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Étude du processus de production allographique et autographique du groupe d'improvisation collective libre The Contest of Pleasures

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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Étude du processus de production allographique et

autographique du groupe d’improvisation collective

libre The Contest of Pleasures

Mémoire

Pascal Landry

Maîtrise en musique - Musicologie

Maître en musique (M. Mus.)

Québec, Canada

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Étude du processus de production allographique et

autographique du groupe d’improvisation collective

libre The Contest of Pleasures

Mémoire

Pascal Landry

Sous la direction de :

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Résumé

Dans bien des cas, comme dans la musique indienne, le flamenco, ou le jazz, l’improvisation se construit autour d’un langage musical défini et structuré. Lorsqu’elle est exécutée à travers de tels systèmes fermés, où des codes stylistiques préétablis guident l’improvisation en cours, elle demeure partiellement improvisée. Parallèlement à ces tendances, des musiciens ont développé des formes d'improvisation beaucoup plus libres. C’est le cas notamment dans l’improvisation collective libre, où le processus de l’improvisation en soi est désormais l’acte fondamental de la production artistique. En évitant ainsi de faire appel à des structures idiomatiques connues, le résultat sonore d’une improvisation collective libre ne serait généré que par son propre développement durant la durée d’une création. Comment une cohésion esthétique peut-elle s’installer entre les musiciens dans un tel contexte de production? Afin de mieux comprendre les structures inhérentes de production du discours musical improvisé permettant d’observer la constitution d’un langage esthétique partagé entre musiciens d’une communauté spécifique de pratique, ce mémoire propose d’observer l’influence de la pratique continue au sein d’un même groupe d’improvisation collective libre sur la construction des improvisations issues de ce groupe. Par une historicisation de la pratique du groupe, une analyse comparative des formes structurelles des improvisations et l’observation des récurrences dans les matériaux musicaux explorés dans la production musicale du groupe d’improvisation collective libre The Contest of Pleasures, cette étude propose plus spécifiquement d’étudier la relation dialectique qui pourrait exister entre les régimes allographiques et autographiques, théorie des régimes d’immanence léguée par Nelson Goodman, en improvisation collective libre.

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Abstract

In many cases, as in Indian music, flamenco, or jazz, improvisation is built around a defined and structured musical language. When executed through such closed systems, where pre-established stylistic codes guide the improvisation in progress, it remains partially improvised. Alongside these trends, musicians have developed much freer forms of improvisation. This is particularly the case in collective free improvisation, where the process of improvisation is now the fundamental act of artistic production. By avoiding the use of known idiomatic structures, the sound result of a collective free improvisation would only be generated by its own development during the creation. How can aesthetic cohesion be established between musicians in such a context? To better understand the inherent structures of production of improvised musical discourse, and to elucidate the possible constitution of an aesthetic language shared between musicians of a specific community of practice, this thesis proposes to observe the influence of the continuous practice within the same group of collective free improvisation on the construction of its improvisations. Through a historicization of the collective free improvisation group The Contest of Pleasures practice, a comparative analysis of the structural forms of the group’s improvisations and the observation of recurrences in the musical materials explored in their musical production, this thesis proposes more specifically to study the dialectical relation that could exist between the allographic and autographic regimes, from the work of art theory by Nelson Goodman, in collective free improvisation.

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Table des matières

RÉSUMÉ ... III ABSTRACT ... IV TABLE DES MATIERES ... V LISTE DES FIGURES ... VIII LISTE DES TABLEAUX ... IX LISTE DES EXTRAITS MUSICAUX ... X REMERCIEMENTS ... XI INTRODUCTION ... 1 CONTEXTE ... 1 PROBLÉMATIQUE ... 1 État de la recherche ... 1 Problème ... 6

Question de recherche et objectifs ... 7

CADRE THÉORIQUE ... 7

Régimes d’immanence en arts ... 7

MÉTHODE ... 9

Le corpus ... 9

OUTILS PRATIQUES D’ANALYSE ... 12

Excel, Reaper, Sonic Visualizer et Paint ... 12

STRUCTURE DU MÉMOIRE ... 12

CHAPITRE 1 ... 14

IMPROVISATION ... 14

HISTORIQUE ET INFLUENCES ... 15

Avant-garde (tradition classique) ... 16

Free jazz ... 18

Manifestations européennes ... 18

Aujourd’hui ... 22

CHAPITRE 2 ... 25

ANALYSE DES PISTES ... 25

ANALYSE DE PIÈCES SÉLECTIONNÉES SUR LES ALBUMS ... 29

The Contest of Pleasures (2001)... 30

Tempestuous (2006) ... 36

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Amsterdam (2007) ... 42

Le Bruit de la Musique (2015) ... 46

CHAPITRE 3 ... 53

STATISTIQUES GÉNÉRALES (ALBUMS) ... 53

Durée des albums ... 53

Nombre et durée moyenne des morceaux ... 54

Nombre et durée moyenne des sections ... 54

Nombre moyen et durée moyenne des sous-sections ... 55

STATISTIQUES GÉNÉRALES (CONCERTS) ... 57

Durée des concerts ... 57

Nombre et durée moyenne des sections ... 58

Nombre et durée moyenne des sous-sections ... 58

RÉCURRENCES DANS LES MATÉRIAUX MUSICAUX ... 59

Glissandi ascendants ... 59

Silences pseudo-cadentiels ... 62

Formes en arche ... 64

Densification graduelle du matériel utilisé dans les sections ... 66

CONCLUSION ... 69

BIBLIOGRAPHIE ... 75

MÉDIAGRAPHIE ... 80

ANNEXES ... 81

ANNEXE 1SPECTROGRAMMES DE PAMPLEMOUSSE ... 81

ANNEXE 2SPECTROGRAMMES DE QUETSCH ... 82

ANNEXE 3SPECTROGRAMMES DE LOGANBERRY ... 83

ANNEXE 4SPECTROGRAMMES DE GREENGAGE ... 84

ANNEXE 5SPECTROGRAMMES DE KUMQUAT ... 86

ANNEXE 6SPECTROGRAMMES DE TEMPESTUOUS 1 ... 87

ANNEXE 7SPECTROGRAMMES DE TEMPESTUOUS 2 ... 89

ANNEXE 8SPECTROGRAMMES DE TEMPESTUOUS 3 ... 90

ANNEXE 9SPECTROGRAMMES DE TEMPESTUOUS 4 ... 91

ANNEXE 10SPECTROGRAMMES DE TEMPESTUOUS 5 ... 92

ANNEXE 11SPECTROGRAMMES DE TEMPESTUOUS 6 ... 93

ANNEXE 12SPECTROGRAMMES DE TEMPESTUOUS 7 ... 94

ANNEXE 13SPECTROGRAMMES DE EUROPEAN TRYTONE ... 95

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ANNEXE 15ANALYSE DU FESTIVAL LE BRUIT DE LA MUSIQUE (2015)(NOTES PERSONNELLES) ... 101

ANNEXE 16ANALYSE DU FESTIVAL EUROPEAN TRYTONE (2007)(NOTES PERSONNELLES) ... 104

ANNEXE 17ANALYSES DE TEMPESTUOUS (2006)(NOTES PERSONNELLES) ... 107

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Liste des figures

Figure 1 – Spectrogramme de Kumquat ______________________________________________________ 27 Figure 2 – Spectrogramme de Kumquat - section 1 _____________________________________________ 27

