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Soigner les enfants mineurs faisant l’objet d’une mesure de placement

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Academic year: 2022

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Soigner les enfants

mineurs faisant l ’ objet d ’ une mesure

de placement

Troisième partie :

qu ’ est-ce qu ’ un soin courant ?

Ce récit, de situations fréquemment rencontrées, permet de se rendre compte du caractère sensible, atypique, frontière, des besoins sociaux ou médicaux de ces adolescents. La narration s’en tient aux éléments factuels cliniques et aux décisions pragmatiques thérapeutiques qui en découlent, mais il est évident que les habiletés relationnelles, éthiques, psychologiques qui jouxtent ces questions de santé s’avèrent bien plus complexes encore.

Le médecin de premier recours ne peut se dérober face à la crise et, face à l’urgence, il doit agir. Son questionnement éthique, légitime, opérant, ne peut retarder le passage à l’acte, l’obligeant parfois à « braconner » au regard de la loi et des pratiques courantes. L’accès aux soins de ces jeunes patients est compliqué par l’articulation entre les acteurs sociaux, professionnels de santé et les parents. La multiplicité des intervenants (familles ou établissements d’accueil, éducateurs, psychologues, médecins), des institutions et des démarches nécessaires pour l’accès aux soins alourdit la tâche des professionnels, mais heureusement favorise de façon implicite une collégialité permettant l’action.

D’autres facteurs de risque aggravent la prise en charge : les adolescents s’avèrent issus de milieux sociaux défavorisés avec des enfances dans des conditions de vie précaires : de nombreux parents sont porteurs de pathologies psychiatriques, les addictions à des substances illicites compli- quent les soins et des peines sont en instance d’être prononcées ou le sont

Concepts

« C

élia, 15 ans, effectuant une période de 4 mois dans un CER (Centre Éducatif Renforcé), consultait pour“une gêne gynéco- logique”. Suivie initialement par le médecin traitant de sa mère, elle ne l’avait pas vu depuis plusieurs mois. De son passé médical nous ne savions que peu de choses. Aufil de l’entretien, elle nous confiait plusieurs relations sexuelles depuis ses 14 ans avec différents partenaires avec des méthodes de contraception plus qu’approximatives : oubli de pilule, rapports sexuels non protégés. La clinique a rapidement posé problème, nécessitant un examen gynécologique chez cette patiente mineure qui présentait des problèmes rencontrés le plus souvent à l’âge adulte. Nous avons conclu de façon évidente à une infection sexuellement transmissible (IST) devant la présence d’un bouquet d’herpès, mais aussi de végétations vénériennes. Les prélèvements affirmeront aussi la présence en PCR deN. Gonorrheaeet l’absence de grossesse. Face au délai d’obtention de rendez-vous chez un gynécologue, à l’éloignement géographique compliquant l’obtention de l’autorisation des deux parents et aux symptômes invalidants, nous avons choisi de donner rapidement un traitement par ceftriaxone, azithromycine, valaciclovir, puis d’effectuer un frottis. Après quelques consultations et dans l’incertitude de qui prendrait la main sur la suite de la coordination des soins, pour protéger l’adolescente des questions de sa famille, nous optons pour traiter les lésions par cryothérapie au cabinet de médecine générale, non sans nous poser la question de la légitimité juridique de nos actes. » [Entretien Alexandre, MG, 51 ans, mai 2017].

CONCEPTS ET OUTILS

ÉDECINE

Nadia Tartarat1, Céline D’Hondt2, Thomas Burdin1, Rodolphe Charles1

1Universite Jean Monnet, Faculte de medecine Jacques Lisfranc, Departement de Medecine Generale, 42270 Saint-Priest-en- Jarez

rodolphe.charles@univ-st-etienne.fr

2CHU Hôpital Nord de Saint-Étienne, Service de psychopathologie de lenfant et de l’adolescent, 42270 Saint-Priest-en-Jarez Correspondance : R. Charles

Résumé

Les deux articles précédents visaient à éclaircir la notion d’autorité parentale et les implications en matière de santé, notamment pour le médecin généra- liste. Ce troisième article s’attachera à détailler les notions de soins, usuels et non usuels, pratiqués auprès d’adoles- cents consultant bien souvent pour des motifs autrement plus complexes que ceux que présentent d’ordinaire les jeunes de la tranche d’âge similaire.

