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Partie 1 Approche contextuelle

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Partie 1

Approche contextuelle

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Chapitre 1. La construction du handicap

La notion de handicap est présente dans le langage courant comme dans les discours politique, scientifique, juridique ou administratif. Elle sert généralement à désigner l’altérité, la différence de certains individus par rapport aux « normaux ». Elle désigne des personnes atteintes d’une déficience qu’elle soit physique, mentale ou sensorielle. Mais cette utilisation courante de la notion de handicap se fait en mettant de côté le flou qui l’entoure (Ebersold, 1992) et qui pose problème dès qu’il s’agit d’apprécier le désavantage réel subit par une personne handicapée. Plus encore, le flou entourant cette notion rend difficile l’appréhension concrète de ces populations dites « handicapées » (Blanc, 1999a). Il est frappant de constater qu’il n’existe pas une définition précise, un concept unique en matière de handicap faisant réellement autorité. Dans certains pays anglo-saxons (Etats-Unis, Royaume-Uni), son usage a même été abandonné au profit de la notion de disability alors même que le vocable handicap provient de ces pays.

La question de la définition du handicap est ardue et les propositions de définition sont systématiquement jugées insatisfaisantes. L’Organisation Mondiale de la Santé a proposé successivement deux définitions du handicap (en 1980 et puis en 2001) avec pour objectif d’offrir un langage commun à ceux travaillant avec les populations dites « handicapées ». Ces deux propositions restent largement critiquées. Notre objectif n’est certainement pas d’entrer dans le débat concernant cette définition de la notion de handicap. Notre objectif est de rendre compte des modalités d’appréhension du handicap et des modes de prise en charge qui en découlent ainsi que des enjeux politiques qui les sous-tendent.

Comme nous le verrons plus loin, en France comme en Belgique, la notion de handicap s’est progressivement substituée à la notion d’infirmité (Stiker, 1984) entraînant des changements dans les modes d’appréhension de ces personnes et dans leur prise en charge par la société.

Les personnes regroupées sous ce même terme générique font partie de populations très différentes et bénéficient concrètement de modes de prise en charge parfois très diversifiés.

Les personnes handicapées sont tout autant des accidentés du travail, des invalides de guerre, des victimes de déficiences congénitales, etc. Si nous ne contestons pas que la catégorie du handicap garde bien une dimension médicale réelle, notre travail consistera cependant à saisir les logiques et les enjeux que recouvre la construction sociale du handicap et son utilisation dans la gestion publique des populations qu’elle désigne. Car la notion de handicap fut et est

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encore utilisée en tant que catégorie structurante de l’action publique, permettant l’intervention publique. Nous nous intéresserons prioritairement aux logiques et aux enjeux sous-jacents à l’utilisation de cette notion dans la mise en œuvre des politiques sociales.

1.1. De l’infirme au handicapé

L’origine du terme handicap est anglaise. Ce terme était utilisé dans les courses de chevaux.

La course « à handicap » désignait une course où l’on chargeait certains concurrents plus forts afin d’égaliser les chances de victoire. Le mot sera ensuite employé au début du 20ème siècle dans d’autres registres : on appelait « handicapped » les individus qui ne trouvaient pas de travail à la suite d’un accident de travail ou éprouvaient des difficultés sociales parce que aveugles, estropiés, etc. (Stiker, 2000). L’utilisation de la notion de handicap est relativement récente dans le monde francophone notamment en comparaison avec les pays anglo-saxons.

En Belgique, elle apparaît dans les textes législatifs dans les années 50 et surtout 60, avec notamment la loi du 16 avril 1963 créant le Fonds national de reclassement social des handicapés. La notion de handicap est dans cette perspective utilisée pour désigner des populations d’infirmes, plus précisément les invalides et les mutilés de guerre. La notion de handicap va progressivement remplacer la notion d’infirme, marquant par la même occasion un changement de perception de la déficience.

L’infirmité renvoyait à une conception de la déficience comme incapacité et inaptitude de l’individu. Les infirmes étaient ces personnes diminuées par une atteinte du corps et/ou de l’esprit, par rapport aux autres, les « normaux ». Le handicap renverra à une déficience qui, dans un premier temps, peut être compensée par un travail de rééducation et de réadaptation de la personne (Stiker, 1984). « Le vocabulaire de l’infirmité, de l’incapacité, de l’impotence cède la place, progressivement, à un autre, exprimant la philosophie sociale du risque, de la responsabilité, de l’assurance, de la compensation et de la réparation, du rattrapage » (Stiker, 1996 : 312). Dés lors, se développent durant les années 60 et début des années 70, des dispositifs d’aide centrés sur un travail de réadaptation fonctionnelle de la personne handicapée.

Si l’utilisation de la notion du handicap a d’abord concerné des populations spécifiques (mutilés et invalides de guerre, puis accidentés du travail), elle a ensuite été progressivement

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employée pour désigner l’ensemble des populations déficientes. En effet, en France comme en Belgique, de nombreuses associations de malades chroniques (tuberculeux notamment), de diminués physiques, de paralysés vont faire valoir des revendications similaires à celles des invalides de guerre1. La convergence des ces revendications va permettre l’apparition de statuts nouveaux de handicapés remplaçant ainsi les figures anciennes de l’infirmité.

« Progressivement, le sort des mutilés de guerre va s’étendre à tous les types d’infirmité, provoquant une indistinction conceptuelle marquée par l’apparition d’un nouveau terme :

« le handicap. » (Ville, 2002 : 50). L’utilisation du terme handicap se généralise pour rassembler sous une même bannière une multitude de populations infirmes différentes.

En définitive, un mouvement d’élargissement des dispositions législatives relatives à la réadaptation des populations déficientes s’est opéré en Belgique avec la création en 1967 d’un Fonds de soins médico-socio-pédagogiques pour handicapés et qui concernera les individus mineurs ou majeurs placés en institution. Cet élargissement se traduira également par une homogénéisation de la gestion de la déficience autour d’un idéal réadaptatif, avec pour corollaire l’acquisition d’une certaine normalité pour les individus concernés. Les institutions fermées, centrées sur des logiques asilaires ne pourront y échapper et progressivement mettront en place des modes de gestion poursuivant cet idéal de réadaptation.

Progressivement, ces personnes recluses et cachées derrière des hauts murs, c’est-à-dire les débiles, les fous, les arriérés mentaux, seront également invitées à acquérir certains signes extérieurs de normalité (Zafiropoulos, 1981).

