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Les inscriptions du tombeau de saint Junien

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Les inscriptions du tombeau de saint Junien

Robert Favreau, Jean Michaud

To cite this version:

Robert Favreau, Jean Michaud. Les inscriptions du tombeau de saint Junien. 102e congrés national des sociétés savantes, Apr 1977, Limoges, France. pp.145-155. �halshs-03324480�

(2)

Les inscriptions du tombeau de saint Junien

par Robert F

AVREAU

et Jean M

ICHAUD

Dans le chœur de l’ancienne collégiale de Saint-Junien, le visiteur peut admirer un remarquable mausolée rectangulaire de calcaire très fin. De belles sculptures ornent sa face orientale et, pour les deux tiers, les faces nord et sud. A l’est trône un Christ en majesté, dans une gloire en amande entourée du tétramorphe ; au nord, dans une gloire analogue siège une Vierge à l’Enfant qu’accompagnent douze des vieillards de l’Apocalypse ; au sud, douze autres vieillards, représentés de façon semblable, sont répartis de chaque côté d’un Agneau crucifère entouré d’une gloire circulaire. La partie occidentale du tombeau, non sculptée, était à l’origine engagée dans un autel.

Ce mausolée abrite les reliques de saint Junien, patron de l’église collégiale. Il comporte trois textes épigraphiques ; deux d’entre eux sont consacrés à l’ermite limousin et le troisième à la Vierge Mère, figurée au nord. Le tombeau de saint Junien a fait l’objet de nombreuses études, surtout depuis la publication en 1847 par l’abbé Arbellot de la Chronique de Maleu, prêtre et chanoine de Saint-Junien, mort en 1322

1

. Les inscriptions ont été présentées au cours de plusieurs de ces études

2

, et notamment dans l’impor

tant article que fit paraître Paul Deschamps en 19283. La présente communication se propose de donner un commentaire proprement épigraphique sur le tombeau de saint Junien.

1 Chronique de Maleu, chanoine de Saint-Junien, mort en 1322, suivie de documents historiques sur la ville de Saint-Junien, éd. abbé ARBELLOT, Saint-Junien-Paris, 1847. Cette chronique figure également dans un manuscrit de l’abbé Legros, jadis au Grand Séminaire de Limoges, aujourd’hui aux Archives départementales de la Haute-Vienne (mss. 1, 13, t. I, fol. 161-208). Nous donnerons les références à ces deux textes en signalant les variantes.

2 Abbé ARBELLOT, « Travaux de la Société française d’Histoire et d’Archéologie », dans Bulletin Monumental (Bull. monum.), t. XIII, 1847, p. 612 à 614 ; et « Notice sur le tombeau de saint Junien », dans Bulletin de la Société Archéologique et Historique du Limousin, t. II, 1847, p. 35. - DESMOULINS, «

Rapport sur l’abbatiale de Saint-Junien », dans Actes du Congrès Archéologique, 1847, Limoges, p.

395. - Abbé TEXIER, « Manuel d’épigraphie suivi du Recueil des inscriptions du Limousin », dans Mémoires de la Société des Antiquaires de l’Ouest, 1ère série, t. XVII, 1850, p. 137-138. - E TRAVERS, « Cinquantenaire de la Société Archéologique du Limousin », dans Bull. monum., t. LX, 1895, p. 481 R.

FAGE, « L’église de Saint-Junien (Haute-Vienne) », dans Ibid., t. LXX, 1906, p. 228. - P. DESCHAMPS, « Étude sur la paléographie des inscriptions lapidaires de la fin de l’époque mérovingienne aux dernières années du XIIe siècle », dans Bull. monum., t. LXXXVIII, 1929, p. 40. - Fr. DE CATHEU, La collégiale de Saint- Junien. Le tombeau, les peintures murales, Paris, 1948, p. 70 et suiv.

3 Les inscriptions du tombeau de saint Junien et la date de ses sculptures, dans Monuments Piot, t. XXIX, 1928, p. 194 et suiv.

(3)

La première inscription relative à Junien se trouve aujourd’hui gravée au revers de la face orientale, à l’intérieur même du tombeau. Elle se développe sur deux registres épigraphiques sensiblement égaux (24, 5 cm à gauche et 22,5 cm à droite) que partage une grande croix latine terminée par une hampe, à l’imitation des croix processionnelles (fig.

1).

Figure 1. - texte gravé à l’intérieur du tombeau.

