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Accélérateur. Les collisionneurs : révolution dans ÉLÉMENTAÍRE

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À la suite des travaux pionniers de E.O. Lawrence avant la seconde guerre mondiale, des synchrotrons de plus en plus puissants sont construits dans les années 50. Ils profitent des avancées effectuées dans de nombreux domaines : conception des accélérateurs, technologies d’accélération et de guidage du faisceau, augmentation de la puissance électrique disponible, etc. Les expériences réalisées alors sont dites « sur cible fixe » : le faisceau accéléré est envoyé sur un échantillon de matière et les détecteurs mesurent les produits des collisions des particules avec les atomes qui composent la cible. Si la densité de cette dernière est suffisamment élevée pour assurer l’observation d’événements à chaque passage des projectiles, la réaction est loin d’être efficace énergétiquement : seule une faible fraction de l’énergie de la particule incidente est utilisable pour produire de nouvelles particules et ce pourcentage décroît même lorsque l’énergie augmente ! Or, d’après la relation d’Einstein reliant énergie et masse (E=Mc2), disposer de plus d’énergie permet de créer des particules plus massives (et donc potentiellement nouvelles). Pour sortir de cette impasse, il faut s’engager dans une nouvelle direction.

Mais revenons un instant sur les transferts d’énergie lors d’une expérience sur cible fixe. Si seule une partie de l’énergie peut se transformer en masse, où part le reste puisque l’énergie totale est conservée ? La réponse est simple : comme la réaction est déséquilibrée – l’un des deux participants à la collision est en mouvement alors que l’autre est au repos – une grande partie de l’énergie totale est utilisée pour le déplacement global de l’ensemble des particules produites. Comment s’affranchir de ce phénomène ? En faisant bouger la cible pour contrer l’effet précédent ! Une idée aussi prometteuse que compliquée au niveau technique.

Dans le cas d’une collision frontale entre deux particules identiques et de même énergie, le mouvement d’ensemble du système – avant et après – est nul : toute l’énergie est absorbée par la réaction. On trouve déjà cette idée pour le cas des systèmes non-relativistes dans une lettre de R. Wideröe à E. Amaldi en 1943. Il dépose même un brevet pour un accélérateur de sa conception mais ne l’exploite jamais, trop pris par son travail dans l’industrie. Le concept est repris en 1956 par D.W. Kerst et ses collaborateurs qui l’étendent aux expériences ultra-relativistes où l’écart entre les deux types d’accélérateurs est encore plus marqué : par exemple, deux protons de 21,6 GeV envoyés l’un sur l’autre ont le même potentiel qu’un proton de 1000 GeV entrant en collision avec une cible fixe et ce, en fournissant 23 fois moins d’énergie !

Alors qu’une cible n’est composée que de matière, ce nouveau concept d’accélérateur permet aussi de réaliser des collisions matière-antimatière, intéressantes dans la mesure où les deux projectiles s’annihilent.

Leur énergie est convertie en nouveaux constituants Comparaison entre : en haut, la collision

d’un proton énergétique (10 GeV) sur une cible fixe (proton au repos de masse 1 GeV) ; en bas, la collision de deux protons de même énergie (5 GeV). Dans le second cas, toute l’énergie disponible sert à produire de nouvelles particules ; dans le premier, plus de la moitié est utilisée pour le mouvement global des particules produites.

Repos

Les atomes d’une cible fixe ne sont pas complètement au repos puisqu’à toute température est associée une agitation aléatoire des particules au niveau microscopique. Néanmoins les énergies associées à ce mouvement sont si faibles comparées à celles mises en jeu dans les collisions produites par un accélérateur qu’elles sont complètement

Non-relativistes, ultra-relativistes Une particule de masse M est dite non- relativiste lorsque son énergie cinétique (c’est-à-dire son énergie de mouvement) est très inférieure à son énergie de masse (Mc2). Elle est dite relativiste dans le cas contraire et ultra-relativiste lorsque son énergie est très supérieure à son énergie de masse.

