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LE RENOUVEAU DÉMOGRAPHIQUE FRANÇAIS

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Academic year: 2022

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LE RENOUVEAU DÉMOGRAPHIQUE FRANÇAIS

Le 5 janvier 1960, un éditorial du New York Herald Tribune, intitulé « Nouveaux Francs et nouveaux Français », félicitait tout ensemble la Ve République de sa récente réforme monétaire et de l'accroissement de sa population, que venait de mettre en lumière l'identification, par les services officiels de statistique, du quarante-cinq millionième Français vivant. Il découvrait dans ce renouveau « l'une des principales sources de la forcé de la France et de sa confiance dans l'avenir ».

E n lisant ces lignes, tout inspirées de l a chaude sympathie pour notre pays qui est de tradition chez le grand organe new- yorkais, je ne pouvais m'empêcher d'évoquer les prophéties" aussi vraisemblables que terrifiantes dont, vers 1910, notre professeur d'histoire du Lycée Condorcet émaillait ses leçons, en invitant ses élèves à verser leur obole à « l'Alliance Nationale contre la dépo- pulation française » qui avait été fondée quelques années plus tôt.

Peu écoutée alors, cette Ligue dénonçait avec courage le glisse- ment d'abord lent, puis accéléré, qui avait abaissé notre taux de natalité très au-dessous de celui de nos voisins, réduit puis supprimé, la primauté démographique dont nous jouissions en Europe à la fin du x v me siècle, et fait apparaître enfin, à partir de 1900, un excédent net des décès sur les naissances.

E t voici qu'au contraire, depuis quinze ans, le nombre des berceaux dépasse régulièrement en France celui des tombes : la différence positive a été en 1959 de 320.000, c'est-à-dire l'équi- valent de la population du grand Bordeaux ou encore de celles de Strasbourg et Dijon réunies.

Ainsi, en un demi-siècle, avons-nous assisté en ce domaine, comme en beaucoup d'autres, à un renversement complet des situations et des perspectives : alors que l'on annonçait naguère,

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pour la seconde moitié du x xe siècle, une France effondrée, réduite à quelque trente millions d'habitants, c'est une nation rajeunie, dépassant les cinquante millions d'habitants que l'on entrevoit dès la décennie 1970-1980.

Le contraste est saisissant : peut-être les historien^ de l'avenir le considéreront-ils comme l'événement le plus important de ce siècle en notre pays, celui qui, par ses conséquences pour la vie collective et aussi pour les existences individuelles, dépasse de loin les bouleversements constitutionnels et même les conflits militaires.

Sans vouloir insister sur des faits et des chiffres maintenant bien connus, i l ne paraît donc pas inutile de rechercher quel est le caractère véritable et quelles Bont les origines réelles de ce grand phénomène social, avant d'examiner de plus près les chances exceptionnelles qu'il offre à notre pays, aussi bien que les problèmes redoutables qu'il lui posera tout au long des dix prochaines années.

*

Rien ne serait plus erroné que de voir dans ce redressement français un épisode de « l'explosion démographique » qui est un trait caractéristique de notre planète en ce milieu du x xe siècle et qui* fait l'objet de commentaires, innombrables, souvent passion- nés, parfois très pessimistes, sur l'avenir de l'espèce humaine et sur la « faim dans le monde ».

Si, en effet, la population mondiale s'accroît chaque année de quarante-huit millions d'êtres — c'est-à-dire plus que celle de la France actuelle — et doit, à ce train, d'après les spécialistes, doubler d'ici l'an 2000 (passant alors à 5.600 millions d'habitants contre 2.800 millions en 1958) c'est que les pays sous-développés acquièrent brusquement, grâce à la disparition des famines et des épidémies et aux progrès de la médecine, les taux de mortalité réduits des pays déjà évolués, tout en conservant les taux de natalité très élevés du x v ne ou du x v me siècle en Europe : aucun de ces deux phénomènes ne se retrouve évidemment dans notre pays.

Pas davantage ne serait-il exact de chercher ici une analogie avec la reprise de la natalité qui a été constatée après la seconde guerre mondiale aux Etats-Unis et dans certains pays de race blanche du Pacifique et que nos amis américains ont baptisée du nom très expressif de « Baby boom ». Il s'agit là,.en effet, de la correction d'un fléchissement très sensible, mais passager, de la

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LE RENOUVEAU DÉMOGRAPHIQUE FRANÇAIS 63 courbe des naissances, provoqué par la terrible crise économique de 1929, avec ses lourdes séquelles de chômage et de baisse du niveau de vie.

