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L’expérience journalistique de Caterina Percoto

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L’expérience journalistique de Caterina Percoto.

Anne DEMORIEUX – LIS (Université de Lorraine)

Caterina Percoto, écrivaine frioulane appartenant à une famille d’ancienne noblesse mais désargentée, est née le 19 février 1812 et morte le 15 août 1887 à San Lorenzo di Soleschiano, fraction de la commune de Manzano dans la province d’Udine. Elle a passé la majeure partie de sa vie dans son village natal où elle gérait la propriété agricole familiale après la mort de son père et elle ne s’est jamais mariée. Sa vie fut marquée par l’isolement et la solitude, auxquels elle chercha une compensation dans l’écriture. Malgré sa position marginale, C.

Percoto réussit à tisser un réseau de relations avec les principaux intellectuels libéraux du Nord de la Péninsule, ce qui lui permit de collaborer pendant 30 ans à plus d’une vingtaine de périodiques.

Après sa mort, elle fut longtemps principalement connue dans sa région pour avoir contribué, avec le poète Pietro Zorutti, à forger la koinè frioulane littéraire grâce à ses écrits en frioulan, des nouvelles brèves dans lesquelles transparait son engagement social et moral, ainsi que des traditions et légendes du Frioul qu’elle a été la première à recueillir.

Mais elle est également l’auteure de nouvelles en langue italienne, appartenant au genre de la littérature champêtre, qui permirent de faire connaître « quest’ultimo lembo d’Italia1 » au reste de la Péninsule. En tant que femme écrivain qui place au centre de ses écrits des personnages féminins, dont elle évoque la condition, et en tant que patriote engagée, qui témoigna entre autres de la répression autrichienne dans le Frioul en 1848, Caterina Percoto a suscité un regain d’intérêt au cours des dernières décennies, ce qui s’est traduit dans une édition critique de ses nouvelles par Adriana Chemello, qui reprend les textes du volume de la deuxième édition de ses nouvelles (1868). Ce recueil, paru en 2010 dans la collection « I novellieri italiani » de la Salerno Editrice, a le mérite de réinsérer Caterina Percoto dans le canon des nouvellistes de la littérature italienne. Cependant, une partie des textes de l’écrivaine, parus dans des périodiques mais n’ayant pas figuré dans les recueils publiés de son vivant, demeure méconnue. Cela montre la valeur secondaire généralement attribuée aux écrits journalistiques, ce qui fausse notre perception des pratiques littéraires des femmes, comme l’a souligné Chantal Savoie.

J’essayerai donc de rendre compte de la variété de la production de Caterina Percoto en reparcourant les grandes étapes de sa trajectoire de journaliste.

1 C. PERCOTO, Racconti, ed. Genova, I Gamberi, p. 100.

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1839-1847 : Les débuts journalistiques dans le journal triestin « La Favilla » et premiers succès littéraires.

C’est au printemps 1839 que Caterina Percoto fait ses premiers pas sur la scène journalistique.

La jeune femme lit un jour, dans la « Favilla », hebdomadaire littéraire publié à Trieste, une traduction d’un passage de la Messiade de Klopstock, qu’elle apprécie tout particulièrement, réalisée par le poète Andrea Maffei. Or il s’avère que ce dernier a commis des erreurs et fait de nombreuses omissions par rapport au texte original, ce qui horripile Caterina, qui connaît bien l’œuvre du poète allemand. Elle rédige alors un texte polémique où elle fait des remarques pointilleuses sur les fautes commises, mettant en cause le travail du traducteur qu’elle juge du niveau d’un « écolier ». Il est publié le 3 mars, sous le titre « Estetica », précédé d’une présentation quelque peu ironique d’Antonio Gazzoletti, l’un des directeurs, qui laisse entendre que la jeune femme s’est méprise sur l’intention de Maffei, qui aurait en réalité écrit un essai de poésie et non pas fait une traduction, la remettant ainsi, à mots couverts, à sa place. Ayant lu cette réponse, et devant une telle mauvaise foi, l’orgueil de Caterina est piqué au vif. Pour se défendre et prouver que c’est elle qui a raison, elle rédige alors une lettre dans laquelle elle donne des exemples précis, faisant preuve d’une grande rigueur et d’une parfaite maîtrise de l’allemand. Elle est publiée sous le titre

