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1 Histoire de la technique et de sa diffusion

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II

C ONTEXTE GLOBAL DE L ETUDE

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1 Histoire de la technique et de sa diffusion

Dans les ateliers de fonte d’aluminium, les fondeurs utilisent de l’aluminium de récupération pour fabriquer des ustensiles domestiques (comme des marmites, des louches, des théières etc.) et des pièces mécaniques (comme des pièces de véhicules, des pièces de machines complexes etc.). Dans la présente étude on traitera notamment de l’objet prototypique de la fonte de l’aluminium : la marmite (voir photo 1). Les modèles originaux sont des marmites en fonte réalisées en Europe, principalement en France et en Belgique, mais aussi en Grande-Bretagne et en Allemagne. La forme est dictée par les pratiques culinaires africaines : la cuisson sur braises. Les accessoires dont on a besoin pour l’exécution de la technique sont assez faciles à acquérir. L’aluminium utilisé est un aluminium de deuxième fusion dont le point de fusion relativement bas (660°C) peut être atteint avec du charbon de bois dans un four ouvert construit en argile. La technique de « moulage au sable vert » est employée à l’aide de cadres en bois. Les savoirs, liés à l’application de la technique, requièrent un apprentissage approfondi (Romainvile sous presse). Les différentes étapes de la technique sont décrites dans le chapitre consacré à l’analyse globale.

La technique s’est développée au Sénégal à l’époque de la deuxième guerre mondiale. Elle s’est diffusée depuis lors dans toute la partie occidentale de l’Afrique subsaharienne et se retrouve même en République Démocratique du Congo, à Madagascar, aux Comores et vraisemblablement en Afrique de Sud. Dans une étude réalisée en 1981 à Kaolack au Sénégal, citée dans Romainville (sous presse), Alain Morice apporte quelques détails concernant l’origine « africaine » de l’activité : « La fonderie est une activité urbaine récente. Elle remonte aux débuts des années 40. La surabondance de produits d'aluminium à récupérer sur 1a place de Dakar, du fait de la guerre (pièces détachées d'avions et matériel militaire) a permis aux forgerons de s'approprier la transformation de ce métal, dont le point de fusion est relativement bas ». Notre collègue Michel Romainville (comm. pers.) a localisé son berceau à Thiès, une ville dans le centre du Sénégal où se trouvait à cette époque un atelier des chemins de fer. Bien que cela ne soit pas démontré avec certitude, la technique a probablement vu le jour au sein de la fonderie de cet atelier. Le moulage au sable vert est d’ailleurs un procédé très ancien qui a été utilisé d’abord dans les fonderies de métaux non-ferreux lourds tels que les alliages de cuivre et ensuite pour la fonte de fer. Certains fondeurs n’ont apparemment pas hésité à se déplacer avec leur connaissance et ont introduit la technique à Niamey déjà dans les années 1950.

Les introducteurs de la technique au Niger étaient, selon les témoignages, des Sénégalais et des

Maliens. Comment la technique a-t-elle pu se diffuser à grande échelle dans un laps de temps si

limité ? La réponse à cette question comporte plusieurs aspects. Premièrement, les fondeurs sénégalais

étaient des membres de la confrérie islamique des Mourides ; les marabouts de ce groupe se

déplaçaient sur des distances importantes, guidés par une volonté de prosélytisme et par l’extension du

domaine arachidier. Ils étaient suivis par leurs disciples. Deuxièmement, le pèlerinage à la Mecque a

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temps en temps pour gagner de l’argent. Certains de ces pèlerins se sont arrêtés au Niger. Ils ont transmis la technique aux apprentis locaux qu’ils invitaient à les aider dans l’exécution de la technique. Bien que ce ne soit pas toujours la règle, les fondeurs tendent à s’installer chez un forgeron ou dans un quartier de forgerons. Il y a aussi des Nigériens qui ont ramené la connaissance de leur pèlerinage. Dans ces cas, il peut s’agir également de membres de familles de forgerons qui considèrent les fondeurs d’aluminium qu’ils rencontrent comme des « collègues ». Une autre raison qui n’est pas négligeable est le caractère extrêmement mobile des populations ouest-africaines, qui évoque des déplacements sur des distances considérables dans le cadre des migrations saisonnières ou simplement

« pour faire l’aventure ».

L’observation de cette technique est une occasion unique d’étudier comment ses acteurs ont élaboré un vocabulaire qui est adapté et comment s’est éventuellement faite la diffusion linguistique relative à une activité qui s’est propagée très rapidement dans un domaine très vaste. La métallurgie de récupération comporte un aspect de continuité, car elle est souvent incluse dans une structure existante, celle des forgerons, mais en même temps elle présente un aspect de rupture à cause des pratiques nouvelles qui sont incorporées dans la technique et à cause du fait que cette technique n’est pas toujours exécutée par des forgerons.

Photo 1 : Marmites en aluminium

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2 Chaîne opératoire

Dans la présente partie, nous expliquerons les aspects techniques du processus de la fonte de l’aluminium. Comment les fondeurs procèdent-ils afin d’arriver au produit fini, la marmite en aluminium ? Le produit final de la fonte de l’aluminium est le résultat d’une chaîne opératoire, composée de différentes étapes. La dénomination « chaîne opératoire » est employée dans la littérature ethnoarchéologique (entre autres Gosselain 2002). Michel Romainville (sous presse) divise la chaîne opératoire pour la fonte de l’aluminium en trois étapes, se basant sur la division technique du travail observée dans les ateliers : moulage, fonte et coulée, démoulage. Nous y avons ajouté l’étape de la finition. Chaque étape est confiée à un acteur technique particulier

1

, comporte plusieurs actes techniques et requiert des matériaux et un outillage spécifiques. Des photos illustrant les différents aspects techniques peuvent être trouvées en annexe 3.

2.1 Moulage – mouler – mouleur

La première étape de la chaîne opératoire de la fonte de l’aluminium est le moulage, la préparation du moule qui reproduira la pièce après la coulée. Les fondeurs d’aluminium au Niger, et dans les autres pays où la technique a été observée, emploient la technique du moulage au sable vert. Ce procédé est très ancien (voir aussi § II.1).

Le modèle à reproduire est une vieille marmite, coupée en deux entre les anses. Le premier modèle était une marmite en fonte de type européen, importée en Afrique par les colonisateurs. Bien que la forme curviligne de cette marmite complique la formation du moule, c’est toujours le même type de marmite qui domine la production. Afin de comprendre le choix de ce modèle particulier, il faut connaître les habitudes culinaires locales. En Afrique occidentale, la cuisine se fait le plus souvent sur un feu de bois où le pot est placé sur trois pierres ou sur un four amélioré où le pot est placé directement sur le charbon de bois. Une casserole à fond plat ne tient pas compte de ces exigences. Les modèles d’aujourd’hui sont des marmites en aluminium qui sont des copies de copies de copies … des marmites en fonte. La forme curviligne de la marmite fait que le modèle ne dépouille pas (quand du sable humide a été tassé dans un modèle de casserole rectiligne, on peut extraire la casserole et l’empreinte reste intacte lorsqu’on retourne le modèle en le déposant sur une surface plane, ce qui est impossible avec un modèle de marmite curviligne). Il est donc nécessaire d’utiliser un dispositif de

1

Dans les petits ateliers, il est possible de trouver une personne qui prend en charge les différentes chaînes

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moulage qui est constitué de trois éléments et le modèle de la marmite est découpé en deux parties de façon à pouvoir dégager facilement l’empreinte interne du modèle (voir photo 2).

Photo 2 : Plan de coupe

Le sable de moulage employé pour la constitution du moule est, dans les ateliers européens, un sable siliceux auquel on ajoute de l’argile. Ces sables silico-argileux ont une consistance forte qui permet – après serrage du sable – d’extraire le modèle sans que l’empreinte en sable soit modifiée. Dans certains ateliers de fondeurs d’aluminium, le sable de moulage est un mélange de sable et d’argile. Par contre, la plupart des fondeurs prélèvent leur sable de moulage tel quel à quelques mètres de profondeur dans le sol. La qualité du sable de moulage détermine la finition du produit.