Accélérateur

Les collisionneurs : révolution dans

Efficace énergétiquement

L’énergie utilisable pour produire de nouvelles particules lors de la collision d’une particule d’énergie E avec une autre particule au repos et de masse M est approximativement

lorsque E>>Mc2. Dans le cas d’une collision frontale entre deux particules d’énergie E/2, le résultat est

Le rapport varie selon:

Cette fraction diminue à mesure que l’énergie augmente et devient très petite dans le cas d’une particule ultra- relativiste pour laquelle l’énergie totale E est très supérieure à l’énergie de masse Mc2. Cela montre que les collisionneurs ont un rendement énergétique bien meilleur que les collisions sur cible fixe, en particulier à haute énergie.

disponible

E ~ √ 2Mccible fixe 2E

disponible collision

E = E

2McE 2

collision cible fixe disponible disponible

E

E ~

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les accélérateurs de particules

élémentaires. De plus, comme particules et antiparticules ont des charges opposées, un seul champ magnétique orienté perpendiculairement au plan de leurs trajectoires permet de les faire tourner en sens opposés dans un anneau circulaire.

Voilà pour la théorie. En pratique, réaliser un collisionneur est tout sauf évident : quel que soit le soin apporté à leur fabrication et à leur conservation, les faisceaux auront toujours une densité bien plus faible qu’une cible solide, ce qui limite la probabilité de collision entre les particules qu’ils contiennent. Une manière de compenser cet effet consiste à augmenter le nombre de fois où les particules se croisent. En particulier, on cherche à allonger au maximum la durée de vie des faisceaux en limitant la perte de particules en fonction du temps. Voyons comment on en est arrivé aux collisionneurs actuels avec les étapes les plus marquantes de ce processus qui s’est déroulé sur plusieurs décennies.

Résumé (très simplifié) de ce qui se passe dans un collisionneur e+e- lorsque des faisceaux circulent à l’intérieur.

1 - Dans chaque section circulaire, les particules suivent une trajectoire courbe sous l’action d’un champ magnétique. Elles perdent alors de l’énergie par émission de lumière synchrotron.

2 - Des particules peuvent disparaître lorsqu’elles interagissent avec les molécules de gaz résiduel présentes dans les tubes à vide, maintenus à la pression la plus faible possible (quelques milliardièmes de la pression atmosphérique) par un système de pompage fonctionnant en permanence.

3 - Dans certaines sections droites, des cavités radio-fréquence (« R.F. ») redonnent aux particules l’énergie perdue par émission synchrotron. Ce système sert aussi à donner l’énergie nominale de fonctionnement aux faisceaux.

4 -Les collisions entre particules ont lieu au centre du détecteur.

Ailleurs, les deux faisceaux circulent sur des trajectoires différentes, voire dans des tubes à vide séparés. Près de la zone d’interaction, des aimants très puissants forcent les faisceaux à se rapprocher, puis à se traverser mutuellement avant de les séparer tout aussi brusquement – chacune de ces étapes « coûte » des particules. Ces dernières ne sont pas réparties uniformément dans le collisionneur mais sont regroupées en paquets dont les passages sont synchronisés.

Les collisions sont d’autant plus efficaces que les paquets sont denses, en particulier dans le plan transverse à leur propagation. La quantité utilisée pour décrire la « qualité » des collisions est appelée luminosité.

5 -Lorsque le nombre de particules disponibles dans les faisceaux passe en dessous d’un certain seuil, les collisions ne se produisent plus assez souvent pour justifier la poursuite de l’expérience. De nouvelles particules sont alors injectées dans l’accélérateur. Les collisionneurs actuels sont capables de « recharger » un paquet particulièrement appauvri alors que les collisions ont encore lieu en abondance. Leur efficacité est ainsi maximale.

Durée de vie

À chaque tour, des particules sont perdues dans le collisionneur : efficacité forcément limitée des systèmes contrôlant leur trajectoire, interaction avec les molécules de gaz résiduelles, conséquence des collisions au centre du détecteur avec les particules tournant en sens inverse etc.

Ralentir cet effet – par exemple en améliorant le système de pompage du tube à vide – permet d’augmenter la durée de vie des faisceaux et donc le temps pendant lequel ils produisent des collisions visibles dans les instruments.