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Liste des tableaux

Tableau 1 - Jeu de John Butcher sur Kumquat _________________________________________________ 25 Tableau 2 - Analyse du jeu instrumental dans Kumquat _________________________________________ 26 Tableau 3 - Types de transitions (Nunn) ______________________________________________________ 28 Tableau 4 - Fonctions relationnelles (Nunn) ___________________________________________________ 29 Tableau 5 - Analyse de Loganberry __________________________________________________________ 31 Tableau 6 - Analyse de Greengage __________________________________________________________ 35 Tableau 7 - Analyse de Tempestuous 1 _______________________________________________________ 38 Tableau 8 - Analyse de Tempestuous 6 _______________________________________________________ 40 Tableau 9 - Analyse d'Amsterdam - section 3 __________________________________________________ 43 Tableau 10 - Analyse d’Amsterdam - section 8 _________________________________________________ 45 Tableau 11 - Analyse de Bruit de la Musique - section 4 _________________________________________ 47 Tableau 12 - Analyse de Bruit de la Musique - section 5 _________________________________________ 49 Tableau 13 - Analyse de Bruit de la Musique - section 8 _________________________________________ 50 Tableau 14 - Analyse de Bruit de la Musique - section 10 ________________________________________ 52 Tableau 15 - Durée des albums _____________________________________________________________ 53 Tableau 16 - Nombre de morceaux par album _________________________________________________ 54 Tableau 17 - Durée des morceaux ___________________________________________________________ 54 Tableau 18 - Nombre de sections ___________________________________________________________ 54 Tableau 19 - Durée des sections ____________________________________________________________ 55 Tableau 20 - Nombre de sous-sections _______________________________________________________ 55 Tableau 21 - Durée des sous-sections ________________________________________________________ 56 Tableau 22 - Durée des concerts ____________________________________________________________ 57 Tableau 23 - Nombre de sections par concert _________________________________________________ 58 Tableau 24 - Durée moyenne des sections ____________________________________________________ 58 Tableau 25 - Nombre de sous-sections _______________________________________________________ 58 Tableau 26 - Durée des sous-sections ________________________________________________________ 58 Tableau 27 – Spectrogrammes des glissandi ascendants _________________________________________ 61 Tableau 28 - Spectrogrammes des silences pseudo-cadentiels ____________________________________ 63 Tableau 29 - Spectrogrammes des formes en arche _____________________________________________ 65 Tableau 30 - Spectrogrammes de la densification graduelle du matériel utilisé dans les sections_________ 67

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Liste des extraits musicaux

Les fichiers sonores ont été déposés séparément. Extrait 1 – Loganberry

Extrait 2 – Greengage Extrait 3 – Tempestuous 1 Extrait 4 – Tempestuous 6 Extrait 5 – Amsterdam section 3 Extrait 6 – Amsterdam section 8 Extrait 7 – Bruit de la Musique section 4 Extrait 8 – Bruit de la Musique section 5 Extrait 9 – Bruit de la Musique section 8 Extrait 10 – Bruit de la Musique section 10

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Remerciements

Ce mémoire n’aurait pas pu être réalisé sans l’appui de plusieurs personnes envers qui j’aimerais exprimer ma gratitude. Je tiens d’abord à remercier ma directrice de recherche, Sophie Stévance. Je tiens aussi à remercier Andrea Creech et Gérald Côté d’avoir accepté d’évaluer ce mémoire. Merci également à Gérald Côté et Clément Canonne d’avoir accepté de m’accompagner dans la poursuite de mes études.

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Introduction

Contexte

L’improvisation musicale, de l’italien improvviso, ou « imprévu », est une forme de création musicale très importante pour plusieurs époques. Il s’agit du « fait d’exécuter une musique au fur et à mesure qu’on l’invente » (Larousse dictionnaire de la musique 2005, 551). Dans bien des cas, comme dans la musique indienne, le flamenco, ou le jazz, l’improvisation se construit autour d’un langage musical défini et structuré. Lorsqu’elle est exécutée à travers de tels systèmes fermés, où des codes stylistiques préétablis guident l’improvisation en cours, elle demeure partiellement improvisée. L’improvisation musicale se déroule plus généralement sur ce type de schémas préexistants. Parallèlement à ces tendances, des musiciens ont développé des formes d'improvisation beaucoup plus libres avec l’intention ferme de se soustraire de tout idiome stylistique préétabli. C’est le cas notamment dans l’improvisation collective libre (ICL), ou l’improvisation non idiomatique, où le processus de l’improvisation en soi est désormais l’acte fondamental de la production artistique. En évitant ainsi de faire appel à des structures idiomatiques connues, le résultat sonore d’une improvisation collective libre ne serait généré que par son propre développement au cours d’une création. Comment une cohésion esthétique peut-elle s’installer entre les musiciens dans un tel contexte de production?

Problématique État de la recherche

Plusieurs auteurs s’entendent sur la nature spontanée et nécessairement éphémère de la génération du discours musical dans l’improvisation collective libre. En voulant définir ce type de pratique, Derek Bailey avance que : « La diversité est la caractéristique la plus évidente de cette musique. Celle-ci, en effet, n’adhère à aucun style ou langage particulier, ne se conforme à aucun son particulier. Son identité n’est déterminée que par l’identité musicale des personnes qui la pratiquent » (Bailey 1999, 98). Clément Canonne abonde dans le même sens en ce qui a trait à la disposition de l’improvisateur avant le début de l’improvisation libre lorsqu’il écrit que : « Ce qui caractérise l’improvisateur libre, c’est qu’il n’effectue aucun préengagement vis-à-vis d’un idiome donné avant de commencer à improviser : il n’est pas lié à un idiome donné avant de commencer » (Canonne 2012, 117).

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Pour Edwin Prévost, le moment de l’improvisation est autonome, car la relation entre les musiciens-improvisateurs est entièrement dialogique et aucun mécanisme externe ne vient entacher la production sonore issue de l’improvisation collective libre lorsqu’elle celle-ci est initiée (Prévost 2009, 43). Dans la même logique, où toute l’information nécessaire à l’improvisation est générée par l’improvisation elle-même, Matthieu Saladin avance que, dans l’improvisation collective libre, le « produit et le processus semblent strictement coïncider » (Saladin 2014, 149).

Toutefois, certains discours sur le résultat sonore issu de l’improvisation collective libre s’éloignent de ce qui est dit sur le processus lui-même. Marta Blažanović, discutant de la musique des improvisateurs berlinois réunis sous la bannière d’Echtzeitmusik, ou encore du réductionnisme berlinois, mentionne que :

One often has the impression that the music is very controlled and coherent, so it is very hard to believe that it is actually improvised. This is, of course, a result of a certain reductive procedure, unavoidable for every kind of successful group improvisation, but also of the experience of regularly working together for a longer period of time. (Blažanović 2012, 76).

Le fait que le travail commun continu mène vers un certain abandon des principes fondamentaux de l’improvisation collective libre, c’est-à-dire la création d’une musique qui s’investigue elle-même en temps réel, est ainsi corroboré par Burkhard Beins lorsqu’il écrit sur ce processus : « The risks associated with establishing common musical territories and their inherent self-restriction […] seem to me to lie in possible tendencies towards inflexibility, stagnation, self-imitation, and the development of group-specific clichés » (Beins 2011, 173). Un écart se dresse entre ce qui est dit sur la posture de l’improvisateur « libre » vis-à-vis des idiomes musicaux préétablis et le résultat sonore esquissé par certains groupes d’improvisateurs.

Une musique semblant être à ce point « contrôlée et cohérente » qu’il est difficile de croire qu’elle est improvisée, construite autour du développement de « clichés spécifiques à un groupe », peut difficilement être reconnue comme étant « libérée » de tout idiome stylistique préétabli. On fait alors face à un certain paradoxe interne dans les principes fondamentaux de l’improvisation collective libre. La pratique continue de ce type de création à travers un réseau relativement clos de musiciens semble aboutir à une stagnation, temporaire ou

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définitive, du matériau musical utilisé dans les improvisations. Or, il est difficile de saisir le résultat perçu des ICL sans comprendre comment cette musique est construite. Il nous est plus aisé d’appréhender ce phénomène en regardant ce que certains auteurs écrivent sur le processus mis à l’œuvre par les improvisateurs dans les ICL.

