représentent ainsi 0,04 % des accouchements normaux, soit 1/2500.
La moyenne d’âge des patientes est de 26 ans. Une part numériquement importante des patientes admises pour une grossesse molaire partielle appartient aux tranches d’âge des 20- 29 ans (50,0 %) et 30-39 ans (45,8 %), mais aucune différence significative n’est observée pour le risque relatif en fonction de ces tranches d’âge (Tableau 1).
Le tableau 2 montre la répartition des patientes selon la parité ; cette dernière ne semble pas être liée au développement d’une MHP.
À leur première admission dans notre structure, aucun antécédent de MHP n’a été retrouvé chez nos patientes ; par contre, quatre avaient déjà subi un avortement spontané non molaire.
Le groupage ABO était précisé chez toutes les patientes. Le groupe sanguin O était le plus fréquent et représentait 54,1 % des cas, suivi par le groupe A qui représentait 25,0 % et le groupe B qui représentait 16,7 %. Ces différences ne sont pas significatives par rapport à la population générale (Tableau 3).
Données cliniques
Les différents motifs de consultation sont représentés dans le tableau 4 : les métrorragies représentaient de loin le motif le plus fréquent (79,2 %). Les algies pelviennes étaient retrouvées dans 62,5 % des cas. Elles étaient en rapport avec la présence de kystes lutéiniques (Figure 1) ou l’expulsion de vésicules et d’embryon. Le syndrome toxique était présent chez 12,5 % des patientes. Un syndrome thyrotoxicosique clinique était retrouvé chez une patiente. Ce syndrome comportait une tachycardie, une thermophobie, un tremblement des extrémités et un amaigrissement. La taille utérine était plus élevée par rapport à l’âge gestationnel chez 83,3 % des cas de MHP.
Examens paracliniques
Excepté pour les patientes arrivant avec un tableau évident d’expulsion d’embryon et de vésicules (8,3 %), les dosages de β-hCG réalisés dès l’admission pour les autres ont mis en évidence des taux élevés par rapport à l’âge gestationnel chez 91,7 % d’entre elles.
L’échographie pelvienne et/ou endovaginale a été pratiquée chez toutes les patientes. Elle permettait d’évoquer le diagnostic de MHP dans 87,5 % des cas en objectivant des images dites en « flocons de neige » ou en
« nid d’abeilles » avec un embryon. Les kystes lutéiniques étaient retrouvés à l’échographie chez 12,5 % des patientes.
La numération formule sanguine
montrait une anémie chez 29,2 % de
nos patientes.
Une hyperthyroïdie biologique était retrouvée chez une patiente de notre série, avec un taux élevé des hormones thyroïdiennes et une TSH (thyroid stimulating hormone – thyréostimuline hypophysaire) basse.
Traitement et résultats histologiques
Un curetage aspiratif était réalisé chez 83,3 % des patientes. Trois patientes avaient expulsé spontanément, et de ce fait, une intervention ne semblait pas requise. Une patiente était traitée par césarienne devant une hauteur utérine
très élevée (36 cm) avec un utérus cicatriciel. Le diagnostic de MHP était ainsi confirmé à l’examen anatomo- pathologique pour toutes les patientes incluses dans cette série.
Surveillance post-môlaire et évolution
Elle consistait en une surveillance clinique (persistance des métrorragies, involution utérine), biologique (dosage hebdomadaire de β-hCG, puis mensuel jusqu'à la négativation) et radiologique (échographie pelvienne de contrôle). Toutes les
patientes étaient suivies cliniquement et biologiquement. L’échographie pelvienne était demandée chez toutes les patientes tous les trois mois pendant un an.
À c o u r t t e r m e ( d u r a n t l’hospitalisation), l’évolution était marquée par la disparition des métrorragies avec une involution utérine dans tous les cas ; une régression des taux élevés de β-hCG était notée chez toutes les patientes.
À long terme (en extra-hospitalier), 95,8 % des cas de MHP évoluaient
Tableau 1 Fréquence de la môle hydatiforme partielle (MHP) en fonction de l’âge maternel et du nombre de grossesses Âge maternel
(ans) MHP Grossesses normales Incidence relative
des MHP (n/100) Comparaison par rapport aux accouchements
Nbre % Nbre %
< 20 0 0,0 1 269 2,1 0,0 -
20-29 12 50,0 33 286 54,8 0,04 NS
30-39 11 45,8 25 581 42,1 0,04 NS
≥ 40 1 4,2 612 1,0 0,16 -
Total 24 100,0 60 748 100,0 0,04 -
NS = différence non significative.
