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Submitted on 1 Jan 1955
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IV. - La radioactivité artificielle et la biologie
Maurice Tubiana
To cite this version:
Maurice Tubiana. IV. - La radioactivité artificielle et la biologie. J. Phys. Radium, 1955, 16 (10),
pp.763-769. �10.1051/jphysrad:019550016010076300�. �jpa-00235263�
IV. - LA RADIOACTIVITÉ ARTIFICIELLE ET LA BIOLOGIE
Par MAURICE TUBIANA,
Professeur agrégé des Facultés de Médecine
(Institut Gustave Roussy, Service des Isotopes, Villejuif).
16, 1955,
Peu de découvertes physiques auront eu dans
l’histoire des sciences biologiques, un retentissement aussi profond et aussi immédiat que celle de la radioactivité artificielle.
Claude Bernard disait déjà que tout grand progrès théorique ou toute poussée de croissance des sciences était en l’état actuel des sciences expérimentales,
conditionné par l’apparition de nouvelles techniques.
En mettant à la disposition des biologistes une
méthode d’investigation °dont, après 20 ans d’uti- lisation, on a à peine fini d’explorer les immenses possibilités, en obligeant les biologistes à des contacts
et à une collaboration fructueuse avec des physi-
ciens et des chimistes, la radioactivité artificielle a
été un des facteurs les plus puissants de la rapide expansion de nos connaissances biologiques.
Si les progrès des méthodes isotopiques ont été après 1934 aussi rapides, c’est que, comme l’a sou- ligné le Professeur Paneth, la radioactivité arti- ficielle est un prolongement logique de la radioacti- vité naturelle; la plupart des modes de raison- nement et des principes qu’elle exploite se trouvaient déjà dans les ouvres qu’Hevesy ou Lacassagne
avaient réalisées avec des radioéléments naturels
puis avec des isotopes stables.
L’identité de comportement chimique des iso- topes d’un même élément constitue le principe
même de leur utilisation biologique. Leur emploi
admet implicitement que :
10 un organisme vivant ne peut pas distinguer
un nuclide de ses isotopes stables ou radioactifs;
20 les radiations émises par le radioélément utilisé comme indicateur ne modifient pas le phéno-
mène biologique étudié.
Le, premier postulat n’est en toute rigueur, respecté,
que si les différences de masse entre l’isotope naturel
et radioactif ne sont pas trop importantes. Le rapport
des vitesses de diffusion de deux isotopes à travers
une membrane, étant égal à la racine carrée du rapport
des masses, on conçoit que la traversée de plusieurs
membranes puisse déterminer des différences consi- dérables de répartition. L’importance pratique de
ce phénomène a été objectivée en montrant les
différences relatives entre la répartition du car-
bone 12 et du carbone 14 dans les feuilles et les racines de plantes arrosées avec une solution conte-
nant ces isotopes. Une différence de masse d’en- viron i j6 introduit dans ce cas des artéfacts non
négligeables; mais la différence entre les masses
des isotopes de l’hydrogène est bien plus impor-
tante et affecte les énergies internes de liaison;
aussi faut-il une grande prudence pour interpréter
des expériences biochimiques utilisant’ le tritium
ou le deutérium, la liaison C-3H étant par exemple beaucoup plus solide que la liaison C-1H.
Le deuxième postulat est évidemment faux et
.l’action biologique des radiations est bien connue, mais en employant des quantités faibles d’isotopes
on peut arriver à se placer dans des conditions où l’action des radiations sur le phénomène étudié est négligeable.
Utiliser un radioélément comme indicateur c’est
exploiter sa propriété d’être à tout instant, repé- rable, localisable, tout en ayant le même compor- tement que la forme naturelle du même élément.
Suivre la destinée de l’isotope marqué par sa radio- activité permet d’acquérir des connaissances sur le sort de l’isotope naturel. On voit immédiatement les possibilités de recherches qu’offre cette faculté
de reconnaître, de suivre un élément isolé, ou la molécule dont il fait partie, au milieu des millions d’éléments ou de molécules semblables et au travers des réactions biochimiques dans lesquelles il se
trouve engagé.
L’idée historiquement la plus ancienne et expéri-
mentalement la plus simple est d’étudier la distri- bution d’un élément marqué, c’est-à-dire de se
demander où il va avec son corollaire, le temps qu’il
met pour y aller; c’est par une étude de ce genre que naquit la méthode isotopique en 1923.
Article published online by EDP Sciences and available at http://dx.doi.org/10.1051/jphysrad:019550016010076300
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Après avoir essayé en vain pendant plusieurs mois, de séparer le radium D du plomb par les méthodes chimiques les plus fines, Hevesy pensa que si la Chimie était impuissante à les différencier,
les systèmes biologiques n’y parviendraient peut- être pas et il utilisa le radium D pour explorer la
distribution du plomb chez les plantes. Il fit baigner
leurs racines dans une solution de nitrate de plomb
et de radium D. En mesurant la radioactivité de
ces plantes il démontra que la plus grande partie
du plomb se trouvait dans les racines. Hevesy
raconte qu’un interlocuteur lui objecta que l’on serait toujours arrivé à localiser le plomb et qu’il
serait beaucoup plus intéressant de suivre dans
un organisme l’eau et le sucre du thé qu’ils étaient
en train de boire. Ce rêve et bien d’autres purent
être réalisés grâce à la découverte de la radioactivité artificielle qui mit entre les mains des biologistes plusieurs centaines d’isotopes radioactifs parmi lesquels ceux de presque tous les éléments ayant
un intérêt biologique.