Mots clés

soins usuels ; médecin généraliste ; autorité parentale.

Abstract. Treating underage children who are being placed in placement Thefirst articles aimed at clarifying the notion of parental authority and defi- ned health care implications, more especially those concerning a GP. This third article will detail the notions of

“standard treatment”as opposed to

“nonstandard treatment”given to adolescents who often consult for much more complex reasons than those usually presented by youngsters in the same age group.

Key words

current practice; general practitioners;

parental authority.

DOI: 10.1684/med.2019.465

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déjà ; la prévalence des troubles spécifiques des appren- tissages, des ruptures scolaires (décrochages) est majeure et constitue un obstacle à la compréhension du projet de soins (Health Literacy, consentement éclairé) [1-3].

L’absence des parents constitue un deuxième point de crispation [4]. Les adolescents sont principalement accompagnés d’un éducateur qui dispose théoriquement du document que l’ASE fait remplir aux parents détenteurs de l’autorité parentale lors de la prise en charge initiale de l’enfant.

Le MG, placé en première ligne («voyez votre généra- liste !») pour assurer les soins requis, peut se demander s’ils font réellement partie des soins dits « courants » aux vues de la complexité des situations rencontrées. . . En médecine de ville et notamment pour les MG, en cas de placement, l’accord d’un seul des deux parents suffit bien souvent [5]. Les soins apportés aux enfants sont souvent considérés comme des soins ordinaires dans la pratique courante. Une présomption d’accord de l’autre parent est alors admise dans la loi (art. 372-2 du Cc). Dans la majorité des cas, les parents restent détenteurs de l’autorité parentale en cas de placement de l’enfant.

La loi fait état de soins dits « usuels » (notions-cadres1) (art. 372-2 du Cc) qui s’appliquent également lorsque l’enfant est confié à l’ASE, mais comme elle ne précise pas de liste la distinction est essentiellement issue de la jurisprudence et notamment de la définition de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence du 28 octobre 2011 qui semble, à ce jour, être encore un arrêt de référence sur cette question(Encadré 1).

D’autres descriptions sont illustrées dans le tableau 1.

Il s’agit :

– «d’une prescription de gestes ou de soins non importants qui n’exposent pas le malade à un danger particulier tels que les soins obligatoires (vaccination), les soins courants (blessures superficielles, infections béni- gnes), les soins habituels (poursuite d’un traitement). » – «de soins normaux qui ne nécessitent pas d’interven- tion chirurgicale (rappel vaccinal, blessures légères) et qui doivent être réalisés dans la continuité des choix formulés par les parents».

– L’inscription à la CMU à partir de 16 ans, la poursuite d’un traitement récurrent, le changement de MG, la prescription d’une contraception chez une mineure.

L’IVG et la délivrance de contraceptifs en France sans autorisation parentale pour les mineurs répondent à la levée progressive de la politique de régulation des naissances. Ces réformes ont permis de garantir aux mineurs les mêmes droits que les adultes dans ce domaine et d’affranchir le médecin de l’obligation du recueil de l’autorisation parentale. Seuls deux actes usuels du domaine de la santé sont décrits dans le code de la santé publique : l’affiliation à la sécurité sociale (art. L161-15-3 du Css) et le choix du médecin traitant (art. L.162-5–3 du Css).

Encadré 1

Une dé fi nition fondée sur la jurisprudence.

La loi ne fournit aucune définition de l’acte usuel. Une décision de la cour d’appel d’Aix-en-Provence du 28 octobre 2011 (RG no11/00127, D. 2012. 2267, obs. P.