Cet élargissement traduit également un passage d’une vision de l’individu comme incapable à celle de personne rééducable. C’est ainsi que les années 70 verront la création de nombreux dispositifs d’aide centrés sur la rééducation et la réadaptation fonctionnelle en Belgique (Ateliers protégés, enseignement spécialisé, services de rééducation, etc.). Il est intéressant de noter le lien explicite réalisé entre réadaptation et éducation dans les dispositifs législatifs belges. Ainsi en 1965, un arrêté ministériel fixera les limites et conditions selon lesquelles l’éducation scolaire peut être assimilée à une formation, une réadaptation ou une rééducation fonctionnelle. En définitive, on peut conclure que ce passage de l’infirme à la personne handicapée traduit une volonté générale d’intégrer désormais ces individus dans la société (Marquet, 1991). Cependant, cette volonté d’intégration se traduira concrètement

1 Ces revendications des associations se feront bien avant l’établissement en 1963 du premier fonds. Elles datent de l’entre-deux-guerres et se feront encore plus vives après la deuxième guerre mondiale.

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par la mise en place d’une approche réadaptative et rééducationnelle. Dès lors, les dispositifs d’aide mis en place ainsi que certaines pratiques de classification peuvent être interprétés dans le sens d’une mise à l’écart de ces populations et d’un traitement spécifique malgré un objectif sous-jacent d’intégration.

1.2. Désavantage social et situation handicapante

L’approche réadaptative naît donc dans les années 50 et prendra corps dans des dispositifs législatifs dans les années 60. Elle se généralise au cours des années 70 mais connaît également une transformation progressive dans la gestion de la déficience (Ville, 2002).

Celle-ci n’apparaît plus aussi fondamentale qu’elle pouvait l’être pour l’infirme. Ce changement de perception trouve sa confirmation en 1980, avec l’élaboration de la Classification Internationale des Handicaps proposée par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) développant une approche du handicap à partir des conséquences sociales des maladies (Wood, 1980). Cette définition du handicap utilise trois concepts : la déficience, l’incapacité et le handicap (ou désavantage). La déficience concernera la perte de substance ou l’altération physiologique, anatomique, mentale de la personne. Elle pourra se situer aussi bien au niveau intellectuel, verbal, sensoriel que moteur. L’incapacité sera la conséquence de cette déficience, elle désignera la restriction d’activité qu’elle induit dans la communication, la locomotion ou la vie professionnelle de l’individu. Enfin, le handicap sera envisagé comme le désavantage social que rencontre l’individu.

Le handicap conceptualisé de cette manière renvoie aux conséquences sur la vie de l’individu de la déficience et de l’incapacité. Le handicap est donc avant tout une notion sociale exprimant l’écart entre les capacités réelles d’une personne et les performances que son milieu social attend d’elle (Goffman, 1975). De ce fait, le handicap devient une notion relative car une même déficience constatée peut entraîner un handicap très différent en fonction du groupe social d’appartenance de la personne. Le handicap auquel est confronté une personne déficiente varie selon les circonstances dans lesquelles elle se trouve. Cette approche du handicap par le désavantage social ne va pas sans poser problème. En effet, elle rend très difficile l’appréhension des populations dites handicapées. En utilisant cette approche, certains travaux en viennent à une extension quasi illimitée de la qualité de personne « handicapée ». Certains chercheurs ont ainsi utilisé cette approche pour définir un

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handicap de situation. Or, les situations handicapantes se rencontrent constamment dans notre quotidien, ce qui permet d’établir la conclusion qu’elles concernent la population toute entière. Chacun d’entre nous est susceptible d’être confronté dans la vie quotidienne à des situations handicapantes.

L’utilisation de cette approche du handicap par le désavantage social porte en elle la difficulté essentielle de définir concrètement les populations de personnes handicapées et d’en évaluer le nombre exact dans une société donnée. C’est ainsi que certains chercheurs ont fini par conclure à l’impossibilité de chiffrer le nombre de personnes handicapées pour un pays ou une région (Waltisperger, 1987). A titre d’exemple, deux des rares enquêtes (Enquête EFT2 de 1996 et Enquête de santé en Belgique ISP 19973) ayant été menées pour déterminer l’importance et le profil de la population en situation de handicap en Belgique n’arrivent pas aux mêmes estimations. En cause, des enquêtes à vocation différente, une échelle des âges différente et surtout, une grille de questions différentes (ce qui traduit la prise en compte de critères différents pour définir le handicap). Les chiffres peuvent varier de 13% de la population en âge de travailler à 16,5% de personnes souffrants de handicap(s) dans la population globale. Une autre enquête de santé4 conclura pour l’année 2001 à un chiffre de 20% de la population globale mais ramené à 11% si on ne considère que les limitations modérées ou graves. Pour ce qui est du pourcentage de personnes avec un handicap reconnu, le chiffre s’élève à 6% dans la population de plus de 15 ans. Selon l’enquête EFT de 1996, 58% des personnes ayant des limitations physiques sévères sont reconnues administrativement comme ayant un handicap. Pour ce qui est des personnes que l’enquête décrivait comme ayant un handicap modéré, 22% seulement de ces personnes bénéficiaient d’une reconnaissance administrative (Mercier, 2004) !

Ces exemples montrent que la reconnaissance administrative du handicap ne permet aucunement d’appréhender de manière claire et univoque les populations dites handicapées de notre pays. L’approche par le désavantage social en vient à agrandir le nombre de personnes susceptibles d’être reconnues comme personnes handicapées. Ces productions d’estimations statistiques différentes témoignent d’activités de définition du handicap très hétérogènes. Le

2 http://statbel.fgov.be/figures/d364_fr.asp#5, source : European Community Household Panel, Eurostat.

3 INSTITUT SCIENTIFIQUE DE SANTE PUBLIQUE, Enquête de santé 1997. La santé en Belgique, ses communautés et ses régions, Bruxelles, 2000.

4 INSTITUT SCIENTIFIQUE DE SANTE PUBLIQUE, Enquête de santé 2001. La santé en Belgique, ses communautés et ses régions, Bruxelles, 2001.

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travail de catégorisation du handicap peut se faire selon des indicateurs variés, donnant lieu à des évaluations différentes quant à la population dite « handicapée ». Surtout, ces statistiques démontrent que les définitions administratives ne sont pas les seules invoquées ou mobilisées par les acteurs, pouvant donner l’impression d’une concurrence des catégorisations entreprises.

1.3. Le retrait du registre médical

L’utilisation du concept de handicap et de la Classification Internationale des Handicaps (CIH) traduit un changement de registre opéré progressivement durant les années 70. Le registre social est progressivement devenu prépondérant par rapport au registre médical. Alors que l’infirme était qualifié d’infirme en fonction de son intégrité biologique déficiente, il n’en sera plus de même avec la personne handicapée de la fin des années 70 et du début des années 80. La dimension sociale va devenir prédominante. Pour Stiker (2000), le registre médical devient clairement secondaire même si le diagnostic médical reste essentiel pour déterminer le traitement à administrer le plus adéquat possible. Ce raisonnement est d’autant plus vrai selon lui que l’idéal de réadaptation s’impose au moment où la médecine prend conscience de certaines de ses limites dans sa prétention à guérir tous les maux de l’être humain. On peut poursuivre ce raisonnement car il est clair que la déficience constatée médicalement n’est plus première, les conséquences concrètes de cette déficience apparaissent désormais bien plus importantes. Les prises en charge se constitueront dès lors davantage autour d’un idéal de réadaptation et moins de guérison.