« Corrispondenza » le 28 avril. Voulant sans doute confirmer à son détracteur qu’elle sait de quoi elle parle, elle commence à traduire un passage de la Messiade (le jugement d’Abbadon) qu’elle enverra quelques mois plus tard à la revue et qui sera publié seulement le 19 avril 1840. C’est Francesco Dall’Ongaro, principal animateur de la vie culturelle triestine à l’époque, qui repère le potentiel de Caterina Percoto, un nom qu’il prit dans un premier temps pour le pseudonyme d’un vieux lettré gâteux, et qui l’encourage à écrire.

Les réactions des directeurs de « La Favilla » montrent les préjugés genrés qu’ils avaient : pour eux, une femme ne peut-être une bonne critique littéraire. D’ailleurs, lorsque le 22 décembre 1839, Dall’Ongaro prend sa plume pour inviter Caterina à collaborer au journal par un texte de son invention, il lui suggère d’écrire un article au sujet des qualités attendues chez une jeune femme, comme si une femme ne pouvait parler d’autre chose que des femmes.

Dans les lettres suivantes, l’intellectuel triestin continue à insister pour qu’elle abandonne ses écrits érudits (qu’il juge inconvenants pour une jeune femme) au profit de « qualche scritto da donna ». Il existe donc, pour Dall’Ongaro une écriture typiquement féminine, apte à traiter de sujets purement féminins, qui se place du côté du coeur comme en témoignent les quelques extraits suivants, et non de la raison :

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«Vuole un consiglio amichevole? Lasci stare per un breve intervallo la filologia, le traduzioni e le critiche. Scenda nel suo cuore. Ella deve averlo assai bello e caldo, se io guardo agli occhi suoi che ho sempre presenti. Mi dia qualche frutto della sua meditazione intima! E poi ritornerà ai suoi soliti studii…» (2 mars 1840);

«Io voglio altri argomenti da lei – non critici – lasci la critica ai nostri cuori indurati – ma ascolti ne’ suoi scritti la ingenua voce del suo…» (5 mai 1840);

«Lasciate parlare il cuore, e l’ingegno sarà più bello, e darete alla letteratura qualche pagina, che i letterati uomini e le donne letterate non sanno dare…» (12 novembre 1841).

Ces sollicitations montrent bien les préjugés genrés liés à l’écriture féminine, associée au sentimental et à la simplicité, mais elles correspondent également à un véritable projet littéraire de la part de Dall’Ongaro, qui, convaincu de l’utilité sociale de la littérature, défend une littérature populaire s’intéressant aux catégories les plus humbles. Et elles vont permettre à Caterina Percoto d’affirmer sa subjectivité féminine.

Mais avant d’y répondre favorablement, la jeune femme envoie à son correspondant un nouvel article critique, dans lequel elle compare le chant X de l’Orlando furioso de l’Arioste, et la dixième Héroïde d’Ovide, ce qui montre sa ténacité à prouver sa légitimité d’intellectuelle. Le texte parait dans le numéro du 1er mars de la « Favilla », à la suite d’un écrit de Michele Fachinetti sur l’éducation des femmes, précédé d’une note introductive qui souligne qu’il est la preuve que certaines jeunes filles « coltivano con onore due studj, che parvero finora proprj esclusivamente degli uomini – l’epigrafia, e la filologia 2 ». Peut -être une façon de se faire pardonner ?

S’en suit ce qu’Angela Felice a appelé une phase d’« expérimentation formelle » avec la publication de textes de différentes natures : traductions, critique d’art (description d’un retable représentant le martyre de sainte Philomène), et autres compositions brèves (bozzetti) telles que légendes frioulanes (S. Giovanni Battista, Lis aganis di Borgnan, des fées des eaux), portraits psychologiques (« il pazzo », « pre-poco », « Adelina », la nipote del parroco, et « il vecchio Osvaldo »), et une considération sur les yeux comme miroir de l’âme.

