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La poésie solennelle

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Academic year: 2021

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Submitted on 4 Jan 2017

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Katia Zakharia

To cite this version:

Katia Zakharia. La poésie solennelle. Thierry Bianquis, Pierre Guichard, Mathieu Tillier. Les débuts

du monde musulman (VIIe-Xe siècle). De Muhammad aux dynasties autonomes, PUF, pp.343-352,

2011, Nouvelle Clio, 978-2-13-055762-3. �hal-01426549�

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« La poésie solennelle »

Par Katia Zakharia Université Lumière Lyon 2

Il n’est guère possible de parler de la poésie dans le monde arabo-musulman sans un retour rapide à ses débuts, dans la société tribale pré-islamique où elle jouait un rôle si essentiel que l’islam naissant dût affirmer énergiquement la différence entre prophétie et poésie, tout en s’interrogeant sur la licéité de cette dernière (Cl. Gilliot, 2001)

Ce rappel est d’autant plus nécessaire que les règles de la métrique classique, formalisées par al-Khalîl b. Ahmad (m. v. 790) ont perduré sans système concurrent jusqu’au XX° s.

Composé oralement par le poète, selon ces règles, le poème était transmis oralement par le râwî (transmetteur « professionnel » et apprenti poète attaché à un poète confirmé). Les râwiya (grands transmetteurs sans attache à un poète particulier) collecteront ensuite ce corpus oral qui sera mis par écrit. Ce corpus a inévitablement subi d’innombrables altérations, accidentelles ou délibérées, qui rendent son authentification difficile.

Les sources véhiculent les noms d’une centaine de poètes pré-islamiques des V° et VI° s., qu’elles classent parfois, en fonction de leur talent (fahl, khindîd, shâ‘ir, shu‘rûr), du type de poèmes qu’ils ont composé (mu‘allaqa, mujamhara, mudhahhaba, marthiya, mashûba, mulhama), de l’abondance de leur production (mukthir, muqill), de leur classe d’âge, de la période à laquelle ils ont vécu (jâhilî, mukhadram) ou de leur place dans la tribu, poètes brigands ou sa‘âlik, chevaliers ou fursân, chefs de clan (umarâ’ et mulûk), porte-parole de telle tribu... Les biographies de ces poètes mêlent réalité et légende. Déjà les anciens les trouvaient sujettes à caution.

Seuls seront mentionnés quelques poètes pré-islamiques célèbres, modèles ou contre- modèles des générations suivantes. Les dates de leur mort sont surtout indicatives.

La mu‘allaqa est le parangon de la poésie pré-islamique. Elle constitue le corpus archaïque le plus étudié à nos jours (P. Larcher, 1994, 2000, 2004). Les poètes auxquels on attribue une mu‘allaqa sont : Tarafa b. al-‘Abd (m. 500), Imru’ al-Qays (m. 550), ‘Abîd b. al- Abras (m. v. 550), al-Hârith b. Hilliza (m. 580), ‘Amr b. Kulthûm (m. 600), al-Nâbigha al- Dhubyânî (m. 604), ‘Antara b. Shaddâd (m. 615), Zuhayr b. Abî Sulmâ (m. 615) al-A‘shâ (m. 629), Labîd b. Rabî’a (m. 662)

depuis septembre 2015, Ciham (UMR 5648)

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Les sources soulignent le pouvoir guerrier et politique de poètes comme Zuhayr b.

Jannâb (m. 500), Muhalhil (m. 531) et Samaw’al (m. 560). Ce dernier est le plus connu des poètes juifs de l’Arabie pré-islamique. Hâtim al-Tâ’î (m. 506) préfigure par sa noblesse et sa générosité les poètes-chevaliers de l’Islam tels ‘Amr b. Ma‘dîkarib (m. 643) ou Abû Mihjan al-Thaqafî (m. 650). Ces vertus se retrouvent, sous d’autres formes, chez les poètes brigands, dont Shanfara (m. 510), Ta’abbata Sharran (m. 530) ou ‘Urwa b. al-Ward (m. 596).