Avant d’entamer le processus du moulage, le sable de moulage est humidifié avec de l’eau afin d’obtenir la consistance souhaitée. L’acte technique qui consiste à mélanger le sable de moulage avec de l’eau et à le travailler afin d’enlever toute trace des serrages précédents est appelé préparer le sable.

Le sable est préparé à l’aide d’un outil qui sert à mélanger le sable, qui peut être une pelle, une houe ou un autre outil.

Les deux parties du modèle sont attachées à l’aide d’une ceinture et d’un coin qui sert à fixer la ceinture autour du modèle. Ainsi, le modèle est prêt à être rempli avec du sable de moulage. Le serrage est réalisé à l’aide d’un fouloir qui sert à fouler le sable dans le modèle. Une fois que le modèle est bien rempli de sable, la batte est employée pour damer le sable au-dessus du modèle afin d’obtenir une surface bien nivelée. L’excès de sable au-dessus du modèle est enlevé à l’aide de la raclette (racler).

Une surface plane est préparée pour mouler dessus la pièce à couler. Cet endroit est appelé la couche :

elle est faite de sable de moulage et damée à l’aide de la batte. Avant de placer le modèle rempli de

sable sur la couche, du sable sec est éparpillé dessus afin d’éviter que les deux plans de joints ne se

collent (mettre le sable sec). Quand le modèle est retourné et placé sur la couche, le coin et la ceinture

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sont enlevés. Des séparateurs, deux fines plaques en métal ou en plastique, sont placés entre les anses du modèle pour pouvoir plus tard scinder les deux parties du moule sans difficulté. Ensuite, les châssis de moulage dans lesquels le sable de moulage sera serré peuvent être placés. Comme on l’a expliqué auparavant, le dispositif de moulage de la marmite consiste en trois parties, trois châssis de moulage sont donc nécessaires. D’abord, les châssis de dessous sont placés autour du modèle. Les séparateurs se trouvent maintenant entre les deux châssis de dessous. Afin d’éviter que les châssis ne se séparent lors du serrage, il faut les ligaturer. Les fils de fer ou autres outils employés pour ligaturer les deux châssis sont dénommés ligature. Maintenant, le sable de moulage peut être serré dans le châssis et autour du modèle à l’aide du fouloir et de la batte. Pour permettre de faire le plan de joint avec la partie supérieure du moule, il faut araser l’excès de sable serré dans le châssis de dessous à l’aide d’un racloir (souvent une cuillère ou une sorte de truelle). Puis, du sable sec est de nouveau mis pour séparer facilement la partie supérieure du moule de la partie inférieure. Le châssis de dessus est placé et rempli de sable de moulage. Avant de fouler le sable dans le châssis, le mandrin est posé au milieu du moule sur le fond du modèle afin de créer l’orifice de coulée. Autour du mandrin, le sable de moulage est bien damé à l’aide de la batte, puis le sable est arasé à l’aide du racloir afin de former l’entonnoir de coulée. À la hauteur des plans de joint, du sable bien mouillé est mis pour repérer ces plans de joint. Les repères, faits à l’aide de l’outil pour faire les repères (souvent une cuillère, une truelle ou un outil particulier), permettent de refermer facilement le moule après l’enlèvement du modèle.

Le moule peut être ouvert pour enlever le modèle (démouler). D’abord, le châssis de dessus est enlevé

et mis de côté. Les ligatures sont ouvertes et un outil est mis entre les deux parties du modèle pour les

déplacer légèrement. Ce geste d’ébranler facilite l’ouverture du châssis de dessous et l’enlèvement des

deux parties du modèle. Les séparateurs sont enlevés et l’empreinte du modèle est visible dans le

moule en sable. Afin de rendre le moule égal, il faut le lisser à l’aide d’un lissoir. Des détériorations

peuvent être corrigées à l’aide du même outil. Avant d’assembler les différentes parties du moule, il

faut les poteyer. Le poteyage consiste à répandre de la poudre (talc, kaolin, filtrat de cendre, etc.) sur

toutes les parties du moule qui seront en contact avec le métal en fusion. Le rôle de cette substance est

de favoriser la circulation du métal dans le moule et d’améliorer la finition du produit. Le moule est

assemblé en fonction des repères et en conservant une même distance entre les différentes parties du

moule. Après avoir assemblé les différentes parties du moule, celui-ci doit être consolidé. Le mouleur

rajoute du sable autour du moule afin d’éviter toute fuite d’aluminium lors du coulage. Ceci étant la

dernière étape du moulage, le moule est prêt à accueillir l’aluminium liquide.

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2.2 Fonte et coulée – fondre et couler – fondeur

La matière première indispensable à la fabrication des marmites est l’aluminium de récupération qui devient l’aluminium de seconde fusion après la fonte. Il existe différents alliages d’aluminium que le fondeur mélange afin d’obtenir un produit ayant les caractéristiques nécessaires. Il faut casser l’aluminium en petits morceaux à l’aide d’un marteau ou d’un autre outil lourd pour faciliter la fonte.

Le creuset est le récipient qui sert à faire fondre l’aluminium. La plupart des fondeurs préfèrent poteyer le creuset, mettre un poteyage d’argile qui diminue les chocs thermiques et, de cette manière, protège le creuset. Le creuset est placé sur le four, l’enceinte thermique remplie de charbon, pour faire fondre l’aluminium. Le charbon de bois employé dans l’atelier est extrait d’un bois dur, le plus souvent de l’arbre Prosopis africana. Il est placé dans le four à l’aide de l’outil pour mettre le charbon.

La soufflerie est la machine qui sert à souffler, il ne s’agit pas du soufflet employé par les forgerons traditionnels mais d’une machine « moderne » constituée d’une turbine, liée à une roue de vélo ou de moteur à l’aide d’un caoutchouc et manipulée à l’aide de la poignée. La tuyère relie la soufflerie au four et permet la distribution de l’air, la partie de la tuyère qui aboutit au four est appelée arrivée d’air.

La soufflerie est manipulée par le souffleur, le plus souvent le plus jeune apprenti de l’atelier.

Le creuset rempli d’aluminium de récupération est posé sur le four pour faire fondre le métal. Le ringardage, opération qui consiste à brasser le métal liquide, se fait à l’aide d’un ringard, outil constitué d’une longue barre recourbée à une extrémité. C’est aussi avec ce ringard que le fondeur va de temps en temps attiser le feu. À la fin de la fonte, l’acteur technique ajoute un produit d’affinage (pile, plastique, charbon de bois, etc.) au bain de fusion pour améliorer l’enlèvement des déchets. Les matières surnageant (déchets) à la surface du liquide sont ôtées avec une écumoire et ce geste est nommé écumer. Une fois que les déchets sont enlevés, l’aluminium est prêt à être coulé.

Le fondeur prend le creuset avec la pince et se dirige vers les moules pour couler l’aluminium

dedans. Un assistant est là pour charger le moule. C’est-à-dire, il maintient le châssis de dessus à

l’aide de deux morceaux de bois pour qu’il ne se soulève pas sous la pression statique du métal

liquide. Puis, l’aluminium est versé dans la coulée. Après avoir versé, le fondeur veille à enlever

l’excès d’aluminium qui se trouve dans l’entonnoir de coulée à l’aide d’une cuillère. Certains fondeurs

profitent de cette étape pour enlever immédiatement la masselotte formée sur le fond de la marmite,

mais ce geste risque par contre de créer un trou. De l’eau est versée sur le moule pour accélérer le

processus de refroidissement.

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2.3 Démoulage

Quand l’aluminium est suffisamment refroidi, le moule est détruit afin de déballer la marmite.

L’ouvrier prend la marmite qui est toujours chaude à l’aide d’une pince pour la débourrer, c’est-à-dire pour enlever le sable qui se trouve à l’intérieur.