Pour certains chercheurs, l’improvisation s’apparente à la conversation et procède conformément à des prises de décisions dynamiques en temps réel (Stein 2011, 14; Healey 2005, 1). Cette comparaison, un peu simpliste, ne nous en apprend pas sur la dynamique interne des matériaux musicaux dans l’ICL. Pour plusieurs auteurs, cette négociation entre les musiciens et le matériel musical improvisé se fait au niveau de l’individu; c’est la collection des informations sonores produites par les différents intervenants qui façonne l’improvisation en cours.Selon Amaro de Menezez, les musiciens initient les changements formels selon un processus itératif se faisant en deux temps, qui se substituent de manière pendulaire : 1) la perception auditive et 2) l’action motrice. L’action motrice est vue comme une réponse automatique, variant selon l’expérience et le vécu du musicien (Amaro 2010, 61). Pour Stenström, à l’instar d’Amaro de Menezez, l’improvisateur procède aussi selon un modèle itératif, mais cette fois à trois étapes : 1) la perception, l’écoute et l’encodage des informations auditives reçues, 2) l’évaluation consciente ou inconsciente des réponses possibles vis-à-vis de ces informations, et 3) la réaction motrice (Stenström 2009, 66). Selon Pressing, les musiciens génèrent individuellement du matériel inédit également selon un cycle itératif en trois étapes, mais pas dans le même ordre, focalisées sur les évènements sonores : 1) l’idéation du matériel musical, 2) l’exécution de celui-ci, et 3) l’évaluation esthétique (Pressing 1998, 52). Pour Neeman, l’ICL suit le modèle cognitif de la perception-réaction suivant lequel l’improvisateur crée de nouvelles idées en observant son environnement. Selon ce modèle, l’improvisateur suit également un modèle itératif à trois étapes lorsqu’il improvise : 1) l’automatisation, 2) la variation, et 3) la recombinaison (Neeman 2014, 46). Selon lui : « the recombination stage is where improvisation enters the process. The preparation involved in the automatization and variation stages creates mental “clusters” that streamline the creative process » (Neeman 2014, 47). Également pour Wilson et MacDonald, les musiciens sont constamment dans un processus itératif lorsqu’ils improvisent. En revanche, selon eux ce processus se fait selon quatre étapes : 1) l’évaluation du matériel en place, 2) la décision de maintenir ou de changer de matériel, 3) si changement

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il y a, la décision d’initier le changement ou de répondre à un changement proposé par un autre musicien, et 4) s’il y a réponse, la décision d’adopter le matériel tel que proposé, de l’augmenter, ou de le contraster. Ces décisions sont toujours prises par contraintes, elles sont subjectives et adaptées à des situations spécifiques (Wilson 2015, 7). Cependant, ces modèles axés sur la prise de décision individuelle ne rendent pas compte de la cohésion formelle collective qui peut s’installer lors d’une ICL.

Plusieurs auteurs suggèrent que les ICL affichent des formes structurelles claires. Cet état de fait indique que les improvisateurs sont aptes à construire des structures collectives, basées sur les interactions collectives, et non pas seulement sur le processus individuel de modification du matériel musical. Pour Canonne et Garnier, la forme d’une improvisation collective émerge du comportement individuel des improvisateurs au cours de l’improvisation. Quoique la forme dépende des contributions et décisions individuelles, elle n’est jamais déterminée en entier par ceux-ci (Canonne 2015, 145). Selon eux, la forme des improvisations libres est faite de segments. Le processus génératif du matériel musical au niveau de l’individu se fait également par phases successives et par sections. C’est la combinaison de ces différents éléments individuels qui structure la forme de l’ICL (Canonne 2015, 146). Autrement dit, le collectif transcende l’individuel, possède sa dynamique propre et influence le cours de l’improvisation au-delà de l’intention des improvisateurs. La forme structurelle d’une ICL est donc sujette à l’émergence collaborative:

The form in collective free improvisation can be seen as a result of ‘collaborative emergence’ only partially controlled by the improvisers. As the improvisers are often driven by an underlying regulative objective of musical or aesthetical coherence, the collective output becomes more and more autonomous over the course of the improvisation, growingly constraining the musicians’ decisions and actions. (Canonne 2015, 158).

Cette construction collective de l’ICL est également le moteur des changements formels observés à même une improvisation. SelonAmaro de Menezez, les changements qualitatifs au cours de l’improvisation sont générés par des changements quantitatifs, tels que le volume général de l’ensemble, la densité des matériaux utilisés ou la longueur des sections (Amaro 2010, 5). La réitération du matériel utilisé dans une section devient la principale source de changement qualitatif (Amaro 2010, 56). De son côté, Schögler rapporte que le développement de la tension dans une improvisation est un moment d’anticipation en vue

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d’une synchronicité entre les musiciens. Cette synchronicité devient à son tour le principal vecteur de changements formels à l’intérieur de l’improvisation (Schögler 1999, 83). Il y a, selon lui, trois phases consécutives conduisant aux changements formels : 1) l’anticipation et le développement de la tension musicale, 2) la résolution de cette tension et 3) un bref moment d’inactivité. Pour Borgo, les improvisations sont aussi segmentées en sections, qu’il appelle « phase spaces ». Ces sections constituent les différents moments de convergence entre les appréciations subjectives des musiciens. Cette synchronicité tient davantage de la concordance entre les intentions des improvisateurs plutôt qu’à la synchronicité des matériaux musicaux, même si celle-ci peut également apparaître, quoique plus rare (Borgo 2004, 1). À l’intérieur de chaque section apparaissent différentes sous-sections dans lesquelles il y a intersubjectivité entre les voix individuelles. Les transitions entre les sections sont motivées par des évènements sonores qui ont une résonance différente pour les musiciens de l’ensemble et sont issus d’une décision collective, souvent lors de moments de synchronicité inattendue ou lorsque la direction générale de l’ensemble se solidifie autour d’une nouvelle idée musicale partagée (Borgo 2004, 3). La présence de ces évènements transitionnels peut mener, ou non, l’improvisation vers une nouvelle section. (Borgo 2005b, 11). Selon Canonne et Garnier, une pièce d’ICL est également vue comme un ensemble de séquences collectives où les musiciens se rencontrent autour d’une idée musicale partagée. Cette idée musicale est par la suite jouée jusqu’à son épuisement, jusqu’à ce qu’elle soit volontairement éliminée, ou qu’une nouvelle idée vienne subitement la supplanter (Canonne 2015, 146). Bien que ces écrits sur l’influence des interactions collectives sur le déroulement d’une ICL nous renseignent davantage sur ce type de processus, ils ne tiennent pas compte des effets de la pratique continue d’un groupe sur le long terme dans l’ICL.

Effectivement, pour Stenström, la collaboration sur le long terme amène des changements esthétiques plus profonds dans le processus de l’ICL que la collaboration ad hoc. Selon lui : « over long-term cyclical collaborations and developmental processes, it is increasingly probable that “real communication” will have more time to develop between the musicians, together with the probability that this communication may also become deeper, and of a more transforming nature » (Stenström 2009, 40). Cette « communication réelle » est nourrie, selon Pressing, par des images référentielles partagées par les improvisateurs : « The referent is a guiding image used by the improviser to facilitate the generation and editing of

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improvised behavior on an intermediate time scale » (Pressing, 1984, 346). Pour Burrows, ces images référentielles portent le nom d’archétypes. En partageant des archétypes communs, les improvisateurs ont des réactions conscientes, mais aussi inconscientes, vis-à-vis des stimulus sonores. D’après Burrows:

During a performance, there is a subtle, web-like interplay of individual psychological needs and intentions, technical tasks and difficulties associated with playing musical instruments, awareness of the audience (if the performance is public) and, most centrally, conscious and unconscious reactions to sound stimuli. (Burrows 2004, 2).