E n réalité, pour bien comprendre l'évolution française, i l faut la replacer dans son cadre ouest-européen et la comparer à celle des pays immédiatement voisins. '

On voit alors que la France, après avoir été dans ce domaine et depuis près d'un siècle en recul par rapport à l'Angleterre, à l'Allemagne, à l'Italie, se met à les devancer dès avant la fin du grand conflit. C'est ainsi qu'en vingt ans, la natalité moyenne des périodes 1934-1938 d'une part, 1954-1958 de l'autre, fait ressortir une augmentation de 22 % en France, un accroissement de 8 % seulement en Angleterre et une diminution de 18 % en Italie. Quant à notre taux net de reproduction, i l dépasse actuelle- ment ceux des trois pays cités plus haut, alors qu'il leur était large- ment inférieur avant 1939.

Comment dès lors expliquer ce contraste entre la France et les autres grands, Etats de l'Europe ocoidentale ?

Sans aucun doute, par la politique démographique et familiale instituée dans les dernières années de la I I Ie République et symbo- lisée par le « Code de la Famille » adopté — il était temps, ! — en juillet 1939, quelques semaines avant la guerre.

Si cette mesure de4 portée historique put être prise par décret, grâcfe aux pouvoirs spéciaux que le Gouvernement avait obtenus des Chambres au lendemain de la crise de Munich, dans une atmo- sphère d'émotion patriotique, elle avait été, en réalité, rendue possible par un long effort de recherches, de discussions doctrinales et de propagande. I l n'en fallait pas moins, en effet, pour rompre avec une longue tradition d'individualisme et de « laisser faire », résolument hostile à l'intervention de l'Etat dans ce domaine.

Toute l'idéologie du x i xe siècle, issue des ouvrages des Pères de l a Révolution de 1789 et fortifiée par l'enseignement des grands économistes libéraux, faisait reposer le progrès social sur le libre épanouissement de l'individu, convié par Jean-Baptiste Say à

« augmenter les épajgnes plus que les enfants ».

L'idée de faire dépendre le salaire ou les charges fiscales du nombre des enfants du travailleur ou du contribuable paraissait sacrilège et, d'ailleurs, absurde car le précédent des lois familiales.

d'Auguste était toujours invoqué pour rejeter comme voué à l'échec tout effort du législateur en cette matière.

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Cette doctrine avait été combattue avec courage, mais sans succès, dès les dernières années du x i xe siècle, par de rares précur- seurs comme le docteur Bertillon.

C'est à elle que devaient s'attaquer, au lendemain de la guerre de 1914, les hommes, peu nombreux mais résolus qui, au Gouver- nement et au Parlement, dans les Universités et dans les Eglises, dans les milieux d'affaires et dans les syndicats, mesuraient l'ampleur du danger, encore accru par l'hécatombe qui venait d'enlever au pays treize cent mille jeunes hommes.

Le professeur Alfred Sauvy, qui a tant fait lui-même pour la rénovation démographique en France, a rendu hommage, dans son beau livre sur la « Montée des Jeunes », à l'un des hommes qui, avec Auguste Isaac, Jean-Louis Breton, André Honnorat, Georges Pernot et quelques autres, fut l'avocat de cette cause au Parlement.

Il s'agit d'Adolphe Landry, député de la Corse, et auteur de la loi de 1932 sur les allocations familiales,

« Cet homme, sans lequel le pays n'aurait peut-être pas pu se sauver, écrit-il, combien de Français connaissent son nom ? »

« Napoléon et Landry, étrange association de noms, que tant de gens trouveront ridiculement déséquilibrée 1 Déséquilibrée, en effet. De ces deux enfants de Corse, le second a fait gagner à la France plus d'hommes que le premier n'en fit perdre. Mais c'est à celui-ci que vont arc de triomphe, tombeau, culte divin.