Les collisionneurs : révolution dans

Paquets

Pour des raisons tant fondamentales que techniques, le champ électrique accélérateur nécessaire pour compenser les pertes d’énergie dues au rayonnement synchrotron des particules stockées n’est pas disponible en continu : il faut donc utiliser un champ oscillant. Les particules sont alors organisées en paquets, les plus denses possible, et dont les propriétés (dispersion de l’énergie, volume, etc.) sont préservées au mieux dans les collisionneurs.

Moins ces paramètres sont perturbés, plus la durée de vie des faisceaux est grande et l’accélérateur « efficace » !

Le fonctionnement du système R.F. est synchronisé avec le mouvement des paquets afin que les cavités apportent l’énergie appropriée aux particules lorsque celles-ci les traversent. En dehors de ces périodes, le champ qu’elles délivrent n’est pas adapté aux caractéristiques des faisceaux. Ainsi, une particule qui voit son énergie modifiée de manière significative ne reçoit plus les corrections nécessaires au maintien de son orbite : en quelques millièmes de seconde elle est perdue.

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Les pionniers

Quelques mois après la publication de l’article de Kerst, G. O’Neill (de l’université américaine de Princeton) propose d’ajouter aux accélérateurs existants des anneaux de stockage dans lesquels circuleraient des faisceaux de particules accélérées en amont, par exemple par un synchrotron. Les collisions auraient lieu dans une section droite commune. En 1958, W.

Panofsky (futur premier directeur du SLAC, voir Élémentaire N°4) obtient une subvention de 800 000 dollars pour construire deux anneaux de stockage au bout de l’accélérateur linéaire Mark-III de 700 MeV situé sur le campus de l’université de Stanford. Ce projet s’accompagne de plusieurs innovations technologiques, en particulier au niveau du contrôle des particules stockées afin d’augmenter la longévité des faisceaux. Les anneaux, en forme de « 8 », d’environ 2m de circonférence et dans lesquels des électrons circulent en sens opposés, sont opérationnels en 1962 : c’est un succès (énergie maximale de 1 GeV ; l’intensité du courant atteint 600 mA, un record qui tiendra presque quatre décennies) mais, en fait, les américains ne sont pas les premiers.

En effet, le 27 février 1961, une équipe du laboratoire italien de Frascati (au sud de Rome) menée par Bruno Touschek réussit le premier stockage d’électrons et de positrons dans l’anneau AdA (« Anello di Accumulazione », soit « Anneau d’Accumulation » en français). AdA comprend une chambre à vide toroïdale (c’est-à-dire en forme d’anneau), placée dans un puissant champ magnétique orienté perpendiculairement au plan de l’anneau et faisant tourner particules et anti-particules en sens inverses, à des énergies pouvant atteindre 250 MeV. Des électrons frappent une première cible ; des photons sont alors émis, lesquels atteignent ensuite une seconde cible où les collisions donnent naissance à des paires e+e. Une petite fraction de ces particules est capturée dans la chambre à vide qu’il faut renverser par rapport au système d’injection selon que L’intensité du courant électrique

mesure un nombre de charges électriques par unité de temps. Ainsi, un ampère de courant dans un fil électrique correspond au passage de...

6 241 509 629 152 650 000 (et pas un de moins !) électrons par seconde. Dans un collisionneur, l’intensité I est donc donnée par le nombre de particules N qu’il contient multiplié par le nombre de tours qu’elles effectuent par seconde.

Comme elles se déplacent à une vitesse extrêmement proche de celle de la lumière c, cette fréquence de rotation s’exprime directement en fonction de la longueur L de l’anneau : I= N.c/L Avec I=600 mA et L=2 m (paramètres du premier collisionneur construit à Stanford) on obtient un faisceau constitué d’environ 25 milliards de particules. Le collisionneur actuel de Stanford, PEP-II, a une circonférence de 2200 m et a récemment atteint un courant de 3 ampères pour son faisceau de positrons : un peu plus de 137 000 milliards de particules étaient alors en circulation ! Ce nombre est certes gigantesque mais un simple verre d’eau contient environ 40 milliards de fois plus d’électrons...

