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En quittant Washington, la voiture prend la direction du Sud. Andral, l'homme des Services Secrets, est au volant. Stauber, du F.B.I.

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En quittant Washington, la voiture prend la direction du Sud. Andral, l'homme des Services Secrets, est au volant. Stauber, du F.B.I., ne quitte pas des yeux Thomas Neely, savant atomiste, qui sera mort dans un mois.

Un mois. Les médecins l'ont dit. Neely emportera- t-il son secret dans la tombe ? Andral et Stauber ont pour mission de le lui arracher. Mais quel dessein inavouable se cache derrière cette mission?

Dans ce Sud en proie aux furies du racisme, de l'ambition et de la sensualité, la guerre des Services Secrets va atteindre à une cruauté jamais égalée.

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DU MÊME AUTEUR DANS LA MÊME COLLECTION

JAMAIS DEUX SANS TROIS TROIS AS C'ÉTAIT LE BON TEMPS

LE SAHARA BRULE (adapté à l' écran) BALADE AU SOLEIL

LA BOMBE LA GRANDE SOIF LA MAIN ROUGE LE FAUX-FRÈRE SI TU VAS A CUBA

DYNAMITE

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ESPIONNAGE Romans publiés sous la direction de FRÉDÉRIC DITIS

GIL PERRAULT

FURIE

ÉDITIONS DITIS 35, rue Mazarine, Paris-6e

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Bien que s'inspirant de faits réels et se dérou- lant dans des lieux existants, cette histoire est œuvre d'imagination.

G. P.

© by Editions Ditis, Paris 1961.

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Ils quittèrent Washington dès le lever du soleil.

Les collines qui ceinturent la ville se découpaient sur un ciel pâle où des nuées mauves, vers l'est, annon- çaient une autre journée torride. Andral avait pris le volant de la Plymouth, et Thomas Neely était installé à sa droite. A l'arrière, vautré sur la banquette, Frank Stauber tétait un cigare qu'il n'avait pas allumé. L'air était encore vif et des gouttelettes de rosée nacraient l'herbe des pelouses, devant les blanches maisons de style colonial des quartiers périphériques. Andral et Stauber étaient un peu transis, mais Neely avait refusé qu'on développât la capote de l'auto. Frissonnants dans leurs complets légers, les deux hommes savaient pourtant qu'ils ne tarderaient pas à évoquer avec nostalgie ces premières heures du jour et la fraîcheur de l'air sur leur visage. Mais peut-être allaient-ils moins souffrir de la canicule que la veille : l'itinéraire prévu avait été modifié par Neely. Il avait décidé de piquer vers l'ouest, vers les montagnes. Moyennant ce crochet de quelques centaines de kilomètres, ils échappaient à la monotonie de l'autoroute et à la chaleur écra-

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sante qui pesait sur les vallées. La veille, le trajet de New-York à Washington avait été parfaitement ennuyeux, au milieu du flot de voitures qui ne dépas- saient pas le quatre-vingt à l'heure, entre la double rangée de panneaux publicitaires qui masquaient la campagne.

Andral resta au volant jusqu'à neuf heures du matin. Il conduisait calmement, le regard perdu sur le ruban de macadam qui serpentait entre les collines.

Il était vêtu d'un complet en fresco vert-bronze, acheté quarante-huit heures plus tôt dans la Cin- quième Avenue. Ses gestes étaient sûrs, précis. Son visage, bruni, balafré à la tempe, n'exprimait aucun sentiment. Ses yeux verts étaient peut-être un peu plus sombres qu'à l'ordinaire. De temps en temps, il regardait dans le rétroviseur la face épaisse de Frank Stauber, qui mâchonnait toujours son cigare.

A sa droite, Thomas Neely n'avait pas bougé depuis le départ. Les mains jointes sur ses genoux, la tête renversée sur le dossier de la banquette, ses yeux bruns restaient fixés sur le ciel qu'une brume de cha- leur commençait de voiler. L'auto avançait au milieu d'une campagne verdoyante piquetée de fermes blanches, mais le régime du moteur était si régulier et son ronronnement si ténu, qu'il semblait aux voyageurs qu'ils assistaient, immobiles, au défilé monotone de ces prairies évoquant un paysage d'An- gleterre.

Après s'être retourné plusieurs fois en arrière, Stauber se pencha vers Andral et lui toucha l'épaule.

Les deux hommes se regardèrent dans le rétroviseur.

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D'un mouvement de tête, Stauber désigna une Stude- baker qui se traînait à une centaine de mètres der- rière eux.

— Il nous colle au train depuis un bon moment...

Thomas Neely, imperturbable, semblait n'avoir pas entendu. Andral lâcha l'accélérateur et se rapprocha du bas-côté de la route.

— Arrêtez-vous complètement, dit Stauber.

Il avait glissé la main sous son aisselle gauche.

Andral freina. La Studebaker les dépassa en klaxon- nant. Un homme aux cheveux poivre et sel était au volant, avec la mine harassée du voyageur de com- merce qui a cinq cents kilomètres devant lui et cinq - cent mille derrière.

— Okay, dit Stauber. On peut y aller.

— Prenez le volant, voulez-vous ? dit Andral.

Il déplia en soupirant son long corps musclé.