« I l faut que tous les jeunes gens le sachent : i l faut dire et redire aux enfants français, dont un grand nombre lui doivent d'ailleurs la vie que, dans l'histoire mouvementée de notre pays, juste à ses plus mauvaises heures, un homme exceptionnel est passé... »

***

Je voudrais, à mon tour, évoquer ici le nom d'un apôtre de la cause familiale, dont le rôle, moins apparent que celui d'un Parlementaire ou d'un Ministre, fut cependant singulièrement fécond.

L'abbé Jean Viollet s'était déjà fait remarquer, avant 1914, dans le clergé parisien, par l'ardeur de ses convictions et le non- conformisme de ses initiatives, que mettaient en relief sa haute taille, sa barbe blonde et ses joues colorées, sa parole chaude et prenante.

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Partisan véhément du capitaine Dreyfus lors de l'Affaire qui coïncida avec son passage au Grand Séminaire, recommandant à ses coreligionnaires « l'union avec tous pour le bien » et la neutra- lité confessionnelle dans les œuvres d'assistance, réclamant des lois sociales pour suppléer à l'insuffisance de la charité privée, affrontant les contradicteurs dans les Universités populaires ou les réunions publiques, créant des associations familiales ouvertes aux jeunes familles comme aux familles nombreuses, i l heurtait volontiers les idées reçues et les partis pris, mais forçait l'estime de ses adversaires même et emportait le plus souvent l'adhésion de ses auditeurs, qu'il s'agît de milieux bourgeois ou popu- laires.

E n 1920, reprenant son apostolat, après quatre années de guerre et en pleine vigueur physique et intellectuelle, i l lançait, avec une belle audace, au Centre Social du Moulin Vert, qu'il avait créé, la première Fédération d'Associations Familiales et lui donnait bientôt le nom de « Confédération Générale des Familles » (C. G. F . « pour avoir, disait-il, sur le plan familial, l'équivalent de la fameuse « C. G. T. » sur le plan syndical);

Le nouvel organisme constitua dans son sein une « Commission d'études juridiques » qui publia, dans son Bulletin, en 1922 et 1923, sous ce titre significatif : « Une politique familiale doit rénover notre législation individualiste » une série d'articles réclamant un ensemble cohérent de réformes destinées à introduire le souci des intérêts de la famille dans la réglementation du suffrage uni- versel (vote familial), du service militaire, des impôts et du prix des services publics, du logement, de l'assistance et de la prévoyance, etc..

Eliminant ainsi, ou du moins atténuant les inégalités de fait et les surcroîts de charges qui accablaient les pères de famille, ce programme entendait supprimer, dans l'ordre matériel, l'obstacle principal à cet épanouissement normal de la famille qui répondait, selon ses auteurs, au désir profond de la grande majorité des Français.

Certes, le Bulletin de la C. G . F . n'avait pas, malheureusement, un tirage qui p û t lui donner grande influence sur l'opinion, mais son animateur réunissait autour de lui, dans sa petite maison de la rue de Gergovie, au-fond de ce quartier de Plaisance, où i l avait entrepris vingt ans plus tôt son action sociale, un nombre sans cesse croissant de personnalités politiques ou d'hommes d'affaires,

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et aussi de jeunes gens qui deviendraient plus tard Conseillers d'Etat, Inspecteurs des Finances, Députés, Membres du Conseil Economique, Ministres, voire Présidents du Conseil.

Aussi n'est-il pas présomptueux de penser que les efforts déployés par le fondateur des Œuvres du Moulin Vert aient eu leur part dans le succès croissant que rencontraient dans les années 1920, et surtout dans les années 1930, les interventions législatives en faveur de la famille.

Réduction des tarifs de chemins de fer pour les membres des familles d'au moins trois enfants, création de la « Journée des Mères » et de la Médaille de la Famille, institution du Conseil Supérieur de la Natalité, affiliation des conjoints et enfants, sans charge supplémentaire, au système des Assurances Sociales, abatte- ments pour charges de famille à l'impôt sur le revenu, généralisation obligatoire dans l'industrie, le commerce et les professions libérales des allocations familiales, créées d'abord librement par l'initiative individuelle de certains chefs d'entreprise, furent autant de jalons qui préparaient le Code de la Famille de juillet 1939.

Ce dernier, étendant à toute la population active le bénéfice des allocations familiales, généralisant et coordonnant les avantages fiscaux alloués aux chefs de famille, organisant la lutte contre les grands fléaux sociaux adversaires de la famille (avortement, alcoo- lisme), marque une date essentielle, un tournant décisif de la poli- tique familiale qui sera poursuivie par le régime de Vichy, comme par les I Ve et Ve Républiques, avec une continuité qui mérite d'être soulignée.