Selon lui, la capacité qu’a l’improvisateur de prédire la conséquence de son action performative sur le résultat sonore du collectif est primordiale (Burrows 2004, 8). Cette capacité est nourrie par les archétypes. Lorsqu’un groupe d’ICL évolue ensemble sur une longue période de temps : « more durable archetypal meanings may emerge at conscious or unconscious levels » (Burrows 2004, 14). La conscience collective de l’ensemble a donc des répercussions subconscientes sur l’improvisateur. Selon Burrows:

This musical collective unconscious would then consist of musical archetypes which have more or less consistently produced similar results in the course of improvising. This suggests that, even without thinking, members of the group can make musical gestures that direct the course of an improvisation. (Burrows 2004, 13).

Il subsiste donc un « pouvoir mystérieux » fondamental associé à l’improvisation (Burrows 2004, 14).

Problème

Toutes les analyses mentionnées plus haut menant à l’énonciation de méthodes de production individuelles ou collectives du matériel musical chez l’improvisateur ont été faites sur des pièces isolées et décontextualisées. Il est difficile de valider la totale originalité du discours instrumental en confondant les ensembles ad hoc et les ensembles où les musiciens partagent une longue expérience commune. On peut supposer que les méthodes de production sont très éloignées dans d’aussi divers contextes. De même, ceux qui reconnaissent l’empreinte d’une coordination processuelle lors d’ICL, à un point où on peut avoir l’impression d’entendre des compositions, expliquent le phénomène surtout par des considérations sociales. Or, tout en reconnaissant que des improvisateurs travaillant ensemble depuis longtemps risquent d’arriver à une stagnation dans leur processus musical improvisé respectif, ces auteurs ne

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tentent pas d’identifier comment une stagnation relative peut s’installer. Enfin, les auteurs qui reconnaissent qu’une longue expérience partagée modifie fondamentalement la production d’une ICL camouflent cette expérience sous des termes vagues, et de surcroît liés au subconscient, comme « référents » ou « archétypes ». Rien ne nous permet d’observer clairement l’influence que la pratique d’ICL, sur le long terme avec le même groupe, peut avoir concrètement sur le matériel musical.

Question de recherche et objectifs

Dans quelle mesure la pratique continue au sein d’un même groupe d’improvisation libre influence-t-elle la construction des improvisations issues de ce groupe ? Il nous semble important d’observer si le discours musical issu de l’improvisation collective libre, en groupe et sur une longue période, est également élaboré durant un autre moment que la création in situ. Cet autre moment persistant de l’improvisation collective libre serait celui de l’élaboration de systèmes plus ou moins fixes de production du discours musical. Une recherche sous cet angle, qui entrevoit l’improvisation libre comme étant accomplie selon différents plans, offre une vision plus globale du phénomène. Des systèmes idiomatiques de production du discours musical, en improvisation collective libre, présupposent une importance des moments extramusicaux, moments qui semblent diverger de l’attitude d’ouverture totale à l’accident revendiquée par l’improvisateur libre. Cette vision de l’improvisation a l’avantage d’étendre l’analyse de l’improvisation collective libre vers des paramètres plus abstraits, ce qui est souvent mis de côté dans les recherches actuelles. Ceci nous ramène aux objectifs de ce mémoire de maîtrise : mieux comprendre les structures inhérentes de production du discours musical improvisé et observer la constitution d’un langage esthétique partagé entre musiciens d’une communauté spécifique de pratique se prolongeant au-delà du moment de l’improvisation. De cette manière, il devient possible d’identifier certaines étapes successives dans l’élaboration d’un système idiomatique de production du discours musical, et peut-être de découvrir une clé de ce processus de création.

Cadre théorique

Régimes d’immanence en arts

Afin d’identifier ce qui relève d’une abstraction idiomatique du langage musical improvisé et de l’élaboration subséquente d’un système plus ou moins défini de production sonore, la

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théorie des régimes d’immanence et de transcendance en arts léguée par Nelson Goodman (Goodman: 1968), notamment le pôle autographique/allographique qu’elle propose, est utilisée. Gérard Genette nous offre des définitions et des explorations plus élaborées de la dichotomie établie par Goodman entre les différents régimes en arts. Pour Genette, « les objets d’immanence autographiques, qui consistent en des objets ou évènements physiques, tombent naturellement sous les sens et se prêtent à une perception directe de la vue, l’ouïe, le toucher, le goût, l’odorat » (Genette 1994: 37). Il distingue deux sortes d’objets : les choses et les faits, ou actes, et précise qu’« une improvisation ou une exécution musicale [...] sont des actes, et donc des faits » (ibid, 38). L’improvisation musicale est donc une forme d’art autographique, car, comme le précise Canonne : « son identité n’est pas fixée par la satisfaction de propriétés encodées (dans une partition, par exemple), mais par une relation particulière entre invention et exemplification d’un type » (Canonne 2010: 11). À l’opposé, le régime allographique en arts est caractérisé par la notation possible « des identités spécifiques, définies par l’ensemble des « propriétés constitutives » de ces objets, et qu’elles permettent de « reproduire » dans des nouvelles manifestations conformes » (Genette 1994: 91). L’existence de la notation n’est pas une condition nécessaire de l’allographisme, mais la possibilité de cette existence l’est. Sous cet angle, l’improvisation musicale, même libre, est également allographique, dans le sens où elle peut être notée et rejouée après coup.

Nelson Goodman est amené à observer des états « mixtes et de transition » entre les régimes autographiques et allographiques (Goodman 1990: 258). C’est notamment le cas de l’architecture. Pour Goodman, il est difficile de savoir si deux bâtiments (autographiques) issus d’un même plan (allographique) sont deux itérations de la même œuvre, ou deux manifestations complètement différentes. Pour Genette, l’architecture « présente aujourd’hui des formes purement autographiques (cabanes), des formes pleinement allographiques (HLM en séries), et toutes sortes de formes intermédiaires » (Genette 1994: 44). C’est ce que Goodman entend par états mixtes. L’état « transitionnel peut être pris dans un sens diachronique (l’architecture évoluant, comme peut-être tous les arts, d’un régime autographique originel vers un régime totalement allographique, et se trouvant aujourd’hui en quelque point de ce trajet) » (ibid.). L’ICL pourrait se situer elle aussi dans un tel état mixte et transitionnel. Comme mentionné plus haut, le régime d’immanence de l’improvisation libre peut être double, selon la définition qu’on lui appose, la « vraie réponse

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étant certainement plutôt d’ordre conventionnel que d’ordre technique : la différence entre exemplaire et copie est ici affaire de consensus, et de tradition, et les données sont purement empiriques » (Genette 1994: 45).

Gérard Genette observe également la relation double qui existe entre les régimes autographiques et allographiques dans l’improvisation. « L’autonomie d’une improvisation ne peut être absolue. [...] À l’exception peut-être de certaines tentatives, peu convaincantes, du free, le jazz illustre bien […] la coopération étroite entre l’improvisé et le composé » (Genette 1994: 68). Dans le cas de l’ICL, le « composé » est beaucoup moins évident à situer que dans le jazz et ses standards, ou que dans la basse continue baroque, par exemple. Néanmoins, la pratique partagée entre improvisateurs et étendue dans le temps mène vers une impression de composition du matériel musical. Le groupe s’exprime alors dans un langage relativement connu ou construit. Comme Genette le mentionne : « L’improvisation n’est donc pas un état plus pur des arts de performance, mais au contraire un état plus complexe, où se mêlent, de manière souvent inextricable en pratique, deux œuvres théoriquement distinctes : un texte […] et une action physique » (Genette 1994: 71). De cette perméabilité apparente entre les régimes d’immanences en arts dans l’improvisation musicale apparaissent plusieurs questions : comment mieux comprendre le mouvement dialectique qui s’opère entre l’autographique et l’allographique au sein d’un discours ICL d’un groupe spécifique de production sur une longue période ? Comment identifier les étapes successives dans l’élaboration de leur répertoire idiomatique au sein de leur discours collectif improvisé ? Quels éléments idiomatiques peut-on dégager ? En quoi ces éléments idiomatiques peuvent-ils nous renseigner sur la constitution d’un langage allographique au sein d’une communauté de pratique ? Dans quelle mesure l’observation du mouvement dialectique entre les différents régimes d’immanences en arts permet-elle de mieux comprendre le processus de création d’ICL ? Pour tenter de répondre à ces questions, nous étudions la production sonore d’un groupe d’ICL, The Contest of Pleasures.