La construction et l’expansion de l’utilisation de la notion de handicap se fait dans un contexte de déploiement de l’Etat social. Celui-ci se fait de plus en plus interventionniste.

L’Etat développe progressivement sa mission de protection auprès des couches de populations jusque-là tenues à l’écart de la société. Il étend ses compétences et accroît ses interventions en s’appuyant notamment sur les initiatives privées en provenance de la société civile qu’il visera à organiser, à réglementer et à subventionner. Comme le montre Rosanvallon, l’efficacité de l’Etat social (qu’il qualifie « d’Etat-providence ») repose tout d’abord sur l’identification et la définition des populations au niveau statistique, juridique et administratif. Elle repose ensuite sur la construction des dispositifs de prise en charge de ces populations (Rosanvallon, 1995).

En Belgique, les années 60 et 70 seront consacrées à la mise en place de dispositifs d’aide

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spécifiques, sériés, planifiés et programmés. Mais surtout, ces années apporteront la définition administrative du statut de handicapé. Progressivement des catégories de personnes venant d’horizons différents (mutilés de guerre, accidentés du travail, travailleurs handicapés, invalides, etc.) vont trouver un statut juridique et administratif commun sous la bannière du handicap. L’emploi de la notion de handicap permettra une intervention étatique clairement assumée dans la gestion de l’infirmité.

Désormais, les instances administratives vont intervenir de manière significative dans la reconnaissance de la qualité du handicap des individus. L’administration belge5 examinera les dossiers des individus afin de définir la reconnaissance du handicap et établir en conséquence les aides à apporter. Une nouvelle fois, le registre médical cède du terrain, cette fois-ci face au registre administratif. L’administration, sur base des avis des médecins et des dossiers constitués6, va juger du placement des personnes dans les différents établissements. La dimension administrative donnée à la notion de handicap ne sera donc pas sans conséquence sur le rôle que se verront ensuite attribuer les médecins dans la définition du handicap (Castel, 1981). Ceux-ci joueront toujours un rôle primordial dans le diagnostic de la déficience mais ne seront plus les seuls experts convoqués pour définir le statut de handicapé de la personne.

On constate ainsi une progressive émancipation des structures dans le secteur du handicap par rapport au pouvoir médical (Bon, 2000). Par exemple, les « médecins chefs » souvent à la tête des grands établissements d’hébergement traditionnel laisseront souvent la place à des chefs de service de type « éducatif ». Très souvent, le médecin deviendra consultant, intervenant ponctuellement pour un suivi ou pour un conseil quant à l’orientation d’une personne. La fonction éducative prendra de plus en plus de place face à la fonction soignante. Il s’agit désormais moins de soigner que de prendre soin de la personne handicapée. Ce recul de l’approche médicale va se poursuivre dans les années 70 jusqu’à nos jours. Cette approche médicale pourtant de plus en plus secondaire sera régulièrement contestée à travers les critiques apportées par exemple aux nomenclatures de la CIH de l’OMS (vision jugée encore trop médicale par certaines associations de personnes handicapées, car donnant à la déficience une place trop importante). Dans les pays anglo-saxons, cette dénonciation de l’emprise

5 Soulignons que c’est exactement le même phénomène qui se passe en France où ce sont des commissions départementales qui détermineront cette qualité de personne handicapée.

6 Nous verrons plus loin que ces dossiers se construisent largement sur base de données et de considérations à caractère social.

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médicale sera encore plus forte, notamment à travers certains courants de pensée (universitaires notamment) hostiles aux évaluations médicales reposant sur des mesures et des diagnostics de la déficience. Il est à noter qu’en Belgique comme en France, le pouvoir médical sera aussi fortement contesté dans son rôle d’orientation des personnes handicapées au sein des différentes filières possibles. Très souvent, ce monopole des médecins sera contesté et l’orientation des personnes handicapées sera confiée à des équipes pluridisciplinaires, garantissant une lecture moins médicale mais davantage globale de la personne.

1.4. Réadaptation et intégration

Les années 70 auront donc été marquées par l’émergence d’un nouvel idéal, celui de la réadaptation des personnes handicapées. Ce constat est assez facile à établir en Belgique quand on observe les moyens et les dispositifs mis progressivement en place pour les personnes handicapées : création d’ateliers protégés, octroi d’aides à la réadaptation fonctionnelle, dispositifs de rééducation, etc. Dans un même temps, on peut constater que les années 70 sont aussi caractérisées par le développement de l’enseignement spécialisé à travers la mise en place de la loi du 6 juillet 1970 sur l’enseignement spécial et intégré. Cette loi introduit en effet en Belgique le principe d’une scolarisation spécifique pour les enfants et les adolescents reconnus comme handicapés. En fait, les idéaux de réadaptation et de rééducation sont sous-tendus par une même logique générale, celle de l’intégration de la personne handicapée. En effet, si l’on peut considérer que la construction de la notion de handicap est intimement liée à la question de la réadaptation de ces personnes, cette réadaptation se fait au nom d’un objectif sociétal global : celui de l’intégration de tous les individus.

L’utilisation du concept de handicap témoigne d’une certaine manière d’une volonté d’égaliser les chances et de faire en sorte que cette personne handicapée retrouve ses chances de prendre part à la vie sociale. « Le handicap, c’est surtout l’obligation faite à l’infirme de se réintégrer. » (Marquet, 1991 : 37). Cet objectif global d’intégration implique d’une part, la rééducation et l’éducation spécialisée (notamment à l’adresse des enfants et des adolescents), d’autre part la réadaptation (fonctionnelle). Si la réadaptation fut généralement présentée comme la priorité des politiques mises en place dans les années 70 et au début des années 80,

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elle était indéniablement sous-tendue par cette volonté d’intégration de la personne. En témoigne ce passage sur la question de la réadaptation émanant du Fonds National de Reclassement des handicapés en 1981 : « Permettre aux handicapés de s’intégrer dans la société, faire en sorte qu’ils deviennent des citoyens à part entière, tel est l’objectif de la réadaptation ».