2.4 Finition

Quand la marmite est complètement refroidie, elle est apportée au finisseur

2

qui la prépare pour la vente. D’abord, à l’aide d’Une scie à métaux, le finisseur va couper la masselotte, c’est-à-dire le métal excédent qui adhère à la pièce fondue à l’endroit où le métal a été coulé. Le finisseur doit limer l’endroit où l’on a coupé la masselotte afin de le rendre lisse. La lime est aussi employée pour limer d’autres parties de la marmite. Si nécessaire, la râpe est utilisée pour râper des parties encore plus irrégulières. Pour enlever les inégalités à l’intérieur de la marmite, le finisseur racle à l’aide du racloir et enlève l’aluminium qui est coulé en dehors du moule avec le burin (buriner). Quand il y a eu un refus (défaut de fonderie caractérisé par un manque de métal dans une portion de la pièce) pendant la coulée, le finisseur doit réparer ou mater le trou, ce qu’il fait le plus souvent à l’aide de l’enclume et du marteau, ou il décide de le souder. Le soudage des marmites ne se fait pas souvent parce que l’aluminium est un métal très difficile à souder. Le finisseur peut aussi ébarber les barbes (petites irrégularités au bord de la pièce en métal) à l’aide de la râpe ou de la lime, ou ébavurer une bavure (partie d’aluminium qui a rempli l’interstice d’un joint et a formé une saillie inutile sur la pièce). Une bosse peut facilement être égalisée à l’aide de la lime. Le poinçon qui sert à percer le métal, le pointeau qui sert à marquer le trou qu’il faut percer et la chasse qui est un poinçon sans pointe, sont d’autres outils employés lors de la finition, par exemple pour percer les anses de la marmite, une partie du moule très sensible aux défauts. Certains fondeurs vont polir ou abraser leur produit fini à l’aide d’un outil de polissage ou d’abrasion comme une brosse métallique, un grillage, etc. afin de le rendre plus lisse. D’autres mettent de la peinture sur l’extérieur de la marmite pour la faire briller.

2

Certains ateliers font eux-mêmes la finition. Dans d’autres ateliers, à Katako par exemple, la finition est confiée

(9)

2.5 Le couvercle

Le couvercle de la marmite est fait de la même manière, mais la procédure de moulage est moins compliquée. Au lieu du dispositif de moulage en trois parties, deux parties suffisent ce qui aboutit à n’employer que le châssis de dessus. L’adjonction de la poignée ajoute une difficulté. Une fois qu’il est fini, les fondeurs vont parfois ajuster le couvercle à la marmite. Ils le martèlent pour lui donner la bonne forme.

3 La situation (socio)linguistique au Niger 3.1 Les langues du Niger

Le Niger connaît – comme la majorité des autres pays africains subsahariens – un paysage linguistique très diversifié (voir carte 1). Non seulement les aires linguistiques formées par les vingt-et-une langues citées par Gordon (2005) connaissent un chevauchement géographique important, mais trois grandes familles linguistiques y sont représentées (voir carte 2). La famille des langues niger-congo (par exemple peul, gourmantché), la famille des langues afro-asiatiques (par exemple hausa, tamasheq) et la famille des langues nilo-sahariennes (par exemple kanuri) ; la classification des langues songhay est toujours l’objet de discussion (Bender 1996, Ehret 2001, Nicolaï 2003) et sera traitée plus en détail plus loin. Le français – la langue de l’ancien colonisateur – est la langue officielle du pays. Cependant, les données présentées dans Gordon (2005) demandent une interprétation. Les 21 langues citées peuvent être réparties en huit groupes, la langue française non-incluse. Ce chiffre s’approche du nombre de langues nationales (10) mentionnées dans les textes législatifs du pays : arabe, buduma, fulfulde, gulmancema, hausa, kanuri, tamasheq, tasawaq, tubu, zarma (Rouiller & Jolivet 2004 : xviii).

Nous proposons toutefois de fixer le nombre des groupes de langues parlées au Niger à dix. (1) Le

hausa – parlé dans le centre du pays, le long de la frontière avec le Nigeria – compte le plus de

locuteurs. Cette langue joue un rôle de langue vernaculaire au sein du pays – surtout à cause de

l’intérêt commercial de ses locuteurs – et comporte plusieurs variantes dialectales (voir § II.3). (2) Les

langues songhay méridionales (comme le zarma et le dendi) forment le deuxième groupe linguistique

au Niger. Le zarma joue également un rôle de langue vernaculaire dans certaines régions du pays. (3)

Les langues songhay septentrionales (comme le tagdal et le tasawaq) s’opposent aux langues songhay

parlées dans le sud du pays (voir § II.4). (4) Les différentes variantes de la langue tamasheq sont

parlées par le groupe nomade des Touareg. L’aire de distribution des variantes représentée sur la carte

1 est très vaste, mais ne correspond pas tout à fait à la réalité vu la mobilité de ses locuteurs. (5) Le

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même problème de représentation se pose pour les variantes fulfulde, les Peul étant un autre groupe nomade. (6) Les dialectes kanuri sont parlés à l’est du pays. (7) Ceci est le cas pour le dazaga et le tedaga – appelés communément le tubu. (8) Le gourmantché est une langue principalement parlée au Burkina Faso, mais comme les frontières territoriales ne suivent pas les aires linguistiques, certains de ses locuteurs habitent de l’autre côté de la frontière au Niger. (9) Plusieurs dialectes de l’arabe sont parlés au Niger, surtout dans le nord et l’est du pays où l’on trouve de petites enclaves de locuteurs.

(10) Selon Gordon (2005) le buduma n’est plus parlé au Niger. Il est utilisé seulement sur les îles du lac Tchad au Tchad, au Nigeria et au Cameroun. Nous le reprenons quand même puisque la langue est citée comme une des langues nationales du pays dans la constitution de 1999.

Vu de cet angle, la complexité linguistique au Niger se montre moins grande, bien que les chevauchements des différentes aires linguistiques soient toujours présents. En plus, il faut ajouter l’attirance des villes, lieux où les différentes langues du pays se rencontrent. Bien que la capitale Niamey se localise selon la carte 1 dans une région zarma et fulfulde, des locuteurs de chacune des langues du pays, et même des étrangers parlant encore d’autres langues, s’y sont installés depuis très longtemps. Ce processus de migration aboutit aujourd’hui à un melting-pot linguistique.

Haoussa 55,4 %

Djerma Sonrai 21 %

Touareg 9,3 %

Peuhl 8,5 %

Kanouri Manga 4,7 %

other 1,2 %

Tableau 1 : Groupes ethniques au Niger (CIA World Fact Book : 2001 census)

3.2 La situation sociolinguistique au Niger

Comme nous l’avons déjà dit, le français est la langue officielle du Niger, toutes les autres langues ont

le statut de langue nationale (Constitution du Niger, article 3). Le nombre de personnes de plus de 15

ans capables de lire et d’écrire dans la population entière est estimé à 28,7 % (42,9 % d’hommes et

15,1 % des femmes) (CIA World Fact Book, chiffres 2005). La loi de 1998 sur l’éducation stipule que

la langue maternelle ou première est langue d’enseignement, tandis que le français est matière

d’enseignement durant les six premières années (± de 6 à 11 ans) et que le français est langue

d’enseignement, tandis que la langue maternelle ou première est matière d’enseignement durant les

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quatre ans qui suivent (± de 11 à 14 ans). La réalité nous montre par contre que ceci n’implique pas forcément que les enfants comprennent et parlent le français après avoir passé quelques années à l’école.