L’une de ses premières compositions brèves ne fut pas publiée car « la censure y trouva quelque chose d’irrévérent envers la sainteté de la vie au couvent ». Ce texte qui n’est pas connu de la critique avait probablement une dimension autobiographique car Caterina Percoto

2 « Favilla », a. V, n. 9, Domenica 1o marzo 1840, p. 69

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fut durant sept années pensionnaire du couvent Santa Chiara d’Udine, une expérience difficile qui la marqua profondément et dont elle témoigna dans différents écrits.

Répondant aux sollicitations de Dall’Ongaro, elle commence aussi à rédiger des récits qui s’inscrivent dans le filon de la littérature champêtre qui se développait alors en Europe, et dans lesquels, tout en évoquant avec réalisme le Frioul rural, elle aborde des thématiques sociales liées au monde paysan : « Il refrattario » (problème des jeunes réfractaires au service militaire imposé par le gouvernement), « Lis cidulis » (précarité de l’existence des paysans souvent contraints à émigrer pour s’assurer des revenus suffisants, et dont la vie peut tragiquement basculer dans la misère à la suite d’un accident) et « Un episodio dell’anno della fame » (évoque la terrible famine de 1817 et l’incurie de certains propriétaires terriens). Dans d’autres nouvelles, elle met l’accent sur la condition des femmes, qu’elles soient issues du peuple comme dans « La festa dei pastori » ou « Maria », qui mettent en scène des paysannes dont la jeunesse s’est éteinte prématurément, à cause d’une vie éreintante dont elles sont les premières victimes, ou des classes aisées comme dans « Reginetta » et « L’album della suocera », qui évoquent les mariages malheureux et la question de l’éducation des filles. Il s’agit de thèmes auxquelles ses expériences de jeunesse l’ont rendue sensible (expérience de pensionnaire au couvent Santa Chiara qui la séparait de sa famille alors que ses frères avaient un précepteur, constat, après la mort de son père, de l’absence d’enseignement pratique pour assurer la gestion des biens familiaux, résistance pour éviter un mariage avec un homme que sa famille a choisi pour elle et qu’elle méprise). Dans une autre nouvelle, « Il licof », elle met en scène une femme exceptionnelle qui réforme avec succès la gestion de ses terres par ses colons.

Grâce au succès de ces nouvelles champêtres, qui répondent aux exigences des intellectuels libéraux de créer une littérature populaire apte à éduquer et à réveiller la conscience nationale, Caterina Percoto se fait connaître dans le reste de l’Italie du Nord. Ainsi reçoit-elle en 1846 une demande de collaboration de Luigi Vollo pour le périodique vénitien « Il Gondoliere », journal de mode et littérature et, en 1847, alors que « La Favilla » a cessé de paraître, elle collabore à différents périodiques italiens : la « Rivista europea », alors dirigée par Carlo Tenca, et le « Corriere delle Dame » à Milan, le « Caffè Pedrocchi » de Guglielmo Stefani à Padoue, le « Museo Scientifico, Letterario ed Artistico » à Turin et le « Fanfulla » de Gioacchino Pompilj, qui sollicite sa collaboration à son autre journal, « La Speranza », à Rome. Ce sont tous des journaux qui donnent de l’importance à la dimension culturelle et littéraire et expriment des opinions libérales.

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À cette époque, Dall’Ongaro joue véritablement pour elle le rôle d’un « agent de presse », comme le souligne Amedeo Giacomini, et il négocie des publications auprès des divers journaux comme en témoignent les lettres échangées en 1847.

« Non vi date pensiero di codesti giornali. Alla Rivista manderò probabilmente quest’ultimo racconto. L’altro ho ancor qui, nè so risolvermi a chi mandarlo. Forse al Museo : al quale mi sembra più acconcio per l’indole sua.

Al Pedrocchi e al Corrier delle dame si converrebbe qualche coserella più breve – anche qualche altro frammento, se voleste dell’Angiolina. Massime il Corriere è un giornale omeopatico, come potete vedere. E se mi poteste mandare due paginette per esso, prima d’ingolfarvi fra bachi, ve ne sarei tenuto. Ma se non potete lasciate lì, che farò io. » (4 mai 1847)

1848-1849 : Articles militants et récits patriotiques.