Cette volonté d’intégration des personnes handicapées et l’établissement d’une définition du handicap qui soit moins médicale que sociale, traduisent finalement un changement s’inscrivant dans une dynamique générale de lutte contre l’exclusion (Ebersold, 1992). En effet, elles traduisent une orientation particulière de l’Etat social au cours des années 70, mettant en œuvre un processus de définition des populations pouvant ou devant faire l’objet d’un traitement social. Le concept de handicap permet ainsi la reconnaissance de l’existence de risques « objectifs » en matière de handicap et définit des modalités de prise en charge qui seront inscrits dans le système de protection sociale. Le handicap peut dès lors être envisagée comme un risque que la société doit traiter. Dans cette perspective, les mutilés/invalides de guerre et les accidentés du travail ont joué un rôle clé dans la mise en place de ce processus de solidarité sociale. A la sortie de la seconde guerre mondiale, il apparaissait impensable que ces figures du dévouement à la nation et à l’effort économique soient traitées de la même manière que les inadaptés sociaux et les marginaux. Cette construction du handicap comme risque objectif correspond bien à un processus de socialisation des risques sociaux sous régime assuranciel caractéristique du système d’Etat- providence (Ewald, 1986) en vigueur à l’époque.

De plus, à partir des années 70 (en France) et des années 80 (en Belgique) est relancé le débat sur la lutte générale contre l’exclusion de certaines populations et pour la réduction des inégalités sociales. La notion d’exclusion utilisée dans les années 70 servira à désigner des catégories sociales subissant les inconvénients de la société moderne (Dechamps, 1998) (disparition des solidarités, inadaptation du système scolaire, urbanisation). Le recours à la notion d’exclusion permet également de dégager l’individu de cette responsabilité individuelle quant à sa situation. La situation d’exclusion en effet est ici interprétée en termes de responsabilité de la part de la société et désigne davantage un processus social de rejet (Castel, 1995b). Il revenait dès lors à la société d’agir et plus spécifiquement à l’Etat d’entreprendre des actions de gestion et d’encadrement de ces populations d’exclus.

L’appareillage des politiques d’intégration des personnes handicapées à cette politique

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globale de lutte contre les exclusions nous paraît tout à fait pertinente, notamment en France.

Lenoir (1974) dans son ouvrage de référence sur les exclus en 1974 fera un recensement de ceux-ci où l’on retrouvera les inadaptés sociaux mais aussi les inadaptés physiques et les débiles mentaux, soit des personnes handicapées ! Comme la notion de handicap, la rhétorique de l’exclusion permet aussi de prendre en considération des situations très disparates et d’y appliquer par la suite des modes de prise en charge très différents. La notion d’exclusion permet de donner aux individus une position, un statut préalable à l’action tout comme l’a fait la notion de handicap. Politiques de lutte contre les inégalités et l’exclusion d’une part, politiques du handicap d’autre part, ont pu apparaître fortement liées dans les années 70. Mais ce n’est plus le cas aujourd’hui.

Si le concept d’exclu permet de rendre compte de situations très disparates et indifférenciées (Castel, 2003), il donne aujourd’hui une image de l’individu spécifique, proche de la figure de la victime (Vrancken, 2002) du système. Si la figure de l’exclu est mobilisée également pour recréer du lien social et pour réintégrer l’individu dans la société, elle ne se base pas sur un processus de reconnaissance de droits sociaux (comme ce fut le cas pour le handicap) mais davantage sur le rappel des droits civils de tout membre de la communauté. Il ne s’agit pas d’un processus de socialisation des risques sociaux mais d’un phénomène d’extension des droits civils. Nous sommes moins face à un principe de solidarité (ce qui était le cas pour le handicap et l’est toujours) qu’un principe de citoyenneté réaffirmé. Si l’on prend compte de ces différences essentielles, il est intéressant de dresser un parallèle entre l’utilisation de la notion d’exclusion (et son évolution) et celle de handicap. Il est par exemple significatif de constater qu’en France, la loi d’orientation en faveur des personnes handicapées s’articulant autour de la notion d’intégration est adoptée en 1975, soit la même année que la loi contre l’exclusion. Pour certains chercheurs(Baelde et all, 1999), l’idée centrale de cette loi contre l’exclusion sera justement celle d’intégration, en milieu ordinaire ou en milieu protégé, dans l’appareil scolaire ou dans le monde du travail, des personnes aidées, quelles qu’elles soient.

Ce raisonnement nous paraît valide mais à condition de fournir une datation précise. Car en 1974, la notion d’exclusion n’est pas celle qui deviendra hégémonique à la fin des années 80.

A cette époque, la notion d’exclusion renvoie à un statut de la différence au cœur de la société. Il s’agit d’une différence au-dedans et non d’une différence s’établissant au

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dehors7. Or, c’est exactement ce à quoi tend l’établissement de la catégorie du handicap : l’acquisition d’un statut au-dedans et ce, malgré la différence.

Cette acquisition d’un statut est importante. En effet, la législation en faveur des personnes handicapées se construit sur base d’une logique de discrimination positive. Selon cette logique, il s’agit de « […] mettre à disposition d’une population particulièrement fragile et infériorisée un arsenal législatif, institutionnel et financier, par conséquent spécifique, pour compenser l’écart, dû au handicap, par rapport aux valides, c’est-à-dire simplement à la moyenne des citoyens » (Stiker, 2000 : 21). Dès lors, l’accès à ces moyens spécifiques n’est possible que pour ceux définis comme ayant-droit sur base d’un repérage, d’une reconnaissance et d’une classification en tant que personne handicapée. Cette logique de discrimination positive aura aussi pour corollaire de faciliter l’indépendance du secteur du handicap par rapport aux services ordinaires d’action sociale. En effet, elle induit une spécification des moyens mis à la disposition d’une population déterminée, c’est-à-dire la spécialisation d’un secteur qui se construira à part.

La notion de handicap telle que construite impliquait que le problème de l’intégration des personnes handicapées soit clairement appréhendé comme lié à des facteurs extérieurs relevant du fonctionnement de la société et de son évolution. La responsabilité de la société dans le phénomène du handicap est parfaitement établie, le handicap devient bien un risque socialement partagé. De nouvelles causes sociétales de handicap sont mises en lumière : accidents du travail, accidents de la route. Le handicap devient une sorte de maladie de civilisation. Mais des distinctions sont tout de même observées. En effet, il existe une différence de perception du handicap en fonction de l’origine de la déficience. Ainsi, en fonction du type d’altérité (physique, sensori-moteur ou mental) subie par la personne, les régimes de prise en charge apparaissent différents. Ces types d’altérité conditionnent également le seuil d’acceptation des personnes handicapées. Les attitudes et les opinions de la population varient en fonction de ces altérités : on accepte plus facilement le mariage ou la parentalité d’une personne handicapée physique que d’une personne handicapée mentale. Il en résulte concrètement des régimes de prise en charge différents en fonction de l’origine de la déficience (accident de travail ou maladie héréditaire) et du type d’altérité. Les politiques du

7 Nous reviendrons sur ce point dans la troisième partie de ce travail. Retenons simplement pour l’instant que le mode d’exclusion du handicap est basé sur un principe d’exclusion-ségrégation alors que l’exclusion telle que répandue aujourd’hui renvoie à une exclusion-désaffiliation pour reprendre la formule de Castel. (cfr. Infra Partie 3, chapitre 7, 7.1. Handicap et exclusion : ségrégation ou désaffiliation)

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handicap en Belgique se caractériseront (comme en France) par la mise en place de filières et de dispositifs spécifiques toujours plus nombreux.

