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ALMANACH DES BIENHEUREUX

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Texte intégral

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A Roselyne et Alain

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ALMANACH

BIENHEUREUX DES

(4)

ISBN 2-7021-1655-8

© Calmann-Lévy 1987 - Tous droits réservés

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Aman Dag Naud

ALMANACH BI ENHEUREUX DES

Calmann-Lévy

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AVRIL

Vincent Ferrier, la vedette médiévale.

Hermann, l'homme invisible.

Julie Billiart paralytique se lève et marche. Catherine de Sienne stigmatisée.

Eutrope et la fillette enceinte soignée pour un œdème.

MAI Marie et ses statues miraculeuses.

Gengoux le cocu et la femme qui pète.

Jeanne d'Arc face à ses juges.

Greluchon, le faux saint au gros sexe.

JUIN

Antoine de Padoue fait retrouver les objets perdus.

Germaine Cousin l'enfant martyre.

Hervé, le barde aveugle.

Columba affronte le monstre du Loch Ness.

Jean-Baptiste et les feux de la Saint-Jean.

JUILLET Hidulphe exorcise un fou.

Benoît retrouvé au mont Cassin. Le miracle des gros os.

Hélier le mal aimé.

Jacques à Compostelle.

Anne face à l'Inquisition.

Germain l'Auxerrois seul contre les Alains.

AOÛT

Jean-Marie Vianney psychothérapeute.

Emilie de Vialar chez les Arabes.

Anne-Marie Javouhey à Cayenne.

Jeanne Jugan, fondatrice des Petites Sœurs des Pauvres. Fiacre proctologue.

SEPTEMBRE

Joseph de Cupertino s'envole. Eustache. Un malheur n'arrive jamais seul.

Côme et Damien greffent la jambe d'un Noir sur un Blanc.

Delphine et ses « trucs » pour rester vierge dans le mariage.

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OCTOBRE Foy et les facéties de son fantôme.

Denis décapité porte sa tête à Saint-Denis.

Isaac Jogues scalpé par les Indiens.

Florentin, le dernier recours des fous.

NOVEMBRE

Hubert et les traitements de jadis contre la rage.

Alpais la visionnaire, galiléenne quatre siècles avant Galilée.

Elisabeth de Hongrie. Une histoire d'amour.

Catherine et les catherinettes.

Acaire protecteur des homosexuels.

DÉCEMBRE Éloi et la culotte de Dagobert.

Nicolas et le père Fouettard.

Lucie qui s'arracha les yeux.

Françoise Cabrini dans les bas-fonds de New York.

Catherine Labouré, rue du Bac à Paris.

JANVIER

Angèle de Foligno reçoit des claques invisibles.

Alix Le Clerc ne craint pas les fantômes.

Fursy parle dans le ventre de sa mère.

Antoine s'enferme dans un tombeau.

FÉVRIER Fulcran reste intact après sa mort.

Bernadette Soubirous voit la Vierge à Lourdes. Robert d'Arbrissel couche entre deux nonnes fessues.

Daniel Brottier dans les tranchées de Verdun.

MARS

Charles de Flandre et le châtiment de son assassin.

Guénolé dans la cité d'Ys.

Colette la recluse.

Jean de Dieu à l'asile d'aliénés.

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PRINTEMPS

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VINCENT FERRIER

(5 avril)

N

os prétendus médiévaux s'ennuyaient moins que nous. Leur journée, réglée sur le lever et le coucher du soleil, l'année, soumise au rythme des saisons et du sacré, étaient les images floues d'un temps ignorant nos urgences.

Mille et un faits ponctuaient le quotidien. Il y avait les veil- lées chez les uns chez les autres, les foires et les fêtes, quel- ques tournois, les supplices publics, des razzias de seigneurs pillards, et des hantises, en veux-tu en voilà, toujours déme- surées, celle des épidémies, des famines, des loups et des monstres, ou bien celle des fées qui hantaient les forêts. La mémoire réchampait quelques faits à l'aura merveilleuse, parmi lesquels, et non des moindres, le spectacle proposé par les grands prédicateurs, émissaires de Dieu et du pape, grands faiseurs de miracles et diseurs de fables. Vincent Fer- rier fut de ceux-là, et l'un des plus fameux.