Ci-gît le corps de saint Junien, dans le sarcophage même où l’ensevelit l’évêque saint Rorice.

Rainaud, évêque de Périgueux, qui par ses mérites obtint le martyre, rassembla les reliques dans des écrins de bois déposés à l’intérieur du sarcophage.

Cette inscription est, en fait, l’avant-dernière étape d’une histoire dont Étienne Maleu nous a rapporté les éléments.

Saint Junien était un ermite limousin qui, dans la première moitié du

vie

siècle, vint

vivre en reclus dans un lieu appelé Comodoliac, au confluent de la Vienne et de la

Glane. Attiré par la renommée de saint Amand, déjà installé à cet endroit, Junien

devint son disciple et continua à résider en ce lieu après la mort de son compagnon.

(4)

La réputation de sainteté dont il jouissait de son vivant ne tarda pas à éclipser la gloire de son maître et lui valut la protection de l’évêque de Limoges, Rorice II, qu’il avait miraculeusement guéri. A sa mort, survenue le 16 octobre 540, l’évêque Rorice fit élever un premier oratoire au-dessus de son tombeau qu’il plaça contre un autel dédié

à

saint André

4

.

:

« Pour abriter les cendres du corps inhumé, il [Rorice] fit aussitôt édifier un oratoire, sur le tombeau du très saint Junien et à la tête de ce corps très saint il prescrivit d’appliquer un autel qu’il consacra en l’honneur de l’apôtre saint André. »

L’église entreprise grâce aux libéralités de Rorice II sera achevée après sa mort.

Elle comportera l’autel majeur dédié à saint Junien et trois autres autels respectivement dédiés à la Vierge, à saint Jean-Baptiste et à saint André. Ce dernier autel, contre lequel reposait le corps de saint Junien, se trouvait dans la dernière partie de l’église (in ultima parte ecclesiae)5.

L’abbé Itier supprima l’autel Saint-André et fit exposer les reliques de saint Junien sur l’autel majeur. Puis en présence de l’évêque de Limoges Hilduin le sarcophage de pierre fut, à grand labeur, transféré, le 28 janvier 990, sans doute à proximité immédiate de l’autel majeur6.

L’église fut reconstruite à la fin du XIe siècle et consacrée par Rainaud de Thiviers, évêque de Périgueux7, le 21 octobre 1100, jour anniversaire de la dédicace de la première église due à Rorice II. Lors de cette cérémonie le prélat fit placer la tête de saint Junien dans des reliquaires en argent et le reste du corps dans deux coffrets de bois qui furent déposés dans le sarcophage primitif. Celui-ci fut placé à terre, contre l’autel majeur, et peut-être en partie engagé dans cet autel8. Peu de temps après cette consécration, Rainaud

4 Quoddam oratium, quo inhumati corporis cineres tegerentur, statim supra beatissimi Juniani tumulum construi faciens, ad caput ipsius sanctissimi corporis altari adaptari praecepit, ipsumque in honore beati Andreae apostoli consecravit (Chronique de Maleu, éd. cit., p. 23-24 ; manuscrit Legros, fol. 164).

5 Ibid., p. 28 ; manuscrit Legros, fol. 170.

6 Ibid., p. 30-31 (manuscrit Legros, fol. 171). La Chronique présente ici une lacune. On peut se demander si le tombeau n’était pas précédemment accolé à un autel matutinal ; la destruction de cet autel aurait alors permis de dégager le chœur « qui ne jouissait pas d’un grand espace » (qui tune tanta longitudine non gaudebat).

7 Malade, l’évêque de Limoges se faisait habituellement assister par l’évêque de Périgueux (ibid., p. 60).

8 Sancti enim Juniani captut... ipsum reposuit infra du as conchas argenteas in superficie deauratas ; alia vero membra sanctissima inde amovens, ea reposuit infra duo scrinia lignea... ; et ad terram juxta altare majus ipsius ecclesiae, adaptato sarcophago in quo B. Roricius junior ipsum sanctissimi Juniani corpus antiquitus tumulaverat, ipsa duo scrinia intus ipsum sarco phagum collocavit (ibid.,

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accompagna à la croisade le duc d’Aquitaine Guillaume le Jeune9. L’évêque de Périgueux trouva la mort au cours de cette expédition, tué, semble-t-il, par les Musulmans10.