Malgré les grandes différences qui existent entre les langues locales, la majorité des habitants du Niger sont au moins bilingues (Rouiller 2004b), sans compter la connaissance du français qui est la langue de l’enseignement et de l’administration. Le hausa et le songhay-zarma dominent en nombre de locuteurs. Ils fonctionnent comme langues véhiculaires en synchronie, tandis qu’ils ont tendance à supplanter les langues minoritaires en diachronie (Mahmoudian 2004 : 10) – le zarma remplace par exemple le tamasheq dans certaines concessions du sud-ouest du pays, tandis que le hausa remplace le kanuri dans d’autres concessions à l’est du pays

3

; 10 % des Nigériens ont le hausa ou le zarma comme première langue, mais se revendiquent d’un groupe ethnique différent (Rouiller 2004a : 18-19). La domination des langues hausa et songhay-zarma se montre aussi quand on analyse les 22 % d’unilingues que compte le pays. La plupart d’entre eux sont des hausa et des songhay-zarma pour qui la connaissance d’une deuxième langue n’est pas nécessaire, d’autres sont les populations menant une vie « traditionnelle » dans des espaces reculés (idem : 36-37) qui n’entrent pas facilement en contact avec des langues étrangères. Après le hausa (62 %) et le songhay-zarma (38 %), le français (31 %) est répandu en tant que deuxième langue. Il faut par contre souligner que l’accès au français est hiérarchisé. De ce point de vue, les songhay-zarma qui vivent dans ou près de la capitale se trouvent dans une position favorisée. Non seulement, Niamey est la ville la plus « francophone » du pays et le taux de scolarisation y est sensiblement plus élevé, mais les songhay-zarma se tournent plus facilement vers le français en réaction à la suprématie numérique et fonctionnelle du hausa. La situation historique joue également un rôle important, parce que les colonisateurs français se sont appuyés surtout sur les Zarma ; de plus, le pouvoir politique du Niger a été durant longtemps majoritairement entre les mains des Zarma. Le lien entre langue officielle et pouvoir se montre donc clairement (idem : 22-23). Bien que la langue officielle soit souvent rejetée, on continue à lui attribuer des qualités qui touchent avant tout aux domaines où elle est utilisée sous forme écrite (école publique, administration et état civil). Les jeunes Nigériens montrent une attitude plus favorable envers le français et les deux langues majoritaires. L’arabe, souhaité comme langue d’enseignement, commence à gagner du terrain au sein du pays (idem : 36).

En dépit du taux élevé de plurilinguisme chez les habitants du Niger, le lien entre langue, groupe ethnique et identité reste très important. Premièrement, il existe une forte corrélation entre l’appartenance ethnique et la langue première. Deuxièmement, les oppositions entre groupes ethniques

3

Ce sont d’ailleurs les kanuriphones et les tamashequophones qui ont la tendance la plus marquée à pratiquer

une autre langue dans le cercle familial ou dans la communication avec des amis (Rouiller 2004a : 26).

(12)

existent toujours et jouent un rôle important dans les rapports sociaux. Il y a par exemple des liens de

« parenté à plaisanterie » autour desquels se règlent les contacts entre différents groupes ethniques ou

se développent des préjugés relatifs aux autres groupes qui font prétendre, par exemple, que les Hausa

ne parlent que leur langue ou que l’accès au fulfulde est impossible aux personnes non-autorisées

(Rouiller 2004a : 17-18).

(13)

C ar te 1 : L es la n gu es d u N ig er

(14)

Carte 2 : Les familles linguistiques en Afrique, Heine & Nurse (2000)

(15)

4 La société zarma

4.1 L’ensemble songhay-zarma-dendi

Les Zarma sont considérés comme appartenant à un ensemble plus grand : les sociétés et les cultures songhay-zarma-dendi qui se distinguent d’autres ensembles spécifiques, par exemple des sociétés hausa. Cet ensemble forme une certaine unité, mais en même temps il est important de souligner l’absence de réelle homogénéité et d’attirer l’attention sur les diversités internes (Olivier de Sardan 2000 : 75). Un nombre important d’acteurs de cet ensemble ne se disent spontanément ni Songhay, ni Zarma, ni Dendi, mais plutôt Kurtey, Kaado, Arma, Koroboro, Kumaate, Wogo, etc. Qu’est-ce que ces gens ont en commun pour qu’on puisse parler d’un ensemble songhay-zarma-dendi ? Ils parlent tous une même langue, bien que les différences dialectales soient considérables.

4.1.1 Histoire de l’empire songhay

L’ensemble songhay-zarma-dendi se structure autour de la société « songhay » qui renvoie historiquement à l’Empire Songhay qui fleurissait du 12

ème

au 16

ème

siècle. Cissoko (1987) distingue deux grandes périodes dans l’évolution de l’état : la période qui va du 12

ème

siècle à l’avènement de Sonnī ‘Alī Ber en 1464 et la période qui couvre le 15

ème

et le 16

ème

siècles.

Au 12

ème

siècle, Gao devient la capitale du jeune état songhay, à cause de sa position géographique sur le Niger à la lisière du Soudan et du Sahel. Les pistes caravanières par lesquelles les marchandises arrivent de Libye, d’Égypte et du Maghreb occidental font de Gao un grand marché cosmopolite. Le royaume qui s’étendait sur les deux rives du Niger, de Dendi à Gao, était sous la direction des Jaa ou Zaa qui seraient probablement une fraction songhay métissée de Berbères. Le Jaa kosoy se serait converti à l’Islam en 1019, l’exemple n’étant pas suivi par les Songhay qui sont restés longtemps fidèles à leurs croyances et pratiques religieuses « traditionnelles » (Cissoko 1987 : 214). À la fin du 13

ème

siècle, les armées mandingues ont fait la conquête du royaume de Gao. Sous la direction de gouverneurs, les Mandigues ont organisé la boucle du Niger et ont encouragé son développement économique. À la fin du 14

ème

siècle, le Jaa de Gao profite des difficultés de l’empire du Mali pour s’affranchir. De cette manière, le roi de Gao devient le vrai maître de la boucle du Niger.

Avec Sonnī ‘Alī Ber, la destinée du royaume de Gao change : il abandonne la politique de razzia de ses prédécesseurs pour la conquête territoriale, possible grâce à une armée bien développée.

Il conquiert Jenne, une partie du Masina, où il massacre beaucoup de Peul, et surtout Tombouctou. Il

attaque les Touareg et les refoule dans le Nord-Sahel ; vers le sud, il mène plusieurs expéditions contre

(16)

les Dogon, les Mossi et les Bariba. C’est lui qui met fin aux menaces d’incursions mosi dans la vallée du Niger. Son empire est organisé sur le modèle mandingue : les souverains des différentes provinces dépendent directement du sonnī. Sous son règne, l’état de Gao devient un état centralisé qui contrôle tous les pays nigériens. Sonnī ‘Alī Ber facilite le développement économique de l’empire et encourage l’agriculture. Par contre, il rencontre beaucoup de difficultés du côté de l’aristocratie musulmane : « il symbolisait la culture traditionnelle des Songhay face aux forces nouvelles, l’islam et les villes » (Cissoko 1987 : 219).

Après la mort de Sonnī Alī Ber en 1492, le royaume traverse une crise de guerres civiles.

Mohammed Touré ou Sylla

4

prend le pouvoir souverain et se donne le titre d’askia, ce qui aboutit à une dynastie musulmane. Sous le règne d’Askia Mohammed, l’empire des Songhay atteint ses limites extrêmes. Il soumet le Masina, le Jara, Agadez et les villes hausa de Katsina et de Kano ; il est maître du Sahara jusqu’aux mines de Teghazza et mène – sans succès – des attaques contre les Bariba, les Mosi et les Dogon. En 1528, il est renversé par une conjuration de ses fils. Ses fils et petits-fils lui succéderont au pouvoir jusqu’en 1592. Les crises de succession se succèdent ; il n’y a plus de véritables conquêtes : elles sont remplacées par des razzias dans les pays limitrophes. Les différents askia sont confrontés au problème des mines de sel de Teghazza qui sont revendiquées par les sultans du Maroc. À la fin du 16

ème

siècle, l’empire songhay se trouve moralement divisé et s’écroule victime de contradictions internes.