Le Ministère de la Famille a été créé en 1940 par Paul Reynaud, dernier Président du Conseil parlementaire du régime de 1875.

L'action de ces nouveaux services continue dans l'Etat français du maréchal P é t a i n q u i a, d'ailleurs, inscrit la Famille dans sa devise, entre le Travail et la Patrie. Sous réserve d'un changement de nom (Ministère de la Population) le Gouvernement provisoire confirmera l'institution en 1946.

Les allocations familiales, élargies et consolidées par le Code de juillet 1939, vont, dès le lendemain de l'Armistice de 1940, être encore étendues, cette fois au bénéfice de la population non active (veuves, chômeurs), améliorées par les allocations de salaire unique ou de la mère au foyer, renforcées dans leur assise financière par la création du Budget annexe des allocations familiales agricoles, avec taxes fiscales affectées, toutes mesures qui seront maintenues dans

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LE RENOUVEAU DÉMOGRAPHIQUE FRANÇAIS- 67 l'ensemble, après 1944, en dépit du préjugé défavorable qui s'attache, en général, aux réformes -de Vichy.

1 Le caractère familial des Assurances sociales, marqué dès 1930, accentué depuis lors, se trouvera élargi par l'institution, en 1945, de la Sécurité Sociale, longuement méditée par les Comités d'études législatives de la Résistance.

Enfin, sur le plan si important de la fiscalité, les dégrèvements familiaux amorcés par la I I Ie République, élargis sur de nombreux points, notamment en matière de droits de succession, par les textes de'Vichy, seront couronnés, de manière magistrale, en 1945, par l'institution du « quotient familial ». Il s'agit de diviser le revenu global d'un foyer, pour l'application de l'impôt progressif, par le nombre des personnes — conjoints, enfants, parents à charge —>

qui le composent. Ainsi frappe-t-on seulement le pouvoir d'achat réel du contribuable, celui qui subsiste après la couverture des dépenses nécessitées par l'entretien et l'éducation d'enfants plus ou moins nombreux.

Mesure de justice et d'efficacité, notamment pour les classes moyennes dont la conduite familiale a toujours eu valeur d'exemple, réclamée depuis longtemps par les familiaux, mais combattue, au nom des principes, par les fiscaux, mesure qui, après la généra-:

lisation des allocations, fait de la législation française, en matière familiale,.une véritable législation pilote dans le monde occidental.

A travers nos bouleversements politiques, cette' continuité n'est pas le résultat d'un miracle : elle s'explique d'abord par l'évidence d'un problème national qui a fini par s'imposer à tous.

Comme l'écrit encore Alfred Sauvy : « Philippe Pétain et Charles de Gaulle se sont réciproquement condamnés à mort ; leurs poli- tiques étrangères ont été radicalement opposées. Mais tous deux ont vu la nécessité d'encourager la famille et ont agi dans ce sens.

Leurs adversaires communs, les communistes, les ont accompagnés sur ce point. Conservateurs et progressistes ont également accordé leurs vues. »

Mais cette continuité tient aussi beaucoup à l'existence, dans les milieux dirigeants, politiques, administratifs et économiques, d'un groupe d'hommes convaincus depuis longtemps de la nécessité d'une politique démographique. Ils pourront être profondément, parfois atrocement, divisés sur le plan politique, ils resteront unis sans défaillance sur le plan familial.

A u code de 1939, signé par Paul Reynaud, futur Président de

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la Commission des Finances de l'Assemblée Nationale sous les I Ve et Ve République, auront collaboré Yves Bouthillier, alors Secrétaire Général du Ministère des Finances, futur Ministre de l'Economie Nationale du maréchal Pétain, et, de manière, particu- lièrement active, un jeune auditeur au Conseil d'Etat, chargé de mission au Cabinet de Paul Reynaud et nommé Michel Debré. C'est à ce dernier, dès longtemps éclairé par son père, l'illustre pédiatre, sur la gravité de ce problème, qu'incombera plus tard la lourde tâche de maintenir, comme Premier Ministre de la Ve République, et en dépit des contraintes de la politique d'austérité, les éléments essentiels de nos lois familiales. C'est à lui aussi qu'appartiendra l'honneur, nous l'espérons fermement, de réaliser de nouvelles réformes, comme celle qu'il vient d'amorcer, avec courage, sur le régime de l'alcool et comme celles que prépare le Comité de la Famille qu'il a récemment créé et que préside un autre grand familial, Robert Prigent.