L’inscription de la face interne du tombeau rapporte, en résumé, l’histoire des restes de saint Junien : ensevelissement par Rorice II et translation par l’évêque Rainaud. Elle a été connue d’Étienne Maleu, qui la cite avec quelques inexactitudes. Elle est postérieure à la mort de Rainaud puisqu’elle fait mention de son « martyre ». Elle a été commandée par Ramnulfe, abbé du Dorat et prévôt de Saint-Junien et vraisemblablement exécutée très peu de temps après la mort de Rainaud (1100 ou 1102)11, comme l’indique la paléographie du texte, très voisine de celle que l’on rencontre dans les inscriptions de la fin du XIe ou du début du XIIe siècle. Des lignes tracées à l’avance servent de support au texte. Aucune ponctuation ne sépare les mots. Les abréviations sont rares et on ne relève qu’une conjonction. Les onciales, peu variées, ne concernent que les E (14 sur 17) et les M (3 sur 4). L’inscription de consécration de l’autel des apôtres, à Saint-Jean de Montierneuf de Poitiers (c. 1096), présente un A d’un ductus analogue à celui de l’alpha, les 0 en navette, les N et la plupart des I sont identiques12. L’épitaphe du moine Vital, datée de 1097, conservée au Musée de la ville de Poitiers, permet le même genre de constatations13. Paul Deschamps rapproche également la paléographie de cette inscription de celles de la consécration de Figeac, au début du XIIe siècle, de l’épitaphe de l’abbé Bégon, à Conques (1108) et signale des M onciaux semblables dans le cloître de Moissac14. La partie propre au formulaire des épitaphes se limite aux premiers mots, hic jacet corpus, formule qui est déjà abondamment représentée dans les inscriptions funéraires de l’antiquité et du haut Moyen Âge15.

Dans la seconde moitié, et plus vraisemblablement dans le dernier quart, du XIIe siècle, les chanoines érigèrent autour du sarcophage de saint Junien un mausolée de grandes

p. 42). Le manuscrit Legros (fol. 176) ajoute ejus devant membra et écrit sarcofagum au lieu de sarcophagum.

9 Le duc partit le 17 mars 1101 et était de retour dans ses États le 29 octobre 1102.

10 Recueil des Historiens des Croisades, t. V, Paris, 1895, p. 395 et note C.

11 L’abbé Arbellot indique dans les documents qui font suite à son édition de la Chronique de Maleu (p. 135) qu’une association perpétuelle entre les églises du Dorat et de Saint-Junien avait été fondée par saint Israël, grand chantre du Dorat et premier prévôt de Saint-Junien entre 992 et 1014. La plupart de ses successeurs auront exercé des fonctions au Dorat avant d’être « élus » prévôts de Saint-Junien.

12 R. FAVREAU et J. MICHAUD, Corpus des inscriptions de la France médiévale, t. I : Poitou- Charentes, fasc. 1 : Ville de Poitiers, Poitiers, 1974, n° 73, p. 85.

13 Ibid., n° 89, p. 112.

14 Les inscriptions du tombeau de Saint-Junien et la date de ses sculptures, p. 204

15 Anthologia latina sive poesis latinae supplementum. Pars posterior, Carmina latina epigraphica, éd. Fr.

BUECHELER, fasc. I et II, Leipzig, 1895 et 1897, n° 425, 430, 442, 508, 548, 553, 556, 586, 5%, 679, 687, 719, 732, 753, 772, 794, 1166, 1179, 1313, 1351 (Bibliotheca scriptor um graecorum et romanorum Teubneriana) ; E. ENGSTROM, Carmina latina epigraphica post editam collectionem Bechelerianam in lucem prolata, Goteborg, 1911, n° 431 et 432, p. 148, n° 437, p. 150.

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dimensions16, dont un tiers fut engagé dans la partie postérieure de l’autel, le prêtre officiant dès lors le dos tourné au peuple. C’est le monument que nous pouvons admirer aujourd’hui. La pierre qui relatait la translation de Junien en 1100 fut cependant conservée, mais, après une légère réduction dont témoigne sa taille en biseau, elle fut placée à l’intérieur du mausolée, au revers de la face orientale.

Sur cette face, au-dessus du Christ en majesté, et sur le rebord de la partie supérieure, une nouvelle inscription, longue de 80 cm reprend presque exactement le début de l’inscription du début du XIIe siècle (fig. 2) :

Figure 2 - Inscription de la face orientale du tombeau.