Carte 3 : L’empire songhay vers la fin du XVI

e

siècle, Cissoko (1987)

(17)

4.1.2 L’organisation de la société songhay

L’organisation politique et administrative de l’empire songhay témoignait d’une certaine originalité par la forte structuration du pouvoir, la centralisation systématique et l’absolutisme royal. Cette organisation contraste avec le système politique des fédérations de royaumes, adopté auparavant par les royaumes du Ghana et du Mali. La monarchie songhay était fondée à la fois sur des valeurs islamiques et coutumières ; l’importance de l’une ou l’autre approche dépendait de la personnalité du roi. La résidence de l’empereur se trouvait à Gao, où la cour ou sunna était constituée de membres de la famille royale, de grands dignitaires et de griots. Le gouvernement royal était constitué de ministres et de conseillers nommés, révocables par l’askia. Il y avait un gouvernement central et des gouvernements de provinces. Au sein des gouvernements de provinces, on peut faire la distinction entre les provinces conquises gouvernées par des gouverneurs fari nommés et révocables à tout moment par l’askia – système administratif basé sur celui des gouverneurs farin dans l’empire du Mali – et les pays vassaux ou tributaires où il y avait une administration indirecte. Ceci était le cas pour les états hausa (Kano et Katsina), le royaume d’Agadez, l’empire du Mali

5

et la fédération des Touareg Kel Antassar. Les villes commerçantes comme Tombouctou, Djenné, Teghazza et Walata jouissaient d’une certaine autonomie.

L’état songhay pouvait compter sur une force armée importante, des ressources financières permanentes – entre autres grâce à la perception d’impôts en nature, de taxes et de droits de douanes, etc. – et une justice plus ou moins indépendante fondée d’un côté sur la juridiction musulmane, et de l’autre sur la juridiction coutumière qui continuait à avoir les faveurs de la majorité de la population.

La localisation géographique à la frontière entre le Soudan et le Sahel fait de l’empire songhay une région privilégiée dans les échanges transsahariens. De plus, le Niger qui traverse le pays d’ouest en est facilite les communications et fournit une vallée fertile, appropriée à l’agriculture. Dans le secteur rural, l’agriculture, la pêche et l’élevage jouent un rôle important. Les grands champs sont travaillés par des communautés d’esclaves et les ressources agricoles servent au commerce. Le secteur commercial de l’économie se situe plutôt dans les centres urbains. Les villes de Walata, Tombouctou, Djenné et Gao sont en relation avec les grands marchés du Sahara et de l’Afrique du Nord par les pistes transsahariennes. Au-delà, elles sont en contact avec l’Europe méditerranéenne, la Libye et l’Égypte. Le commerce est entre les mains des marchands arabo-berbères et des Soudanais : Wangara (Mande), Wakore (Soninke), Mosi, Hausa et Songhay. Cissoko (1987 : 230) décrit le commerce de la manière suivante : « Somme toute, le commerce transsaharien ressemblait plus à la traite qu’à une véritable économie marchande basée sur une productivité locale. Ainsi il ne put bouleverser les

5

La domination des Songhay sur l’empire du Mali n’a pas été continue.

(18)

structures sociales et ne favorisa pas une révolution des techniques. Il permit cependant un certain progrès matériel dans les conditions de vie des populations nigériennes et dans le raffinement de l’aristocratie. ».

La société ressemblait beaucoup aux autres sociétés du Soudan central, à l’exception de l’économie marchande qui a fait naître une élite urbaine. Les liens de parenté sont extrêmement importants dans la société nigérienne. Un clan est constitué de plusieurs familles, les plus anciens sont d’origine soninke et quelques-uns d’entre eux seulement sont songhay. Le peuple songhay est fortement métissé de Soninke, de Berbères, de Mandingues, de Gobri, de Hausa, etc. La hiérarchisation est très importante au sein de la société : on peut faire la distinction entre les nobles (qui sont actifs dans l’administration et dans l’armée), les hommes libres, les hommes de caste et les esclaves (qui effectuent surtout les tâches domestiques et les travaux des champs). Les différences entre la société rurale et la société urbaine sont importantes. En dehors des villes, l’agriculture prime ; il s’y ajoute les activités des artisans castés (forgerons, charpentiers, potiers, etc.) et celle des pêcheurs du Niger. La sécurité règne généralement et les famines sont rares. Les valeurs du terroir et les croyances traditionnelles prévalent et l’islam est presque absent. Les centres urbains connaissent – à côté d’un noyau songhay – une population cosmopolite pour laquelle le commerce est la préoccupation principale. De plus, les religieux y jouissent d’une grande considération et plusieurs universités et écoles coraniques sont fondées au sein de l’état songhay. Aux 15

ème

et 16

ème

siècles, l’islam se limite aux milieux urbains et aristocratiques, où il s’adapte pour mieux se répandre. Lié à l’expansion du commerce, l’islam domine dans toute la boucle du Niger à la fin du 16

ème

siècle, bien que cette domination reste un phénomène essentiellement urbain.

4.1.3 L’ensemble songhay-zarma-dendi à une époque plus récente

La diversité ethnique qui caractérisait l’état songhay joue toujours un rôle dans la société songhay- zarma-dendi, bien que ses membres parlent aujourd’hui tous la même langue. L’ensemble comporte

« [t]rois filières aristocratiques principales, une variété de populations autochtones et dépendantes, une

masse d’origine servile, de nombreux groupes venus d’ailleurs qui se sont amalgamés au fil des

siècles » (Olivier de Sardan 2000 : 91). Les groupes autochtones et les migrants anciens d’origine

peul, touareg, hausa, mandingue, soninke, gourmantché, etc. sont tous « songhayisés ». Les membres

du groupe songhay-zarma-dendi se trouvent au Mali, au Niger – tant sur la rive droite et dans la vallée

que sur la rive gauche du fleuve – et au nord du Bénin. Quelques groupes de tisserands, de teinturiers

et de descendants de guerriers se sont installés au Burkina Faso. Au Nigeria, il y a une implantation de

(19)

songhay mais hausaïsée d’Argungu et les relations entre le Kebbi et les Zarma. Au Soudan aussi, le long des routes pédestres allant à la Mecque, de nombreux songhayophones se sont installés. Outre ces migrations plus anciennes, des migrations plus récentes, modernes et plutôt économiques ont eu lieu et sont toujours en cours. Ceci aboutit à la création de quartiers entiers de songhayophones – bien que principalement constitués de Zarma – en Côte Ivoire, au Ghana, au Togo, au Bénin et au Nigeria.

Selon Olivier de Sardan (2000) et selon ce que l’on peut apercevoir sur le terrain, un processus d’unification entre les divers groupes de l’ensemble songhay-zarma-dendi semble en train de se développer aujourd’hui. Les hommes politiques ont tendance à simplifier les identités régionales ou

« ethniques » pour se susciter des clientèles politiques ou électorales. De plus, l’urbanisation met en avant la co-existence avec d’autres ensembles comme Hausa, Touareg, Peul, etc. ce qui fait disparaître les distinctions plus fines entre les différents groupes au sein de l’ensemble songhay-zarma-dendi.

Bien que nombre de nos informateurs nigériens renvoient toujours à leur origine « songhay »,

« zarma » ou « dendi », on peut parler de l’existence d’un « peuple » songhay-zarma-dendi dans l’esprit de certains (Olivier de Sardan 2000 : 92).