Né à Valence en Espagne, dans les années 1350, domini- cain, maître ès philosophie et théologie, ami du pape d'Avi- gnon Benoît XIII, il fut investi de la charge de « plénipo- tentiaire du Seigneur ». Sans discontinuer, pendant près de cinquante ans, il prêcha dans toute l'Europe, à Valence, Val- ladolid, Avignon, Arles, Aix et Marseille, en Lombardie et en Piémont, en Allemagne, à Lausanne, Genève, Lyon, puis Gênes, peut-être en Angleterre et en Irlande vers 1406-1407, en Espagne encore de 1408 à 1410, en Italie de nouveau et encore en Espagne. En 1414, il était à Perpignan. On le vit ensuite à Toulouse, Clermont, Lyon, Besançon, Dijon, Bourges, Tours...

Suivons-le en Bretagne pour ses dernières prédications.

Il arrive à Nantes sur la fin de l'an 1416 et guérit aussitôt un mendiant tout perclus depuis dix-huit années : « Mon ami, je n 'ai ni or ni argent à vous offrir, mais je supplie Notre Seigneur de vous donner l'usage libre de vos membres. » Il fait le signe de croix et le paralytique se dénoue.

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Monté sur un méchant âne, Vincent quitte Nantes pour se rendre à Vannes. L'évêque de ce lieu, Amaury de La Motte, suivi des chanoines, du clergé, des seigneurs et du peuple en multitude, se porte à sa rencontre jusqu'à une demi-lieue de la cité. Fidèle à son vœu de pauvreté, le domi- nicain refuse de loger au palais ducal, lui préférant la sim- ple maison d'un nommé Robin le Scarb. Le lendemain, Vin- cent grimpe sur un échafaud dressé place des Lices, devant le château de l'Hermine, et s'adresse à la foule agglutinée même dans les rues circonvoisines. Les fenêtres, créneaux, tours et guérites fourmillent de curieux.

Vincent a décidé de parler sexe. Il raconte l'histoire d'une prostituée défunte dont le corps exhumé est partagé en deux : les membres supérieurs sont intacts, le reste est pourri. L'auditoire est accroché. Vincent évoque le sort des luxurieux en enfer, le ventre rongé par des crapauds et des vipères. Puis il condamne les positions « innaturelles » et fournit des détails qui captivent. Le public est ravi. Le spec- tacle a duré deux heures. Chacun des jours suivants, le pré- dicateur s'adresse à la foule sur un thème nouveau. Il criti- que la mode vestimentaire et parle d'une femme si dépen- sière que le mari avait fini par la céder au diable. Mais l'enfer l'avait restituée car il courait à la faillite. Ferrier rapporte des faits qu'il a vu de ses yeux vu, comme ce combat entre des aveugles et un taureau.

Avant de quitter Vannes, il propose un sermon sur la con- fiance. Il prend pour exemple une orpheline recueillie par son oncle. Elle devient enceinte des œuvres de celui-ci. Elle accouche d'un enfant qu'elle étrangle dans une grange. Elle a si peu de remords qu'elle supprime de la même façon les deux bébés suivants. Un jour pourtant, saisie de vertige à la pensée de ses crimes, elle se laisse aller au désespoir. Elle se pend, la corde casse. Elle cherche à s'empoisonner en avalant une énorme araignée, puis une plus grosse encore, et une troisième abominable. Rien n'y fait. Elle songe alors à la Vierge qui apparaît et lui pardonne à condition qu'elle se fasse nonne.

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Les Vannetais sont enchantés. Lorsque le prédicateur quitte la ville, la population entière l'accompagne sur plu- sieurs kilomètres. Même chose à Guérande, Auray, Redon, Pontivy, Le Croisic, Quimperlé, Lesneven où Vincent laisse en souvenir son bonnet conservé en un reliquaire d'argent :

« Ici est la vraie calotte de Monsieur saint Vincent de Fer- rier. » L'une après l'autre les cités bretonnes sont visitées.

A Morlaix, il prêche dans la rue des Fontaines. Les gens, nonobstant la distance, peuvent entendre l'orateur aussi bien que s'il leur parlait à l'oreille. L'on crie au miracle.