Les collisionneurs : révolution dans

Physicien autrichien, Bruno Touschek est victime des lois raciales nazies car sa mère est juive. Il s’installe à Hambourg où il travaille sur les ancêtres des klystrons et est en contact avec Wideröe. Finalement arrêté par la Gestapo en 1945, il est déporté dans un camp de concentration d’où il s’échappe par miracle, laissé pour mort par un S.S. Après la guerre, il complète sa scolarité à Göttingen avant de rejoindre l’université de Glasgow en 1947. En 1952 il devient chercheur au laboratoire national de Frascati à Rome et y effectue le reste de sa carrière. Sa vision de la physique des particules, à la fois théorique et pratique, lui donne l’idée de construire le premier collisionneur électron-positron au monde. Le 7 mars 1960, il donne un séminaire dans lequel il présente ce nouveau concept, insistant à la fois sur l’intérêt scientifique de ce type d’accélérateur pour les expériences de haute énergie et sur la simplicité de réalisation d’un prototype. Le premier faisceau stocké (quelques électrons à peine) est obtenu moins d’un an plus tard, le 27 février 1961.

Non content d’avoir supervisé la construction d’AdA, Touschek participe activement aux tests qui y furent menés, y compris après le transport de l’anneau à Orsay. En particulier, il découvre et explique un effet de physique des accélérateurs qui porte aujourd’hui son nom.

© LNF

Effet Touscheck

L’effet Touscheck décrit la perte de parti- cules par interaction coulombienne au sein des paquets stockés dans un collisionneur, en partie responsable de la décroissance du courant circulant dans l’anneau. Lors de leur parcours, les particules oscillent autour de leur orbite moyenne et peuvent donc entrer en contact si elles sont voisines. De tels chocs affectent le mouvement des particules impliquées et modifient les composantes longitudinale (dans le sens du déplacement) et transverse (radiale) de leurs quantités de mouvement. Si le changement est suffisamment important, les trajectoires des particules deviennent instables et celles-ci se perdent dans le tube à vide.

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les accélérateurs de particules

l’on veut accumuler des positrons ou des électrons. L’efficacité de cette procédure, ajoutée aux limitations de la source initiale d’électrons, est le talon d’Achille de ce dispositif : seuls de très faibles courants circulent dans la chambre à vide.

La décision est alors prise de transporter AdA en juin 1962 à Orsay où le Laboratoire de l’Accélérateur Linéaire (LAL) dispose d’un ... accélérateur linéaire (!) utilisable comme injecteur. Le transfert tient toutes ses promesses : des collisions entre positrons et électrons sont observées en décembre 1963 ; les faisceaux sont stockés jusqu’à 40 heures et, surtout, AdA met en évidence un phénomène important, connu aujourd’hui sous le nom d’effet Touschek qui limite la durée de vie du faisceau. Selon la petite histoire, l’interprétation correcte du phénomène fut donnée la nuit même où il apparut dans AdA ; une solution technique fut imaginée le lendemain matin et mise en pratique dans les jours qui suivirent : la science en direct en somme !

Plus tard, en mai 1964, le laboratoire de Novossibirsk (en Sibérie) commence l’exploitation de son collisionneur ee VEPP1 dont l’énergie est 160 MeV par faisceau : c’est le premier d’une longue série d’anneaux qui eux furent des anneaux e+e- (VEPP2, VEPP-2M, VEPP4, etc.). Il est à noter que l’équipe russe de Novossibirsk est restée pendant plusieurs années dans un isolement total vis-à-vis des laboratoires de l’Europe de l’Ouest et des États-Unis. Au sein de cette équipe, c’est Vladimir Baier qui suggéra – de façon indépendante de Bruno Touschek – d’étendre le programme des collisions e-e- aux collisions e+e dont la physique est beaucoup plus riche.

Il est intéressant de noter que les trois collisionneurs « pionniers » (les anneaux doubles de Stanford et de VEPP1 ainsi qu’AdA) n’utilisent pas les techniques de guidage de particules les plus récentes pour l’époque.