Bonfils et A. Gouttenoire), rendue en matière d’assis- tance éducative, propose une intéressante définition des actes usuels comme des actes de «la vie quoti- dienne, sans gravité, qui n’engagent pas l’avenir de l’enfant, qui ne donnent pas lieu à une appréciation de principe essentielle et ne présentent aucun risque grave apparent pour l’enfant, ou encore, même s’ils revêtent un caractère important, des actes s’inscrivant dans une pratique antérieure non contestée». A contrario, selon la cour, relèvent de l’autorisation des parents titulaires de l’autorité parentale et, en cas de désaccord, d’une éventuelle autorisation judiciaire

«les décisions qui supposeraient en l’absence de mesure de garde, l’accord des deux parents, ou qui encore, en raison de leur caractère inhabituel ou de leur incidence particulière dans l’éducation et la santé de l’enfant, supposent une réflexion préalable sur leur bien-fondé».

Exemple :–Le médecin qui effectuerait un acte sur le mineur sans le consentement des deux parents engage sa responsabilité à l’égard du parent qui n’a pas été consulté ou a refusé l’acte, sans qu’il ne soit nécessaire d’établir un préjudice pour le mineur. Le fait de ne pas avoir respecté le droit du parent suffit. Ainsi, saisi dans le cadre du contentieux disciplinaire, le Conseil d’État a considéré que la prescription de Prozac à une mineure de seize ans sans le consentement de son père engageait la responsabilité du médecin prescripteur (CE 7 mai 2014, req. no359076, D. 2014. 1787, obs.

Bonfils et Gouttenoire). Le Conseil d’État a précisé que l’acte en cause, à savoir la délivrance d’un anti- dépresseur, constitue un acte non usuel qui devait donc être autorisé par les deux titulaires de l’exercice de l’autorité parentale. Il ne pouvait être passé outre à ce double consentement, en vertu des articles L. 1111- 4, alinéa 6, et R. 4127-42 du code de la santé publique,

«qu’en cas d’urgence, lorsque l’état de santé du patient exige l’administration de soins immédiats».

Or, en l’espèce, le Conseil d’État a estimé que la seule aggravation de la santé du mineur ne suffisait pas à définir l’urgence. La responsabilité d’un médecin psychiatre a été retenue en raison de la délivrance de soins à un enfant mineur, alors que le père a fait connaître son opposition au suivi psychologique de l’enfant par le médecin psychiatre par lettre recom- mandée avec accusé de réception. . .(Nîmes, 15 sept.

2009, RG no07/0421).

Extrait (un peu simplifié) : Gouttenoire A. Répertoire de droit civil Dalloz - octobre 2017- actualisation juin 2018.

1La loi ne donne que le cadre général.

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Ce tableau comparatif permet de se rendre compte du fait que la majorité des besoins médicaux de ces enfants ne sont pas listés dans les définitions les plus proches des soins usuels dispensant de l’autorisation parentale de soin.

L’article L.223-1-2 du CASF prévoit «qu’une liste des actes usuels relatifs à l’autorité parentale que la personne en charge de l’enfant ne peut pas accomplir sans en informer préalablement les parents doit être établie lors de la prise en charge de l’enfant par l’ASE ». En pratique, cette réforme est inégalement et partiellement appliquée par les centres de l’ASE, trop contraignante et incompatible avec la latence nécessaire à l’obtention des autorisations parentales [7-11].

Pour les soins non usuels, la loi est claire : l’accord des deux parents est indispensable : la mise en route et l’arrêt des soins psychiatriques appartiennent à cette catégorie2. La notion d’actes usuels n’est pas définie par la loi et, de ce fait, elle est à l’origine de nombreux conflits entre le service gardien et les détenteurs de l’autorité parentale. Aucune norme légale ou réglementaire ne définit comment doivent s’établir les relations entre l’autorité gardienne de l’enfant et les détenteurs de l’autorité parentale. La question reviendrait à savoir si la notion de soins usuels est perçue de la même manière par les parents, les acteurs juridiques et médicaux. Deux catégories de soins sont fréquemment rencontrées : les soins autour de la santé sexuelle et mentale.