En poésie, le paganisme n’était pas incompatible avec la sagesse et certains poètes sont réputés pour leurs vers gnomiques comme Waraqa b. Nawfal (m. 592), Zayd b. ‘Amr (m. 620), Umayya b. Abî al-Salt (m. 624) ou l’évêque de Najrân, Quss b. Sâ‘ida (m. 600), également considéré comme le père de l’art oratoire arabe.

Le thème de l’amour dans la poésie connaîtra son essor sous les Umayyades mais certains poètes pré-islamiques en ont parlé de manière remarquable, tels al-Muraqqash al- Akbar (m. 552) ou ‘Abd Allâh b. ‘Ajlân (m. 566).

Les sources ont également conservé la mémoire de quelques poétesses, connues surtout pour des élégies funèbres, dont al-Khansâ’ (m. 646) est la plus célèbre. Sans doute poétesse comme son frère Tarafa, Khirniq (m. 570) avait pour oncles les poètes al-Mutalammis (m. 580) et al-Muraqqash al-Asghar (m. 570), lui-même neveu d’al-Muraqqash al-Akbar. En effet, le savoir-faire des poètes était transmis dans la famille (parfois la tribu), généralement d’oncle à neveu, le plus souvent du côté maternel.

La tradition qualifie la poésie archaïque de dîwân al-‘arab (divan des Arabes). En effet, cette poésie, les commentaires qui l’explicitent et les récits en prose qui relatent les étapes sa composition, de sa réception et sa transmission représentent des « documents » permettant de connaître la vie de ceux qui l’ont produite, leur vision des mondes animal, végétal, minéral et humain, leurs codes et valeurs, leurs attentes et leurs craintes. Mais, surtout, la poésie archaïque apparut, dès les premiers temps de l’islam, comme le réservoir linguistique pouvant aider à lire, comprendre et interpréter le Coran. Cette fonction était d’autant plus importante que la lexicographie (d’ailleurs fondée sur cette poésie) est plus tardive. Cela, et le développement des études sur la langue (toujours dans le but de décoder le texte fondateur), avec les approches contrastées des deux écoles de Kûfa et de Basra, ont servi de moteur à la recension de la poésie et à sa consignation écrite. Cette fonction prendra le pas sur les réserves d’ordre moral que la poésie pouvait susciter.

La collecte du corpus poétique préislamique fut entreprise par les râwiya, les

grammairiens, les récitants ou les commentateurs du Coran, certains savants alliant les

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différentes compétences. L’idéal consistait à prendre les vers de la bouche même des bédouins. Ainsi, les haltes caravanières, particulièrement le Mirbad à Basra, devinrent pendant quelques décennies le haut lieu de la collecte de la poésie et des cercles poétiques.

Les principaux « spécialistes » de la recension de la poésie préislamique ou des débuts de l’Islam et de sa consignation, qu’ils aient eu ou pas une autre activité, sont :

- Hammâd al-Râwiya (m. 772), un mawlâ daylamite de l’école de Kûfa est à l’origine d’une partie conséquente du patrimoine poétique archaïque, dont les fameuses mu’allaqât. Apprécié des Umayyades, il n’en était pas moins très contesté en raison des nombreux apocryphes dont il agrémentait sans vergogne sa transmission.

- al-Mufaddal al-Dabbî (m. v. 784) était, au contraire, réputé pour sa fiabilité dans la transmission de la poésie et du Coran. Protégé d’al-Mahdî (m. 778), il rassemble, à partir d’une collecte orale de leurs vers, la production des poètes muqillûn, dans ses Mufaddaliyyat, la première anthologie mise par écrit de la poésie ancienne.