Leur but n’est pas tant d’obtenir un dispositif performant que de prouver la validité du concept de collisionneur et de tester les choix techniques permettant sa réalisation. L’exploitation scientifique sera assurée par la seconde génération de machines.

Les collisionneurs électrons-positrons

Et, de fait, les collisionneurs e+e se multiplient dans la seconde moitié des années 60. À Orsay, l’exploitation d’ACO (« Anneau de Collisions d’Orsay ») débute le 25 octobre 1965 ; l’énergie des faisceaux est de 520 MeV. En plus de la mise en évidence et de l’étude de nombreux phénomènes propres à la physique des accélérateurs, ACO permet des avancées sur la physique d’une classe de particules de spin 1 appelées mésons vecteurs.

Après de nombreuses années d’exploitation, ACO trouvera une nouvelle jeunesse dans la production de lumière synchrotron ; la salle d’expérience et l’anneau lui-même sont aujourd’hui inscrits à l’inventaire supplémentaire des Monuments Historiques et ouverts aux visiteurs.

En 1967, le laboratoire de Frascati met en service ADONE (« le gros AdA » en italien) dont l’énergie disponible en collision

Démonstration de l’existence de collisions entre électrons et positrons par l’observation de la réaction e+ e → e+ e γ dans AdA. Le graphique montre le rapport (nombre de photons détectés)/(nombre de particules dans le faisceau 1) en fonction du nombre de particules dans le faisceau 2.

Les points de mesure s’ordonnent selon une droite dont la pente est reliée à la performance du collisionneur, appelée luminosité. Plus cette quantité est élevée, plus le taux de collisions est grand. Le nombre de particules dans chaque faisceau est estimé en mesurant la lumière synchrotron qu’elles émettent lorsque leur trajectoire est courbée par un champ magnétique. Le bruit de fond résiduel explique l’observation de photons lorsque le nombre de particules dans le faisceau 2 est nul.

Les collisionneurs : révolution dans

Transporter AdA de Frascati à Orsay sur une distance de 1500 km ne fut pas une mince affaire. L’anneau fonctionnait sous ultravide (pour éviter les interactions entre les faisceaux d’électrons et de positrons avec les molécules du gaz résiduel) et le ramener à la pression atmosphérique normale pour le trajet aurait nécessité de longues opérations de nettoyage une fois arrivé à destination, suivies de plusieurs semaines de pompage.

Il fallut donc se munir d’un système de batteries pour que la pompe maintenant l’ultravide dans l’anneau fonctionne en permanence. Touschek en personne voulut tester la stabilité du camion utilisé pour le transport : peu habitué à conduire un si grand véhicule, il détruisit un lampadaire en le manœuvrant. Enfin, un douanier zélé voulut à tout prix inspecter l’intérieur de l’anneau à la frontière : il fallut une intervention haut placée (le ministre italien des affaires étrangères ou le haut-commissaire à l’énergie atomique français selon les versions et ...

la nationalité du conteur !) pour que les choses rentrent dans l’ordre. Malgré ce contretemps, la pompe fonctionna jusqu’à l’arrivée au LAL.

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atteint les 3,1 GeV avec une luminosité améliorée. Les données recueillies montrent que le taux de production de hadrons (particules constituées de quarks), e+e → hadrons, est au moins aussi important que celui des leptons, e+e → µ+µ, dont la théorie est alors bien établie. Ce résultat – confirmé ensuite par l’expérience « By Pass » située à Cambridge dans l’état du Massachusetts – est inattendu. On comprendra par la suite que les prédictions théoriques (inspirées par l’analyse des neutrons et des protons) n’étaient pas bien fondées. Ce domaine d’énergie n’avait d’ailleurs pas fini de surprendre les physiciens.