Santé et gynécologie

Le problème soulevé par les médecins est qu’en pratique pour cette population spécifique, les besoins gynécolo- giques rencontrés approchent ou équivalent bien sou- vent ceux des adultes. Ils sont même paradoxalement

« moins ordinaires ». Les liens d’attachement lors de la petite enfance ont été en général amoindris, altérés, chez ces enfants ; leur équilibre se trouve affecté à l’adoles- cence, période de doutes, de réflexion identitaire et de

repères. Outre les abus subis dans l’enfance, les expé- riences sexuelles apparaissent comme plus précoces, mais aussi plus risquées (IST, grossesses non désirées, viol, prostitution, etc.).

Les soins psychiques

Comment prendre soin de ces jeunes et comment qualifier ses soins d’usuels ou de non usuels au regard de leurs troubles sachant que le « donner à voir », les agirs et les mises en danger de ces adolescents restent leur modalité d’expression et leur modalité d’appel prédominante ? Les MG soulignent tous la difficulté à établir des partenariats avec les structures de soins psychiques et notamment la pédopsychiatrie du fait d’un manque de médecins disponibles. Cette pénurie renforce la nécessité du recours aux soins primaires et la recherche par les éducateurs de médecins prêts à accepter de prescrire (risque de passage à l’acte auto ou hétéro agressif, addictions. . .). Parfois une guidance téléphonique, par le praticien spécialiste permet au MG une décision impor- tante, sans autorisation parentale pour apaiser un adolescent agité, anxieux, faisant « éclater » le dispositif institutionnel. Dans tous les cas, pour des adultes en proie à une souffrance similaire, ces médecins pourraient justifier une pratique similaire, conforme aux AMM et aux données actuelles de la science.

Pour les situations les plus graves, il est possible d’obtenir un avis spécialisé par les urgences psychiatriques.

« Certains jeunes, pourraient en effet écrire un véritable guide“du routard”des lieux de placement.

Ils font le tour de France des structures, changeant d’équipe éducative et de thérapeutes qui se succèdent au gré de leurs péripéties sans que rien ne puisse vraiment prendre sens pour eux. Une itinérance qui nous amène parfois à poser comme postulat de départ à la mise en place des soins, un engagement de l’ASE à financer et à assurer les accompagnements, quel que soit le lieu de vie ultérieur du jeune. Nous constatons par ailleurs depuis quelque temps un turn-over incessant des éducateurs en charge des mesures éducatives ne permettant pas à l’adolescent et sa Tableau 1.Comparatif entre la loi et les motifs de consultation des jeunes de lASE (daprès questionnaire EFIS issu dune enquête menée en 2016 auprès des services de lASE [6].

Soins usuels Problèmes de santé des enfants placés

Infections bénignes Problèmes dentaires

Troubles du sommeil Troubles du comportement, psychiatriques et sommeil

Vaccination Conduites addictives (1 jeune sur 5)

Contraception chez la mineure Gynécologie : IST, grossesse, IVG

Poursuite d’un traitement récurrent Troubles sensoriels, retard mental, handicap Troubles de croissance Trouble de croissance, obésité, surcharge pondérale

2Une étude menée en 2003 par la DASES de Paris relevait quun enfant sur six coné à la protection de lenfance était considéré comme présentant un problème mental impliquant un suivi et/ou un traitement médica- menteux.

Concepts | Soigner les enfants mineurs faisant lobjet dune mesure de placement

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famille de bénéficier d’un interlocuteur “fil rouge”

nécessaire à l’instauration d’un lien de confiance et d’un minimum de stabilité, de permanence dans le lien. »

[Magalie, pédopsychiatre exprime d’autres tensions inhérentes aux spécificités de ses prises en charge hospitalières].