Méthode Le corpus

The Contest of Pleasures est un trio d’improvisation collective libre formé en 1999, sous l’initiative de Xavier Charles, et est toujours actif aujourd’hui. Ce groupe est composé par

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John Butcher, saxophoniste anglais, Xavier Charles, clarinettiste français, et Axel Dörner, trompettiste allemand. Afin de ne pas influencer ou altérer les données récoltées, il nous semble primordial d’analyser la totalité du matériel sonore improvisé produit par ce groupe. Dans cette optique, deux des trois albums distribués sous étiquette ont été analysés dans leur entièreté, soit The Contest of Pleasures (2001), enregistré à la chapelle Saint-Jean de Mulhouse le 26 août 2000, et Tempestuous (2007). Ce dernier album a été enregistré lors du Contemporary Music Festival d’Huddersfield le 20 novembre 2006. La raison pour laquelle seulement deux des trois albums distribués ont été analysés est que le troisième album (Albi Days (2006)) est un opus où le matériel est improvisé, mais la construction de toutes les pièces a été faite en postproduction, composé par rapiéçage. Il s’agit donc d’un enregistrement d’une tout autre nature. Deux enregistrements en direct sont également à l’étude. Le premier a été enregistré au European Trytone Festival, le 3 novembre 2007, à Amsterdam; le deuxième, au festival le Bruit de la musique, le 20 août 2015, dans l’église Saint-Martial de Toulx-Sainte-Croix. Ces deux enregistrements ont été trouvés sur le web; il s’agit donc de bootlegs. Un troisième enregistrement en direct est disponible en format vidéo sur le web. Nous le laisserons de côté, car seulement une vingtaine de minutes sont disponibles, soit probablement la moitié du spectacle. Également, cette prestation spécifique débute avec une transition probable d’avec le spectacle précédant, car Tony Buck, batteur australien, accompagne le groupe lors des quatre premières minutes de la vidéo. Pour ces raisons, nous avons exclu cet enregistrement de nos analyses.

Plusieurs facteurs appuient la pertinence du choix de The Contest of Pleasures comme groupe à l’étude. Tout d’abord, les trois improvisateurs formant The Contest of Pleasures sont des sommités de la pratique d’improvisation musicale; la longévité et la diversité de leur carrière respective n’en démentent pas. Également, le groupe se démarque par la complexité des timbres instrumentaux utilisés et des formes musicales qui émergent des improvisations. Effectivement, cette musique est très difficilement notable sur une partition musicale traditionnelle. Ce dernier élément élimine de facto quelques confusions ou évidences théoriques qui auraient pu apparaître suivant l’allographisme en musique tel que décrit par Goodman. Un autre avantage, qui est triple, qu’offre ce corpus est que les quatre itérations à l’étude ont été produites sur une période s’échelonnant sur quinze ans. D’une part, la quantité de musique analysée est assez large pour nous donner un échantillon juste et diversifié.

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D’autre part, les quinze années qui séparent le premier album analysé du dernier spectacle analysé permettent d’observer les changements et les récurrences que seule la pratique sur une longue période peut faire apparaître. Finalement, comme nous avons accès à un nombre égal d’enregistrements distribués sur albums et de spectacles dans leur totalité, soit deux de chacun, nous serons en mesure d’avoir un corpus équilibré.

Entendu que la production sonore de The Contest of Pleasures est improvisée, au sens où rien n’est prévu avant l’exécution, la simple écoute des albums ou des concerts ne nous permet pas de situer cette musique sur les pôles autographiques ou allographiques de la théorie des régimes d’immanence en arts de Goodman. Bien sûr, comme dans toute production musicale, l’autographisme est toujours perceptible. L’exécution en direct d’une musique spécifique « tombe naturellement sous les sens » et reste accessible à l’ouïe. Reconnaissant que l’identité musicale produite durant un concert improvisé n’est pas préalablement fixée par des propriétés encodées sur support, cette musique semble autographique par définition. Comme il n’existe pas de partition réifiant le processus artistique dans la musique improvisée, nous devons nous appuyer sur des analyses approfondies et rétrospectives pour faire émerger les « identités spécifiques » et les « propriétés constitutives reproductibles » de la production sonore improvisée d’un groupe spécifique. De cette manière, il est possible de faire apparaître des structures allographiques dans ce type de processus musical. Comme les analyses des productions sonores improvisées ne peuvent s’accomplir qu’après coup, il est impossible de prédire la reproductibilité du matériel sonore; or, il est possible d’identifier ce qui a été reproduit. Par itérations multiples, un allographisme fragmentaire peut se dégager. Dans la production de The Contest of Pleasures, nous pouvons ainsi identifier et clarifier la relation entre composé, au sens où certaines certitudes dans le processus musical apparaissent après une analyse rétrospective, et improvisé dans la production de The Contest of Pleasures. Afin de déterminer ce qui relève davantage d’une structure allographique ou d’un mouvement autographique à l’intérieur de la production sonore improvisée de The Contest of Pleasures, nous appliquons une méthode faite en trois temps. Il y a tout d’abord analyse du jeu individuel des musiciens sur chaque morceau du corpus. Ensuite, une analyse formelle, par une séparation des pistes et une identification des sections et des sous-sections, est produite. Pour terminer l’analyse, et afin d’observer les récurrences et les contrastes dans le

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jeu des improvisateurs ou dans la forme des sections ou sous-sections, nous procédons à une analyse comparative. Cette analyse comparative est faite à partir d’une sélection des sections, des sous-sections, et des pistes les plus éclairantes. L’analyse comparative se déroule elle-même en deux temps. Premièrement, nous comparons des données statistiques, comme le nombre de sections et de sous-sections dans chaque morceau ainsi que le durée moyenne de celles-ci. Deuxièmement, nous identifions des récurrences dans l’utilisation de matériaux musicaux spécifiques, soit dans le développement formel des morceaux ou dans les méthodes processuelles utilisées fréquemment par le groupe. L’identification des récurrences dans le jeu individuel des musiciens et dans les formes musicales produites nous permet de relever les éléments qui nous servent à observer les structures allographiques de production sonore. À l’opposé, il nous est possible de constater l’autographisme à travers les contrastes formels observés dans les analyses.

Le moment est ici propice pour signifier que l’auteur de ces pages est lui-même praticien d’ICL depuis plusieurs années, autant à travers des contextes de petits ensembles, de grands ensembles, ou même en solo. Se trouvera donc dans ces pages un biais inévitable, celui d’une personne qui découvre continuellement dans cette musique une forme d’expression privilégiée et qui en fait la promotion par l’organisation d’événements.

Outils pratiques d’analyse

Excel, Reaper, Sonic Visualizer et Paint

Le logiciel Reaper a été utilisé lors de l’écoute et de l’analyse des albums et des concerts. Le logiciel Microsot Excel a également été utile durant la collecte de données pour la production des tableaux, où ces données ont été répertoriées et classées. Nous avons aussi utilisé ce logiciel pour créer les statistiques présentées lors du troisième chapitre. Nous avons aussi eu recours au logiciel Sonic Visualizer pour la création des spectrogrammes agrémentés de la visualisation des crêtes audio. L’ajout des séparations entre les sections sur les spectrogrammes a été faite avec le logiciel Paint.