Vu que notre recherche se focalise sur la place qu’occupe la fonte de l’aluminium au sein de la société zarma, il nous semble intéressant de voir comment les castes d’artisans sont organisées dans l’ensemble songhay-zarma-dendi. Dans son article sur les métiers manuels, Olivier de Sardan (1978) souligne le fait qu’il décrit la division du travail dans les sociétés paysannes précoloniales. Bien qu’il se soit basé sur des enquêtes contemporaines, c’est la situation antérieure au vingtième siècle qui retient son attention. Depuis lors, beaucoup de choses ont changé en ce qui concerne les métiers manuels : « beaucoup d’artisanats précoloniaux ont soit disparu, soit changé de destination ; d’autres métiers ont surgi dans les campagnes ; et la division technique du travail fait intervenir aujourd’hui, jusque dans la brousse la plus lointaine, les phénomènes liés à l’urbanisation, à la technologie occidentale et aux biens importés. » (Olivier de Sardan 1978 : 394). Du point de vue de la division technique, les Songhay ne connaissent que quatre métiers véritables : forgerons, menuisiers, cordonniers et tisserands. À cette division technique s’oppose une division sociale du travail qui s’articule sur les rapports entre captifs et nobles et sur l’existence d’une aristocratie politique ou religieuse. Deux métiers seulement sont considérés comme indispensables aux communautés paysannes songhay dont les membres ne peuvent pas dépendre de l’extérieur pour s’approvisionner en produits des forgerons et des tisserands ordinaires. Au sein du groupe des forgerons, plusieurs distinctions peuvent être faites. Le groupe des zem cirey constitue une véritable aristocratie de la forge.

Ils sont assimilés à des nobles et forment un véritable clan dans lequel l’endogamie est préférentielle,

mais non absolue ; il s’agit plutôt d’un choix que fait le groupe pour préserver sa pureté. De plus, ils

ont un rôle religieux en tant que circonciseurs. Leur groupe est élargi par un grand nombre d’apprentis

d’origine captive. Appelés zem bi (forgerons noirs) par certains, zem bannya (forgerons captifs) par

(20)

d’autres ou simplement zem, le statut des forgerons du second groupe est incontestablement celui de captifs, bien qu’ils essaient de profiter de leur attachement aux forgerons nobles. Un troisième groupe de forgerons est celui des forgerons-cordonniers-menuisiers touareg, les garasa. Ils sont toujours associés à leur origine touareg et n’appartiennent donc pas vraiment aux sociétés songhay. Olivier de Sardan (1978 : 404) écrit, à propos du statut social des différents forgerons : « [L]a majorité des forgerons se trouvait entre deux statuts idéologiques extrèmes : celui des garasa touaregs, des forgerons sans honte et sans vergogne, archétype méprisé de l’esclave, et celui des zem cirey, magiciens redoutés et respectés. ». Les tisserands, caakey, sont tous des captifs et ils travaillent en partie pour leur maître. Pour ce qui est des tisserands ordinaires qui fabriquaient les pagnes, ils ne forment pas un clan à part, bien que l’on puisse observer une tendance à la spécialisation de certaines familles de captifs. La situation est différente pour les tisserands de couverture, dont le travail est plus spécialisé et transmis de père en fils. Ces captifs d’origine peul forment des clans de tisserands au sein desquels l’endogamie est nettement marquée. Les menuisiers sacey sont aussi d’une lointaine origine peul. Ils se sont spécialisés dans la fabrication des pirogues et le petit artisanat du bois. Bien qu’ils soient songhayisés et qu’ils se soient intégrés aux populations locales, ils forment un groupe à part à cause de leur spécialité professionnelle.

Quoique la société songhay soit toujours considérée comme constituée de castes (Tamari 1991, Diagne 1999), Olivier de Sardan (1978) préfère ne pas analyser les groupes professionnels en tant que castes. L’auteur se fonde sur l’absence de structuration des métiers en un ensemble de catégories sociales reconnues et homogènes, qui sont caractéristiques des castes et des corporations. Il voit l’origine de cette absence dans les particularités du monde songhay mais surtout dans les variations du statut des artisans, leur hétérogénéité ethnique et le nombre restreint des métiers locaux.

L’opposition entre noble et captif – qui joue d’ailleurs un rôle dans toute la société songhay – est par contre un aspect très important dans l’analyse des statuts sociaux des artisans.

4.2 La famille linguistique songhay

Songhay est la dénomination scientifique d’un groupe de langues parlées au sud du Sahara, essentiellement au Mali, au Niger et au Bénin. La langue est dénommée « langue songhay », parce que c’est sous ce nom que la langue a été décrite la première fois (H. Barth) et parce que les linguistes semblent s’accorder sur cette dénomination

6

. Bien que l’intercompréhension entre les villes éloignées

6

Plusieurs orthographes sont possibles, Gordon (2005) cite entre autres les suivantes : Songoy, Songai, Songhai,

(21)

au sein de l’aire linguistique soit loin d’être assurée, le sentiment qu’il y a une réelle parenté linguistique est largement partagé par tous les locuteurs. Lexique et grammaire montrent que nous avons bien affaire à une même structure linguistique ; les relations génétiques entre les différents membres sont claires. Kossmann (à paraître) partage cet avis : « Songhay languages are relatively close, and cognate percentages (Swadesh 100 word list) between the different languages tend to be above 60%. » Comme nous avons affaire à un continuum dialectal (dialect continuum), les frontières linguistiques entre les différentes langues ou les différents groupes dialectaux (dialect clusters) sont arbitraires (Olivier de Sardan 2000, Kossmann à paraître).

Une des premières classifications des dialectes songhay est celle de Prost (1956). Sa classification ne porte pas sur tous les parlers ; les dialectes septentrionaux surtout n’y étaient pas inclus, parce qu’ils n’étaient pas encore étudiés à ce moment-là (voir carte 4). La classification la plus connue est celle de Nicolaï (1981) qui a été reprise dans Nicolaï & Zima en 1997. L’auteur discerne deux sous-ensembles dialectaux nettement distincts – le « songhay méridional » et le « songhay septentrional » – entre lesquels il n’existe pas d’intercompréhension (voir carte 5). À l’intérieur de chacun d’entre eux – qui peuvent être scindés en d’autres sous-ensembles – il y a intercompréhension, bien que cette intercompréhension se passe plus facilement entre deux dialectes voisins qu’entre des dialectes plus éloignés géographiquement. Le plan phonologique (l’existence ou la non-existence d’un système tonal par exemple) est le support de l’étude dialectologique de Nicolaï (1981 : 25), mais il y ajoute aussi des critères d’ordre morphologique (l’existence ou la non-existence de la marque de détermination par exemple) et d’ordre syntaxique (la fixité ou la non-fixité de l’ordre Sujet-Verbe-Complément par exemple).

Le songhay septentrional :

- Les parlers du groupe nomade

o tadaksahak : variante parlée dans le sud du Sahara au Mali, autour de Menaka

o tihishit (variante appelée tagdal dans Kossmann (à paraître)) : parlée dans le sud du Sahara au Niger, à l’est et à l’ouest d’Agadez. Kossmann (à paraître) mentionne la variante tabarog, virtuellement identique au tagdal, mais parlée par des populations nomades dans la même région.

- Les parlers du groupe sédentaire

o tasawaq : cette variante peut être divisée en emgedeshi – la variante qui était parlée à

Agadez (Niger), mais qui a disparu aujourd’hui – et ingelsi – la variante parlée dans

l’oasis d’In-Gall à l’ouest d’Agadez. Le terme tasawaq est le plus souvent employé

pour désigner cette dernière variante, le seul parler tasawaq actuellement en usage.

(22)

o korandje (variante appelée tabelbala dans Kossmann (à paraître), d’après l’oasis de Tabelbala en Algérie où elle est parlée)

Le songhay méridional :

- songhay occidental : comporte les variantes de Tombouctou (koyra ciine) et des villages autour de la ville, ainsi que la variante de Djenné au Mali.

- songhay oriental : comporte les variantes parlées autour du Niger dans l’est du Mali ; la variante la plus connue est celle de Gao (koroboro senni).

- songhay central : comporte les variantes parlées au sud du Niger par les Songhay du Hombori (humburi senni) et de la région de Tinié et Filio au Mali, ainsi que la variante des Marensé du Burkina Faso.

- songhay kaado (kaado cinne/wogo ciine) : variante parlée sur la rive droite du fleuve dans l’ouest du Niger, en particulier dans la région de Téra et du Gorouol.

