HAL Id: hal-01140236
https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01140236
Submitted on 10 Apr 2015
HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers.
L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés.
Le développement de la discrimination des expressions faciales émotionnelles chez les nourrissons dans la
première année
Laurie Bayet, Olivier Pascalis, Édouard Gentaz
To cite this version:
Laurie Bayet, Olivier Pascalis, Édouard Gentaz. Le développement de la discrimination des expressions
faciales émotionnelles chez les nourrissons dans la première année. Annee Psychologique, Centre Henri
Pieron/Armand Colin, 2014, 114 (03), pp.469-500. �10.4074/S0003503314003030�. �hal-01140236�
Le développement de la discrimination des expressions faciales émotionnelles chez les nourrissons dans la première
année
Laurie Bayet 1 , Olivier Pascalis 1 et Edouard Gentaz 1,2
1 CNRS, Laboratoire de Psychologie et NeuroCognition, UMR 5105, Université Pierre Mendès France, France
2 Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Education, Université de Genève, Suisse
Titre courant : Discriminer les émotions faciales émotionnelles
Correspondance : Laurie Bayet, Laboratoire de Psychologie et NeuroCognition, SHS, Domaine Universitaire, Université Pierre Mendès France, 1251 avenue centrale, BP 47, 38040 Grenoble Cedex 9, France
E-mail: Laurie.Bayet@upmf-grenoble.fr
Résumé
Cette revue présente une synthèse des études examinant la discrimination des expressions faciales émotionnelles chez les nourrissons durant la première année de vie. Ces études montrent 1) une sensibilité aux changements d’expression faciale ainsi qu’une attirance pour les visages joyeux, probablement dès les premiers jours après la naissance et sûrement lors des premiers mois, 2) la capacité de distinguer les visages joyeux d’autres expressions après les premiers mois, 3) une attirance plus tardive, vers 6 à 7 mois, pour les visages de peur due à une modulation de l’attention, 4) l’émergence à 6 à 7 mois de la capacité à distinguer entre elles les expressions autres que le sourire. Nous discutons enfin de l’aspect intrinsèquementémotionnel de cette discrimination précoce des expressions faciales émotionnelles, plus ou moins laissé en suspens par les études recensées, de même que l’explication causale de son développement.
Mots clefs : perception, visage, émotion, nourrisson Abstract:
Here we review the studies of emotional facial expression discrimination by newborns and
infants in the first year of life. These studies show that 1) sensitivity to changes in facial
expression and an attraction to smiling faces might exist in newborns, and are presents in the
first months of life, 2) the ability to discriminate joy from several other expressions appears
before 6 months of age, 3) older infants (aged of 6 or 7 months) show an attraction to fearful
faces due to attentional effects and 4) those older infants begin to develop the ability to
discriminate between several expressions other than joy. We then discuss the sensitivity of the
infants to the genuinely emotional content of facial expressions, which is left more or less
unresolved by the reviewed studies, and some possible causal explanations for
itsdevelopment.
Keywords: Perception, face, emotion, infant
1 Introduction
L’étude des émotions est maintenant une question classique en sciences cognitives. On peut distinguer deux grandes approches dans la littérature: la première, largement majoritaire, s’intéresse aux relations entre les émotions et la cognition et à la nature per se des émotions, essentiellement chez l’adulte (pour une revue, voir Sander & Scherer, 2009). La seconde approche examine l’origine et le développement des émotions, et notamment la question de leur universalité ainsi que de leur déterminisme biologique et culturel. Dans ces deux approches, l’étude des expressions faciales émotionnelles est cruciale car celles-ci contribuent àla communication interpersonnelleau même titre que les indices émotionnels prosodiques (Adolphs, Damasio, & Tranel, 2002) et posturaux (Aviezer, Trope, & Todorov, 2012), le langage verbal ou musical (Sievers, Polansky, Casey, & Wheatley, 2013), et le référencement d’objets par l’orientation du regard ou par le pointage (D'Entremont, Hains & Muir, 1997 ; Hood, Willen, & Driver, 1998). De plus, les études dans le domaine du développement de la cognition socialeet ses pathologies (e.g. trouble du spectreautistique) renforcent l’intérêt de mieux comprendrela perception de ces expressions (Critchley et al., 2000; Gallese, Keysers,
& Rizzolatti, 2004; Kliemann, Dziobek, Hatri, Baudewig, & Heekeren, 2012). De même, le constat que plusieurs pathologies psychiatriques (Bradley, Mogg, White, Groom, & Bono, 1999; Lawrence et al., 2004; Lynch et al., 2006; Mandal, Pandey, & Prasad, 1998; Rauch et al., 2000; Sprengelmeyer et al., 1997; Stevens, Charman, & Blair, 2001) ainsi que la maltraitance infantile (Pollak et al. 2000, Pollak &Kistler 2002) affectent cette capacité à percevoir les expressions faciales apporte une justification supplémentaire à son étude scientifique..