Le Frioul n’échappe pas à la vague révolutionnaire qui traverse l’Europe au printemps 1848.

Udine, qui profite du succès du soulèvement de Venise contre l’Autriche, s’affranchit elle aussi de l’autorité autrichienne (23 mars) et adhère à la République de Venise. Cet épisode de liberté est cependant de courte durée car, très vite, le général Nugent reconquiert la ville (23 avril). Les forteresses de Palmanova et d’Osoppo résistent encore quelques mois avant d’être reprises par l’armée autrichienne qui réprime sévèrement les insurgés. Caterina Percoto, qui est d’une grande sensibilité, est choquée et révulsée par les agissements violents des soldats à l’encontre de la population. Pour témoigner de ces horreurs, elle écrit un article virulent et polémique contre l’armée autrichienne, intitulé « Non una sillaba oltre il vero » qui paraît dans le premier numéro du « Giornale di Trieste », le 22 octobre 1848. Le regard très dur et négatif qu’y porte l’auteure sur l’armée autrichienne faillit lui valoir une arrestation et elle fut dénoncée pour ses propos par la direction du Mont de Piété de Gorizia (elle l’accusait d’avoir accepté les biens pillés par les officiers autrichiens).

On trouve dans les documents personnels de l’auteure, un texte signalant de nombreux témoins qui pourraient confirmer que les objets pillés par les soldats ont été déposés là, diverses anecdotes mettant en évidence la cruauté et les stratagèmes déloyaux de l’armée autrichienne, des listes de méfaits, des noms de témoins à interroger. Tout ceci indique le véritable travail d’investigation de l’écrivaine frioulane pour pouvoir témoigner de l’horreur de la répression dont elle accumule les exemples dans son article. Le titre « Non una sillaba oltre il vero » insiste sur la véracité des propos : il s’agit pour l’auteure de documenter avec

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exactitude le comportement des soldats autrichiens et non de s’inspirer d’un fait divers pour créer un récit fictif. Elle insiste dans le texte sur la dimension véridique des faits relatés : « La verità di ciò che ci sta sotto gli occhi può bene farci credere anche quei fatti di cui non fummo testimoni ; ma io non voglio parlare di ciò che qui potrebbe essere in qualche modo esagerato ».

Toutefois il ne s’agit que d’une objectivité apparente car l’écriture met au centre la subjectivité de l’auteure. L’article commence ainsi :

« Dicono che il luogo dove si scrive o dove si legge influisca sulle idee del nostro cervello. Certo è che questa mattina, 22 ottobre, io ho provato ad evidenza una tale verità. Sono uscita di casa con in tasca alcuni numeri dell’Osservatore Triestino;

vecchie notizie come possono giungere presentemente a noi, povera gente di campagna, e, nell’intenzione di dar loro una scorsa, mi sono seduta tra le recenti rovine del villaggio di Jalmicco. »

Caterina Percoto évoque les circonstances exactes qui ont motivé la rédaction de ce texte né en réaction à la lecture d’un article du journal « L’Osservatore Triestino » qui rapportait une discussion de l’Assemblée à Vienne au sujet des récompenses à attribuer à l’armée impériale rentrant victorieuse d’Italie. S’en suit une réflexion sur le mérite effectif d’une armée qui s’est comportée d’une manière si atroce et inhumaine envers les vaincus. Après avoir évoqué les quatre millions d’Italiens piétinés par la « force brutale » de l’armée autrichienne dans tout le Royaume de Lombardie Vénétie, l’auteure, se concentre sur le cas de Jalmicco, là où elle se trouve, et où elle est le témoin direct des souffrances et des outrages subis. Cette partie de l’article correspond à ce que Marie-Ève Therenty a appellé « l’écriture de la chose vue » qui se développe au XIXème siècle, et qui met en valeur la perception du sujet écrivant. En effet, le témoignage direct de l’auteure est scandé par l’anaphore des verbes de sensations auditive et visuelle : « udivo » dans un premier temps, puis « vedo ». Il s’agit d’un texte éminemment empathique, l’auteur se plaçant du côté des victimes. Toutefois Percoto passe du témoignage à l’invective contre les officiers autrichiens, qui sont désignés comme les véritables responsables de toutes les violences dénoncées.