- Khalaf al-Ahmar (m. v. 796) est un mawlâ originaire de Farghâna. Un temps l’élève de Hammâd al-Râwiya, il est classé parmi les basriens. Comme son maître, on lui reproche ses apocryphes. Outre son apport à la poésie, Khalaf a gagné sa réputation en formant le fameux poète Abû Nuwâs (m. 815).

- Abû ‘Amr al-Shîbânî (m. 821) est un mawlâ qui a vécu à Kûfa. Fin connaisseur du hadîth et de la poésie, il classe les poèmes qu’il rassemble par tribu, dans le Kitâb ash‘âr al-qabâ’il.

- al-Asma‘î (m. v. 828) est l’un des chefs de file des philologues de Basra, ville qu’il quitte pour Bagdad sous le califat d’al-Rashîd (m. 809). Il doit en partie à Khalaf al-Ahmar sa connaissance de la poésie. On lui doit une célèbre anthologie dite al-Asma‘iyyât.

Les générations suivantes institueront progressivement la critique formelle de la poésie, et son esthétique. C’est désormais aux experts de la langue que revient l’autorité dans l’évaluation de la poésie. Le basrien Ibn Sallâm al-Jumahî (m. v. 845) inaugure, avec ses Tabaqât fuhûl al-shu‘arâ’, un genre (les classes générationnelles ou géographiques dans la poésie). Abû Zayd al-Qurashî, dont on ne sait rien, laisse Jamharat ash’âr al-‘arab, supposée réunir les quarante-neuf plus beaux poèmes. Les poètes à leur tour criblent la poésie. Abû Tammâm (m. 845) compose une anthologie thématique, Kitâb al-Hamâsa, imité par son disciple et protégé al-Buhturî (m. 897). Mais c’est surtout Ibn Qutayba qui codifie la poésie et définit le classicisme, avec Kitâb al-shi‘r wa-l-shu‘arâ’, dans le préambule duquel figure la première définition formelle de la qasîda (sur son rôle, voir infra « Du kâtib à l’adîb »).

L’étude du badî‘ deviendra une discipline autonome, à partir des deux ouvrages d’Ibn

al-Mu‘tazz (m. 908), Kitâb al-Badî‘ et Kitâb tabaqât al-shu‘arâ’ consacré aux poètes

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novateurs (muhdathûn), et du Kitâb naqd al-shi‘r de son contemporain Qudâma b. Ja‘far, auquel on attribue, de manière erronée un Kitâb naqd al-nathr.

Enfin, dernier type de sources pour la connaissance de ce corpus, les collections d’adab, d’esprit encyclopédique, dans lesquelles la prose est abondamment émaillée de vers, qu’ils soient au centre du propos (comme les poèmes chantés dans le Kitâb al-aghânî ) ou qu’ils servent à l’illustrer (comme dans le Kitâb al-bayân wa-l-tabyîn).

On considère généralement que la production poétique, prolixe dans le monde tribal, connut une accalmie au début de l’Islam, pour retrouver son élan sous les Umayyades. Que l’on se soit détourné de la poésie au profit d’aspirations spirituelles ou militantes ou que, plus probablement, la censure ait épuré le corpus, comme elle a toiletté les vers archaïques, faisant disparaître la plupart des références au paganisme, le fait est que seuls quelques poètes marquent cette période. Mais la poésie ne disparaît à aucun moment et le prophète lui-même, selon les usages de son temps, a recours aux services de Hassân b. Thâbit (m. 673) ou de Ka’b b. Zuhayr (m. 644) pour la propagande ou la satire. Ma‘n b. Aws (m. 649) compose des panégyriques (madîh, umdûha) à la gloire des Compagnons. L’appartenance à l’islam vient désormais concurrencer l’appartenance à la tribu dans le discours poétique.