HIC - JACET - CORPUS - SANCTI - JUNIANI - IN - VASE - IN - QUO - PRIUS - POSITUM - FUIT -

Ci-gît le corps de saint Junien, dans le sarcophage où il fut d’abord déposé.

La Vierge à l’Enfant préside au centre de la face septentrionale du tombeau de saint Junien. Elle est entourée d’une gloire ovale, formule employée pour le Christ en majesté dès les Ve et VIe siècles, mais qui ne semble pas utilisée pour la Vierge avant le XIe siècle.

Dans une étude consacrée à la Vierge dans une mandorle de lumière17, André Grabar a souligné à partir de quelques exemples, la localisation particulière de ce symbole dans l’ouest de la France et en Roussillon-Catalogne, et proposé de voir dans la mandorle un signe de théophanie employé pour la Vierge lorsqu’il s’agit de la présenter comme la Mère de Dieu. La liste des Vierges figurées dans les mandorles peut être sensiblement allongée,

16 Dans sa Chronique (p. 43) Étienne Maleu indique qu’après la mort de Rainaud, le prévôt Ramnulfe fit entourer le sarcophage d’une clôture de pierre décorée d’images sculptées (clausura alia lapidea et imaginibus lapideis adornari). Sur une très belle pierre, à l’intérieur de cette clôture, il aurait fait graver l’inscription que nous venons de rap porter. Paul Deschamps, dans son étude sur les inscriptions du tombeau (op. cit., p. 204), a parfaitement démontré que si l’inscription de la face interne du mausolée appartient au temps de Ramnulfe, il ne saurait en être de même pour les autres textes gravés et pour les sculptures que ni l’architecture, ni la paléographie ne permettent de placer avant la fin du XIIe siècle.

17 A. GRABAR, « The Virgin in a Mandorla of Light », dans L’art de la fin de l’antiquité et du Moyen Age, Paris, 1968, t. I, p. 535 à 541 (Collège de France. Fondation Schumberger pour les études byzantines).

L’auteur cite les peintures murales de Notre-Dame-la-Grande à Poitiers Notre-Dame à Montmorillon, Santa Maria de Tahull et Santa Maria de Esterri d’Anar en Catalogne, le tympan de Corneilla-de-Conflent en Roussillon et un vitrail de Vendôme. Nourredine MEZOUGHI a récemment étudié les origines de la mandorle

« Recherche s sur l’iconographie des mandorles au premier millénaire », dans Cahiers de Saint-Michel- de-Cuxa, juin 1975, n° 6, p. 229 à 273 et donné un compte rendu de l’ouvrage de Marina SACOPOULO, « La Theotokos à la Mandorle de Lythrankomi », dans Bull. monum. t. CXXXIV, 1976, p. 360 à 362.

(7)

mais la localisation reste à peu près la même, avec en plus quelques exemples en Italie18. A côté de la Vierge Mère, thème prédominant, parfois en liaison avec l’Adoration des mages19 il y a quelques scènes

d’Assomption ou d’Annonciation

20

. Une inscription a souvent été tracée dans la mandorle lorsqu’il s’agissait du Christ en majesté ; c’est aussi le cas pour la Vierge à l’Enfant de Notre-Dame-la-Grande de Poitiers, du Musée archéologique de Vich en Espagne

21

, et du tombeau de saint Junien, le texte se rapportant à la Vierge mère de Dieu . L’inscription de Notre-Dame-la-Grande est presque entièrement effacée, mais celle de Saint-Junien est parfaitement conservée (fig. 3) :

Figure 3 - Vierge à l’enfant, face septentrionale du tombeau.

+ AD - COLLUM - MATRIS - PENDET - SAPIENTIA - PATRIS : ME CHRISTI - MATREM - PRODO - GERENDO – PATREM : MUNDI : FACTOREM - GENITRIX - GERIT - ET - GENITO- REM :

18 Fontevraud, église abbatiale Notre-Dame (Maine-et-Loire) ; Déols, église abbatiale Notre-Dame (Indre, au Musée de Châteauroux) ; Niherne (Indre) ; Arnac-Pompadour (Corrèze, église d’Arnac)

; Corme-Royal (Charente-Maritime) ; Rieux-Minervoix (Aude) ; San Esteban de Bas (Espagne) pour les sculptures ; Saint-Martin-de-Fenollar (commune Maureillas, Pyrénées-Orientales) pour les peintures murales ; Alos, Vich, Coll Espinelves (Espagne) pour les devants d’autel ; et en Italie : Aquileia, Sant’Angelo in Formis, San Vincenze al Volturno. Cette liste n’a aucune prétention à l’exhaustivité, elle illustre seulement la fréquence du sujet.