Enfin, n'est-il pas significatif que le Ministre des Finances du Gouvernement Provisoire, qui attacha son nom en 1945 à l'institution du quotient familial, René Pleven, ait été vingt-deux ans plus t ô t l'un des secrétaires de la commission juridique de la C. G. F . et l'un des auteurs de ce programme familial, dont il à été parlé plus haut et qui préfigurait, sur de nombreux points, l'action qui serait celle même de l'homme d'Etat de la I Ve République ?

*

x * *

C'est donc une volonté persévérante, mise au service d'un plan cohérent, qui a emporté le succès, démentant la légende qui prétend vouer les Français aux improvisations successives et contradictoires.

Le résultat de ce succès, c'est, dès aujourd'hui, l'élargissement continu du marché de consommation ouvert aux producteurs . français^ en heureux contraste avec la stagnation d'entre les deux guerres : déjà, la poussée des jeunes se fait sentir par la création de nouvelles entreprises répondant à de nouveaux besoins — les maternités, les homes d'enfants, les commerces spécialisés s'adres- sant à la future maman, aux nouveaux-nés, aux moins jeunes.

Déjà l'édition des livres de classe, des collections de livres pour la jeunesse, des journaux d'enfants et d'adolescents est en plein essor, comme la fabrication des jouets et des articles de sport. D'autre

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LE RENOUVEAU DÉMOGRAPHIQUE FRANÇAIS 69 part, une nouvelle clientèle modifie les habitudes dans les industries du vêtement, du bâtiment, des véhicules à deux ou à quatre roues.

E t nous ne sommes qu'au début de cette transformation, dont -peut nous donner une idée assez nette l'importance croissante attribuée par les hommes d'affaires des Etats-Unis aux goûts, aux désirs et au pouvoir d'achat des garçons et filles de 13 à 19 ans, les fameux « Teen-agers. ».

Demain, ce sera l'élan donné à la production elle-même par la mise au travail de nouvelles générations bien plus nombreuses que leurs devancières.

L'économie française qui a été maintes fois, depuis dix ans, gênée ou freinée dans son développement par le manque de main- d'œuvre se trouvera brusquement posséder une réserve de jeunes travailleurs qui, si elle est judicieusement utilisée, pourra se révéler aussi bénéfique pour notre pays que l'ont été, après la guerre, pour l'Allemagne fédérale les réfugiés de l'Est, pour l'Italie les chômeurs du « Mezzo Giorno ».

A u moment même où nos deux voisins éprouveront l'effet d'un vieillissement relatif, nous sentirons pleinement les conséquences de notre rajeunissement.

Si les chances qui s'ouvrent à nous sont, dès lors, considérables, il ne faut pas se dissimuler que le succès demeure, à certains égards, fragile et qu'en tout cas il ne se poursuivrait pas au cas où fléchirait la volonté de maintenir les conditions d'efficacité d'une politique qui a fait ses preuves. Le renouveau démographique garde, en effet, en France, un caractère très modéré. Le taux de natalité, dangereu- sement affaibli entre les deux guerres, est seulement revenu à ce qu'il était au début du siècle (21,4 % en 1947, 18,1 % en 1958, contre 20,6 % vers 1900) et c'est la conjonction de ce retour avec le sen- sible abaissement de la mortalité qui permet d'obtenir de substan- tiels excédents de naissances. De son côté, le nombre moyen d'enfants par ménage atteint à peine 2,5 et c'est en multipliant les familles de trois enfants plutôt que les familles nombreuses que les allocations ont été vraiment efficaces : en 1960, sur 2.735.000 familles inscrites aux Caisses d'Allocations, 478.000 seulement, soit 17 % du total, comptent au moins quatre enfants.

On voit à quel point se trompent les esprits chagrins qui dénon- cent les prétendus méfaits du régime des allocations, accusé de faire naître des enfants voués à l'abandon et de créer un risque de paupérisation.