Notons que la posture de modestie adoptée par l’auteure au début de l’article n’est pas liée au fait d’être une femme (un des topoi liés à l’écriture journalistique féminine relevé par Chantal Savoie) mais à la catégorie sociale à laquelle elle s’associe (« noi povera gente di campagna »), ce qui amplifie le contraste avec les dirigeants autrichiens, détachés du peuple.

Cette posture de modestie contraste toutefois avec l’image de la lectrice de l’« Osservatore

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triestino3 » qui lui confère une position d’autorité mais indique déjà un parti pris pour la cause italienne. Soulignons cette mise en scène d’une femme lisant un article de politique : il s’agit à mon avis d’un signal envoyé aux lecteurs pour montrer qu’une femme peut s’intéresser au sujet.

Les soucis causés par la publication de cet article, qui remporte l’adhésion des patriotes amis de l’écrivaine, n’empêchèrent pas Caterina Percoto de continuer à collaborer à ce journal triestin dans lequel elle publia, de manière anonyme, deux autres articles toujours inspirés par la répression autrichienne ainsi que deux nouvelles qui constituent des réélaboration fictionnelles de ses articles, La resurrezione di Marco Craglievich4, dans lequel est dénoncé le rôle joué par les soldats croates dans la répression des insurgés italiens et La donna di Osoppo. Scena italiana del 18485 où est dépeint le désespoir d’une mère voyant ses enfants condamnés à mourir de faim dans le village assiégé et est dénoncée la cruauté des soldats croates qui l’abattent à bout portant.

En janvier 1849, elle écrit un article s’appuyant sur un souvenir autobiographique : la lecture dans un café d’Udine de la plaidoirie d’Odilon Barrot contre Marie Capelle accusée d’avoir empoisonné son mari dont la conclusion, qui condamnait les lettres chez la gente féminine et renvoyait la femme « à [son] aiguille et à [sa] quenouille », fut applaudie par l’assistance. En rappelant cette anecdote qui datait de 1840, Caterina Percoto entend défendre la liberté de penser pour les femmes : « Facevo parte anch’io della grande famiglia umana potevo dunque anch’io valermi della mia ragione, prima di piegare il capo alle altrui opinioni. ». Rien n’indique à ma connaissance que cet article ait été publié du vivant de son auteure6. Si, à la fin de l’année 1853, elle envoie à Tenca, qui n’a de cesse de lui réclamer une nouvelle pour son nouveau journal, « Il Crepuscolo », des « pensieri » sur le thème de la femme célibataire et du mariage, il semble que la production de textes non fictifs de l’écrivaine frioulane s’est interrompue à la fin du biennio révolutionnaire.

On peut se demander s’il s’agit d’un choix personnel ou d’un renoncement en raison du peu d’espace accordé alors aux écrits journalistiques de femmes qui ne soient pas des fictions ou qui ne concernent pas la sphère domestique.

3 Vieil hebdomadaire triestin créé en 1784, propriété de la compagnie maritime du Lloyds autrichien depuis 1843, date à laquelle Pacifico Valussi en prend la direction. Le journaliste frioulan y introduit les sujets politiques et, à partir de mars 1848, essaye de le rendre plus indépendant et de lier la question de Trieste à celle italienne.

4 « Giornale di Trieste », I, 1848, 36, 8 dicembre. Au sujet de cette nouvelle, voir infra, troisième partie, chapitre 2, p. 12-14.

5 C. PERCOTO, Racconti, a cura di A. Chemello, op. cit., p. 378. La date exacte de publication n’est pas précisée.

6 Publication posthume : «Una pagina della mia biografia : A proposito del signor Odilon Barot», in

«Pagine Friulane», a.VI, n.7, Domenica 3 settembre 1893.