A Rennes, l'affluence est si grande que le Père doit prê- cher dans un champ hors les murs. Bourgeois et gueux, idiots et sages, ils sont tous là. On leur a promis une indul- gence pour l'au-delà. Ils écoutent fascinés les vieilles his- toires du temps passé, les descriptions de l'enfer et celles du paradis. Comment font-ils pour comprendre ? Vincent Ferrier parle espagnol et latin, vaguement italien et français.

Bas-Bretons, campagnards illettrés, commerçants flamands, anglais, allemands suivent paraît-il sans difficulté. Certains parfois sont un peu distraits, telle cette mégère qui papote bruyamment avec sa voisine. Le prêcheur l'interpelle. « Et vous ? » rétorque la bonne femme, « voilà une demi-heure que vous bavardez ! »

Au printemps de 1419, Vincent Ferrier est de retour à Vannes. Il sait sa mort prochaine : autrefois en Avignon, Jésus lui avait révélé qu'il trépasserait ès contrées occiden- tales. Une fièvre se déclare. L'infatigable voyageur est dix jours alité. Le mercredi 5 avril 1419, sentant approcher l'heure désirée, il se fait lire le Psautier de David et rend le dernier soupir. La duchesse Jeanne elle-même lave le corps avec de l'eau bouillie mêlée d'herbes. Les obsèques ont lieu le samedi 8 avril. Deux siècles plus tard, vers 1630, le bien- heureux Albert le Grand, moine de Morlaix, dénombre pour la seule Bretagne vingt-huit morts ressuscités, quarante-six délivrés de diverses maladies mortelles, cinquante-six pes- tiférés guéris, cinq naufragés recueillis, sept épileptiques apaisés, quatorze aveugles éclairés, trois insensés, un hydro-

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pique, trois goutteux, un muet, cinq paralytiques, quatre boiteux rétablis grâce à l'intercession de Vincent Ferrier.

Deux miracles valent d'être cités. Ils sont consignés en l'ouvrage apodictique du susnommé Albert* : « Un bour- geois de Vannes, nommé Dongal, avait un fils appelé Jean, âgé de dix-neuf ans, lequel, ayant bu de l'eau enfla telle ment que le ventre lui pendait jusques entre ses deux genoux. Le nombril lui devint gros et long, pendant comme un bras. Le cou lui estoit pareillement enflé de telle sorte qu'il ne pouvait regarder en bas, et estoient ses conduits tellement rétrécis qu'à peine prenait-il pour tout aliment une bouchée de pain... Ses parents et amis lui demandèrent s'il ne voulait pas bien qu'ils eussent prié saint Vincent pour lui. Il les en pria. Incontinent, son nombril s'ouvrit par le bas, duquel sortirent plusieurs pierres grosses comme des œufs et le malade resta entièrement guéri. »

« En un canton de notre Bretagne, une femme enceinte fut éprise d'un désir de manger de la chair humaine, et cet appétit lui crût de telle façon qu'elle dit en un mot à son mari qu'il lui en fallait absolument manger, ou bien qu'elle mourrait. Son mari la tança aigrement ; mais la misérable, ayant épié l'absence de son mari, prit un petit enfant qu 'elle avait en garde, âgé seulement de deux ans, le tua, et, l'ayant divisé en deux, mit une moitié à cuire pour la manger, réser vant l'autre moitié pour une autre fois. Son mari, de retour au logis, et voyant ce beau ménage, je vous laisse à penser quel crève-cœur ce lui fut. Il prend les deux quartiers de l'enfant, dont l'un était déjà bouilli, s'en va en hâte à Van- nes, se jette devant le tombeau de saint Vincent, y fait sa prière ; incontinent l'enfant ressuscita vif Et pour marque perpétuelle du miracle, lui resta sur le corps une ligne rouge en l'endroit par lequel il avait été divisé. »

De quoi faut-il plus s'ébahir ? Que nos aïeuls aient admis un tel prodige ? Ou que nous n'y puissions plus croire ?

* Vies des saints de la Bretagne-Armorique, 1636.

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HERMANN

(7 avril)

ermann l'homme invisible voit le jour en 1150 à Colo- gne, la plus grande ville germanique de l'époque.