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E n réalité, la France reste, en Europe occidentale, le pays le plus éloigné de tout surpeuplement : au rythme actuel d'accroisse- ment de la population, i l lui faudrait soixante-quinze ans pour atteindre la densité d'habitants au kilomètre carré de la Suisse, plus de deux cents ans pour rejoindre celle de l'Angleterre ou de la

Belgique. . Il est à noter, d'autre part, que depuis quelques années, l'impor-

tance relative des allocations familiales par rapport au salaire de base a sensiblement fléchi, faute d'avoir appliqué les augmen- tations automatiques cependant prévues par la loi en cas de hausse des salaires. Les excédents de ressources de caisses d'allocations familiales ont été ainsi détournés de leur affectation normale pour combler les déficits des caisses maladie de la Sécurité Sociale, et le pouvoir d'achat des familles a bien davantage baissé que celui des célibataires au cours de la période récente qui a v u l'arrêt de l'inflation et l'assainissement budgétaire.

L a décision toute récente d'augmenter de 5 % les allocations est un premier pas — encore timide — vers le redressement d'une situation qui, si elle se prolongeait, risquerait de remettre en cause l'heureuse évolution qui avait profondément modifié la psychologie des masses à l'égard de la famille : or tout retour vers les anciennes tendances à la dénatalité pourrait' ruiner les légitimes espoirs qui sont actuellement fondés sur les jeunes nés depuis quinze ans.

L a conséquence immédiate du renouveau démographique, c'est en effet d'accroître le nombre des enfants et des adolescents par rapport à une population active d'adultes qui ne varie pas et doit supporter momentanément une charge d'autant plus lourde que, de son côté, la proportion des vieillards inactifs augmente sensiblement.

Dès lors, i l est essentiel que l'expansion de l'économie précède en quelque sorte, en répondant aux besoins de consommateurs improductifs plus nombreux, l'impulsion que la production recevra plus tard de la mise au travail des jeunes générations.

C'est grâce à l'expansion qu'il sera possible de financer et d'orienter l'immense effort d'investissement nécessaire pour assurer le logement, l'instruction et l'emploi des jeunes que le pays a voulus et qu'il se doit maintenant d'accueillir.

Pour réussir cette opération, le temps nous est mesuré. Si, pour l'enseignement primaire, le sommet de la vague est derrière

*

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LE RENOUVEAU DÉMOGRAPHIQUE FRANÇAIS 71 nous, i l s'annonce bientôt pour le secondaire et le technique et, un peu plus tard, pour le supérieur. Ensuite, dès 1965, le nombre de jeunes arrivant à l'âge du travail et du mariage augmentera rapidement. C'est au plus tard vers 1970 que les fait» auront décidé entre le succès et l'échec, c'est-à-dire entre la consolidation définitive de la prospérité française et une catastrophe où sombreraient les valeurs humaines qui nous sont chères.

*

* *

L'évolution démographique depuis quinze ans — reprise du nombre des mariages annuels, augmentation du nombre des enfants par ménage, allongement de la vie humaine — a entraîné un accrois- sement de la demande sur un marché du logement déjà profon- dément déséquilibré par les destructions de la guerre, le retard ou même l'arrêt des constructions neuves entraîné depuis quarante ans par notre déplorable législation des loyers, l'afflux continuel

«lans les villes d'une partie de la population rurale.

Heureusement, les parlementaires de la IV? République ont, a l'appel courageux de Claudius Petit et de René Pleven, mieux compris le problème que leurs devanciers de la III*.

L a loi de 1948 sur les loyers, celle de 1950 sur les primes et les prêts à la construction ont marqué un tournant décisif et permis, en dépit de maintes difficultés, d'ouvrir un nombre grandissant de chantiers.

Sous l'impulsion de Pierre Sudreau, nous sommes depuis peu parvenus à construire 300.000 nouveaux logements par an, et

«ependant les jeunes ménages rencontrent encore dans beaucoup de villes, s'ils n'ont pas de ressources relativement élevées, de graves difficultés pour se loger. C'est dire comhien est indispensable le maintien de ce rythme, malgré les problèmes financiers qu'il peut soulever, et combien serait utile son accélération, à l'approche des mariages plus nombreux de 1965 et des années suivantes.