Le document d ’ autorisation de soins sur mineurs

Tous les médecins ayant eu à prendre en charge des enfants de l’ASE connaissaient l’existence d’un document rempli par les parents les autorisant à prodiguer des soins à leurs enfants. Il faisait office d’autorisation et était vu comme « une sécurité » par tous. Tous les centres de l’ASE demandent aux parents détenteurs de l’AP de le compléter à l’admission de l’enfant au sein d’une structure d’accueil. Ce document n’a aucune valeur légale et ne protège pas le médecin : une autorisation de soin ou d’opérer signée en blanc n’a de valeur légale que pour un geste, un médecin, une date spécifique précise et ne peut pas être antidatée. La majorité des médecins ne l’ont pourtant jamais vu. Pour eux, il faisait naturellement et obligatoirement partie du dossier de l’enfant et la simple présence de l’éducateur certifiait la légitimité des démarches faites en amont. Les médecins connaissaient la loi avec la limite d’âge inférieure ou supérieure à 16 ans avec notamment à cet âge, l’ouverture de droits personnels pour la Protection Universelle Maladie (PUMa) avec l’obtention de la carte vitale individuelle et le choix du médecin traitant. À cet âge, seul le consentement de l’adolescent est théoriquement nécessaire en cas de rupture totale des liens familiaux (art. L1111-5 du CSP).

Lors de l’entrée de l’enfant à l’ASE, 88 % des services privilégient une affiliation automatique à la PUMa avec une convention mise en place sous forme de partenariat entre l’ASE et la CPAM dans un quart des départements.

Ainsi en consultation si l’adolescent souhaitait garder le motif de consultation comme confidentiel à l’égard du tiers accompagnateur, les médecins considéraient que cela relevait du secret professionnel. Si un adolescent est considéré par la loi comme apte à 16 ans à choisir son médecin traitant alors la possibilité de donner son consentement pour les soins apparaissait légitime à leurs yeux.

Les situations d ’ urgence en cabinet de ville de médecine générale

Dans les situations d’urgences imposant des soins immédiats (incluant les gestes de réanimation ou de

prise en charge chirurgicale), les avis étaient unanimes.

Les MG intervenaient sans s’enquérir de l’autorisation des parents, la question de l’autorité parentale était par tous reléguée au second plan. L’urgence de la situation et le soin primaient sur le respect strict du cadre légal.

Les situations les plus problématiques sont donc celles intermédiaires, nécessitant à la fois une intervention médicale rapide avec des prescriptions relevant souvent de l’expertise hospitalière (psychotropes, sédatifs, etc.) sans pour autant engager un pronostic vital, mais engageant toutefois la responsabilité du médecin pre- scripteur, car ne relevant pas du soin « classique » de médecine générale.

Le MG doit alors prendre le relais, après un bref passage par les urgences, d’une situation où l’on attend de lui de statuer sur l’état psychique d’un adolescent à la manière d’un pédopsychiatre sans pour autant avoir été témoin de la phase critique ni en avoir l’expérience ni la légitimité.

Cela engendre donc la nécessité d’une prescription borderline, où chaque protagoniste impliqué : éduca- teurs (inquiets ou épuisés), personnel de l’ASE et souvent les parents qui ont été informés de la situation la veille, attendent du médecin ambulatoire une action rapide, celui-ci étant le premier maillon, et le plus accessible, de la chaîne de soin. Les praticiens se trouvent donc tiraillés entre l’éthique d’apporter une aide médicale « effi- ciente » à ces enfants en souffrance avec prescriptions parfois de psychotropes et l’arrière-pensée d’agir sur des mineurs dont l’avis des parents n’est pas demandé en temps réel ceux-ci étant souvent non joignables au moment de la consultation (en dépit de la jurisprudence exposée dans l’exemple de l’encadré 1)