1.5. Système de prises en charge différencié

Si la notion de handicap a permis de rassembler progressivement sous une même bannière des populations et des situations vécues très différentes, il n’en reste pas moins que les modes de prise en charge qui se développent au cours des années 70 et des années 80 sont très disparates les uns des autres. Il faut tout d’abord constater qu’en Belgique, deux dispositifs législatifs concernant le handicap se sont constitués dans des approches très différents.

Le Fonds de reclassement social (1963) est adressé aux personnes accidentées du travail et aux invalides ayant en général un handicap physique alors que le Fonds de Soins médico- socio-pédagogiques (1967) concerne des populations de personnes handicapées mineures et majeures dont le handicap relevait de déficiences congénitales (déficiences mentales, physiques, sensori-motrices) et qui fréquenteront des établissements d’hébergement. Comme en France, les dispositifs mis en place furent dépendants de l’origine de la déficience et de ses causes. Dès lors, les deux fonds s’articuleront sur une vision et une perception de la personne handicapée très différentes.

Sous la même bannière du handicap va donc se déployer dans les années 70 un arsenal de dispositifs aux pratiques concrètes très diversifiées. De plus, la catégorisation en différents types de handicap a également débouché sur la mise en place de filières et de services agréés pour certains profils de personnes handicapées (lourds, modérés, légers ; mental, physique, sensori-moteur). Ces constructions de catégories du handicap (on peut même parler de statuts différents de la personne handicapée) ne sont pas des catégories médicales pures mais plutôt des construits sociaux. « le handicap n’est pas une donnée naturelle, mais un construit social qui est l’objet de luttes et, qui, comme toute division, toute classification, vise à l’imposition d’un ordre auquel chacun doit se tenir, dans lequel chacun doit tenir sa place. » (Ebersold, 1992 : ).

L’approche sociale du handicap qui se développe progressivement dans les années 70 et 80 remettra en question cette structuration du secteur. Elle aboutira finalement en 1995 à la création de l’AWIPH, résultant d’une fusion des deux Fonds. Cette fusion sera perçue comme

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l’accomplissement d’un changement qui aurait dû intervenir depuis longtemps afin de permettre la mise en place d’une politique du handicap cohérente en Wallonie (Taminiaux, 1994). Car même si des divergences de perceptions de la personne handicapée demeurent à cette époque entre les deux Fonds, il est clair que la catégorie du handicap s’est progressivement généralisée à différentes populations sans plus faire de distinctions aussi marquées entre les individus en fonction de l’origine de leur déficience. L’approche par les conséquences sociales de la déficience a permis ce processus d’atténuation des différences entre types de handicap en fonction de l’origine de la déficience. Dès lors, il devient de plus en plus logique pour les travailleurs sociaux de réclamer pour une même personne handicapée, des services et des modes de prise en charge subventionnés par les différents fonds. D’une certaine manière, l’approche sociale du handicap participe à un mouvement d’homogénéisation du champ du handicap concernant les modes de prise en charge. Pour autant, le champ du handicap apparaît très fortement structuré autour de filières et de dispositifs dont il est difficile de s’extraire. Entre la fin des années 80 et le début des années 90, il apparaît essentiel de rendre plus homogène et plus souple ces différentes filières de prise en charge. La création de l’AWIPH et du décret portant sur l’intégration des personnes handicapées au milieu des années 90 traduit cette volonté de rendre plus homogène le secteur du handicap en Belgique francophone.

Le champ du handicap a su garder son indépendance par rapport à l’aide sociale traditionnelle et l’aide aux inadaptés sociaux mais aussi par rapport au secteur médical. L’indépendance par rapport au traitement de l’inadaptation sociale peut se comprendre assez aisément mais pourtant elle ne va pas de soi. Car cette distinction est toute relative quand on s’intéresse aux conséquences sociales et surtout que l’on observe que, dans les faits, les populations défavorisées sont sur-représentées dans la population qualifiée de handicapée (Castel, 1995b). La dimension médicale du handicap a permis cette distinction entre l’inadaptation sociale et le champ du handicap. C’est sur base du diagnostic médical que cette distinction a pu se faire. Pour autant, nous l’avons déjà dit, une vision sociale va progressivement s’imposer, rendant secondaire le registre médical dans la définition du handicap. Cette dimension médicale se retrouve donc dans le diagnostic de départ de la déficience (c’est encore le cas aujourd’hui) mais aussi dans l’intervention apportée. En effet, l’objectif de réadaptation notamment fonctionnelle va se faire sur base d’une utilisation de techniques médicales qui n’auront pas pour objectif premier de guérir mais de permettre la réadaptation de l’individu. La médecine est ainsi mobilisée dans le champ du

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handicap non pour guérir mais pour adapter soit socialement, soit de manière fonctionnelle.

Le secteur du handicap s’est donc construit progressivement à l’écart du champ de l’inadaptation sociale (de l’assistance sociale) et en s’autonomisant également du champ médical (politiques de santé et registre de la maladie).

Ce lien spécifique par rapport au monde médical et de la santé s’explique aussi par la permanence de l’affection, du déficit. Alors que le malade est censé guérir au bout du traitement médical, il n’en sera jamais question pour la personne handicapée. De ce fait, les personnes souffrant d’affections se caractérisant par leur permanence et leur incurabilité vont progressivement obtenir la qualité de personnes handicapées. Il n’est ainsi pas surprenant de constater qu’au cours des années 70 et surtout des années 80, la qualité de « handicapé » va concerner de plus en plus de personnes. On peut parler d’un phénomène d’ouverture de la catégorie du handicap à des populations de plus en plus larges, celles souffrant de maladies congénitales notamment. C’est ainsi que les malades de la sclérose en plaques pourront être repris sous cette catégorie mais aussi les épileptiques, certaines populations cancéreuse, leucémique, etc. Par rapport au champ de la santé, le secteur du handicap va adopter un positionnement différent concernant l’affection dont les personnes sont atteintes. Cette affection n’est plus envisagée comme un état définitif irrémédiablement fixé par un diagnostic médical sans appel. Bien au contraire, cette affection sera considérée dans une approche plus globale, une approche de la situation, jugée évolutive et pour laquelle un travail d’adaptation sera préconisé. Ces malades se retrouvent donc face à un état qui n’est plus figé ni définitif mais dans une situation de handicap évolutive en fonction des nouvelles avancées de la médecine (adaptative) et des aménagements possibles quant à leur vie sociale ou fonctionnelle (mobilité, informatisation, etc.). Alors que la maladie, comme le déficit, sont des états définitifs, le handicap peut être surmonté ou du moins largement relativisé.