Autour du noyau cathédral, à deux pas des opulents quar- tiers bourgeois, s'entassent les immigrés de la campagne, tisserands, menuisiers, chômeurs, populations misérables gagnées par l'hérésie cathare, périodiquement agitées de sou- bresauts insurrectionnels. Dans la paroisse Sainte-Ursule vivent les parents d'Hermann. Ils sont pauvres « avouables », ni esclaves, ni serfs, ni errants, ni juifs ou lépreux, mais tra- vailleurs à la petite semaine, admis dans la communauté des secourables.

Dans les familles démunies, l'usage est d'abandonner dans des couvents les garçonnets de dix-douze ans. Hermann est confié au monastère prémontré de Steinfeldt. Il ne vivra pas la vie du monde, mais au moins sera-t-il à l'abri du besoin.

Il fera le ménage, servira en cuisine ou au jardin ; il sera nourri, logé, instruit. Hermann souffre de la séparation.

Toute sa vie, aux jours de fête, Noël surtout, il est terrassé de violents maux de tête : « Les fêtes ne sont pas heureuses pour moi. »

Hermann enfin fait profession. Il devient Frère Joseph en religion. Vêtu de laine blanche, ne mangeant pas de viande, assistant chaque jour à trois messes, couchant dans le dortoir commun, il serait un frère parmi les autres s'il ne se volatilisait à l'ordinaire inopinément. Il a fini un travail, le voilà qui disparaît. Il s'ennuie en compagnie, hop, il s'éva- nouit. Un chanoine va pour le saluer, à peine voit-il se dis- siper la forme humaine du brave Hermann. Un frère musarde dans le cloître désert ; il tombe nez à nez avec Hermann en réincarnation. Les prémontrés de Steinfeldt deviennent soucieux, vaguement inquiets. Leur confrère invisible peut tout surprendre de leur jardin secret, ces mille et un petits mystères qui font les labyrinthes. On épie ses réactions, mais

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rien ne semble devoir troubler son équanimité. Hermann en fait ignore l'indiscrétion. Son repaire, son nid à lecture, car il lit beaucoup, c'est la cuisine. Il s'y retire et disparaît, pschitt, entre deux marmites. Les moines jamais ne verrouil- lent la porte sans crier au préalable : « Hermann, si vous êtes ici, montrez-vous ; sinon vous ne pourriez plus sortir, je vais fermer. »

Sans nul incident, Hermann vieillit en toute quiétude.

Puis il se sent las, il est bientôt nonagénaire. Il se couche et attend la mort. Il ne disparaît plus. Les frères qui se suc- cèdent pendant un an à son chevet admirent une excentri- cité nouvelle : Hermann ne va plus à la selle, il n'a plus même besoin d'uriner. « N'éprouvez-vous donc jamais la néces- sité de vous lever pour quoi que ce soit ? » « A vrai dire non ! » On examine les draps, aucune trace d'énurésie ou de défécation. Hermann est totalement continent.

Le singulier vieillard meurt le 7 avril 1241. Quelques décennies plus tard, le corps est exhumé. Chaque ossement est cousu séparément dans un morceau de toile fine et replacé en sa position, le tout si bien arrangé qu'on croit voir un squelette ordinaire. Dans les orbites on insère deux gemmes de cristal. Ces pierres matérielles et transparentes, intermédiaires entre le visible et l'invisible, rappellent au passant l'étrange destin de saint Hermann.

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JULIE BILLIART

(8 avril)

ous sommes en 1773. La morosité règne dans le maga- sin des Billiart, à Cuvilly-en-Beauvaisis. Les créanciers ont engagé une procédure de réglement judiciaire, la fail- lite est inéluctable. Soudain un coup de feu claque, la vitrine explose, une balle siffle aux oreilles de Julie occupée à rêver.

La jeune fille a vingt-deux ans. Le soir même elle éprouve des difficultés à marcher. Le lendemain, elle est paralysée des deux jambes.