Dès 1872, l’hypothèse d’une « certaine innéité »(pour une discussion de ce terme, voir
Mameli & Bateson, 2006)des expressions émotionnelles fut développée dans un ouvrage de
Charles Darwin, L’Expression des émotions chez l’homme et les animaux(Darwin, 1872). Ce livre fut publié après L’Origine des espèces (1859) dans lequel le naturaliste anglais décrivait sa théorie de l’origine des espèces par la sélection naturelle et la descendance avec modification. Darwin s’intéresse aux expressions émotionnelles car il voit en elles un signe de l’évolution et une possible origine aux comportements moraux humains. Il décrit l’existence d’un certain nombre d’expressions émotionnelles observables non seulement chez les humains mais aussi chez les autres espèces de Singes et certains Mammifères domestiques : la tristesse, la réflexion, la colère, la culpabilité, le mépris et le dégout, la fierté, la honte et la timidité, etc. De façon notable, le livre contient un certain nombre d’illustrations réalisées à partir des photographies de l’ouvrage du Mécanisme de la physionomie humaine du neurologue Guillaume-Benjamin Duchenne (1862).
L’idée de Darwin fut mise de côté puis remise au goût du jour par les recherches
interculturelles du psychologue Paul Ekman dans les années 1960, à une époque où les
sciences sociales étaient dominées par l’anthropologie culturaliste (c.f. Mead & Gordan,
1976) selon laquelle la personnalité et ses manifestations étaient le produit d’influences
purement culturelles. Ekman a eu l’idée de demander à des adultes du Chili, d’Argentine, du
Brésil, des USA et d’une ethnie (peuple Fore) en Nouvelle-Guinée de reconnaître les
émotions exprimées par des visages photographiés. Les résultats révélèrent que ces
populations pouvaient reconnaître six types d’expressions faciales : la colère, la peur, le
dégoût, la surprise, le sourire, et la tristesse. Cette observation l’amena à formuler sa théorie
des émotions de base universelles (Ekman & Friesen, 1971; Ekman & Oster, 1979; Ekman,
1993). L’idée d’une certaine innéité de la production et de la discrimination des expressions
faciales émotionnelles trouva de nouvelles confirmations dans des études plus récentes. Ainsi,
plusieurs auteurs ont montré que les enfants et adultes aveugles congénitaux produisaient des
expressions faciales émotionnelles en l’absence de toute possibilité
d’expériencevisuelle(Galati, Sini, Schmidt, & Tinti, 2003; Peleg et al., 2006; Tracy &
Matsumoto, 2008). L’hypothèse d’un caractère universel ou transculturel des émotions et de leurs expressions n’a pas été invalidée et reste au cœur du débat scientifique actuel (Barret, 2006 ; Jack, Garrod, Yu, Caldara, & Schyns, 2012, 2013; Sauter, Eisner, Ekman, & Scott, 2010; Sauter & Eisner, 2013).
Depuis la fin des années 1970, les psychologues ont beaucoup étudié le développement de la discrimination des expressions faciales émotionnelles chez les nourrissons humains (pour des revues, c.f. Leppänen & Nelson, 2009; Nelson, 1987 1 ). En effet, si comme le suggère Ekman certaines expressions sont universelles et ne sont pas le fruit d’un apprentissage culturel par imitation, celles-ci pourraient être perçues et interprétées dès le début de la vie. Cette hypothèse est d’autant plus séduisante qu’elle entre en résonance avec la vision modulaire de l’esprit humain qui existeen psychologiecognitive (c.f. Fodor, 1983) et évolutionniste (Cosmides & Tooby, 1994). Elle implique, d’une part, que la capacité de perception des expressions faciales n’est pas le fruit de la (seule) socialisation et, d’autre part que cette capacité se manifeste précocement. Cette hypothèse est-elle toujours d’actualité ? Elle est en tout cas appuyée par les données concernant la modalité auditive.
Nous savons que le système auditif du foetus est fonctionnel à partir d’environ 4,5 mois de gestation, et que les sons de l’environnement (en particulier la voix de la mère) ne sont pas totalement filtrés in-utero (De Casper &Fifer, 1980 ; De Casper, Lecanuet, Busnel, Granier- Deferre &Maugeais, 1994 ; Moon, Cooper, &Fifer, 1993). A la naissance, les nouveau-nés à terme ont donc été exposés àplusieurs mois d’expérience auditive. Récemment, les psychologues ont montré que les nouveau-nés sont capables de discriminer plusieurs prosodies émotionnelles dans leur langue maternelle, aussi bien en terme de comportement (Mastropieri & Turkewitz, 1999) que d’activité électrique cérébrale détectable par la
1