« C’est vrai que les prises en charge de dépressions graves. . .Par exemple, j’ai eu unefille de 16 ans qui était dépressive et dépendante aux opiacés : j’ai mis en route un traitement antidépresseur et de substitu- tion aux opiacés ! Je me suis posé la question si je le faisais ou pas, etfinalement je l’ai fait ! Je n’ai pas pris l’avis des parents. . . On se pose surtout la question avec une arrière-pensée judiciaire, surtout s’il y a un problème grave. Mais comment ça va se passer dans la suite pour le mineur qui est en demande de soins ? Ça interpelle si on ne fait rien. . ., si on attend toujours un document, ou qu’un autre le fasse ! »

[Jacques, 50 ans, MG, janvier 2018].

L ’ avis des médecins hospitaliers

Les médecins hospitaliers interrogés reconnaissaient au même titre que les praticiens ambulatoires agir sans attendre l’autorisation des parents lors des situations d’urgence vitale en gardant en arrière-pensée que l’ad- ministration hospitalière les protège sur le plan juridique et que la tâche de s’acquitter de l’obtention de ces

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autorisations ne leur incombait pas directement : à l’hôpital, la question des autorisations de soins est

« protocolisée », un personnel référent (cadre de servi- ces, administrateurs. . .) s’assure de leur obtention.

Théoriquement, les médecins n’auraient pas à charge de s’inquiéter de l’obtention de l’accord parental. La procédure est souvent longue, il faut bien l’avouer. En dehors des situations d’urgences, l’accord des parents est systématiquement recherché, au minimum de façon orale et doit être tracé dans le dossier du patient.

« Double peine »

Un médecin travaillant en proximité avec un des centres de l’ASE avait relaté la nécessité lors des premières consultations de bloquer trois quarts d’heure à une heure de rendez-vous pour reprendre tout l’historique médical avec souvent pour seule source les dires des éducateurs ou ceux. . .des enfants eux-mêmes (l’âge des enfants que ce médecin rencontrait s’étalait de 9 à 16 ans) ! Les supports de transmission d’informations entre professionnels tels que le carnet de santé sont souvent inexistants du fait du nomadisme médical forcé par les placements successifs.

Le suivi des très jeunes enfants confiés à l’ASE est souvent mieux réalisé : traçabilité effective en PMI d’une anam- nèse plus brève, moindre nombre des ruptures de prise en charge, factualité des vaccinations et dépistages d’éven- tuels handicaps visuels ou auditifs, clinique psychique de nature psychosomatique. Les difficultés du suivi appa- raissent alors à l’adolescence : leur conception de la bonne santé se basant principalement sur celle d’une vision « sociale » avec l’absence de maladies physiques. À cela s’ajoute un passé de ruptures et de traumatismes physiques ou psychiques où le rapport au corps et au soin n’est plus le même [12]. Les troubles psychiques se traduisent par des passages à l’acte : automutilation, délinquance, sexualité précoce et parfois pathologique ou délictueuse, addictions multiples (consommation de toxiques – tabac et cannabis) [3]. Les troubles de l’humeur, du sommeil avec principalement des réveils nocturnes et des difficultés d’endormissement, font également partie des principaux motifs de consultation.

En parallèle, s’installe souvent une forme de marginalisa- tion avec rupture scolaire et sociétale.

Pour les MG, il faut assumer des consultations longues, en paiement différé (dans l’attente de l’obtention de la CMU, 1/10 dispose d’une carte vitale). Les adolescents et leurs éducateurs arrivent souvent en retard, essuyant des

« crises de nerfs » au moment de partir ; les oublis de rendez-vous s’avèrent fréquents et « font partie » de la reprise en main éducative.

Travail sur le parcours de soins

Les médecins et éducateurs sont bien souvent le premier point d’ancrage de ces jeunes vers le réinvestissement de

leur santé. Ils se doivent d’être moteurs de l’adhésion à un parcours de soin trop longtemps négligé. Les profession- nels libéraux et hospitaliers ne peuvent manquer ce rendez-vous singulier où saisir la chance d’établir une connexion avec le jeune patient pose ainsi les bases de la relation à venir.