19 Voir notamment Richard HAMMAN, Die Abteikirche von Saint-Gilles und ihre künstlerische Nachfolge, Berlin, 2e éd., 1956, p. 358 à 372. Le thème de la Vierge à l’Enfant est également traité dans Adolf KATZENELLENBOGEN, The Sculptural Programs of Chartres Cathedral. Christ. Mary. Ecclesia, Baltimore, 1959, p. 7 à 17.

20 Assomption à Déols, Fontevraud, Rieux-Minervois, Annonciation à Arnac. La mandorle semble parfois employée comme un procédé de sculpteur sans intention de théophanie, ainsi à Arnac, à Saulgé (M.-Th. CAMUS,

« Deux témoins de la sculpture romane du Bas-Limousin en Poitou : les chapiteaux de la chapelle de Saulgé »,

dans Bull. monum., t. CXXXIV, 1976, p. 98).

21 Paul DESCHAMPS et Marc THIBOUT, La peinture murale en France. Le haut Moyen Âge et l’époque gothique, Paris, 1951, p. 100 à 104. C. R. DODWELL, Painting in Europe 800 to 1200, 1971, fig. 220, devant l’autel du Museo arqueologico artistico episcopal de Vich : S.MARIA MATER DOMINI NOSTRI IESV CHRISTI ; comme à Saint-Junien la mandorle est tenue par quatre anges.

(8)

MATERNOS - QUE SINUS - SARCINAT - HIC – DOMINUS :

Au cou de la Mère pend la sagesse du Père.

Je m’affirme la mère du Christ en portant le Père. La mère porte son créateur, l’auteur du monde.

Ici le Seigneur pèse sur le sein maternel.

Il s’agit de deux distiques élégiaques, en vers léonins à rimes riches, formule métrique particulièrement en honneur aux

XIe

et

XIIe

siècles.

Le premier vers est inspiré d’une source qui a été copiée ou interprétée à d’assez nombreuses reprises, et où, partout, ont été conservées la fin du premier hémistiche, matris, et la fin du second, sapientia Patris. La formule la plus fréquente est :

In gremio matris residet sapientia Patris.

Elle est gravée au pied d’une statue de pierre d’une Vierge à l’Enfant, conservée aujourd’hui au Musée de Beaucaire

22

, sur le trône d’une Vierge présentant l’Enfant à l’adoration des mages à Santa Maria della Pieve à Arezzo en Italie

23

, sur le pied d’un calice à Eichstaedt en Allemagne

24

, et reproduite dans deux manuscrits du

XVe

siècle, l’un de Munich et l’autre du

Vatican25. Dans un troisième manuscrit, au British Museum, le verbe residet est remplacé par ludit26, tandis que sur la statue de bois de la Vierge à l’Enfant, sculptée en 1199 par le prêtre Martin et conservée au Musée de Dahlem, le verbe employé est fulget27. De l’inscription peinte de Notre-Dame-la-

22 Elle se trouvait en 1808 au-dessus de la porte d’entrée de l’ancienne église Notre- Dame de Pommier.

23 Ilene H. FORSTYTH, The Throne of Wisdom. Wood Sculptures of the Madonna in Romanesque France, Princeton, 1972, fig. 1.

24 Chr. CAHIER, Nouveaux mélanges d’archéologie, d’histoire et de littérature sur le Moyen  ge, III, Décoration d’églises, Paris, 1875, p. 257 à 260. L’inscription comporte un second vers : TV MIHI, NATE, PATER ET TV MIHI, FILI[A MATER].

25 Rome, Biblioth. Vaticane, lat. 1854, fol. 2, accompagnant une image de la Vierge à l ’ Enfant ; Munich, Clm. 15611, fol. 96 v, manuscrits cités par Hans WALTHER, Carmina medii aevi posterioris Latina, I, 1, Initia carminum ac versuum medii aevi posterioris latinorum..., Gottingen, 1959, n° 8923, p. 451.

26 Londres, British Museum, Harl. 3362, fol. 18 v. Indiqué par H. WALTHER, Carmina, II, 2, Proverbia sententiaeque latinitatis medii aevi..., Gottingen, 1964, n° 11791, p. 146.