Sous les quatre premiers califes, l’évaluation morale de la poésie se confirme. On assure que l’on peut réciter des vers à la condition qu’ils soient « purs », ou qu’il ne convient pas qu’un musulman fasse la satire d’un autre musulman. Ainsi, ‘Umar b. al-Khattâb exige d’al- Hutay’a (m. v. 665), un poète démesurément friand de satire, qu’il s’interdise toute satire d’un coreligionnaire. Mais le calife échoue à empêcher l’utilisation injurieuse de la poésie, notamment dans les querelles opposant les poètes de Quraysh à ceux du Yémen.

Le paysage poétique umayyade est dominé par six poètes qui trouvent leur place dans le panorama général qui est présenté maintenant.

Les Umayyades redonnent à la poésie une place centrale. Ils sont conscients de son

efficacité pour influer sur les divisions politiques, religieuses et tribales mais ils sont

également généreux avec les poètes, amateurs de beaux vers et sensibles à l’agrément de la

poésie de loisir. Le panégyrique devient le moyen pour le poète de gagner sa subsistance,

mais il est encore possible de classer les poètes selon leur origine tribale et d’y voir une

explication de leurs prises de position et du choix de leurs mécènes. L’émergence d’une classe

de poètes mawlâ modifie progressivement cette donnée. Les sanctions que le monde tribal

appliquait aux poètes aux propos injurieux sont encore présentes. Mu‘âwiya, quoiqu’il ait

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encouragé les poètes à attaquer les Ansars, envisagea un temps de faire trancher la langue d’al-Akhtal (m. 710) qui l’avait fait. Les joutes poétiques opposant Jarîr (m. 729) à Farazdaq (m. 728) et al-Akhtal enflamment les auditeurs. Elles se perpétueront entre Bashshâr b. Burd (m. 784) et Hammâd ‘Ajrad (m 775) puis Abû al-‘Atâhiya (m. 826) et Wâliba b. al-Hubâb (m. v. 786).

Certains poètes s’affichent clairement partisans des Umayyades ou sont considérés comme tels par l’histoire littéraire. C’est le cas d’Abû Sakhr al-Hudhalî (m. 700), Miskîn al- Dârimî (m. 708), ‘Adiy b. Zayd dit aussi Ibn al-Raqqâ‘ (m. 714), ‘Abd Allâh b. Khârija, dit A‘shâ Rabî‘a (m. 718) ou Abû al-‘Abbâs al-A‘mâ (m. 753).

Les Umayyades accueillent favorablement les poètes aux sympathies ‘alides qui font leur panégyrique tels al-Na‘mân b. Bashîr al-Ansârî (m. 684) ou Ibn Mufarrigh al-Himyarî (m. 688). Ils exigent d’eux parfois qu’ils composent à leur gloire, contraignant par exemple Ayman b. Khuraym al-Asadî (m. 700) à faire le panégyrique du calife ‘Abd al-Malik b.

Marwân (m. 705). Mais les Umayyades pouvaient aussi prendre ombrage de ceux qui pleuraient la mort de ‘Alî ou d’al-Husayn trop ostensiblement à leur goût, comme Abû al- Aswad al-Du’alî (m. 688) et surtout al-Kumayt (m. 743). Célèbre pour sa connaissance remarquable de la culture pré-islamique, autant que pour ses positions politiques, al-Kumayt a composé des poèmes à la gloire des Banû Hâshim, les Hâshimiyyât.

Kharijites/ ibadites et Zubayrides ne sont pas en reste. Al-Tirrimâh b. Hakîm (m. 718) compose à la gloire des premiers des vers marqués par son goût des raria. Ismâ‘îl b. Yasâr al- Nisâ’î (m. 728), partisan des Zubayrides, est un des premiers poètes à faire état dans ses vers d’une préférence pour les ‘ajam, bien qu’il soit prématuré de parler ici de shu‘ûbiyya.