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1850-1860 : professionnalisation et spécialisation progressives

Après l’échec des mouvements révolutionnaires, les États de la Péninsule italienne, à l’exclusion du Royaume de Piémont Sardaigne, abolissent les constitutions accordées et rétablissent la censure de la presse.

En 1851, une série de nouvelles champêtres et de légendes frioulanes de Caterina Percoto paraissent dans « La Giunta domenicale al Friuli », mais c’est dans les journaux turinois de Lorenzo Valerio, « La Concordia » et « Il Diritto » que sont publiées les nouvelles patriotiques que Caterina Percoto continue d’écrire, et l’on comprend pourquoi. Il s’agit d’abord du long récit « La colrice nuziale » (paru en septembre-octobre 1850 dans les Appendici de la Concordia). L’auteure y revient sur la répression autrichienne de 1848 dans le Frioul et montre la naissance d’une conscience patriotique chez la protagoniste alors qu’elle est confrontée à la souffrance d’une paysanne victime des soldats croates. L’autre nouvelle,

« La Fila » (publiée en juillet 1854 dans les Appendici du Diritto), évoque encore l’empathie féminine envers ceux qui souffrent, mais cette fois il s’agit d’une paysanne qui s’apitoie sur l’état misérable d’un jeune soldat autrichien qu’elle est contrainte d’héberger. En 1856, sont publiées dans ces mêmes Appendici, en juin-juillet la nouvelle « Adelina », puis au mois d’août, une série de brèves nouvelles champêtres et traditions frioulanes, et en septembre- octobre une nouvelle plus longue « Tina e Armellino » dans laquelle sont racontées les amours malheureuses de la paysanne Tina et de Suor Maria Eletta, projection littéraire de l’auteure. Cette dernière nouvelle correspond à « La Sçhiarnete » que l’écrivaine frioulane avait promise à Tenca qui la publie sous ce titre en 1857 dans « Il Crepuscolo » et dont elle n’avait nullement autorisé la publication dans le journal turinois. À cette même période elle constate avec désappointement que les nouvelles publiées dans les Appendici du Diritto paraissent successivement sans son accord dans le journal milanais « Il Fuggilozio . Cela soulève la question de la propriété intellectuelle, un thème qui est régulièrement débattu à l’époque, car il touche au statut du journaliste, profession alors en plein essor mais encore en devenir. Une autre question qui commence à se poser est celle de la rémunération du travail intellectuel : souvent les périodiques, surtout lorsqu’ils traitent de politique, ont du mal à se financer et ne peuvent rémunérer leurs collaborateurs. Or dans les années 50, Caterina Percoto connaît d’importantes difficultés économiques, c’est pourquoi Tenca l’incite à répondre positivement aux sollicitations d’Alessandro Lampugnani, un éditeur milanais qui rétribue ses collaborateurs. Ce dernier souhaite vivement sa collaboration à « La Ricamatrice », avec laquelle il souhaite fournir à un large public féminin les connaissances nécessaires pour gérer correctement la maison et remplir pleinement le rôle d’éducatrice au sein de la famille. Il

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rejoint ainsi l’intérêt de Caterina Percoto pour l’éducation des femmes. En outre le nombre de femmes écrivant est trop restreint à l’époque pour pouvoir répondre aux besoins des éditeurs, la collaboration de l’écrivaine frioulane serait donc précieuse, d’autant plus qu’elle a acquis un certain prestige à Turin et dans le Royaume de Lombardie-Vénétie. Elle compose alors ce que Lampugnani nomme des « quadretti di genere » qui offrent en modèle différentes figures féminines incarnant un type désigné dans le titre : « la malata » (1853), une paysanne tombée malade après avoir allaité, en plus de sa fillette, l’enfant de sa cousine qui n’avait pas assez de lait ; « la cognata » (1854), qui insiste sur l’importance des affects familiaux ; « la moglie » (1854), qui dresse le portrait de l’épouse idéale, capable de seconder son mari dans la gestion de la propriété agricole avec le souci du bien-être de leurs colons ou « l’amica » (1857) qui évoque également l’économie domestique et les affects familiaux. En 1858, « La Ricamatrice » publie plusieurs épisodes constituant le début d’un roman épistolaire à vocation pédagogique qui s’inspire de l’expérience de l’auteure qui a pris en charge ses trois neveux après le décès de leur père en 1852. Cette spécialisation de C. Percoto dans le domaine de l’éducation est confirmée par la demande de collaboration reçue en 1855 à « L’educatore » de Domenico Berti, professeur et directeur d’une école magistrale à Turin, qui a déjà publié deux lettres de l’écrivaine dans un autre journal, « L’Istitutore ».