- zarma (zarma sanni) : variante parlée sur la rive gauche du fleuve dans l’ouest du Niger, du Zarmaganda (région de Ouallam) au Zarmatarey (région de Dosso).

- dendi (dendi ciine) : variante parlée dans certaines villes au Bénin – surtout à Kandi, Djougou et Parakou – et autour du fleuve dans le sud de Niger.

Carte 4 : Les dialectes songhay d’après Prost, Nicolaï (1981)

(23)

Carte 5 : Les dialectes songhay d’après Nicolaï (1981)

Kossmann (à paraître) ajoute la langue kikara, parlée à côté de Douentza au Mali, qui a été découverte récemment par Jeffrey Heath. Bien que l’auteur ne mette pas en discussion la division entre un groupe

« septentrional » et un groupe « méridional » au sein des langues songhay, il se pose des questions sur la cohésion des différentes variantes de ce dernier groupe. Le fait que la classification est basée sur des critères typologiques plutôt que sur l’étude des innovations historiques, amène à se demander s’il faut la considérer ou non comme une classification génétique. Ceci est plus clair pour le groupe septentrional au sein duquel les langues partagent certaines caractéristiques qui n’existent pas dans les autres langues songhay et sont extrêmement influencées par les langues berbères avoisinantes

7

.

Les différentes langues songhay sont toutes influencées par les langues qui les entourent respectivement. Olivier de Sardan (2000 : 79) mentionne l’emploi d’emprunts aux langues comme l’arabe, le bambara, le hausa, le bariba, le tamasheq, le fulfulde. La carte 6 montre plus clairement ces aires d’influence.

7

Raison pour laquelle les langues songhay septentrionales ont souvent été considérées comme des « langues

mixtes ».

(24)

Carte 6 : Rapport des langues en présence dans l’aire songhay, Nicolaï (1981)

Les langues songhay sont clairement une unité, mais la classification du groupe dans un contexte plus

large est l’objet d’un débat (Kossmann à paraître). La classification de Greenberg (1963) au sein du

groupe nilo-saharien a été mise en question dès le début (Lacroix 1971), mais est maintenue dans la

plupart des études de linguistique africaine (Heine & Nurse 2000). Récemment deux auteurs qui

s’occupent de la reconstruction du proto-nilo-saharien sont allés plus loin que Greenberg dans

l’argumentation qui permet de traiter les langues songhay comme faisant partie de la famille nilo-

saharienne. Bender (1996) considère le groupe songhay comme une branche primaire du nilo-saharien,

tandis que dans la classification de Ehret (2001), les langues songhay font partie d’un grand groupe de

langues qui constitue l’un des deux membres du Western Sahelian group. Robert Nicolaï – un des plus

grands spécialistes des langues songhay – a d’abord investigué les liens possibles des langues songhay

avec la branche saharienne du nilo-saharien et avec la branche mande du niger-congo (Nicolaï 1984)

avant de conclure que l’origine des langues songhay n’est pas mono-génétique (Nicolaï 2003). La

grammaire des langues songhay tirerait son origine du mande du nord-ouest, tandis que le lexique

aurait son origine dans une autre famille linguistique. Nicolaï (1990) renvoie à une origine touareg

mais, plus tard (Nicolaï 2003), l’origine est située plus largement, dans la famille afro-asiatique en

général. L’auteur lui-même se rend pourtant compte du fait qu’il n’a pas résolu le problème de la

classification des langues songhay. Kossmann (2005 : 102) propose de considérer les langues songhay

(25)

comme un groupe isolé qui pourrait être le dernier membre d’un phylum éteint qui ne serait pas génétiquement connecté avec une autre famille linguistique dans le passé linguistique retraçable.

5 La société hausa

Le terme hausa a une double signification. Non seulement il désigne la langue hausa – qui regroupe d’ailleurs plusieurs dialectes – mais aussi la population qui vit en « pays hausa ». Le territoire occupé par cette population n’avait aucun nom particulier, on l’appelait simplement Ƙ asar hausa, le pays de la langue hausa, ce qui souligne l’importance prêtée à la langue (Adamu 1987 : 293). Tout d’abord nous nous attarderons sur l’histoire et l’organisation de la société au sein du pays hausa. Les aspects linguistiques seront traités par la suite. Le pays hausa s’étend sur le Sud du Niger et le Nord du Nigeria (voir carte 7). Il s’agit d’un amalgame de populations qui parlent la même langue et qui affirment appartenir à un même groupe, basé sur une culture qu’ils reconnaissent comme commune mais qui est nuancée régionalement et s’apparente à celles des sociétés agricoles d’Afrique de l’Ouest. À l’intérieur de ce groupe, plusieurs identités se différencient qui se fondent sur l’appartenance à des États – elles se lisent à la présence, à la forme et au nombre des cicatrices faciales – et se définissent localement à partir de l’appartenance à un lignage ou à un village (Luxereau & Roussel 1997 : 29).

Carte 7 : Le pays hausa, Newman (2000)

(26)

5.1 Origine des Hausa

Adamu (1987) fournit quatre théories à propos des origines du peuple hausa. La première théorie, basée sur une fausse interprétation de la légende de Bayajidda (ou Daura), prétend que les ancêtres du peuple hausa étaient originairement de Bagdad en Irak. Les historiens n’accordent plus aucune valeur à cette théorie d’origine arabe. La deuxième théorie localise l’origine des Hausa dans le sud du Sahara avant que celui-ci devienne un désert. La désertification aurait chassé les habitants vers le sud, où ils se seraient installés au nord de l’actuel Nigeria. Le peuple migrant aurait refoulé les peuples autochtones sur le plateau Bauchi ou bien aurait trouvé ce territoire si faiblement peuplé qu’il y avait assez d’espace pour eux. Ceci expliquerait l’existence, sur ce plateau, d’un grand nombre d’ethnies dont les langues appartiennent à des groupes linguistiques différents de celui dont relève le hausa.

Bien que cette théorie soit plausible, aucun fait réel ne vient la démontrer. Elle reste donc une simple hypothèse. Une troisième théorie affirme que les ancêtres des Hausa étaient des habitants de la rive occidentale du grand lac Tchad qui seraient restés sur place après la diminution de superficie de ce lac.

Selon cette théorie, la région de Ha ɗ ejia-Daura-Kano est le lieu où s’est développée la civilisation hausa ; de là, celle-ci s’est étendue à l’ouest et au nord à la région de Sokoto et au-delà. La quatrième théorie – de laquelle Adamu lui-même est un adepte – part de l’idée qu’aucune partie du peuple hausa n’a jamais eu de tradition migratoire qui fixerait son origine hors du pays hausa. Les ancêtres du peuple hausa étaient des autochtones. Ce groupe, naturellement, a grandement bénéficié de vastes vagues d’immigration venues du nord et de l’est. Plus tard, certains peuples wangarawa (Wangara, Diola) et peul sont venus de l’ouest et se sont installés en pays hausa. Il est très probable que le territoire habité par les Hausa incluait, à une époque reculée, certaines parties du sud du Sahara, particulièrement l’Aïr. Après la conquête des Touareg au 14

ème

ou au 15

ème

siècle, la majorité des Hausa auraient émigré vers le sud, vers Gobir. Ces déplacements les ont forcés à s’installer dans des régions habitées par d’autres groupes qui, dans les siècles suivants, adopteront peu à peu la langue et les coutumes des Hausa.

Toujours selon Adamu (1987 : 296), l’ethnonyme pour les populations du pays hausa n’apparaît, dans les documents écrits, que vers le 16

ème

ou le 17

ème

siècle. Jusqu’à cette époque, les populations n’étaient connues que par les noms de leurs villes ou de leurs royaumes (Kanawa

8

, Katsinawa, Gobirawa, etc.). Originairement, le terme « hausa » se référait seulement à la langue mère des habitants du pays hausa, où les gens s’appelaient eux-mêmes Hausawa, c’est-à-dire « ceux qui parlent hausa ». Certains limitent l’application du terme à leur propre groupe, d’autres refusent de

8

Les ethnonymes sont formés par l’adjonction du suffixe -a:wa: . Ce type de dérivation est traité dans la

(27)

s’appeler Hausa. L’interprétation la plus large du terme est généralement employée par les peuples extérieurs.