Il arrive que les poètes changent de camp. ‘Abd Allah b. al-Zubayr (m. 695), un homonyme du chef rebelle, cessa de soutenir les Umayyades après sa rencontre avec Mus‘ab b. al-Zubayr (m. 691). Parfois, les poètes séduisent leurs ennemis plus que les membres de leur clan. L’umayyade Abû Qatîfa (m. 690) agaçait ‘Abd al-Malik en chantant sa nostalgie de Médine dont Ibn al-Zubayr l’avait chassé. Touché, ce dernier l’autorisa à y revenir.

Les grandes figures de l’État ont, de leur côté, leurs panégyristes et leurs cercles de poètes. Les Muhallabides s’entourent de Ka‘b al-Ashqarî (m. 700), Ziyâd al-A‘jam (m. 718), Thâbit b. Ka‘b dit Qutna ou Hamza b. Bîd (m. 734). Ce dernier aurait reçu 100 000 dirhams pour un seul poème destiné à Makhlad b. Yazîd b. al-Muhallab.

Quel que fut leur talent, tous ces poètes passent au second plan, comparés à ceux que les

sources anciennes considèrent comme les ténors de l’époque, six poètes dont les trois

premiers surpassaient encore tous les autres :

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- Al-Akhtal, poète chrétien de la tribu de Taghlib, vivait entre son clan et la cour. ‘Abd al- Malik le surnomma « poète des Banû Umayya », puis « poète du Commandeur des croyants », enfin « poète des Arabes ». Refusant de se convertir à l’Islam, il se présenta une fois au calife, vêtu de soie, la barbe dégoulinant de vin, une grande croix sur la poitrine.

- Jarîr est issu de la tribu de Tamîm. Il quitte la steppe et vient à Damas à la recherche d’un mécène. Il rencontre d’abord Yazîd b. Mu’âwiya (m. 683) puis, par l’intermédiaire d’al-Hajjâj (m. 714), ‘Abd al-Malik. Ce dernier lui aurait fait don, pour son premier poème, de cent chamelles laitières et huit chameliers. Sa vie domestique tumultueuse avec sa cousine et épouse al-Nawâr, enchante les poètes satiriques, surtout al-Farazdaq.

- Al-Farazdaq est aussi de Tamîm mais son clan est si noble qu’il déclame ses panégyriques assis devant les califes. La tradition considère que « sans la poésie d’al-Farazdaq, un tiers de la langue des Arabes [de l’Arabie pré-islamique] aurait été perdu, et la moitié des histoires illustres ». Partisan de ‘Alî, il échappe aux sanctions en menaçant ses adversaires de satire.

Al-Farazdaq n’est pas un poète des Umayyades mais, par peur ou par prudence, il fait le panégyrique de leurs proches.

La querelle poétique de quarante ans qui oppose Jarîr et al-Farazdaq est consignée dans les Naqâ’id. Une naqîda consiste à adresser à l’adversaire un poème satirique, sur la vie tribale, auquel il répondra par un poème de même mètre et de même rime réfutant le premier.

Al-Akhtal fut mêlé à cette querelle et ses Naqâ’id avec Jarîr font aussi l’objet d’un recueil.

Les Naqâ’id sont un monument poétique et un réservoir d’informations sur les Jours des Arabes, les coutumes tribales, les subtilités linguistiques, mais aussi sur les mutations de la poésie.

- ‘Abîd b. Husayn (m. 708), surnommé al-Râ‘î (le chamelier) pour ses nombreux vers sur le chameau, a vu sa carrière freinée par son intervention malheureuse dans la querelle de Jarîr et d’al-Farazdaq, après que Jarîr l’eut cruellement fait taire par l’une de ses satires.

- Al-Ahwas (m. 723) était connu pour ses satires et ses vers d’amour. Sa vie désordonnée lui valut d’être exilé par le calife al-Walîd b. ‘Abd al-Malik (m. 715).