Tableau 2 Fréquence de la môle hydatiforme partielle (MHP) en fonction de la parité et son incidence parmi l’ensemble des
échecs à la reproduction par avortement
Parité MHP Avortements non molaires
Nbre % Nbre %
0 4 16,7 307 18
1 6 25,0 392 23
2 8 33,3 324 19
3 5 20,8 289 17
≥ 4 1 4,2 392 23
Total 24 100 1704 100
Tableau 3 Répartition des groupes sanguins des patientes par rapport à la population générale Groupe sanguin Population générale de 10 000 femmes
enceintes normales MHP p
Nbre % Nbre %
O 5000 50,0 13 54,1 NS
A 2600 26,0 6 25,0 NS
B 1711 17,1 4 16,7 NS
AB 689 6,9 1 4,2 NS
Total 10 000 100 24 100 –
MHP : môle hydatiforme partielle.
NS = différence non significative.
favorablement avec disparition des métrorragies, involution utérine et négativation du taux de β-hCG. Une patiente avait évolué vers une tumeur trophoblastique gestationnelle qui était traitée par monochimiothérapie. Elle avait bien réagi au traitement.
Le suivi de nos patientes révélait que 18 d’entre elles (75 %) ont eu une grossesse clinique après la guérison de la MHP. Parmi elles, 14 patientes avaient mené à terme une grossesse normale alors que deux avaient eu une fausse couche spontanée.
Discussion
Le nom de môle hydatiforme vient du mot grec « môle » qui signifie masse et du mot « hydatide » qui signifie sac hydrique. La MHP est un œuf humain pathologique comportant des villosités en transformation vésiculaire, môlaire, mais conservant une forme placentaire reconnaissable et une cavité amniotique avec un embryon, ou des traces d’embryon [1]. Dans le cas des MHC, la dégénérescence hydropique est totale et l’on n’observe aucune trace d’embryon, de cavité amniotique et même de vascularisation [1,2,5,6]. Les MHP représentent 85 % des triploïdies [6], la triploïdie étant définie par un caryotype à 69 chromosomes [1,2]. C’est une situation relativement rare [6,7].
Les MHP, ou môles embryonnées ou encore incomplètes, sont souvent amalgamées avec les môles hydatiformes qui sont complètes, diploïdes et sans embryon. L’ensemble des môles hydatiformes est une entité distincte de la triploïdie, tant anatomopathologiquement que sur le plan diagnostique et évolutif [1,2].
Les MHP surviennent plus chez la femme jeune (pic de fréquence à 27 ans), ayant souvent des antécédents d’avortement spontané [8,9]. Dans notre série, cet antécédent était retrouvé dans 16,7 % des cas. Cette fréquence élevée dans cette tranche
d’âge est probablement expliquée par la fréquence de reproduction élevée à cet âge. D’ailleurs, dans notre série, la différence n’est pas significative entre la survenue de MHP et de grossesse normale. Le cas est différent pour la MHC, dont la survenue est très élevée dans les tranches d’âge extrêmes, comparée à la survenue de grossesses normales (différence significative) [2].
Dans les MHP, les facteurs de risque connus des môles hydatiformes complètes, notamment l’âge maternel supérieur à 40 ans, la susceptibilité familiale et le groupe sanguin A, ne sont pas retrouvés [1,2].
En effet, l’âge est un facteur plus fortement associé à la MHC qu’à la
MHP [2]. Ceci conforte l’hypothèse selon laquelle le risque de fécondation d’un ovocyte anormal est plus élevé au commencement et à la fin de la vie reproductive d’une femme. Il est exceptionnel de décrire une MHP chez une femme âgée de plus de 40 ans [9,10].
Les mécanismes des accidents c h r o m o s o m i q u e s c o n d u i s a n t à une MHP sont le plus souvent la fécondation d’un ovule haploïde par deux spermatozoïdes haploïdes, c’est la dispermie, ou bien par un spermatozoïde diploïde, c’est la diandrie [11]. La répartition des chromosomes sexuels donne trois types de triploïdies : 69 XXX, 69 XXY,
Figure 1 Photo per-opératoire montrant des kystes lutéiniques bilatéraux au cours
d’une môle hydatiforme partielle
Tableau 4 Fréquence des circonstances de diagnostic positif de la môle
hydatiforme partielle
Circonstances de diagnostic Nbre % (n = 24)