En effet, après une longue période d’atermoiements bureaucratiques et plusieurs demandes de crédit rejetées, SLAC reçoit finalement un financement à l’été 1970 pour construire le collisionneur SPEAR (« Stanford Positron Electron Accelerating Ring », « Anneau accélérateur de positrons et d’électrons de Stanford »). Encore de taille modeste – un anneau simple de 80 mètres de diamètre construit sur un parking près du bout de l’accélérateur linéaire – il est terminé en 1972 et produit des faisceaux de 4 GeV d’énergie. En quelques années, les découvertes s’enchaînent : le méson J/Ψ en 1974 (formé de deux quarks d’un quatrième type encore inconnu, le charme) et le lepton τ en 1976, premier représentant de la troisième famille des constituants fondamentaux de la matière. En 1990, SPEAR est converti en une source intense de lumière synchrotron, le SSRL (« Stanford Synchrotron Radiation Light », « Source de rayonnement synchrotron de Stanford »), encore en fonctionnement aujourd’hui.

L’Europe n’est pas en reste. À Orsay, l’anneau de stockage DCI (« Dispositif de Collisions dans l’Igloo », nom donné au bâtiment en forme de dôme situé au bout de l’accélérateur linéaire), fournit, dans les années 70, des produits de collisions au détecteur DM2 (« Détecteur Magnétique 2 ») qui réalise des mesures de précision sur les hadrons, en particulier sur le J/Ψ récemment découvert – le nombre d’événements collectés reste pendant longtemps le plus important au monde. Mais les avancées les plus spectaculaires ont lieu au laboratoire DESY, près de Hambourg en Allemagne. Au collisionneur e+e en double anneau de 3 GeV, DORIS, s’ajoute en 1978 PETRA (« Positron Electron Tandem Ring Accelerator »).

Cette machine est un vrai géant par rapport à ses prédécesseurs : 2300 mètres de circonférence ! En forme d’anneau, comme les machines e+e précédentes, elle comporte huit sections droites : six pour les expériences et deux pour le système d’accélération R.F. Les particules sont créées par un accélérateur linéaire, accélérées jusqu’à 6 GeV dans le synchrotron de DESY avant d’être injectées dans PETRA. L’énergie des collisions atteint rapidement les 22 GeV (record mondial à l’époque) et montera ultérieurement jusqu’à 46,8 GeV.

En 1979, le CERN publie une étude portant sur un collisionneur e+e d’une trentaine de kilomètres de circonférence. L’énergie prévue est de 70 GeV par faisceau avec des perspectives d’augmentation jusqu’à 100 GeV grâce à l’utilisation de cavités R.F. supraconductrices. Une fois accepté, ce projet devient le LEP (« Large Electron-Positron collider », « Grand collisionneur à électrons et positrons », voir «Expérience»). Les travaux de génie civil débutent en 1983 ; les premières collisions sont enregistrées le Section efficace de la réaction

e+e→ hadrons (divisée par celle de production de muons e+eμ+μ-) enregistrée par le détecteur Mark- I sur le collisionneur SPEAR. Le pic correspond à la production du méson Psi (ψ) découvert simultanément à Brookhaven dans une expérience sur cible fixe (et appelé J). En moins de 1 MeV (soit une variation d’énergie inférieure au pourmille), la section efficace est multipliée par 100 avant de décroître presque aussi rapidement.

La position du pic donne la masse de cette nouvelle particule, également appelée « résonance ». Dix jours après cette découverte, une seconde résonance – le « ψ prime » de masse 3,7 GeV/c2 environ – est observée à SPEAR (SLAC).

Les collisionneurs : révolution dans

Énergie des collisions, en GeV.

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les accélérateurs de particules

Collisionneurs protons-(anti)protons Lors d’une collision entre des particules ayant une structure interne (par exemple pp), le choc a lieu entre des composants de chaque particule (quarks ou gluons) qui n’emportent qu’une fraction de l’énergie totale – une fraction variable selon la collision. Accumuler les événements permet de balayer toute la gamme d’énergie disponible. De plus, la perte d’énergie par rayonnement synchrotron d’un proton suivant une trajectoire circulaire est bien plus faible que celle d’un électron : à puissance électrique égale, un collisionneur à protons peut donc atteindre des énergies plus élevées.

Produire

Les antiprotons sont obtenus par collision de protons de haute énergie sur une cible dense (par exemple en tungstène). Les particules produites ont alors des énergies et des trajectoires initiales très différentes les unes des autres, d’où la nécessité de les « mettre en forme » avant de pouvoir les utiliser. Sans cette étape essentielle, les quantités d’anti-protons disponibles pour des collisions seraient beaucoup trop faibles.