- Abû al-Najm al-Râjiz (m. 747) contribue, à l’instar d’al-‘Ajjâj (m. 708) et de son fils Ru’ba (m. 762), à donner sa place dans la littérature au poème en mètre rajaz jusque-là considéré comme un genre mineur. Les sources conservent le récit d’une savoureuse joute en rajaz entre lui et al-‘Ajjâj sur le Mirbad.

Sous les Umayyades, les poètes se présentaient à Damas mais repartaient, notamment

vers la steppe. Avec les Abbassides et l’essor de Bagdad ou Samarrâ, puis l’éclosion de

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multiples foyers de pouvoir politique et de rayonnement poétique (Rayy, Alep, etc.), califes, émirs et grands personnages de l’État s’entourent d’un cercle permanent de panégyristes qui amassent des fortunes colossales et mènent un train de maison princier.

Dans le microcosme de l’élite, la poésie est désormais partout. Les vers ornent les murs, les bagues, les vêtements, les ceintures, les foulards, les mouchoirs, les brodequins, les instruments de musique, la vaisselle ou les tentures... Certains se font même marquer, au henné, des vers sur le front.

Comme leurs prédécesseurs, les Abbassides organisent des cercles de poésie, invitant les poètes, contre de fortes récompenses, à identifier l’auteur d’un vers, à réciter des poèmes ou à en improviser sur un thème imposé. Le mécénat favorise le développement d’une poésie solennelle et la poésie laudative devient, quantitativement, le genre majeur, suivie de près par la satire, l’arme par laquelle les poètes se défendent contre les abus de leurs bienfaiteurs et les ambitions de leurs concurrents. La prolifération des panégyriques ne porte pas préjudice à leur qualité : les poètes qui marquent l’époque, quels que soient les genres dans lesquels ils ont composé, sont d’abord de grands panégyristes. De plus en plus ils louent les vertus du plus puissant ou du plus offrant. Ainsi, après avoir été le commensal de l’umayyade al-Walîd b.

Yazîd, Hammâd ‘Ajrad sera, un temps, le protégé d’al-Mansûr (m. 775).

Par leur munificence, les Abbassides s’entourent des principaux poètes de l’époque, même les opposants ou les récalcitrants. Abû Dulâma (m 777), Bashshâr b. Burd, Marwân b.

Abî Hafsa (m 798), Salm al-Khâsir (m. 802), Mansûr al-Namarî (m. 805), Abû Nuwâs, Abû al-‘Atâhiya, Abû Tammâm, ‘Alî b. al-Jahm (m. 863) ou Al-Husayn b. al-Dahhâk (m. 864) chantent leur gloire. La récitation publique des panégyriques se déroule selon un cérémonial précis. Mais les califes, sous l’effet de la colère ou la contrainte des bien-pensants, sévissent parfois de manière imprévisible avec leurs poètes, autant qu’ils les traitent généreusement.

Bashshâr b. Burd, Abû Nuwâs ou Abû al-‘Atâhiya en firent l’expérience.

Les Barmécides, jusqu’à leur disgrâce, rivalisent de générosité avec les Abbassides et de nombreux poètes ont composé des panégyriques à leur gloire, à l’instar d’Abân b. ‘Abd al- Hamîd al-Lâhiqî (m. v. 815), Ibn Munâdhir (m. 813), Al-Raqâshî (m. 815), Muslim b. al- Walîd (m. 823) ou Ashja‘ al-Sulamî (m. v. 811).

Tous les membres influents de la cour ont leurs laudateurs. Ja‘far b. al-Mansûr est le

mécène de Mutî‘ b. Iyâs (m. 785), Ibrâhîm al-Mawsilî (m. 804) d’Ibrâhîm b. Siyâba/ Ishâq al-

Kâtib ; Ibrâhîm b. al-Mahdî (m. 839) protège Muhammad b. Umayya (m. 845), le secrétaire

Ibn al-Mudabbir (m. 893) Muhammad b. Sâlih (m. 864).

