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De la rationalité en médecine

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De la rationalité en médecine

J

e ne voudrais pas ouvrir à nouveau le vieux débat sur le fait de savoir si la médecine est un art ou une science, mais évoquer la place de la raison dans les diagnostics que nous posons et les traitements que nous proposons.

La médecine hippocratique, nous dit-on, incitait le médecin à utiliser ses cinq sens pour examiner le malade : le toucher pour le palper, l’ouïe pour entendre les battements de son cœur, l’odorat pourflairer son haleine, le goût, comme on le sait, pour chercher le sucre dans ses urines, et surtout la vue qui renseigne très vite sur un état pathologique1. Voilà un bon départ pour une médecine rationnelle ! Hélas, les choses ont mal tourné par la suite quand des doctrines philosophiques se sont immiscées dans le bon sens hippocratique, et que l’on a voulu expliquer les observations par les approches magico-ésotériques de l’époque : théorie des humeurs et autres billevesées.

Et jusqu’au XVIIIesiècle, la médecine ne fut plus que saignées et clystères...

Seuls les chirurgiens-barbiers semblaient avoir gardé un peu de bon sens, comme l’a montré Charles-François Félix en opérant lafistule du Roi en 1686 (non sans avoir essayé son « instrument particulier » sur quelques dizaines d’indigents), après avoir écarté Antoine Daquin, médecin officiel du Roi, qui ne proposait qu’emplâtres et cataplasmes. Avec le siècle suivant, le bon sens et la raison, issus des Lumières que les obscurantistes de tout poil dénigrent, mais qui font généralement bon ménage, permirent des progrès considé- rables à la médecine. Bien sûr, la notion même de progrès est maintenant remise en question par les post-modernes qui l’accusent d’introduire l’anachronisme, péché capital de l’historien ; mais en médecine, le progrès est une notion objective : il y a progrès quand on améliore la santé des personnes qui vous sont confiées.

Un des progrès qu’il m’a été donné de voir est celui des essais cliniques et de leurs conséquences thérapeutiques : dans les années 1980, il suffisait qu’une équipe de cancérologues expérimente, dans une petite série de patients, un médicament nouveau utilisé dans une autre indication, et montre un bénéfice dans une proportion non négligeable de ceux-ci ; le médicament recevait alors une extension d’autorisation de mise sur le marché (AMM) qui figurait dans sa notice et dans le Vidal. Vingt ans après, il faut d’abord refaire un essai de phase I dans le cadre de la pathologie où on veut l’expérimenter ; puis une phase II montrant qu’il n’est pas inactif dans cette pathologie ; puis un essai randomisé comparant l’addition de cette nouvelle molécule à un placebo dans le traitement « standard » de la pathologie en question. Le médicament à l’étude ne recevra une extension d’indication que pour le sous-type exact de cette pathologie, le stade de progression, et la ligne de traitement précise où il a été testé. Toute déviation envisagée devra faire l’objet d’un nouvel essai.

C’est ce qu’on appelle la médicine reposant sur des preuves (evidence-based medicine) et il est bon qu’il en soit ainsi. Bravo et merci à Cochrane de nous avoir familiarisés avec l’usage de la raison en médecine ! Nous ne sommes

Pour citer cet article : Robert J. De la rationalité en médecine.Innov Ther Oncol2019 ; 5 : 188-190. doi : 10.1684/ito.2019.0181

On rational thinking in medicine

Jacques Robert Université de Bordeaux INSERM U1218

229, cours de l’Argonne 33000 Bordeaux France

<j.robert@bordeaux.unicancer.fr>

Remerciements et autres mentions : Financement: aucun.

Liens d’intérêts: lauteur déclare ne pas avoir de lien dintérêt.

Tirés à part : J. Robert

1Dans son classement des types de diagnostics, mon professeur de médecine interne appelait

« diagnostics de transport en commun », ceux que lon fait dans lautobus, en regardant simplement autour de soi.

188 Innovations & Thérapeutiques en Oncologielvol. 5n84, juil-août 2019

doi:10.1684/ito.2019.0181

Éditorial

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plus à l’époque où l’intuition remplaçait l’expérience, où les histoires de chasse faisaient lafierté des Tartarins de la médecine2, où la satisfaction d’un « p<0,05 » remplaçait tout regard critique sur les outils statistiques. J’ai connu un professeur de diabétologie de la faculté où j’ai fait mes études qui lisait chaque jour le « carnet » du journal local pour calculer ensuite la survie de ses patients...