En privilégiant les dimensions sociales du déficit (de l’affection pour certaines populations), la notion de handicap donne de la situation de la personne une vision plus tolérable, plus acceptable. Cet aspect positif du handicap explique en partie l’entrée des maladies génétiques et chroniques dans le champ du handicap (Ebsersold, 1992). Nous avons connu un phénomène progressif d’extension des populations concernées. Mais cette extension n’est pas sans conséquence car la figure de la personne handicapée présentée comme accidentelle et physique (le stéréotype de la personne en chaise roulante) largement dominante dans les années 70 et 80, est aujourd’hui remplacée par la figure de la personne handicapée génétique

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ou du malade chronique (maladies neuro-musculaires, psychoses). Ce changement de figure provoquera à terme un changement dans les modes de prise en charge des personnes handicapées mais aussi dans les idéaux d’adaptation et de rééducation et finalement, quant à la question de l’intégration.

1.6. Insertion par le travail et insertion sociale

Le champ du handicap s’est structuré et homogénéisé autour de la question de la réadaptation des individus. Mais l’extension de la qualité de « handicapé » à de nombreuses populations marque un changement dans l’appréhension des personnes handicapées. En effet, si le champ du handicap s’est structuré dans un premier temps autour de la réadaptation des personnes dites handicapées, il a pris ensuite une dimension plus générale où la priorité affichée fut celle de l’intégration de ces populations. Les premiers dispositifs ont clairement été destinés à la réadaptation dans une visée précise : la réinsertion des personnes sur le marché de l’emploi.

Cette conception de l’intégration est contemporaine de l’Etat-social des trente glorieuses, qui a toujours tenté de réintégrer ces individus à travers son vecteur principal d’intégration : l’emploi (Vrancken, 2002). C’est ainsi que l’année 1963 voyait la création de la loi sur le reclassement social des personnes handicapées, la loi de réhabilitation sociale instaurant l’emploi protégé (Ateliers Protégés), l’obligation scolaire pour les enfants infirmes afin d’augmenter leur chance sur le marché du travail, l’établissement d’un système de quotas d’emplois pour les personnes handicapées dans les secteurs public et privé.

Progressivement, comme nous l’avons vu précédemment l’ouverture de la catégorie du handicap va se révéler profitable pour d’autres populations que les accidentés du travail et les mutilés de guerre. La question de la lutte contre l’exclusion va entraîner une prise en compte plus large des populations à prendre en charge. La question de l’insertion professionnelle va céder la place à une insertion sociale où la thématique de l’intégration sous ses différentes formes sera plus explicitement posée. L’objectif intégrationniste que l’on peut considérer comme sous-jacent à l’approche réadaptative et rééducationnelle devient l’objectif premier, suscitant tout un discours et une approche centrée sur le lien social, la lutte contre l’exclusion et la stigmatisation. Surtout, cette approche centrée sur l’intégration et l’exclusion entraîne un questionnement sur l’autonomie sociale de ces populations de personnes handicapées. Cette approche centrée sur l’intégration permet aussi ce mouvement d’homogénéisation du champ

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du handicap dont nous avons déjà rendu compte. La catégorie handicap devient plus généraliste et contribue à atténuer les différences dans les prises en charge et les perceptions des personnes en fonction de l’origine de leur déficience. Car le raisonnement suivi est celui de savoir si la personne est capable de mener une vie normale, non plus simplement de se réinsérer sur le marché de l’emploi.

Les années 90 illustrent parfaitement cette transformation des priorités. C’est ainsi que des préoccupations nouvelles vont progressivement émerger dans les politiques liées au handicap (mobilité, transport, autonomie, vie culturelle et sociale), la personne handicapée ne sera plus appréhendée uniquement dans son accès au marché de l’emploi ou à l’offre institutionnelle (résidentiel et hébergement). La personne handicapée sera envisagée dans un questionnement portant sur sa place au sein même de la société et dans son environnement. Cette approche intégrationniste privilégie les difficultés sociales que rencontrent des populations de plus en plus diversifiées. Dans cette approche, l’intensité du handicap devient une notion relative dans le sens où la gravité du déficit n’entraîne pas de manière mécanique un handicap d’une intensité comparable. Un déficit ou une invalidité minime peuvent ainsi provoquer un handicap très important pour la personne. Il est ainsi admis qu’une personne handicapée mentale légère (en vertu d’une évaluation du quotient intellectuel) peut être confrontée à un handicap très important pour son insertion sociale, justifiant sa prise en charge.

Cette volonté d’intégration de la personne handicapée explique également les changements apportés dans le monde des institutions fermées dans lesquelles étaient cantonnées jusque-là les personnes handicapées. A l’enfermement va se substituer un travail de « normalisation » de la personne handicapée afin qu’elle trouve place dans la société (formation, apprentissage, réadaptation, rééducation). A partir de ce moment, la sortie d’institution pourra être envisagée pour un certain nombre de résidents de ces institutions. La personne handicapée sera vue, appréhendée comme une personne à part entière, ayant le droit de vivre dans un milieu de vie ordinaire. Cette approche par l’intégration trouva d’autant plus d’échos pour les populations handicapées qu’un vaste mouvement de désinstitutionnalisation (De Baecker, 2001) traversa le secteur de l’action sociale dans les années surtout 70. Les effets constatés dans les années 90 (nouvelle figure du handicap, nouvelles priorités) trouvent donc bien souvent leurs origines dans des évolutions déjà observées dans les années 70.

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1.7. Intégration, sortie d’institution et normalisation

Il est incontestable que les années 70 ont été en Belgique les années d’un passage du mur à l’ouvert dans de nombreux secteurs de l’aide sociale et de l’éducation (De Baecker, 2001). Le mécontentement se généralise aussi bien pour les travailleurs sociaux et les éducateurs des différentes structures d’hébergement pour la jeunesse ou pour le handicap. Ce mouvement de mécontentement est généralement soutenu par les familles des personnes prises en charge. On assiste ainsi à un mouvement de dérésidentialisation et de désinstitutionnalisation. Les travaux de Goffman (1975) sur l’institution totale trouve un large écho auprès des éducateurs et des travailleurs sociaux. Les grandes institutions fermées, notamment les instituts socio- médico-pédagogiques sont vus comme de grandes institutions aliénantes, peu à l’écoute de leur population. On assiste en réaction à la création de petits services, souvent créés par des personnes privées (parents de personnes handicapées, travailleurs sociaux ou éducateurs travaillant déjà dans le secteur). Les institutions fermées fonctionnaient sur base d’une coupure souvent totale avec le monde extérieur, offrant une prise en charge globale de l’individu, mettant en place des pratiques où toutes les dimensions de la vie de la personne étaient prises en charge.