Paradoxalement, ce que C. Percoto gagne en indépendance d’un point de vue économique semble être perdu d’un point de vue idéologique, car elle finit par proposer une représentation uniformisée de la femme comme guide moral de la famille, mère et éducatrice des futurs citoyens, qui correspond à la conception des libéraux modérés qui triomphent au moment de l’Unification.

Je tiens cependant à signaler pour finir l’écriture en 1857 d’une nouvelle satirique anticléricale destinée au journal de Leone Fortis « Il Pungolo » dans lequel elle parait sous le titre « Novella umoristica ». Elle me semble doublement importante car elle montre que notre auteure ne renonce pas à intervenir dans le domaine politique à un moment où les libéraux sont menacés par la réaction catholique. Mais aussi parce qu’elle illustre ce que j’ai dit en introduction au sujet des écrits non publiés en volume et tombés dans l’oubli, bien que Caterina Percoto ait souhaité, en vain, qu’elle fasse partie de la deuxième édition de ses nouvelles.

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Conclusion :

Grâce à son activité journalistique, Caterina Percoto est entrée sur la scène publique où elle a su se faire une place et défier les canons masculins dominants, montrant par exemple que l’érudition et la participation politique n’étaient pas l’apanage des hommes. Même si cette place qu’elle a finalement trouvée au sein du « journalisme » a dépendu de l’acceptation d’hommes de lettres et a été bornée par leur conception de l’écriture féminine, placée du côté du cœur et non de la raison, l’écrivaine frioulane a su en faire le lieu de l’expression de sa subjectivité. Elle s’est ainsi intéressée à la condition des femmes, qu’elles soient paysannes ou qu’elles appartiennent à la classe dominante, focalisant son attention sur les corps malmenés des plus pauvres qui incarnent « leur aliénation au service de l'espèce » (Yvonne Knibiehler) et sur l’éducation purement ornementale des plus riches qui les prive de toute utilité sociale, et elle a voulu dans ces textes rendre aux femmes leur dignité. En « descendant » au fond de ce cœur qui est, au XIXe siècle, « au centre de l'identité féminine »7, elle a certes répondu aux attentes des intellectuels libéraux désireux de voir naître une littérature populaire et nationale, mais elle a également amorcé cette dimension empathique, qui semble être une caractéristique du journalisme au féminin selon Marie-Ève Thérenty, et elle a mis en évidence un « ordre symbolique de la mère » permettant de penser différemment les rapports entre êtres humains, qu’ils appartiennent à des classes sociales ou à des nations différentes.

Pour finir, la trajectoire personnelle de Caterina Percoto dans le milieu du journalisme me semble assez emblématique de l’évolution du rôle des femmes dans la société à l’époque du Risorgimento : de l’accès à la scène publique sous la tutelle masculine à une plus grande liberté de participation avec l’affirmation des idéaux democratici lors du biennio révolutionnaire, pour finir par une forme de repli dans les limites du foyer assignées à la bonne épouse et mère par la bourgeoisie triomphante au moment de l’Unification et celles du domaine de l’éducation pour les femmes aspirant à un rôle public. Quant à la variété de sa production, elle me semble montrer les tâtonnements effectués afin de trouver une place bien à elle dans la presse italienne de l’époque.

7 Yvonne Knibiehler, « Corps et coeurs » in Georges Duby, Michelle Perrot, Histoire des femmes. Vol. 4 Le XIXesiècle, sous la direction de Geneviève Fraisse et Michelle Perrot, Paris, Plon, 1991, p. 391

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