Les collisionneurs : révolution dans

13 août 1989 et l’accélérateur a été en service jusqu’en novembre 2000.

Le LEP a ensuite été démonté et c’est dans son tunnel que l’installation du LHC se termine.

Les collisionneurs électrons-positrons les plus performants actuellement sont les accélérateurs des « usines à B » Belle et BaBar : KEK-B au Japon (l’accélérateur le plus efficace au monde, à la fois en termes de taux de collisions instantané et du nombre total d’événements fournis depuis sa mise en service) et PEP-II en Californie (qui détient les records de courant dans chacun des deux faisceaux). Leur particularité principale est d’être asymétriques : l’énergie des électrons est environ trois fois plus importante que celle des positrons. Comme nous l’avons vu au début de l’article, cette différence produit un mouvement d’ensemble qui affecte tous les produits de la réaction, en particulier deux particules appelées mésons B auxquelles BaBar et Belle s’intéressent particulièrement. Leur durée de vie étant non nulle (mais très petite), la « pichenette » énergétique qu’elles reçoivent fait qu’elles parcourent une distance mesurable dans le détecteur avant de se désintégrer (à peine quelques millimètres). L’énergie perdue pour la collision est ici sans conséquence dans la mesure où ces expériences opèrent à une énergie fixée, bien inférieure aux records atteints par ces accélérateurs. Leur but n’est pas d’atteindre l’énergie la plus élevée possible mais d’augmenter autant que possible la luminosité, c’est-à-dire le taux d’événements.

Les collisionneurs hadroniques

Historiquement les physiciens utilisèrent des électrons et des positrons dans les collisionneurs avant de se tourner vers les collisionneurs protons- (anti)protons. L’utilisation de deux faisceaux de protons nécessite deux tubes à vide et un système magnétique très complexe pour que des particules de même charge puissent tourner en sens opposés ; quant aux anti-protons, il faut réussir à les produire en grande quantité et être capable de les organiser en paquets denses, d’énergie et donc de trajectoire

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Les collisionneurs : révolution dans

Vue aérienne du site de DESY (près de Hambourg) avec, en pointillés, le dessin des différents collisionneurs : PETRA (collisionneur e+e puis injecteur de HERA) et HERA (collisionneur ep). Les cercles (désignés par les initiales des 4 points cardinaux en allemand) correspondent aux zones expérimentales.

Énergie des collisionneurs e+e en fonction de leur date de mise en service (ou en projet). L’échelle verticale est logarithmique : chaque ligne horizontale correspond à une multiplication par dix de l’énergie.

© DESY

données. Néanmoins, aucune de ces difficultés ne s’est avérée rédhibitoire sur le long terme : toutes les configurations de collisionneurs ont été réalisées, la seule règle étant d’utiliser des particules stables et chargées.

Le premier collisionneur pp est construit au CERN : l’ISR (« Intersecting Storage Rings », « Anneaux de stockage à intersections ») y fonctionne de 1971 à 1984. Les deux anneaux d’aimants concentriques font 300 m de diamètre et sont situés à environ 200 m du synchrotron PS d’où les protons sont extraits à une énergie allant jusqu’à 28 GeV. Un système accélérateur situé dans les sections droites des anneaux permet d’atteindre 31,4 GeV. Afin d’augmenter la densité de protons dans les anneaux, on « rassemble » plusieurs paquets injectés par le PS. La durée de vie des faisceaux atteint les 36 heures.

Les antiprotons deviennent d’actualité dans la seconde moitié des années 70 grâce à la mise en œuvre d’un système d’asservissement inventé en 1968 par l’ingénieur du CERN S. Van der Meer : les écarts de trajectoire des paquets d’antiprotons qui circulent dans l’anneau sont observés en un emplacement particulier et atténués en un autre endroit où le signal de correction arrive avant les particules. Ainsi domptés, les antiprotons se laissent accumuler en nombre suffisant pour donner des collisions productives sur une longue période.