Pour cela, i l faudra sans aucun doute maintenir les avantages accordés à la construction et le régime de l'épargne-crédit, relever encore les loyers anciens, dont l'abaissement artificiel se fait aux dépens des jeunes foyers, et se donner pour but d'affecter au logement une plus large partie de l'accroissement dû revenu national dû à l'expansion. L a proportion de ce revenu actuellement consacrée au logement est certainement insuffisante pour couvrir tous les

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besoins et en particulier ceux de l'entretien de l'habitat ancien, terriblement négligé. Il ne sera certes pas populaire d'utiliser par priorité pour le logement une'fraction des plus-values du budget de l'Etat et des augmentations de revenus des particuliers, mais cette politique rigoureuse apparaît seule capable de fournir en quantité et en qualité les toits nécessaires pour abriter de jeunes foyers plus nombreux.

Le problème de l'instruction est peut-être plus difficile à résoudre encore.

L'accroissement du nombre des enfants d'âge scolaire, du à la reprise de la natalité, n'est pas, en effet, la seule raison qui exige une multiplication des établissements d'enseignement des divers degrés, publics ou privés. Il faut y ajouter la tendance déjà ancienne à prolonger les études de jeunes gens de plus en plus nombreux pour répondre aux besoins d'une économie de plus en plus complexe, de plus en plus dominée par la technique et par les découvertes scientifiques.

Enfin, devons-nous tenir compte d'une orientation nouvelle des études, commandée par l'évolution rapide des besoins : nécessité de remédier à l'insuffisance, particulièrement grave en France^

du nombre des ingénieurs ou des techniciens de l'industrie, nécessité aussi de prévoir la possibilité d'une reprise temporaire d'études pour la mise au courant des professionnels, que dépasse souvent, au bout" de quelques années, le bouleversement des techniques.

Veut-on quelques chiffres ?

Dans les douze dernières années (de 1948 à 1959), les élèves de l'enseignement primaire sont passés en France de 4.200.000 à 5.700.000. Pour le secondaire et le technique, on prévoit que de 1957 à 1964 le nombre passera de 1.600.000 à 2.800.000 : la rentrée de 1960 révèle, pour une seule année, un accroissement de 200.000.

Pour le supérieur, déjà passé de 120.000 à 190.000 dans les dix dernières années, on compte sur un doublement d'ici 1970, portant à 400.000 les effectifs universitaires, sans même tenir compte d'une augmentation souhaitable de la proportion des jeunes parvenant aux études supérieures. Comme i l faut envisager, d'autre part, une réorientation. vers les études scientifiques, le rythme de l'accroissement pour les Facultés des Sciences est beaucoup plus rapide : d'après les prévisions actuelles, les effectifs de celle de Paris seraient portés de 17.000 en 1960 à 82.000 en 1971.

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Et, après la nouvelle Ecole d'Ingénieurs de Lyon, plusieurs autres sont en construction ou à l'étude.

On peut, dès lors, imaginer la grandeur de l'effort à fournir pour créer les locaux d'enseignement, les doter de l'outillage conve- nable et plus encore peut-être pour former des maîtres en nombre et en qualité suffisants.

Si forte qu'ait été l'augmentation des crédits consentis depuis quelques années au Ministère de l'Education Nationale, elle n'a pas réussi à éviter des retards inquiétants et des difficultés graves, dus au surpeuplement des classes et à l'insuffisance des maîtres.

L a recherche des terrains, la construction et l'équipement des bâti- ments, la nécessaire revalorisation de la fonction enseignante, peu recherchée de beaucoup de jeunes gens, paraissent parfois soulever des problèmes insolubles et cependant leur règlement est un impé- ratif absolu. Sans techniciens, l'expansion s'arrêtera ; sans facilités d'éducation adéquates, la jeunesse risque de se révolter. Des exemples récents ont montré qu'en tous pa^s les étudiants consti- tuent une force révolutionnaire' redoutable par le poids de leur nombre croissant, encore multiplié par les coefficients de la jeu- nesse, de l'intelligence et du prestige auprès des masses.