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La contestation chiite a toujours ses chantres, dont les plus célèbres sont al-Sayyid al- Himyarî (m. 789), Dîk al-Jinn (m. 850) et Di‘bil al-Khuzâ‘î (m. 860). Ce dernier, grand satiriste, épingla successivement les califes al-Rashîd, al-Ma’mûn (m. 833), al-Mu‘tasim (m. 842) et al-Wâthiq (m. 847).

Comme dans les époques précédentes, on trouve quelques poétesses. Fadl, servante d’al-Mutawakkil (m. 861), tenait salon et s’engageait dans des joutes poétiques avec des poètes comme Abû Dulaf al-‘Ijlî (m. 840) ou ‘Alî b. al-Jahm (m. 863).

On l’aura compris, ces décennies sont l’âge d’or du panégyrique. Dans ce riche panorama, quelques panégyristes se distinguent :

- Bashshâr b. Burd est souvent considéré comme le poète le plus remarquable de son temps.

Sa poésie s’est en grande partie perdue. D’abord opposé aux abbassides, en raison de ses fortes sympathies ‘alides, ce poète à la langue acérée met son talent à leur service quand ils arrivent au pouvoir. Ce retournement ne lui réussit pas et il sera mis à mort.

- Abû al-‘Atâhiya quitte Kûfa, où il exerçait le métier de potier pour Bagdad où il devient rapidement membre du cercle du calife al-Mahdî. Arrivé au pouvoir, al-Rashîd lui attribue une allocation de 50 0000 dirham, à laquelle s’ajoutent les récompenses ponctuelles du calife ou de ses proches, dont certains lui allouaient également une allocation annuelle.

- Abû Tammâm suscita, de son vivant même, des querelles virulentes quant aux qualités de sa poésie, tantôt géniale, tantôt absconse et controuvée. Panégyriste d’al-Mu‘tasim, il livre dans sa poésie quelques données historiques sur des événements qu’il traite bien évidemment en les amplifiant et magnifiant. Son poème sur la prise d’Amorium est à cet égard exemplaire.

- Buhturî chante les califes al-Mutawakkil, al-Muntasir (m. 862), al-Musta‘în (m. 866), al- Mu‘tazz (m. 869), al-Muhtadî (m. 870) et al-Mu‘tamid (m. 892). Inquiet de voir les impôts dévorer sa fortune immense, gagnée par la poésie laudative, il quitte l’Iraq sur un dernier poème à la gloire d’al-Mu‘tadid (m. 902) et des Abbassides, pour l’Égypte, où il propose ses poèmes à Khumârawayh b. Tûlûn (m. 896).

- Ibn al-Rûmî (m. 896) a été souvent considéré par la critique moderne moins comme un panégyriste exceptionnel que comme un poète dont la paranoïa expliquait l’originalité des descriptions ou le mordant des satires. Deux études récentes lui redonnent largement la place qui lui revient parmi les panégyristes marquants (B. Gruendler, 2003 ; R. McKinney, 2004).

L’affaiblissement du califat et l’émergence de nouveaux centres de pouvoir fait naître

des foyers culturels concurrents de Bagdad, une ville où la poésie entre progressivement en

léthargie, malgré des poètes comme al-Bassâmî al-Baghdâdî (m. 914) dit Ibn Bassâm (à ne

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pas confondre avec son homonyme andalou), al-Khubz Aruzzî (m. 939), tenant son nom du pain de riz qu’il fabriquait, Ibn al-‘Allâf (m. 930) ou ‘Abd Allâh al-Salâmî (m. 984).