27 Ehemals Staatliche Museen à Berlin, vierge provenant de l’Italie centrale, citée par I. H. FORSYTH, op.

cit., p. 26, n. 65, et reproduite dans le catalogue d’ exposition de Peter Metz, Europaïsche Bildwerke von der Spätantike bis zum Rokoko, Munich , 1972. Le texte complet de l’inscription est : Anno Domini M.C.

LXXXVTIII, mense genuarii. In gremio matris fulget Sapientia Patris. Factum est autem hoc opus mirabile donni Petri abatis tempore, presbiteri Martini labore, devoto ministrato amore.

(9)

Grande, Paul Deschamps et Marc Thibout n’ont pu lire que matri, tandis qu’à Rocamadour ne subsistait que la fin du second hémistiche, sapientiae (ou sapientia ?) Patris28.

Dans la première épître aux Corinthiens, Paul appelle le Christ la Sagesse de Dieu29. L’expression a été reprise par Paulin de Nole et par Guibert de Nogent30 et figure dans une mosaïque au sommet du grand arc qui sépare la nef du chœur dans la cathédrale de Monreale.

La forme sapientia Patris, qui conviendra parfaitement à la métrique de la fin d’un hexamètre, en est inspirée et elle est déjà employée par l’évêque Fulgent au début du VIe siècle31. Quant à la belle image de la Mère qui porte en son sein le Tout Puissant, elle est tôt exprimée par la plus ancienne liturgie, dans l’office de Noël32, reprise presque dans les mêmes termes sur une mosaïque absidale de l’église Santa Maria Nova à Rome33, et elle est évoquée par divers poètes : Purchart, moine de Reichenau, à la fin du Xe siècle34. Hildebert de Lavardin35 et Marbode de Rennes au début du XIIe siècle36. On peut penser qu’un jour on trouvera dans quelque auteur du XIe ou du XIIe siècle l’heureuse formule qui fut établie à partir de ces divers éléments, et dès lors retenue par plusieurs épigraphistes.

Les trois vers suivants reprennent la même idée de la créature qui porte son créateur, thème qui a été souvent développé et qui figure dans un certain nombre d’inscriptions, par exemple sur un bas-relief de la cathédrale de Maastricht, sur un vitrail de Wissembourg, au tympan de l’église de Castell’Arquato ou sur l’ambon de la cathédrale de Braga. Le

28 DESCHAMPS et THIBOUT, op. cit. , p. 95, n. 2.

29 I Cor. I, 24 : ... Christum Dei virtutum et Dei sapientiam.

30 Paulin DE NOLE, Epistola XI, dans P.L., t. LXI, col. 191. Cassiodore reprend aussi l’expression mais en citant expressément saint Paul, dans son Expositio in psalmum CIII (P.L., t. LXX, col. 737} ; Guibert de Nogent, De Laude S. Mariae (P.L., t. CLVI, col. 542 : sapientia Dei Patris).

31 P.L., t. LXV, col. 247 : Filium Dei..., qui est virtus et sapientia Patris. Fulgent est un évêque d’Afrique (Ruspensis, c’est-à-dire Henchir Sbia, en Tunisie).

32 Sancti Gregorii Magni, romani pontificis, Liber responsalis sive antiphonarius, P.L., t. LXXVIII, col. 734, répons : Quem caeli cape re non poterant, tuis gremiis contulisti, et surtout col. 735, répons : Continet in gremium caelum terram que regentem, Virgo Dei genitrix, procer es comitan tur haeredem...

33 Cette mosaïque est datée du milieu du XIIe siècle par Guglielmo MATTHIAE, Mosaici medioevali delle chiese di Roma, Rome, 1967, I, p. 315 à 321, et II, pl. 269 et dessin des restaurations in fine. L’inscription se développe à la base du cul de four : Continet in gremio caelum te in domo genitrix, proceres comitan tu rerilem ; l’église avait été reconstruite par le pape Léon IV (847-855) et décorée par le pape Nicolas 1er (858-868), et l’inscription reprend peut-être un texte plus ancien. Mgr BATTIFOL, dans son étude sur le « Caractère épigraphique du répons de l’antiphonaire de Saint-Pierre de Rome pour l’office de Noël », dans Bull. Soc. nation. Antiq. France, 1910, p. 365 à 367, pense que l’office a incorporé une inscription d’une des églises de Rome. C’est une possibilité mais on peut estimer plus probable que l’inscription dérive de la liturgie.