Sous l’impulsion de Carlo Rubbia, le CERN transforme son synchrotron à protons SpS en un collisionneur p-p (le SppS) dédié à la recherche des bosons W± et Z0. L’accélérateur atteint son but : le prix Nobel de physique 1984 récompense Rubbia et Van der Meer pour « leurs contributions décisives au grand projet qui a permis la découverte des bosons W et Z, médiateurs de l’interaction faible ». Par la suite, le laboratoire Fermilab (près de Chicago) se lance dans la construction d’un collisionneur p-p géant, le Tevatron, qui, encore aujourd’hui, détient le record absolu d’énergie de collision (2 TeV, soit 2000 GeV !).

Enfin, suivant une logique de « recyclage » propre à tous les grands complexes accélérateurs, DESY transforme son collisionneur PETRA en un injecteur pour le collisionneur électrons ou positrons (~30 GeV) contre protons (~820 GeV) HERA (« Hadron Electron Ring Accelerator », « Accélérateur en anneau hadrons-électrons ») dont la circonférence atteint 6,3 km.

Les électrons permettent de sonder la structure des protons et d’étudier des détails de leurs comportements décrits plusieurs dizaines d’années auparavant mais jamais observés jusqu’alors. Après une très longue carrière, HERA a finalement été arrêté l’été dernier : le nouveau grand projet du laboratoire DESY consiste à construire et mettre au point une source cohérente et très brillante de lumière synchrotron dans le domaine

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Les collisionneurs : révolution dans les accélérateurs de particules

L’expérience AdA à travers les âges : à gauche, en service en 1961 au laboratoire de Frascati ; au centre, en 1962 après son transfert au Laboratoire de l’Accélérateur Linéaire ; à droite en 2007, exposée sous une pyramide de verre à l’entrée du laboratoire de Frascati.

© LNF

Salle expérimentale « Pierre Marin » montrant l’anneau de collisions ACO (Orsay) conservé en l’état à destination du public.

© ACO

des rayons X, utilisée par exemple pour

« observer » des phénomènes ultra- rapides comme des réactions chimiques.

Bien qu’il n’ait pas encore été mis en service, le LHC est actuellement l’objet de toutes les attentions des physiciens nucléaires et des particules du monde entier. Repoussant les limites de la

« frontière en énergie » (collisions à 14 TeV, 7 fois l’énergie record du Tevatron), il devrait permettre de découvrir la dernière pièce majeure du Modèle Standard à n’avoir pas reçu de confirmation expérimentale (le boson de Higgs) et mettre en évidence des effets nouveaux, certains prédits par les théories actuelles et, sans doute, d’autres tout à fait inattendus !

Un nouveau siècle commence

Les collisionneurs existent depuis un demi-siècle seulement mais ils ont révolutionné la physique des constituants élémentaires en permettant d’explorer des plages d’énergie toujours plus élevées et d’accumuler des quantités impressionnantes d’événements (plusieurs centaines de millions pour Belle et BaBar). Bien loin d’être rivaux, les différents types de machines se sont révélés complémentaires : ainsi, les bosons Z0 et W±, découverts dans des collisions pp au SppS, ont été étudiés en détail au LEP, collisionneur e+e. Après la découverte du sixième (et dernier !?) quark au Tevatron (p-p) et les mesures de précision des usines à B (e+e), le LHC (pp) devrait bientôt apporter sa moisson de découvertes.

Le XXIe siècle sera-t-il pour autant celui des anneaux de collisions ? Rien n’est moins sûr : la taille des accélérateurs et les pertes par rayonnement synchrotron apparaissent aujourd’hui comme des obstacles insurmontables pour la prochaine génération de collisionneurs circulaires à électrons. Il faudra donc probablement concevoir de nouveaux collisionneurs au lieu de reproduire en plus grand et en plus puissant les machines actuelles.

Ainsi, le prochain projet mondial devrait être un collisionneur linéaire électron-positron de plusieurs centaines de GeV (l’ILC), formé de deux accélérateurs linéaires se faisant face et injectant des paquets de particules en collision frontale. La communauté des physiciens des hautes énergies a l’habitude de ces remises en question : nul doute qu’elle saura relever ce nouveau défi !

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© INFN

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