Vingt années s'écoulent. C'est la Terreur. La citoyenne Julie Billiart est recherchée pour activités suspectes : ses per- pétuelles invocations à tous les ci-devant saints du paradis, ses relations avec des prêtres réfractaires signent sa condam- nation. Mme de Pont-l'Abbé, M. Camus et des amis dépo- sent Julie dans une carriole, l'enfouissent sous des ballots de paille et filent vers Compiègne. Épuisée par le cahote- ment de la charrette, le manque d'air sous la paille, l'impos- sibilité de faire le moindre mouvement, Julie tombe en un sommeil profond. Elle découvre une assemblée de femmes.

Elle les considère toutes une à une. Au réveil, Julie ne peut effacer de sa mémoire le visage de ces femmes.

Le 10 thermidor, Robespierre est exécuté. Directoire enterre les acquis sociaux de la Révolution. Le Consulat ins- talle au pouvoir des spéculateurs à la Barras. Le peuple n'a pour seul droit que le travail surexploité. Bonaparte juge utile de maintenir les pauvres dans l'ignorance : les maîtres ne doivent pas inculquer plus que la lecture et l'écriture, l'éducation des filles est délaissée. L'enseignement supérieur seul est valorisé : il assure la formation des fonctionnaires.

Julie Billiart veut donner un minimum d'instruction aux enfants défavorisés. En 1803, elle ouvre une école gratuite à Amiens. Il lui faut des auxiliaires. Des jeunes filles se pré- sentent. Julie les reconnaît. Elle les a vues en rêve, autre

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fois, sur la route de Compiègne. L'institut des Sœurs de Notre-Dame est fondé. Julie y admet sans hésitation toutes celles dont le visage reste gravé dans sa mémoire.

Il n'y avait pas d'homme dans le rêve. Il y en a un dans l'entreprise de Julie. Il s'appelle Enfantin. Il est le guide psychologique et spirituel de la nouvelle communauté. Il impose à la paralytique neuf jours de silence et de médita- tion. La neuvaine s'achève le 1 juin 1804. Enfantin somme Julie de marcher. Elle se lève et avance. Les institutrices la voient descendre l'escalier. Mlle Blin témoigne : « Nous ne bougeâmes pas pour aller à sa rencontre, car je ne sais quelle stupeur nous avait saisies. Julie entre, droite, d'un pas ferme, et nous salue par ces mots : "Dieu soit loué !" ».

Pour Enfantin, cette guérison est un demi-succès. Il veut tremper comme un acier le caractère de Julie. Elle se lave désormais à l'eau glacée mêlée de cendres, elle ne doit plus manger qu'à genoux. Il lui enjoint de tuer le chat qu'elle adore. Julie monte au grenier où la pauvre bête débusque les rats, elle prend le minou dans ses bras, descend l'échelle, le pose au milieu de la cour, le contemple longuement d'un air triste, puis s'armant d'un courage venu on ne sait d'où, elle saisit un bâton et décharge sur la tête du malheureux animal un grand coup qui l'étend mort à ses pieds, puis elle va l'enterrer au jardin.

Nul ne peut justifier cet acte. Gardons-nous cependant d'oublier qu'en un temps où la vie humaine comptait peu, l'attachement aux animaux passait pour une indécente sen- siblerie. Dans la vie de Julie une page est tournée. Elle ne cesse plus de courir la France, récoltant des subsides, ouvrant des écoles. Entourée d'amis, Julie Billiart s'éteint le 8 avril 1816, sans que le moindre signe ni mouvement ait pu indiquer le moment précis de son décès. Partir ainsi en catimini porte un nom. On appelle cela « emporter le chat » !

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CATHERINE DE SIENNE - EUTROPE

(29 avril) (30 avril)

A de vingt-cinq enfants, Catherine, en 1353, a six ans lorsque le Seigneur, dans la rue, lui fait signe de le suivre. On retrouve l'enfant dans une grotte. A huit ans, Catherine ne veut plus ni manger ni dormir. Ses parents, Jacques et Lapa Benincasa, de braves teinturiers, ne s'inquiètent pas. Ils savent que les esprits sont troublés en ces années de peste noire où les morts s'entassent dans les charrois, où les vivants s'alignent nus en processions de flagellants pour se déchirer le dos. Mais la constance de leur enfant les étonne : à douze ans, elle ne dort plus qu'une demi-heure par nuit. Elle n'absorbe plus que le suc des aliments qu'elle mâche longuement avant de les recracher.