Structure du mémoire

Ce mémoire est séparé en trois chapitres et une conclusion. Le premier chapitre permet de situer historiquement la pratique de The Contest of Pleasures en identifiant certains courants de production sonore qui ont pu, de près ou de loin, influencer la pratique artistique du

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groupe. Le deuxième chapitre présente les analyses des pièces à l’étude. Cette analyse est double et tient compte autant du jeu individuel des musiciens que de la forme globale des pièces. L’analyse des pièces est faite en vue de pouvoir procéder à des analyses comparatives. Ces analyses comparatives, des formes et des matériaux sonores, constituent le troisième chapitre. Enfin, la conclusion est l’occasion de dégager quelques observations plus théoriques faites lors des analyses en montrant notamment que, lorsqu’on traite d’ICL, la dichotomie entre art autographique et art allographique n’est peut-être pas aussi tranchée qu’elle paraît et qu’un état mixte se laisse percevoir.

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Chapitre 1

Le premier chapitre est consacré à situer historiquement la création sonore de The Contest of Pleasures. Sans refaire l’histoire de l’improvisation, il apparaît important d’identifier les indices d’une tradition esthétique à l’intérieur de laquelle le groupe évolue. La diversité des pratiques d’improvisation musicale est presque aussi abondante qu’il y a de musiciens improvisateurs. Dans ce contexte, l’énonciation du mot « improvisation », pour décrire la pratique artistique d’un individu ou d’un groupe, peut mener vers plus de confusion que d’éclaircissement sur cette pratique spécifique. Ce chapitre débute donc par quelques définitions plus larges de l’improvisation musicale. Il existe de nombreuses définitions de l’improvisation musicale qui, sans faire consensus, témoignent de constantes dans la compréhension de cette pratique dont nous ferons état. Nous présentons ensuite les principales caractéristiques processuelles de l’improvisation libre. En outre, nous dressons un bref portrait historique des différents courants musicaux ayant pu influencer l’esthétique de The Contest of Pleasures afin de mieux situer la production du groupe. Nous présentons finalement quelques différentes labellisations des types de pratiques improvisées contemporaines pouvant aider à décrire, et ainsi mieux aborder, la pratique de The Contest of Pleasures.

Improvisation

La définition de l’improvisation offerte par le Grove Music Online nous offre, en peu de mots, un aperçu général des différentes manifestations possibles de l’improvisation musicale. L’improvisation est : « The creation of a musical work, or the final form of a musical work, as it is being performed. It may involve the work’s immediate composition by its performers, or the elaboration or adjustment of an existing framework, or anything in between » (Nettl 2014, paragr. 1). Selon cette définition, la seule caractéristique importante pour qualifier une œuvre d’improvisation musicale est que celle-ci n’ait pas été prévue dans son entièreté avant sa réalisation.Le temps de réalisation de l’œuvre musicale doit être également le temps de son invention, en partie ou en totalité. Sous cet angle, l’improvisateur peut être simplement dans une posture de « reworking of precomposed material and designs in relation to unanticipated ideas conceived, shaped and transformed under the special conditions of performance » (Berliner 1994, 241) ou bien dans une autre posture où, contraint par le hasard

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et l’intervention accidentelle, il doit s’inventer à mesure des chemins de traverse (Rousselot 2012, 24). Entre la réaction spontanée vis-à-vis du hasard et le remodelage de matériel musical précomposé, une panoplie de stratégies peuvent être mises en œuvre pour mener à sa fin une improvisation. Cette définition générale et très large de l’improvisation musicale est privilégiée dans le cadre de cette recherche. En effet, nous ne tentons pas de redéfinir l’improvisation ni d’offrir une vision, ou idéologie, spécifique du phénomène. La simple reconnaissance du fait que la production sonore de The Contest of Pleasures soit issue d’un processus d’improvisation est suffisante pour illustrer le propos.

L’expression d’un langage musical ou stylistique spécifique est l’une des principales stratégies employant l’improvisation musicale. La réalisation de la basse continue à l’époque baroque, l’élaboration d’un morceau de jazz à partir d’une grille mélodico-harmonique, de l’accompagnement au solo, les extravagances pentatoniques d’un guitariste soliste de musique rock, en passant par la cadence pianistique durant l’époque classique, sont tous des exemples d’improvisations idiomatiques (Bailey 1999, xiv). Dans ces formes musicales stylistiquement cadrées, la réussite d’une improvisation dépend davantage d’une réalisation musicale conforme aux circonstances de production et aux codes idiomatiques admis d’emblée. Adorno, avec son habituelle plume agitée, avance que : « Les prétendues improvisations se réduisent à des paraphrases de formules de base, sous lesquelles le schéma transparaît à tout instant. Même les improvisations sont en grande partie standardisées et reviennent sans cesse » (Adorno 2010, 150).

Historique et influences

The Contest of Pleasures propose une manière spécifique de produire des ICL. Il serait cependant délicat de supposer que leur processus spécifique est inédit. Plusieurs courants esthétiques, musicaux, ou méthodes particulières de production sonore, ont influencé, directement ou par incidence historique, le processus mis en œuvre par The Contest of Pleasures dans leurs improvisations. Afin de situer le lecteur, et ainsi éviter les confusions fâcheuses qu’apporte le mot presque fourre-tout « improvisation », nous illustrons ici quelques-unes de ces influences.

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Avant-garde (tradition classique)

Bien que l’improvisation soit davantage associée spontanément aux musiques populaires, quelques acteurs à l’avant-garde de la tradition classique du XXe siècle ont défriché le terrain des pratiques musicales libérées d’idiomes stylistiques préconçus. Karlheinz Stockhausen, par la musique « intuitive », et John Cage, par la musique « indéterminée », ont tous deux fait progresser la pensée musicale associée à l’improvisation. Ces deux grands de la musique de XXe siècle étaient peu enclins à parler d’improvisation pour définir leurs idées. Toutefois, les concepts qu’ils ont abordés ont eu des répercussions sur la pratique d’ICL.

Stockhausen et la musique intuitive

À l’instar d’Adorno, Karlheinz Stockhausen observe lui aussi certaines lacunes dans ce qu’offre l’improvisation musicale. Selon lui, l’improvisation est régie par une série de règles limitantes : « I try to avoid the word improvisation because it always means there are certain rules: of style, of rhythm, of harmony, of melody, of the order of sections, and so on » (Stockhausen 1989, 113). Qu’à cela ne tienne, Stockhausen cherche à contourner les automatismes stylistiques associés à l’improvisation dans un cycle de quinze pièces, Aus den sieben Tagen (1968), fait de compositions formulées par des indications textuelles seulement. Il appelle cette forme de réalisation musicale « musique intuitive » pour différencier son approche de l’improvisation, car dit-il : « One should exclude all the possible systems which are usually used for any kind of improvisation if one understands the term "improvisation" in the way it has always been used. I therefore prefer the term Intuitive Music » (Stockhausen 1989, 112). Également, comme le mentionne Bergstrøm-Nielsen sur le terme « musique intuitive » : « It was introduced by Stockhausen in 1968 in relation to his text-notated pieces, and by this term he meant to stress the intuitive, anti-cliché aspect » (Bergstrøm-Nielsen 2009, 3).

Les liens de filiation idéologiques entre la musique intuitive et l’improvisation non idiomatique sont très présents. L’aspect « anti-cliché » est très proche des considérations anti-idiomatiques des premiers musiciens d’ICL. Le processus mis en œuvre dans la musique intuitive donne également une grande place à la liberté individuelle du musicien, caractéristique fondamentale de l’ICL. Par exemple, les indications textuelles données dans la pièce Richtige Dauern sont très éloquentes :

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Play a sound. Play it for so long until you feel that you should stop. Again, play a sound. Play it for so long until you feel that you should stop. And so on. Stop when you feel that you should stop. But whether you play or stop: keep listening to the others. At best play when people are listening. Do not rehearse. (Stockhausen 1968).

On peut imaginer que la simplicité et l’ouverture qu’offrent ces indications amènent potentiellement un résultat sonore proche d’une ICL. De plus, l’indication de ne pas répéter avant l’exécution de la pièce nous rapproche encore plus du processus improvisé.