Pour répondre aux besoins de l'âge moderne, l'enseignement devra bénéficier, pendant longtemps, d'une priorité absolue en matière de crédits et d'une souplesse d'adaptation continuelle des programmes et des méthodes. A ce double point de vue, beau- coup a été fait depuis quelques années, mais trop reste encore à faire pour qu'on puisse envisager l'avenir avec une confiance complète- ment assurée. Il conviendra d'être impitoyable pour les routines, les rivalités de carrière et d'administration, les tendances malthu- siennes camouflées sous un souci maladif de la qualité de trop nom- breux enseignants, et tout ceci demandera beaucoup d'imagination, de courage, et d'autorité.

Comparé à ce problème crucial, celui des emplois à fournir aux débutants à la sortie de l'école ou de l'université peut paraître moins ardu. Nous l'avons vu, c'est par le manque de main-d'œuvre ou de techniciens que depuis la fin de la guerre l'expansion a été parfois freinée. L'évolution scientifique crée sans cesse de nouvelles .techniques, de nouvelles activités, de nouvelles opportunités.

Aussi, et contrairement à la vieille croyance malthusienne, le nombre des emplois n'est pas fixe et l'expansion démographique elle-même en créant de nouveaux besoins apporte de nouveaux débouchés.

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Pour mettre au travail les jeunes actuellement dénombrés, i l fau- drait créer 1.200.000 emplois de 1965 à 1970, si l'âge de la scolarité n'est pas modifié, 500.000 seulement si, comme i l est vraisemblable, la prolongation des.études, actuellement projetée, se réalise. Com- parés à la masse de 19.500.000 emplois existants en 1959, ce sont là des chiffres relativement modérés qui devraient être atteints sans difficultés majeures si l'on rappelle que de 1954 à 1957 le rythme des créations d'emplois nouveaux avait atteint p r è s . d e 180.000 par an.

Toutefois, cette expansion rapide a bientôt entraîné une forte poussée inflationniste et un déséquilibre de nos échanges extérieurs si grave qu'il appela impérieusement d'énergiques contre-mesures.

On sait que la situation financière et monétaire fut rétablie à la fin de 1958 par l'application des remèdes désormais classiques dans notre monde occidental : réduction du déficit budgétaire, restriction de crédit, dévaluation monétaire, libération des échanges.

Une récession gravé fut alors évitée, contrairement aux craintes

— ou aux espoirs — des adversaires du plan de redressement ; mais l'expansion s'est ralentie quelque peu depuis trois ans, et, le progrès continu de la productivité aidant, l'augmentation du nombre des emplois n'a pas, suivi exactement celle de la pro- duction elle-même.

C'est dire quels efforts devront accomplir les pouvoirs publics et les dirigeants de l'économie pour procurer aux nouveaux travail- leurs les emplois nécessaires.

Il faudra améliorer sans,cesse la connaissance rapide des faits économiques comme l'étude et l'exécution des plans quadriennaux1 ou quinquennaux, réaliser un nécessaire équilibre entre la stabilité des finances et la croissance de la production, poursuivre la mise en valeur régionale et l'aménagement rationnel du territoire, et, pour cela, maintenir un niveau particulièrement élevé des inves- tissements publics et privés, en s'opposant, s'il le faut, à un accrois- sement trop rapide de certaines consommations.

*

* *

Toutes ces tâches sont assurément délicates, mais l'expérience de pays voisins a montré qu'on peut les assurer dans une atmosphère de stabilité politique et de discipline nationale.

Une telle réussite exige en France que l'opinion comprenne

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LE RENOUVEAU DÉMOGRAPHIQUE FRANÇAIS 75

clairement la nature du problème. Nul parti unique n'est là, fort heureusement d'ailleurs, pour catéchiser les masses et notre Minis- tère de l'Information n'est pas chargé d'une œuvre de propagande.

Il faut néanmoins trouver le moyen de rendre clair dans tous les milieux sociaux, dans toutes les régions françaises, dans toutes les entreprises et dans tous les foyers, l'objectif qui doit être celui tra pays tout entier.

Il s'agit d'une œuvré si noble et si féconde qu'elle rassemblera sans aucun doute les énergies de tous et rendra acceptables les sacri- fices limités dans le temps qu'elle implique, si dû moins les pouvoirs publics mobilisent, pour l'expliquer aux Français, les moyens d'information si nombreux et si efficaces que les techniques modernes mettent à leur. disposition.

A ce prix, les efforts pratiqués depuis trente ans trouveront leur pleine efficacité dans une croissance harmonieuse de la nation française.

H E N R I D E R O Y , Président du Musée Socicd.

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