On assiste à la fin des années 70 aux premières sorties de personnes handicapées des institutions fermées. Ces individus souffraient généralement d’un handicap mental et de nouvelles modalités de prise en charge devaient être mises en place. Car cette population, si elle est désormais reprise sous la catégorie du handicap, n’en reste pas moins spécifique par rapport à d’autres populations handicapées comme les mutilés de guerre ou les accidentés du travail. Ces personnes ne connaissaient que l’enfermement au sein de l’institution, à l’abri des regards. Ces personnes étaient confinées dans des lieux souvent retirés, à l’écart de la société.

L’enfermement était la forme de prise en charge. Elle était une mesure de protection de la personne contre elle-même mais aussi une mesure de protection pour la société. L’idéal protectionnel était au fondement des modes de prise en charge de ces populations spécifiques.

Au contraire des mutilés de guerre et des accidentés du travail dont les apports à la société pouvaient être rappelés, les personnes issues de ces grandes institutions fermées pouvaient représenter un danger pour la société. L’invalide de guerre bénéficiait d’une image positive, symbole du sacrifice pour la nation. Au contraire, cette personne enfermée n’était qu’un

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infirme privé de droit et de responsabilité. L’idéal d’intégration oblige à repenser ce mode de prise en charge. Désormais, ces personnes handicapées acquièrent le droit de prendre place au sein de la société mais il n’en reste pas moins une idée de danger ou de menace pour la société. Ces populations doivent être contrôlées. Une logique de normalisation de l’individu se substitue donc à la logique de l’enfermement de l’individu (Ebersold, 1992). Etre handicapé signifie désormais avoir le droit de s’intégrer dans la société et d’être reconnu en tant que personne à part entière, de ne plus être appréhendé par le biais de sa déficience mais de ses aptitudes. La personne handicapée se voit désormais enjointe à développer les aptitudes nécessaires pour atteindre cette adaptation à son environnement, afin de s’intégrer au sein de la société dans laquelle elle se voit reconnaître une place.

Ce changement de logique marque aussi l’émergence d’une responsabilisation de la personne handicapée. Une des critiques les plus souvent émises contre le fonctionnement asilaire des institutions par les associations de personnes handicapées concerne le processus d’aliénation et de déresponsabilisation des individus. L’enfermement impliquait une irresponsabilité de l’individu face à son sort. L’approche par l’intégration bouleverse cet équilibre, la personne handicapée joue désormais un rôle essentiel dans l’amélioration de son état. Sa participation active, son implication deviennent des comportements, des attitudes élémentaires pour toute personne handicapée voulant ou prétendant à son intégration. A l’image du patient (Gonnet, 1992), acteur premier de sa remise sur pied, la personne handicapée devient l’acteur principal de son intégration. Tout un discours sur la responsabilisation de la personne handicapée se met en place où l’éloge du volontarisme de la personne handicapée sera tenu et vanté. A tel point que parfois, la tendance sera forte de présenter la personne handicapée comme seul maître de son sort et responsable de la réussite de son intégration. Cette personne doit accepter son handicap mais aussi marquer sa volonté de le dépasser, de le surmonter. Il est donc demandé à la personne handicapée de mettre tout en œuvre pour atténuer les conséquences de sa déficience, pour qu’elle adopte les signes de la normalité. L’attitude de la personne handicapée devient donc d’une importance capitale.

Il n’est dès lors pas étonnant que la responsabilité de l’individu dans l’échec d’une prise en charge soit clairement indiquée, par exemple dans l’échec d’une réinsertion à l’emploi ou tout simplement lors d’une réinsertion sociale (Ebersold, 2002). Le manque d’ambition, l’absence de motivation, la passivité, la révolte, la fragilité psychologique de la personne sont autant de facteurs d’échecs de l’intégration et qui trouvent leur fondement dans l’attitude de la personne

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handicapée. Les pratiques sociales de professionnels allant dans le sens d’une déresponsabilisation de la personne handicapée sont ainsi très nettement critiquées.

L’attribution d’allocations ou d’aides ne s’appuyant pas sur ce travail de responsabilisation de l’individu (passivité, approche par la déficience, etc.) est critiquée parce qu’elle ne permet pas l’acceptation dynamique de cette situation de handicap par la personne. La personne handicapée doit donc se montrer dans un positionnement dynamique par rapport à sa situation.

L’approche intégrationniste sera consignée dans les textes de loi dès 1975 en France avec la loi d’orientation pour les personnes handicapées et leur intégration. En Belgique, il faudra attendre l’année 1995 et le Décret relatif à l’intégration des personnes handicapées pour voir l’approche intégrationniste consacrée comme le référentiel commun des politiques du handicap (Muller, 1998). Cette différence entre la France et la Belgique dans l’émergence du référentiel d’intégration peut s’expliquer par cet idéal de l’intégration républicaine. Comme le souligne Chauvière (2004), la République a toujours conduit la France à privilégier des valeurs d’intégration et de solidarité nationale tendant vers l’universel et non vers des droits particuliers ou individuels. Il faut également noter que si la loi d’orientation française précède de 20 ans le décret wallon, l’idéal d’intégration est déjà bien présent dans le secteur du handicap belge et ce, depuis de nombreuses années (début des années 90 avec le Fonds Communautaire pour l’Intégration Sociale et Professionnelle des Personnes Handicapées notamment ).

Le décret pour l’intégration de la personne handicapée émanant de la Région wallonne apparaît en 1995 comme une nécessité pour retranscrire à travers la législation une série de changements intervenus dans la perception et l’appréhension des personnes handicapées. Ce décret définit clairement la vision de la personne handicapée : « est considérée comme handicapée toute personne mineure ou majeure présentant une limitation importante de ses capacités d’intégration sociale ou professionnelle suite à une altération de ses facultés mentales, sensorielles ou physiques, qui engendre la nécessité d’une intervention de la société8. » Il est également précisé que cette limitation de l’intégration de la personne doit correspondre à une catégorie de personnes handicapées. Nous ne sommes donc pas dans une ouverture totale de la catégorie du handicap. Le décret spécifie également que le

8 Art.2. Décret relatif à l’intégration des personnes handicapées. 6 avril 1995. Gouvernement wallon.

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Gouvernement veillera à assurer la pleine et entière participation des personnes handicapées, autant à la vie sociale qu’à la vie économique et ce, sans condition concernant l’origine, la nature et le degré de leur handicap.