Pourquoi ce mouvement d’humeur ? Parce qu’enfin on vient d’affirmer que l’homéopathie n’était pas une approche digne de la médecine du XXIesiècle. J’avais été ahuri, justement en revenant dans cette ville de faculté où j’avais fait mes études, après un séjour « dans un lieu où souffle l’esprit » (l’expression est d’un de mes maîtres), de découvrir qu’on y préparait encore un diplôme d’homéopathie. Il n’a été supprimé que trente ans après, et il a encore fallu dix ans pour que les instances nationales se prononcent contre sa prise en charge par la collectivité.

L’homéopathie est née dans un cerveau tourmenté à la recherche d’idées saugrenues qui pourraient lui assurer la notoriété, du style : « Tiens, et si les semblables guérissaient les semblables ? » Au lieu de tester rationnellement cette idée (après tout, pourquoi pas ?), cet étrange individu, partant de ce présupposé sans fondement, a cherché à induire des troubles divers avec tous les extraits qu’il pouvait imaginer, provenant de minéraux, plantes ou animaux, afin, ensuite, de les administrer à des doses « infinitésimales » pour traiter ces mêmes troubles (doses tellement infinitésimales qu’il n’en restait rien). C’est ainsi que ce brave homme a tué son épouse, non en essayant de la soigner, mais en cherchant à provoquer lesdits troubles ! Quel beau courage... Et c’est cela qu’on nous a vendu pendant plus de cent ans, et c’est pour cela que pleure un laboratoire pharmaceutique sur ses dividendes, alors qu’il n’a jamais mené le moindre essai clinique de ses poudres de perlimpinpin, dont le secret réside en l’addition demica panisà l’aqua distillata(agiter avant de s’en servir). Allons, il n’y a pas que du glucose dans ses préparations, il y a aussi (mais tellement dilué que ça ne sent plus mauvais) des autolysats de cœur et de foie de canard de Barbarie3. Les végétaliens, adversaires de toute nourriture d’origine animale, se trouvent d’ailleurs parmi les fervents défenseurs de l’homéopathie, au sein de la nébuleuse du New Age (qui est d’ailleurs maintenant un peu vieille et qui devrait trouver un autre nom...) : on peut toujours chercher la cohérence ! Vous me direz... puisqu’il n’en reste rien après dilution...

Si je pourfends l’homéopathie, au même titre que tous les charlatanismes (nous en avons beaucoup en cancérologie, des physiatrons de Solomidès au PB100 de Beljanski, en passant par la « machine à guérir le cancer » inventée par Antoine Priore, ingénieur italien expatrié à Bordeaux, quifit fureur dans les années 1960), je me garderai bien de pourfendre les homéopathes. Ce sont encore, au milieu des transformations que subit la médecine générale, ceux qui utilisent leurs cinq sens lorsqu’ils examinent leurs malades : quel généraliste prend le temps de demander à son patient de tirer la langue, de regarder le blanc de ses yeux, de lui demander combien de fois il se lève pour uriner la nuit, d’examiner ses doigts, ses orteils et ses ongles ? Combien de généralistes savent encore ce qu’est l’hippocratisme digital ? Simplement ceux qui ont été formés à l’observation et à l’écoute, et pas seulement à la lecture du compte- rendu du radiologue ou du laboratoire. Et bien des homéopathes ont reçu cette formation et la mettent en pratique.

Mais qui les oblige à prescrire ces pilulu-granulu qui font le bonheur des laboratoires qui les vendent et vident le porte- monnaie des gogos qui les achètent ?