Si quelque morceau est avalé, elle souffre abominablement.

Il faut lui introduire jusqu'à l'estomac une tige de fenouil qui l'aide à vomir.

Sans doute Catherine a-t-elle besoin d'un époux. Ses parents lui en proposent un. Elle se rase le crâne pour mar- quer son refus. Elle ne supporte pas de regarder les hom- mes, d'en être vue, de se trouver en leur compagnie. Elle ne veut pas non plus du couvent ; sa cellule ne sera ni de pierre ni humaine. Les démons s'acharnent, lui remplissent de fantômes lascifs les yeux et les oreilles. Catherine résiste trois ans. Alors c'est Jésus en propre personne qui se pré- sente ; il lui passe à l'annulaire de la main droite un anneau d'or dont le cercle est orné de quatre perles et dont le .cha- ton renferme un diamant d'une incroyable beauté.

La jeune fille entre au service des lépreux de l'hôpital général. Un jour, elle s'occupe d'une petite vieille odieuse, lui lave un ulcère purulent hideux et se recule, horrifiée par la fétidité suffocante. Pour dominer sa répulsion, elle ramasse dans une écuelle la lavure et le pus, se retire dans un coin et ingurgite le breuvage. Le soir même, le Christ en croix se montre à elle et lui donne à boire le liquide qui s'écoule

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de sa plaie au côté. Ce mélange d'eau et de sang, autrefois recueilli par Joseph d'Arimathie dans la coupe du Graal, éveille à la connaissance.

Catherine l'illettrée est illuminée d'un savoir sans limi- tes. Elle dicte d'innombrables lettres, un « Dialogue » et des oraisons. Les théologiens s'étonnent, son vieil ami Raymond de Capoue doute :

« Au cours d'une extase, toute brûlante de fièvre, elle se mit à me parler de Dieu... Je l'écoutais en me demandant si tout cela était vrai. J'avais cette pensée lorsque je vis sa figure se transformer en celle d'un homme au regard sévère, à la barbe couleur froment. Effrayé, tout tremblant, je me cachai le visage dans les mains et m'écriai : "Oh ! qui est celui qui me regarde ?" Catherine me répondit : "C'est celui qui est". »

A quelque temps de là, Raymond soigne les victimes d'une nouvelle épidémie de peste.

« Une nuit, après avoir pris du repos, je voulus me lever.

Je sentis une affreuse douleur à l'aine. J'y portai la main et pus constater l'enflure du bubon pestilentiel... Je me ren- dis comme je pus au domicile de Catherine. Elle me fit cou- cher, s'agenouilla, couvrit mon front de sa main et se mit à prier mentalement selon son habitude. Je la vis bientôt entrer en ravissement. Quand elle eut ainsi prié pendant une demi-heure ou à peu près, il me sembla qu'on m'arrachait violemment quelque chose des extrémités du corps. Avant que mon amie n'eût recouvré ses esprits, j'étais complète- ment guéri. »

En 1374, Catherine reçoit les stigmates occultes du Christ :

« J'ai vu, me dit-elle, descendre des cicatrices des plaies du Sauveur, cinq rayons de sang, dirigés vers mes mains, mes pieds et mon cœur. Comprenant le mystère je me suis écriée : "Ah ! Seigneur, je vous en prie, faites que les cica- trices ne soient pas visibles sur mon corps !" Aussitôt, avant de m'atteindre, les rayons changèrent leur couleur de sang en pure lumière resplendissante. »

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Catherine se veut simple instrument de Dieu. Aucun homme ne lui en impose, pas même le pape : « Allez donc en homme courageux » écrit-elle à Grégoire XI. Urbain VI à son tour est sermonné : « Le Christ se plaint de ce que l'Église n'est pas purifiée des scandales et de ce que vous ne faites pas ce que vous pouvez faire et ce pour quoi vous avez été élevé à une si haute dignité. »

A Rome, au jour aniversaire de ses trente-trois ans, Cathe- rine prédit sa mort prochaine. Le 30 avril 1380, Raymond, à l'autre bout de l'Italie, entend son amie lui dire : « Sois tranquille, ne crains rien, je me tiens ici pour toi ». Cathe- rine vient de mourir.