,La destinée. des corps simples a été aujourd’hui
étudiée par ces méthodes; c’est ainsi qu’en sacri-
fiant des souris à des temps variables après une injection de calcium radioactif, on étudia la vitesse de fixation du calcium, dans l’os et les autres régions
de l’organisme, et le rôle joué dans l’ossification par le calcium exogène. Les travaux de ce type permirent d’étudier l’influence du régime et notam-
ment des vitamines, du facteur hormonal, de l’âge;
on montra récemment, par exemple, que 89 pour ion du calcium se fixaient dans les os en 4 h chez des animaux jeunes et 41 pour 10oo seulement chez des animaux âgés.
Grâce à l’autoradiographie il est même possible
de suivre la destinée du calcium à l’intérieur de l’os. Cette technique que nous devons à Lacassagne
et Lattes, qui l’utilisèrent pour la première fois
en I g24, consiste à placer l’échantillon contenant le radioélément au contact d’un film que l’on déve-
loppe après un temps de pose convenable. Un noircissement apparaît sur le film devant la source radioactive, proportionnel à la quantité de radia-
tions absorbées par l’émulsion. L’autoradiographie permet la localisation précise d’une substance
radioactive à l’échelle cellulaire. Son utilisation dans le cas du calcium radioactif a permis d’éclairer
bien des points demeurés obscurs de l’ossification
,
et du métabolisme des dents. Ces travaux montrent
l’intérêt que peuvent avoir de simples études topo- graphiques.
.
Les isotopes radioactifs ont également facilité
l’étude de l’absorption et de l’assimilation. C’est ainsi que l’on a pu étudier au cours du rachitisme
l’absorption des phosphates qui n’est pas modifiée et celle du calcium au contraire très abaissée et sur
laquelle la vitamine D;, a une action importante et immédiate.
Les méthodes isotopiques peuvent être également
utilisées pour comparer la valeur des voies d’intro- duction d’une substance dans un organisme (voie buccale, voie rectale, injection intrapéritonéale, etc.)
ou la destinée d’un élément selon qu’il a été intro-
duit par l’une ou l’autre de ces voies.
L’étude de l’excrétion bénéficie aussi de ces
méthodes : il était classique de faire des bilans pour étudier l’élimination fécale du phosphore.
Le rapport entre le phosphore fécal et le phosphore
urinaire avait de même fait l’objet de maints tra- vaux, mais on ne pouvait sans phosphore radio-
actif savoir, ce qui revenait, dans le phosphore fécal, au phosphore alimentaire, qui n’avait pas été absorbé et au phosphore éliminé par l’organisme.
Grâce aux radioéléments, il devint possible d’aborder
ce problème. Prenons un organisme marqué au radiophosphore, supposons que tout le phosphore
fécal provienne de l’organisme par l’intermédiaire de la bile, des sucs intestinaux; dans ce cas, l’activité spécifique du phosphore fécal doit être égale à celle
du phosphore minéral de l’organisme. Si au contraire
le phosphore fécal provient du phosphore alimentaire
non absorbé, son activité spécifique doit être nulle et si, par exemple, la moitié du phosphore est en
provenance de l’organisme et l’autre moitié de l’ali- mentation, l’activité spécifique du phosphore fécal
1 sera égale à la moitié de l’activité spécifique du phosphore urinaire. De façon plus générale le rapport
entre les activités spécifiques du phosphore fécal et
du phosphore urinaire est égal au pourcentage de phosphore fécal provenant de l’organisme.
Pour que ceci soit valable, il faut que les diffé- rentes fractions" phosphorées de l’organisme aient
la même activité spécifique, il faut donc attendre
assez longtemps après l’injection de 32P. Dans l’expérience de Hevesy, 28 jours après l’injection
sous-cutanée de radiophosphate de sodium, l’acti-
vité spécifique des urines fut trouvée égale à 8,08
et celles des fèces à 1,77; 22 pour 100 du phosphore
fécal provenait de l’organisme et 78 pour 10o était du phosphore alimentaire non digéré. C’est là un
bon exemple de l’emploi des radioéléments car
devant une excrétion fécale il se pose toujours le problème , de savoir s’il s’agit d’une absorption incomplète ou d’une élimination. Donnons comme
autre exemple les expériences sur l’abondance anormale des graisses fécales au egurs de l’insuffi-
sance hépatique : des hommes porteurs de fistules biliaires ont été nourris avec des graisses marquées;
bien qu’il y ait eu dans les fèces une quantité de graisse égale à la quantité ingérée il ne s’y trouvait plus qu’un tiers du deutérium ingéré, ce qui semble
prouver que les deux autres tiers avaient été absorbés et qu’en revanche, une quantité équivalente avait
été excrétéé.
Différents facteurs peuvent intervenir pour modi- fier l’excrétion fécale. Leur mise en évidence et la
1
compréhension du mécanisme par lequel ils agissent
est toujours facilitée et n’est parfois possible que
grâce aux isotopes radioactifs. C’est ainsi qu’en
étudiant l’excrétion fécale du calcium on s’est aperçu qu’elle dépendait de l’alimentation; alors
que normalement il ne s’élimine par voie fécale et par jour que 5 pour 100 du calcium introduit par la voie intraveineuse, ces quantités peuvent aug- menter dans des proportions énormes sous l’in-
fluence de certains facteurs alimentaires tels qu’un régime riche en épinards. Les épinards contiennent
une grande quantité d’acide oxalique qui se combine
avec le calcium et ils entrent donc en compétition
avec les tissus pour la fixation de l’ion calcium.
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