34 Picta manet mura necnon gemtncis imago, in gremio Christum gestantis, pignus amorum (Carmen de gestis Witigowonis abbatis, P.L., t. CXXXIX, col. 360, vers 344 et 345).

35 Virgo parens, consorte carens, tenet Omni potentem, ut gremio sic corde pio fert cuncta ferentem (Carmina miscellanea, LXXXVIII, Ubi fert Jesum Maria, dans P.L., t. LXXI, col. 142).

36 ... Sancta virago - Virgineum quod per gremium Patris exit imago (P.L., t. LXXI, col. 1652).

(10)

second hémistiche du troisième vers genitrix gerit genitorem, semble plus précisément un emprunt à quelque expression assez répandue, puisqu’elle est très proche d’un des vers de la châsse-reliquaire de saint Roman à Reiningen : Virgo creatorem genuit genitrix genitorem37 et d’un autre vers de la châsse de saint Firmin à la cathédrale d’Amiens : En preter morem genitura parit genitorem38. Le terme de factor est à plusieurs reprises employé par les poètes carolingiens, Ermold le Noir. Raban Maur, Strabon39. L’inscription de la Vierge à l’Enfant de Saint-Junien paraît ainsi composée de divers emprunts, adaptés avec plus ou moins de bonheur. Si l’épigraphiste a su trouver une formule personnelle heureuse en utilisant, pour son premier vers, un hexamètre fort répandu, il ne s’est pas montré très à l’aise pour les trois vers suivants, puisqu’au dactyle obligatoire du cinquième pied il commet une erreur de quantité au deuxième vers et ne s’en tire aux troisième et quatrième vers qu’en introduisant un monosyllabe, procédé qu’évitent les bons auteurs.

En revanche, l’écriture est très soignée, tant dans ce texte que dans celui, contemporain, de la face orientale. Paul Deschamps l’a comparée à celle de diverses inscriptions de 1165 à 1199 dans le Midi de la France (Arles, Crest, Narbonne, Toulouse et Vienne), et datée du dernier quart du XIIe siècle40.

Les recherches, dans le domaine de l’écriture des inscriptions, sont menées au Corpus des inscriptions de la France médiévale de façon aussi complète que possible, avec la mise sur fiche de chaque lettre des inscriptions datées, région par région. Ce fichier est mené parallèlement aux enquêtes sur place et il faut encore attendre quelques années pour pouvoir disposer d’un matériel de comparaison suffisamment large. Les inscriptions datées sont peu nombreuses dans la région pour la seconde moitié du XIIe

siècle. Tel quel le fichier des formes paléographiques permet des rapprochements étroits avec les inscriptions de Saint-Étienne de la Cité à Péri

gueux en 1169 et en 1189, et de Saint-Martin de Limeuil en 1194, tandis que les formes des inscriptions de Chef- Boutonne en 1211 et de Montbron en 1216 paraissent nettement plus évoluées. Le rapprochement le plus significatif est celui qu’il est permis de faire avec les inscriptions - non datées - de la façade occidentale d’Aulnay. La datation reste donc très voisine de celle que propose Paul Deschamps, en demeurant peut-être plus proche de 1175 que de 1200.

L’étude des inscriptions du tombeau de saint Junien permet de souligner deux moments dans la culture des chanoines de la collégiale limousine. De l’inscription purement narrative des environs de 1100, on passe, trois quarts de siècle plus tard, à une recherche littéraire certaine que souligne également l’élégance nouvelle de l’écriture. Ces textes accompagnent les deux représentations essentielles : celle du Christ en majesté et celle de la Vierge à l’Enfant, et participent directement à l’œuvre très remarquable du sculpteur. Comme tels, ils sont indissociables du témoignage artistique et culturel que nous offre le tombeau du saint ermite limousin.

37 Robert WILL, « Répertoire des inscriptions romanes de l’Alsace », dans Revue de l’Alsace, t. XXXVIII, 1959, p. 72.

38 Georges DURAND, Monographie de l’église Notre-Dame, cathédrale d’Amiens, t. II : Mobilier et accessoires, Amiens-Paris, 1903, p. 621.

39 M.G.H., Poetae latini aevi carolini, éd. E. DUEMMLER, t. II, 1964, p. 34, 197, 324, 359.

40 DESCHAMPS, Les inscriptions du tombeau de saint Junien et la date de ses sculptures, p. 205-206.

Références

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