Cage et la musique indéterminée

Un autre musicien de l’avant-garde de la tradition classique proposant des manières de produire des sons se rapprochant de celles que proposent les musiciens d’improvisation non idiomatique est John Cage. Pour Cage, à l’instar de Stockhausen et en évitant aussi de parler d’improvisation, le résultat sonore d’une composition ne doit pas nécessairement être prévu. En parlant de musique qu’il appelle « indéterminée », Cage mentionne que :

more essential than composing by means of chance operations, it seem to me now, is composing in such a way that what one does is indeterminate of its performance. In such a case one can just work directly, for nothing one does gives rise to anything that is preconceived. (Cage 1961, 69).

En cherchant à produire du son où le résultat dépend davantage de la performance, et où rien n’est préconçu, les liens de filiations entre la musique improvisée et la musique indéterminée sont bien présents. Comme le mentionne Blažanović, en parlant de la musique des improvisateurs berlinois : « Music that was exploring the limits of instrumental sound, which was penetrating the areas of noise, and which was at the same time so quiet that the integration of the environmental sounds was inevitable, would remind many listeners of Cage per se » (Blažanović 2012, 25).

Sans pouvoir affirmer que Stockhausen et Cage aient influencé directement les musiciens d’ICL, notamment par leur processus de création sonore, les musiques « intuitives » et « indéterminées » portent en elles des considérations esthétiques très proches des musiques improvisées. En revanche, ces musiques restent davantage rattachées à la tradition classique, dans laquelle l’œuvre produite même à partir de quelques indications clairsemées restera toujours associée à son compositeur. Ainsi, un quatuor à cordes fait une version de Richtige

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Dauern de Stockhausen même si les musiciens du quatuor inventent à mesure, sans avoir répété préalablement de surcroît, tous les matériaux musicaux utilisés dans la pièce.

Free jazz

Le Free jazz est le théâtre d’une des premières manifestations musicales où une volonté de libération vis-à-vis des idiomes musicaux est observée dans un style où l’improvisation est prépondérante. Comme le mentionne Pressing :

In 1957-1960, two artistic figures emerged of sufficient individuality and impact to call all this into question, and a free jazz movement was identified by jazz writers. Pianist Cecil Taylor and saxophonist Ornette Coleman were the separate architects of this movement, and their innovations were loudly decried as charlatanism and anti-jazz, even as they began to become widely influential. (Pressing 2003, 206).

Cette nouvelle manière d’aborder le jazz constitue sans aucun doute une révolution qui a laissé des traces sur la manière d’aborder l’improvisation collective. Pressing indique l’importance et les caractéristiques musicales de ce changement lorsqu’il mentionne que : « Free jazz was a radical approach to music. Except for the choice of instruments, it ultimately radicalized every aspect of jazz: form, style, materials, context, relationships, sound, process - but not equally, or at the same time » (Pressing 2003, 203). La tradition et l’esthétique du jazz sont encore bien présentes dans le free jazz. Comme ce ne sont pas tous les aspects du style qui subissent une transformation radicale, et généralement pas en même temps, nous ne sommes pas encore dans un champ musical où l’improvisation est libérée de tout idiome. Toutefois, le processus de déhiérarchisation des rôles instrumentaux et de remise en question de la forme traditionnelle jazzistique, ainsi que le type de matériaux utilisés par les instrumentistes, ont eu des effets non négligeables sur les musiques improvisées à venir; le free jazz a eu des incidences énormes sur le développement de la musique improvisée, aux États-Unis comme en Europe.

Manifestations européennes

Die Emanzipation

À partir du milieu des années 1960, l’Allemagne se distingue en étant un terreau très fertile pour la prolifération du free jazz, ainsi que pour des formes d’improvisations libres avec certaines influences de la musique classique contemporaine. Dans un essai publié en 1977,

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le critique de jazz, imprésario et producteur de disques Joachim-Ernst Berendt signifie que l’ère imitative du jazz allemand et européen se termine au début des années 1960. Avant cette date, le jazz européen suit de près les tendances affichées aux États-Unis. Le processus de différenciation entamé au milieu des années 1960 est appelé « die Emanzipation » (Berendt 1977, 215). Contrastant sur cette séparation nette qui existe entre jazz américain et européen, George E. Lewis avance qu’il ne s’agit que d’une deuxième génération de joueurs de free jazz d’un mouvement plus global et international (Lewis 2004). Néanmoins, une nouvelle manière d’aborder l’improvisation à travers le free jazz est perceptible à cette époque en Europe. Certains musiciens de cette époque ont une vision très politique du free jazz. Certains titres de pièces en font foi, comme « Requiem For Che Guevara, Martin Luther King, John F. And Robert Kennedy, Malcolm X » (1969) de Fred Van Hove, ou le titre de l’album très réputé du Peter Brötzmann Octet « Machine Gun » (1968), enregistré lors de l’emblématique mois de mai 1968.

Hybridation

D’autres musiciens de cette époque en Allemagne privilégient une approche d’hybridation entre le langage musical improvisé et des éléments des musiques composées européennes. Comme le mentionne Kisiedu, la relation artistique du pianiste Alexander von Schlippenbach et Manfred Schoof est d’une importance cruciale « for the trajectory of a European free jazz aesthetic and for the emergence of perceived distinctive European methods, concepts and practices regarding improvisation and its relationship to composition » (Kisiedu 2014, 75). Ces deux musiciens se rencontrent à l’école supérieure de musique de Cologne alors qu’ils suivent une éducation auprès du compositeur allemand Bernd Alois Zimmermann. L’idéologie artistique que portent ces deux musiciens contraste avec celle du temps où la majorité des musiciens de free jazz se soucient très peu de ce genre d’éducation « supérieur ». Pour Schlippenbach, cette éducation l’incite à s’intéresser à des méthodes de composition modernes et à trouver des manières de s’extirper des principes formels du jazz américain, qu’il juge trop restrictifs. Dans une entrevue donnée en 1967 au magazine Sounds, Schlippenbach dit :

I began approximately 10 years ago to conceive of music according to new form principles, in which periodically designed song forms and the improvisation formula of changes are superseded by asymmetrical, free tonal fragments that in

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their aphoristic brevity were supposed to serve as an ‘initial spark’ for free interplay among musicians. (Kisiedu 2014, 88).

Pour Manfred Schoof, l’apport de Zimmermann est considérable et l’incite aussi à intégrer des méthodes de composition associées à la deuxième école de Vienne : « Pitches, density levels, and Klangfarbenmelodien are components of a work that I only have become aware of through him » (Kisiedu 2014, 93).

En même temps, les expérimentations du free jazz américain sont d’un apport fondamental pour Schoof et Schlippenbach. Comme le mentionne Kisiedu : « Both Schoof’s and Schlippenbach’s experiences attest to the centrality of African American experimentalism, which in a seemingly paradoxical fashion would become an enabler for the emergence of a distinctive pan-European concept of free jazz » (Kisiedu 2014,102). D’un côté, la contribution du free jazz américain libére les joueurs de jazz européens de la tutelle des standards de jazz, et de l’autre, cette libération permet aux Européens de s’émanciper de la manière que les Américains ont de faire du free jazz en y intégrant des méthodes développées par les compositeurs européens du vingtième siècle. Comme le précise Kisiedu :

It was precisely Schoenberg’s evolutionary notion of historical inevitability that Schlippenbach would transfer to the context of 1960s jazz by construing the moment in which European improvisers found themselves as analogous to that of Austro-German modernist composers during the early twentieth century. (Kisiedu 2014, 103).

Cette manière hybride de produire des ICL aura certainement des répercussions sur le processus de The Contest of Pleasures.