Max Weber, au début du XXesiècle, croyait venu le « désenchantement » du monde. Quelle erreur ! C’est en fait au retour de l’irrationnel auquel nous assistons ; Jacques Bouveresse note qu’«il est devenu aujourd’hui courant (et, qui plus est, de bon ton), chez les intellectuels eux-mêmes, de douter à peu près systématiquement de tout ce qui est le mieux établi, au regard de la raison, et d’accorder en revanche, avec empressement, sa sympathie et même souvent son adhésion à tout ce qui la contredit plus ou moins ouvertement et parfois la ridiculise et l’insulte»[1]. Le monde n’est, hélas, pas « désenchanté » et les obscurantistes tiennent le haut du pavé, jusqu’à affirmer que les Lumières sont à l’origine des totalitarismes du XXesiècle, ce qui n’est pas seulement une ânerie, mais surtout une crapulerie visant à empêcher l’homme de réfléchir. Le plus grave n’est pas que les imposteurs pullulent, c’est qu’ils déconsidèrent ceux qui tentent d’appliquer la raison à la découverte de la vérité. Et qu’ils les font douter d’eux-mêmes, au point que j’ai hésité à publier cet éditorial par crainte d’offusquer les Billy Graham, Matthieu Ricard et autres gourous occidentaux... qui, eux, ne craignent pas d’offusquer la raison et la science ! J’espère en tous cas que le directeur de la publication que vous avez entre les mains ne sera pas poursuivi pour atteinte au moral de l’irrationnel...

Pour en revenir aux médecines prétendument « douces » (elles peuvent tuer elles aussi), également appelées

« alternatives », « non éprouvées » (pur euphémisme), « parallèles », « non conventionnelles » et que je range sous le nom global de charlatanisme, je rappellerai que nous avons eu une ministre des Affaires sociales et de la Solidarité nationale, Mme Georgina Dufoix, qui, soignant sa petite famille à l’homéopathie, voulait convaincre tous les Français de ses bienfaits et voulait créer une fondation, dans la région de Nîmes si ma mémoire est bonne, dédiée à l’évaluation des médecines douces... Disons à sa décharge qu’elle a à son actif bien des mesures positives hors du champ des médecines douces.

2Certes, jentends encore des histoires de chasse... Elles en disent plus sur la mentalité de ceux qui les racontent que sur les progrès thérapeutiques.

3Vivant en Quercy, je connais un meilleur usage du foie de canard que celui de le diluer inniment...

De la rationalité en médecine

Innovations & Thérapeutiques en Oncologielvol. 5n84, juil-août 2019 189

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Je trouve sur Internet, dans un inventaire à la Prévert, une liste exhaustive des médecines dites alternatives4; on y trouve les fleurs de Bach (j’aime mieux ses notes), la gélothérapie (basée sur le rire, ne pas confondre avec la cryothérapie), l’hippothérapie (basée sur le cheval, non sur les préceptes d’Hippocrate), l’hooponopono (ça s’écrit comme ça se prononce), la méthode Pilate (je m’en lave les mains), et bien d’autres que je vous invite à découvrir... Je ne sais si Mme Dufoix avait eu l’intention de les évaluer toutes.

Plus près de nous, le New Age vient de frapper, encore une fois dans le ministère chargé de la Santé : on vient d’apprendre que le directeur général de la santé, Jérôme Salomon, promouvait la méditation au sein de son service[2].

Et ce aux frais du contribuable, bien sûr. On croit rêver (cauchemarder plutôt). Comment un haut fonctionnaire peut-il ainsi faire entrer un de ces gourous multicartes, avides d’argent et de notoriété, dans un service relevant du gouvernement de la République ? Le gourou professionnel en question, Christophe André, essaie d’ailleurs aussi d’infiltrer l’Assemblée nationale. Souhaite-t-il en faire une Cour des miracles5des éclopés de la raison ? Si certains de mes contemporains souhaitent méditer, grand bien leur fasse, mais que ce soit dans le secret de leur vie privée, en dehors de leurs heures de service. Et d’ailleurs, plutôt que de méditer, ne vaudrait-il pas mieux qu’ils réfléchissent ?

RÉFÉRENCES

1.Bouveresse J.Peut-on ne pas croire. Sur la vérité, la croyance et la foi. Marseille, Agone : 2007, p. 35.

2.Le business de la méditation gagne le ministère de la Santé. LeCanard Enchaîné, numéro 5151 du 24 juillet 2019.

4https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_médecines_non_conventionnelles

5Private joke: pour ceux qui ne le savent pas,A Course of miraclesest le titre dun livre culte du New Age, dicté par une « Voix » à une papesse du mouvement, Helen Schucman.

J. Robert

190 Innovations & Thérapeutiques en Oncologielvol. 5n84, juil-août 2019

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