Soulignons une nouvelle fois que ce décret signifie aussi l’unification des deux dispositifs législatifs concernant le handicap, à savoir le Fonds de soins médico-socio-pédagogiques et le Fonds Communautaire pour l’Intégration Sociale et Professionnelle des Personnes Handicapées. Ce dernier fonds fut institué quelques années auparavant (1991) en raison du transfert d’un certain nombre de compétences de l’Etat national vers la Communauté française. Il est significatif de voir les notions d’intégration professionnelle et d’intégration sociale reprises dans la définition de ce fonds chargé de la mise en œuvre de la politique relative à l’orientation professionnelle, la formation professionnelle et la mise au travail. Ce changement, plus qu’un simple changement de terminologie, traduira une approche visant l’intégration sociale de la personne handicapée au sein d’un dispositif ayant toujours mis l’accent sur l’intégration professionnelle.

1.8. L’universalisation du handicap

Dès sa création, nous l’avons vu, la notion de handicap s’est caractérisée par un flou manifeste l’entourant, ce qui permit très vite son utilisation pour qualifier des populations de plus en plus diversifiées tout en les regroupant sous une même bannière. La notion de handicap s’est vue utilisée dans une approche « de plus en plus sociale », rendant le diagnostic médical de la déficience secondaire par rapport à l’étude des conséquences sociales sur la vie de la personne. Ces caractéristiques de la notion de handicap sont partiellement à l’origine du processus « d’universalisation de la catégorie du handicap ». Tout au long des années 90, les frontières du monde du handicap se seront diluées. Le phénomène d’ouverture de la catégorie du handicap s’est en effet encore amplifié. Cette volonté de réduire l’importance de la déficience dans l’appréhension de la personne s’est confirmée au cours des années 80 pour perdurer dans les années 90. Ainsi, la Classification Internationale du Handicap (CIH) basée sur le raisonnement déficience-incapacité-désavantage s’est vue fortement contestée parce qu’elle apparaissait encore trop dominée par l’approche médicale. Il lui fut également reproché de maintenir l’individu comme cœur de cible des dispositifs de réparation et de compensation. (Barral, 1999). L’Organisation Mondiale des Personnes Handicapées (OMPH)

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émettra de vives critiques, notamment concernant le manque de prise en compte des facteurs environnementaux, l’utilisation d’une terminologie trop négative et la mise en évidence d’un rapport trop linéaire entre déficience et désavantage (Ville et Ravaud, 2003). Aujourd’hui, la CIH est généralement perçue comme la première avancée sociale dans la représentation du handicap mais encore trop largement empreinte de l’approche réadaptative. Pour nombre d’experts et de professionnels du handicap, cette classification n’était pas suffisamment liée aux notions de participation sociale et de contexte environnemental.

Dans cette volonté de dépassement de cette Classification Internationale du Handicap, les principes édictés par l’Organisation des Nations Unies en 1993 concernant les règles universelles de l’égalisation des chances ont joué un rôle non négligeable. Ce n’est pour autant qu’en 2001, après 7 ans de travail et de concertation que l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) remplacera l’ancienne classification par la Classification Internationale du Fonctionnement, du Handicap et de la Santé (CIF). Dans cette nouvelle mouture, le handicap n’est plus appréhendé comme un désavantage résultant d’un accident, d’une maladie ou d’un problème de santé. Le handicap est désormais perçu comme une restriction de participation sociale due aux systèmes et aux barrières mises en place par la collectivité.

Pour l’OMS, cette nouvelle terminologie se veut moins négative que celle héritée de Wood (classification CIH de 1980). Elle remplace le triumvirat déficience-incapacité-désavantage par les notions clés de fonctionnement-activité-participation. La notion de déficience est éludée et il est désormais acquis qu’il faut partir des ressources et des potentialités de la personne.

Cette approche confirme le devoir des politiques de mettre en place des stratégies et des dispositifs garantissant l’accès des personnes handicapées aux différentes dimensions de la vie sociale ordinaire (Gubbels, 2002). La deuxième classification (CIF) donne également une approche beaucoup plus détaillée et exhaustive des facteurs contextuels (facilitateurs et obstacles) et notamment des facteurs environnementaux. Il est également intéressant de constater que cette classification ne concerne pas uniquement les personnes handicapées mais qu’elle s’applique à tout état de santé lié à une pathologie quelconque et présente même un intérêt pour les maladies rares. La CIF prend en compte les aspects sociaux du handicap et propose une méthodologie pour établir l’impact de l’environnement social et physique sur le fonctionnement d’une personne. La CIF met ainsi toutes les maladies et toutes les pathologies sur le même pied d’égalité, quelle que soit la cause (qui n’est même plus qualifiée de

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déficience). Cette approche ne faisant plus référence de manière explicite à la déficience permet en même temps une ouverture vers de nouvelles populations.

Dans cet ordre d’idées, les principes généraux établis pour le nouvel arrêté du Gouvernement wallon relatif aux conditions d’agrément et de subventionnement des services d’aide précoce et des services d’accompagnement pour adultes destinés aux personnes handicapées9 sont très éclairants. L’accompagnement est ainsi présenté comme consistant à favoriser la participation active et personnalisée des bénéficiaires à la réalisation de leurs projets et le développement de leur citoyenneté dans leur milieu de vie. Cette participation active sera ainsi encouragée en partant d’une valorisation des compétences de la personne. Il n’est nullement fait référence à une quelconque déficience ou même à un handicap. Par contre, les thèmes de la participation et des compétences de la personne sont très largement abordés et détaillés.

L’influence des pays nord-américains (Etats-Unis, Canada) et plus globalement, anglo- saxons, se fait particulièrement sentir dans la mise en place de ces nouveaux modes de définition du handicap. Les mouvements de personnes handicapées seront particulièrement actifs dès le milieu des années 70 aux Etats-Unis et s’organiseront très fortement. Très rapidement, ces mouvements trouveront un écho au niveau international avec la création de l’Organisation Mondiale des Personnes Handicapées (OMPH, créée à Winnipeg en 1981). Le milieu scientifique anglo-saxon s’est également développé autour d’un champ interdisciplinaire d’études et de recherches sur le handicap : les Disability Studies. Ce nouveau mouvement de recherche va mettre en exergue les facteurs environnementaux mais aussi sociaux, politiques et économiques qui contribuent à l’exclusion des personnes handicapées. Il met également l’accent sur les droits des personnes handicapées et sur l’amélioration de leurs conditions de vie (Boucher, 2003 ).

Il est également significatif de constater que les spécialistes américains imposent aujourd’hui une définition du retard mental mettant l’accent sur le rapport interactif qu’entretiennent la personne et son environnement. Ce rapport interactif est considéré comme à l’origine d’un processus de production de situations de handicap (Fougeyrollas et all., 1996). Il est également intéressant de relever la nouvelle définition du retard mental proposée par

9 Art. 3. Chapitre Ier. Principes généraux. Arrêté du gouvernement wallon relatif aux conditions d’agrément et de subventionnement des services d’aide précoce et des services d’accompagnement pour adultes destinés aux personnes handicapée. Février 2004.

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