London Free Improv

L’Allemagne ne constitue pas le seul lieu où se déroulent des innovations musicales sur le plan de l’improvisation collective durant les années 1960. L’Angleterre voit naître en son sein une nouvelle manière de créer du son à partir de l’improvisation musicale. Bien qu’il y ait des manifestations de ce genre d’expression musicale ailleurs dans le monde, c’est surtout dans ce pays et à cette époque qu’est née ce qu’on appelle le free improv, l’« improvisation libre ». Le guitariste Derek Bailey, figure emblématique et premier théoricien de ce type d’improvisation, mentionne que :

L’engouement pour l’improvisation libre provient en grande partie d’une remise en question du langage musical ou, plus exactement, de ses « règles », tout

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d’abord de la remise en question du jazz, musique improvisée de loin la plus répandue à l’émergence de l’improvisation libre, puis de la musique classique, dont les conventions avaient exercé jusque-là une influence extraordinaire sur de nombreux genres musicaux. (Bailey 1999, 98).

Les bases d’une improvisation musicale affranchie d’idiomes stylistiques préexistants et davantage tournée vers l’expression d’un langage musical individuel sont désormais affirmées. Certains compositeurs en arrivent même à cette forme d’expression improvisée par la bande. Cornelius Cardew en devient un exemple lorsqu’il se joint au groupe d’improvisation britannique AMM en 1966. Comme le mentionne Blažanović :

In order to prevent big discrepancies between notated composer’s ideas and their realization, but also to make the composing process more spontaneous, there emerged at the time composers who were at simultaneously performers of their own music, who formed collectives in order to research and perform their own works or who founded their own ensembles to perform their music. (Blažanović 2012, 29).

En s’affichant comme collectifs, les groupes d’improvisation libre britanniques de cette époque remettent en question la notion même de compositeur. Les compositions spontanées qu’ils produisent sont souvent faites sans partition. La séparation des rôles d’interprètes et de compositeurs devient floue.

Afin de contourner les barrières idiomatiques perçues par les musiciens improvisateurs, plusieurs d’entre eux se tournent vers de nouvelles stratégies de production musicale improvisée. Cette attitude est nourrie par : « the refusal to fall back into a practice that reproduces established conventions or reiterates stereotyped ways of music making, even those accepted as part of what one is supposed to do in order to be recognized as an ‘experimental musician’ » (Brassier 2010, 8). Le free jazz, et même l’Emanzipation allemande, offrent aux auditeurs une musique assez dense et lourde. Les musiciens britanniques du free improv se tournent plutôt vers des techniques de réduction du matériel musical pour, en quelque sorte, « discipliner » la production de musique improvisée (Wilson 1999, 86). Comme le mentionne Blažanović : « The music of British musicians like Bailey, John Stevens, Evan Parker and Tony Oxley seemed in comparison to Free Jazz rather restrained, fragile, transparent, fragmented and less directly emotional, both in gesture and appearance » (Blažanović 2012, 30). À l’instar de Schlippenbach et Schoof, la production musicale improvisée des musiciens britanniques se rapproche davantage de l’univers musical

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de la musique « nouvelle » que de celui du jazz. De fait, ces musiciens mentionnent souvent l’un des pères de la musique sérielle, Anton Webern, comme influence musicale menant vers un type de jeu plus linéaire, privilégiant une attention particulière et un raffinement du timbre sonore, ainsi que l’épuration du matériel musical (Wilson 1999, 37). Cette manière d’improviser est inédite à l’époque. Comme le mentionne Dean : « The radical developments in Europe which had little or no counterpart in the USA were in relation to instrumental timbre and texture, and the development of microtonal, multitimbral and multiphonic sounds and their usage in long time units » (Dean 1992, 135). L’influence de ce type de processus d’improvisation sur certains courants contemporains de production de musique improvisée, et incidemment sur The Contest of Pleasures, est encore perceptible de nos jours.

Aujourd’hui

Bien qu’il soit difficile d’associer chaque groupe d’ICL à un courant esthétique spécifique en raison de la diversité des contextes de production de chaque membre composant le groupe, on peut tout de même identifier quelques courants, ou scènes, qui partagent certaines stratégies de production sonore improvisées avec The Contest of Pleasures. Tous les membres du groupe ne sont pas associés géographiquement à l’une ou l’autre de ces scènes musicales improvisée, bien qu’Axel Dörner est considéré comme l’un des membres fondateurs de la scène berlinoise d’Echtzeitmusik. Cependant, de mettre en lumière quelques caractéristiques esthétiques communes de certaines scènes artistiques contemporaines demeure pertinent à l’analyse du matériel produit par The Contest of Pleasures.

Echtzeitmusik

Le terme Echtzeitmusik, mieux compris par sa traduction anglaise de real-time music, apparaît pour désigner quelques scènes spécifiques d’improvisateurs berlinois se chevauchant au milieu des années 1990. Cette appellation est autant utilisée pour distinguer cette scène localisée des autres mouvements similaires de l’époque que pour distinguer le nouveau « son » et les nouveaux processus d’improvisation mis en œuvre par les musiciens berlinois. À cette époque, la forte concentration de musiciens avec des méthodes similaires de faire l’improvisation collective dans cette ville entraîne certainement le choix d’y apposer une étiquette particulière, et du même coup sert à créer un fort sentiment de direction, d’identité et d’unicité historique (Scott 2014, 4).

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Similairement aux musiciens britanniques dans les années 1960, qui tentent de se libérer des idiomes trop restrictifs qu’ils perçoivent à l’intérieur du langage musical improvisé, les musiciens de l’Echtzeitmusik veulent, selon Scott : « to address how to liberate a form of improvisation from Bailey’s own heritage, from an idiomatic set of (non-idiomatic?) musical practices that the musicians felt had become too closely defined, a “free improvisation” » (Scott 2014, 5). Par une double négation, ces musiciens ont comme objectif commun de se libérer de l’improvisation libre.

En voulant ainsi se libérer des méthodes d’improvisation collectives antérieures, souvent très denses et expressives comme dans le free jazz, ces improvisateurs doivent défricher de nouveaux terrains. Plus particulièrement, ces musiciens trouvent de nouvelles voies d’explorations en tentant d’éliminer toutes formes de narrativité, d’émotion et d’expressivité musicale (Davies 2011, 70) en valorisant la qualité et la capacité de « rester en place » (Hayward 2011, 223). Pour ce faire Blažanović ajoute que : « they were working on a reduced, quite withdrawn, not very expressive or intuitive, but rather reflexive and conceptual approach to collective improvisation » (Blažanović 2012, 6). Le résultat sonore de ces expérimentations est souvent très doux et retenu, utilisant notamment des silences ou des bruits. Les improvisations provenant des musiciens de l’Echtzeitmusik paraissent d’ordinaire très contrôlées, s’apparentant même aux compositions de musiques nouvelles. Elles n’en demeurent pas moins improvisées. Par comparaison, nous entrons désormais davantage dans un univers sonore très proche de celui de The Contest of Pleasures.

Réductionnisme

Cette manière d’aborder l’improvisation collective n’est pas exclusive aux musiciens berlinois à cette époque. À l’instar des similitudes entre le free jazz américain et l’Emanzipation allemande durant les années 1960, et par effet de contingence historique, la réduction de la densité du matériel musical utilisée dans l’improvisation collective est une préoccupation partagée par quelques scènes européennes du milieu des années 1990. Bien qu’il y ait des précédents historiques à cette manière de procéder, notamment chez le groupe britannique AMM, Blažanović mentionne que :

That distinction was most clearly articulated in the specific reductive approaches to improvisation towards the end of the 1990s, which emerged not only in Berlin, but in Free Improvisation scenes worldwide as a result of consciously

Figure

Tableau 1 - Jeu de John Butcher sur Kumquat  _________________________________________________  25 Tableau 2 - Analyse du jeu instrumental dans Kumquat  _________________________________________  26 Tableau 3 - Types de transitions (Nunn) _________________
Tableau 1 - Jeu de John Butcher sur Kumquat
Figure 1 – Spectrogramme de Kumquat
Tableau 4 - Fonctions relationnelles (Nunn)
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