Ces acteurs de soin recueillent au jour le jour le témoignage des souffrances endurées par ces enfants qui évoluent dans des schémas familiaux fortement perturbés entravant leur développement. Les structures de l’ASE, victime de coupe budgétaire, mais souffrant aussi des répercussions de l’effondrement de la démo- graphie sanitaire ne disposent plus de personnel soignant interne à l’institution. Lors des situations d’urgences, le manque criant de solutions conduit le plus souvent en dernier recours à une hospitalisation via les urgences. La plupart du temps, lorsqu’ils arrivent aux urgences, les adolescents ne sont plus en crise et sont renvoyés au foyer sur des critères d’urgence psychiatrique et non sur des critères ou diagnostics éducatifs, ce qui crée effective- ment des tensions. Sur la Loire, il y a quatre places pour les mineurs aux urgences psychiatriques ainsi que deux unités d’hospitalisation à temps plein de sept places chacune pour l’ensemble des adolescents et préadoles- cents du département. . .

Le recours aux urgences psychiatriques ne devrait pas être la seule solution lorsqu’un jeune se trouve en crise dans une institution. Certains dispositifs éducatifs, comme le dispositif GAEL à Saint-Étienne (Groupe Accueil d’États Limites), met à disposition des adolescents et/ou des familles d’accueil qui les prennent en charge un système d’astreinte éducative 24 h sur 24 avec une possibilité de recours à deux places d’urgence au sein de leur structure, permettant de limiter considérablement le recours aux urgences hospitalières.

Il existe par ailleurs, depuis plusieurs années, une équipe mobile qui intervient au sein des lieux de placement lorsque justement l’équipe éducative est en difficulté avec un jeune pour travaillerin situavec les éducateurs, afin de prévenir la crise.

Du bricolage à l ’ expertise informelle

Ces carences imposent un tissage de lien avec les soins primaires quifinalement arrivent par la crise au cabinet du MG. À la limite, il est évident que la demande initiale ne peut-être un soin usuel ! Pourquoi les éducateurs se préoccuperaient-ils d’une poussée d’acné, ou d’un retard vaccinal ? L’entrée dans le soin arrive toujours par la violence d’une automutilation, une agression, une douleur abdominale, une plainte sexuelle, un trouble du comportement alimentaire, l’inquiétude sur un risque suicidaire. Par le « bouche-à-oreille », un MG amené à s’occuper des enfants de l’ASE en verra probablement d’autres. Repéré par des éducateurs inquiets pour les jeunes dont ils ont la charge, les généralistes se trouvent devenir des experts informels dans la gestion de ces crises Concepts | Soigner les enfants mineurs faisant lobjet dune mesure de placement

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quifiniront par leur devenir usuelles. Depuis peu, la mise en place de « consultation d’arrivée dans l’institution » offre l’occasion de faire connaissance avec les adolescents avant la crise, plaçant le recours au MG sous le sceau initial du soin usuel.

~

Remerciements à Florence Chevallard (juge des affai- res familiales au TGI de Saint-Étienne) pour ses conseils et sa relecture minutieuse.

~

Liens d’intérêts : les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec l’article.

RÉFÉRENCES

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Pour la pratique

Le MG, engagé dans ce type de prise en charge, essaie de transformer (sans trop braconner) une plainte inhabituelle en un soin usuel.

Les soins de ces jeunes adolescents relèvent le plus souvent d’un jeu d’équilibriste, impliquant pour les thérapeutes qui les portent de s’engager avec eux « sur lefil ».

Ces trois articles placent les bornes juridiques qui permettent aux généralistes de se lancer dans de tels soins en mettant le moins souvent possible un pied dans le vide. L’importance de porter ces jeunes se place sous l’objectif de contribuer à réduire les inégalités en santé [6, 13].

Références

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