EUTROPE

e 30 avril, ayons aussi une pensée pour Eutrope, alias saint Tropez, Estropié, Hydrope, Troupet ou encore Accroupi, premier évêque de Saintes au III siècle, mort le crâne fendu d'un coup de hache. Ce grand saint a autant de pouvoirs qu'il a d'identités. Il délivre les constipés, cons- tamment accroupis ; il rétablit les estropiés aux membres tordus et disloqués ; il soulage les hydropiques, gonflés de sérosités au ventre, dans la poitrine ou à la tête. L'hydropi- sie est la grande spécialité d'Eutrope.

En 1453, la femme du vieux Jean Nyvelon, soixante-huit ans, déchargeur de vin à Paris, prend en pension Marion la Blondelle, onze ans, pour lui enseigner le tissage. Le soir, l'enfant refuse d'aller seule au lit ; elle a peur du moine Bourru, du père Fouettard et de la Mesnie Hellequin. La gamine se retrouve dans le lit des patrons. Au matin, dame Nyvelon se rend au marché. Jean reste seul sous les draps en compagnie de Marion. Par la chaleur d'icelle Marion, le membre naturel dudit Jean se prend à roidir. Marion exa- mine le membre sur chaque partie avec exactitude et curio- sité, le touche et le manie, s'assurant de la réalité de ce

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mystère. Jean dispose son dit sexe viril en l'orifice et pénè- tre tout alan l'innocente enfant...

L'éducation d'icelle s'achève. Marion rentre chez elle.

Des nausées, des malaises l'incommodent. Elle commence à enfler, à n'en pas douter de la maladie dont saint Eutrope est requis. Mais cette fois, prières et neuvaines n'y peuvent rien. Le mal s'aggrave de mois en mois.

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MARIE (Mai)

e mois de mai, mois de Maïa la déesse-mère, promesse de fécondité, est consacré à Marie par qui l'Incarna- tion s'est réalisée. A Chartres, haut lieu celtique, les drui- des attendaient la venue d'une vierge qui devait enfanter.

Antique et universelle croyance : du Tibet au Japon, de Ger- manie en Amérique, l'on admettait qu'un dieu sauveur devait s'incarner dans le sein d'une vierge. Une nuit de Noël, la déesse noire Isis et la sombre Diane ont fait place à la Vierge, blanche, immaculée dans la conception. Étonnante trans- mutation, les vierges noires christianisées qui trônent dans les cryptes et sur les autels de Chartres, Rocamadour, Tou- louse, Laon, Le Puy, Périgueux et tant d'autres, annoncent Marie qui toujours apparaît blanche et lumineuse.

Au cours des temps, la Vierge apparut maintes fois aux plus humbles, bergers des montagnes, fillettes illettrées.

Depuis le 18 juillet 1830, rue du Bac à Paris, elle n'a cessé de se manifester pour rassurer, conseiller, mettre en garde : à La Salette en 1846, Lourdes (1858), Pontmain (1871), Pel- levoisin (1876), Knock Muir en Irlande (1879), Fatima (1917), Bauraing et Banneux en Belgique (1932 et 1933), Zeïtoun en Égypte (1968), Medjugorjé en Yougoslavie (depuis 1981)... Plus de deux cents apparitions dans les cinquante dernières années ! Combien seront authentifiées ?

Image de la mère, présente au cœur de chacun, la Vierge a été spoliée de son histoire. Un théologien rétif aux riches- ses de l'humain a prétendu qu'elle avait conçu par l'oreille ! On ne sait rien du destin de Marie après la Pentecôte. Est- elle morte à Éphèse ou à Jérusalem ? Plusieurs cités ont pré- tendu posséder sa dépouille. Quand fut institué le dogme de l'Assomption, ces précieux corps disparurent. L'on se prit à vénérer le siège sur lequel elle s'asseyait, la cruche où elle buvait et surtout les vêtements qu'elle portait pen- dant l'accouchement : ses chemises conservées à Aix-la-

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Dépôt légal : novembre 1987 N° d'éditeur : 11326/01 Photocomposition : Compo-Akrour, Pantin

Impression et reliure : Cronion, Barcelone Imprimé en Espagne

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