Les nouveaux hommes forts de l’État abbasside ont la passion de la culture. Les Buyides et les Hamdanides sont férus de poésie et amateurs de belle prose. A la cour buyide, Abû al-Fadl b. al-‘Amîd (m. 970) est surnommé « le nouveau Jâhiz ». Son fils Abû al-Fath b.

al-‘Amîd (m. 977) est « l’homme aux deux compétences » (la plume et l’épée) et leur vizir, al-Sâhib b. ‘Abbâd (m. 995), bibliophile, poète et amateur de prose rimée, fut sans doute l’un des mécènes les plus généreux et les plus versatiles de l’Empire. Al-Muhallabî (m. 963),

« l’homme aux deux vizirats », lui-même poète talentueux, tenait deux cercles hebdomadaires de poésie. ‘Adud al-Dawla (m. 983), poète et grammairien, attire tous les grands poètes de l’époque. ‘Izz al-Dawla Bakhtiyâr (m. 978) était lui aussi poète à ses heures alors qu’à la cour hamdanide, le prince Abû Firâs (m. 968) fut l’un des plus grands poètes de sa génération.

Emprisonné quatre ans par les Byzantins, il a composé des poèmes de captivité regroupés dans les Rûmiyyât.

Rares sont désormais les poètes attachés à une maison ou à une cour. Beaucoup vont de mécène en mécène et ces derniers les collectionnent comme des « pierres précieuses sur un diadème » (J. Kraemer, 1992, Humanism, 53). L’exemple de Mutanabbî (m. 955), dernier grand panégyriste, est éclairant : après sept ans passés à Alep, à chanter Sayf al-Dawla (m. 968), il met son talent au service de Kâfûr al-Ikhshîdî (m. 968) puis s’enfuit d’Égypte pour Bagdad, où il ne parvient pas à accéder à la cour d’al-Muhallabî. Il se rend alors à Arrajân, chez Ibn al-‘Amîd. De là, il accepte l’invitation de ‘Adud al-Dawla pour Shîrâz. Il sera tué sur le chemin du retour en Iraq dans une attaque de pillards bédouins.

La poésie de Mutanabbî montre le hiatus entre le panégyriste par conviction (l’éloge de Sayf al-Dawla) et le technicien du panégyrique, mettant en œuvre avec adresse des formules éprouvées. Sa biographie montre que les rivalités entre les poètes, si elles ne sont plus le reflet des rivalités de leur clan, n’en sont pas moins toujours violentes : ce sont des querelles de courtisans qui éloignent le poète de la cour hamdanide et c’est l’opposition de lettrés en place chez al-Muhallabî qui lui ferment sa porte. Car, même s’ils ne sont pas tous passés à la postérité, ce ne sont pas les poètes qui manquent.

Ainsi, Sayf al-Dawla rassemble en sa présence, entre autres poètes, al-Sariyy al-Raffâ’

(m. v. 973), Sa‘îd b. Hishâm (m. 961) et son frère Muhammad b. Hishâm (m. 990),

surnommés al-Khâlidiyyân, al-Nâmî (m. 1009) que le prince appréciait particulièrement, ou

encore Kushâjim (m. v. 961), al-Wa’wâ’ al-Dimashqî (m. v. 995), Muhammad b. ‘Abd Allâh

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al-Salâmî (m. 1003), al-Babbaghâ’ (m. 1007) ou Ibn Nubâta al-Sa‘dî (m. 1015) (à ne pas confondre avec son homonyme égyptien)

Est-ce en raison de l’orientation shi‘ite des émirats buyide et hamdanides ? La poésie contestataire et apologétique du shi‘isme n’a pas de poète majeur au début du X° mais elle connaîtra quelques décennies plus tard, deux de ses plus grands chantres, al-Sharîf al-Radîyy (m. 1015) et Mihyâr al-Daylamî (m. 1037).

La poésie de cour a vu fleurir d’autres genres, moins omniprésents que le panégyrique,

qu’il n’est pas possible d’examiner ici. Deux autres genres sont prépondérants. Orientés

davantage vers les loisirs, corollaires du chant et des cercles bachiques, ces deux genres ont

été examinés dans le chapitre précédent.

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