Les Hausa ont une légende

9

populaire qui raconte l’origine du peuple. Le prince Bayajidda serait venu de Bagdad pour aller à Kanem-Bornu où il aurait reçu la fille du roi comme épouse.

Bayajidda s’enfuit à l’ouest par peur du mai (le roi de Kanem-Bornu) et il arrive dans une ville dont les gens étaient privés d’accès à l’eau par un grand serpent appelé sarki (chef). Il tue le serpent avec son épée, acte grâce auquel il peut épouser la reine locale Daura. Un fils appelé Bawogari naît de ce mariage et la concubine de Bayajidda lui donne un autre garçon, Karbogari. Bawogari a, à son tour, six fils qui deviennent les chefs de Kano, Daura, Gobir, Zaria, Katsina et Rano. Avec Biram, gouverné par le fils que Bayajidda avait eu avec la princesse de Bornu, ces sept états forment hausa bakwai, les sept (états) hausa. Les fils de Karbogari fondent à leur tour également sept états : Kebbi, Zamfara, Gwari, Jukun (Kwararafa), Yoruba, Nupe et Yawuri, appelés banza bakwai, les « sept bâtards » ou les « sept sans-valeur ». La légende reflète la situation dans le nord du Nigeria au 16

ème

siècle. L’apparition d’états centralisés semble avoir été étroitement liée à l’établissement de grandes cités appelées birni, constituant les centres du pouvoir politique.

5.2 Les Hausa en Afrique de l’Ouest

Les Hausa employaient généralement le terme de Beriberi pour désigner les peuples de l’empire du Kanem-Bornu, dont la plupart étaient d’origine kanuri

10

. Dans l’histoire du pays hausa, les relations avec Kanem-Bornu se montrent très importantes. C’est à partir de là que de nombreux éléments culturels et des idées nouvelles seront empruntés pour faire partie intégrante de la culture et de la civilisation hausa. Un autre état puissant limitrophe du pays hausa était l’empire songhay. Au sud- ouest du pays hausa vivent aujourd’hui les Jukun qui ont autrefois joué un rôle considérable dans l’histoire du centre et du nord de l’actuel Nigeria et qui ont exercé une influence durable sur plusieurs de leurs voisins. Les Nupe, situés plus au nord, ont établi des relations diplomatiques et commerciales avec de nombreux états voisins, particulièrement avec les villes hausa. Un autre groupe, formé par les habitants du Bauchi

11

, entretenait des relations avec les Hausa. Il semble y avoir eu beaucoup de migrations hausa en territoire bauchi, à des fins commerciales ou militaires. Certains Hausa s’y

9

La légende telle que nous la racontons ici est basée sur la version plus détaillée qui figure dans Adamu (1987 : 297-298).

10

Le terme Beriberi est d’ailleurs le terme employé par les Hausa jusqu’à aujourd’hui pour désigner les gens d’origine kanuri, souvent hausaïsés.

11

Bauchi est l’appellation hausa du territoire situé au sud du pays hausa, Kasashen Bauchi. Plusieurs petites

populations y résident.

(28)

réfugiaient et gardaient la langue hausa. D’autres l’ont perdue et se sont linguistiquement assimilés aux peuples qui les accueillaient.

Carte 8 : Les Hausa et les autres peuples du Nigeria du nord, Adamu (1987)

Le pays hausa a accueilli des peuples et des groupes venant de différents horizons, à différents moments de l’histoire et dans des buts divers. Il y avait, par exemple, les bergers immigrants à la recherche de pâturages nouveaux et meilleurs pour leur bétail qui ne s’intéressaient guère à une occupation rurale stable. C’étaient en premier lieu des Peul (« Fulani ») et des Touareg. Les migrations de Bornu au pays hausa sont un phénomène très ancien. Il concerne des aristocrates réfugiés, des mallam et des commerçants. Ils se sont installés un peu partout, surtout à Kano, Katsina et Zaria. Les Wangarawa (Diola) sont venus du Soudan central et se sont vite intégrés au système social hausa, même s’ils n’ont pas perdu le contrôle de leurs activités économiques et s’ils formaient un groupe social particulier. Un autre groupe d’immigrants est venu de l’ouest : les pêcheurs songhay, qui pratiquaient également un peu d’agriculture. La dernière catégorie importante d’immigrants est constituée par les marchands et les mallam arabes et berbères venus de l’Afrique du Nord et de Tombouctou. Leur installation, particulièrement à Kano, était liée à la prospérité croissante des états hausa et à l’adoption de la religion islamique par de nombreux groupes et couches de la population urbaine

12

. Tous ces groupes étrangers ont perdu le plus grand nombre des marques de leur culture et sont devenus hausa.

(29)

Les émigrations au sud ont trait aux campagnes militaires lancées par les maîtres hausa. De plus, de nombreux Hausa n’appartenant pas aux corps de l’armée ont quitté leurs foyers et ont suivi les troupes afin de faire du commerce avec les guerriers. D’autres catégories d’émigrants incluaient des commerçants et des religieux musulmans. Après le 16

ème

siècle, ces déplacements deviennent plus spectaculaires et mènent à une vaste diaspora hausa dans diverses régions de l’Afrique occidentale ; d’où la réputation commerciale des Hausa et l’emploi de la langue hausa comme langue véhiculaire en Afrique occidentale.

5.3 La diffusion de l’islam au sein du pays hausa

Selon Adamu (1987), l’islam a été introduit en pays hausa avant le 14

ème

siècle à partir de Kanem- Bornu ou par la route commerciale qui permettait le contact avec des marchands musulmans nord- africains

13

. À ce moment, c’était une religion réservée aux commerçants expatriés, à certains petits groupes de marchands locaux et à l’élite dirigeante, tandis que les masses étaient généralement attachées à leurs croyances traditionnelles. Cette situation semble avoir changé au 15

ème

siècle, quand une forte tradition islamique commence à s’établir surtout à Kano et Katsina, sous influence des mallam wangarawa et des religieux musulmans peul. À la fin du 15

ème

siècle, l’islam pénétra dans d’autres états hausa, par l’intermédiaire des commerçants musulmans, bien que c’était uniquement dans les cités et dans les grands centres que l’islam avait beaucoup d’impact et que l’islamisation se limitait à l’élite dirigeante et aux groupes de négociants. Au début, l’islam s’est intégré aux schémas religieux présents, parce qu’il n’était pas considéré comme une religion étrangère ou incompatible avec la vision religieuse du monde hausa et parce que la société musulmane ne revendiquait pas l’exclusivité de son idéologie religieuse.

L’introduction de l’islam en pays hausa a aussi influencé le système politique qui était étroitement lié aux actes religieux des dirigeants. L’installation de religieux originaires de diverses parties de l’Afrique a entraîné la diffusion de nouvelles idées politiques, sociales et culturelles et le développement de l’alphabétisation

14

en pays hausa. L’introduction et la diffusion de l’islam ont étroitement lié le pays hausa à une zone culturelle plus vaste.

13

Selon El Fasi & Hrbek (1990 : 96, 105) la diffusion de l’islam en Afrique subsaharienne est clairement liée au commerce. Les groupes les plus actifs sur le plan commercial comme les Hausa étaient parmi les premiers à se convertir au contact avec les musulmans. De plus, l’origine de la religion fait que l’islam présentait un ensemble de préceptes moraux et pratiques étroitement liés aux activités marchandes. Les commerçants hausa ont joué un rôle important dans la diffusion de la religion en dehors du pays hausa.

14

Il s’agit ici de l’aptitude à lire et à écrire en arabe et, ultérieurement, en hausa en employant l’alphabet arabe,

le système ajami. Les premiers textes en ajami datent de 1600 (Adamu 1987 : 322).

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