Frank Stauber était déjà debout et lui ouvrait la portière. Andral le remercia d'un hochement de tête et alla s'installer à l'arrière. Doucement, l'Américain embraya et remit la Plymouth sur la route. Ses mains énormes, très blanches, étreignaient fortement le volant. De dos, Andral ne voyait que son épaisse chevelure rousse dont les boucles mordaient sur le col de son complet havane. Stauber n'avait pas de cou, et sa tête semblait être posée directement sur ses épaules. Penché en avant, il conduisait plus bru- talement qu'Andral, appuyant par à-coups sur l'accé- lérateur, puis levant le pied, comme un routier qui est astreint à ne pas dépasser une certaine vitesse et qui se souvient soudain que le mouchard peut le

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dénoncer. Il jetait alors un coup d'œil furtif vers Neely, guettant la réprimande. Mais Neely regardait toujours le ciel, où la brume s'effilochait en d'im- palpables écharpes.

A dix heures, ils klaxonnèrent longuement devant une station-service avant qu'une fille d'une vingtaine d'années consentît à sortir de sa cage vitrée. Elle s'ap- procha de la Plymouth d'une démarche dansante, ses hanches rondes serrées dans des blue-jeans délavés.

— Le plein, et au galop ! ordonna Stauber d'une voix rogue.

— Un petit trot fera l'affaire, dit Andral.

Elle lui sourit et contourna l'auto. Chacun de ses gestes exprimait une sorte de jubilation secrète, comme si distribuer de l'essence constituait pour elle une fête toujours renouvelée. Sa voix était allègre, avec des intonations encore enfantines :

— Vous partez en balade sur la Skyline Drive ? Andral hocha la tête en souriant. Thomas Neely sortit de sa léthargie pour demander : — Vous venez avec nous?

Elle rit. Retroussa du coude une mèche qui tombait sur son front. Vérifia d'un coup d'œil le compteur de distribution.

— Trois hommes... Il y en a au moins deux de trop !

— Je peux faire descendre ces deux-là, insista Neely. Ils sont en quelque sorte à mon service. Viens- tu avec moi?

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Stauber mit le contact et fit ronfler le moteur.

La fille s'absorba dans la contemplation de la pompe.

— Tu ne veux pas ? insista Neely d'une voix âpre. Je te fais peur ? Réponds ! — Terminé ? fit Stauber en se retournant d'un bloc vers la fille.

— Tu aurais peur de venir avec moi, hein ? Tous les samedis soir, tu te fais peloter dans la voiture de tes petits amis, mais avec moi, tu n'oserais pas faire cinq kilomètres en plein jour !

Figée sous les cris hargneux de Neely, la fille bat- tait des paupières et le coin gauche de ses lèvres s'étirait bizarrement, comme si elle allait éclater en sanglots. Andral lui fourra un billet de dix dollars dans la main et Stauber démarra aussitôt en faisant crier les pneus. La fille roula le billet entre ses paumes et regarda s'éloigner la Plymouth. Puis elle revint vers sa cabine en traînant les pieds dans la poussière grisâtre qui couvrait le ciment. Le soleil était haut et elle sentait, à travers ses minces ballerines, la brûlure de la piste surchauffée. Elle referma soigneu- sement la porte de sa cabine vitrée, s'installa dans son fauteuil, mit les pieds sur le bureau, augmenta le volume de son transistor, pleura quelques minutes en reniflant misérablement.

A midi, Stauber alluma son cigare. Cela faisait plus d'une heure qu'il ne cessait de consulter son bracelet-montre. A cinq heures, il commencerait de même à retrousser sa manche sur la toison claire qui

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recouvrait son poignet, puis, à six heures, il extirperait de sa poche-revolver un flask de whisky et propose- rait une tournée générale.

Stauber en était à son deuxième cigare quand ils pénétrèrent dans le Parc National de la Skyline Drive.

Un garde, costumé comme un officier de la police montée canadienne, leur signala qu'il leur était interdit de faire du feu et de prendre avec eux d'éven- tuels auto-stoppeurs. Stauber acquiesça d'un gro- gnement et engagea la Plymouth sur la route qui longeait la crête de la montagne. Ils roulèrent ainsi plus d'une heure. Thomas Neely avait toujours les mains jointes sur ses genoux, mais il regardait main- tenant la vallée de la Shenandoah, qui creusait à leur droite son large sillon boisé. Vers deux heures, ils passèrent devant un snack-bar installé dans une baraque de rondins, et Neely suggéra qu'on achetât des sandwiches et des cocas-colas. Stauber freina et ouvrit rapidement sa portière en voyant que Neely ouvrait la sienne et s'apprêtait à descendre.

— Inutile, Stauber. Je peux y aller tout seul.

La voix de Neely était sèche et hargneuse. Stauber n'en parut pas ému. Il allongea ses jambes par la portière entrouverte.

— Il se trouve que j'ai envie de me donner un peu de mouvement...

— Il se trouve que j'ai envie d'être seul.

Stauber hocha la tête, arborant le sourire un peu niais qui lui était habituel en ces occasions et qu'il ne prenait même pas la peine de fignoler, tant il était évident qu'il ne voulait rien dire. Andral vit que les mains de Neely commençaient de trembler. Il se

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pencha en avant et posa un doigt sur l'épaule de Stauber :

— Tenez-moi compagnie, Frank, Tom n'en a pas pour longtemps.

Ils le regardèrent s'éloigner à grandes enjambées.

Son complet gris-clair flottait sur son corps maigre.

Il poussa la porte du snack, mais elle résista, et il dut s'arcbouter pour parvenir à l'ouvrir. Andral et Stauber, qui s'étaient redressés sur leur siège, se laissèrent aller en poussant un soupir identique.

— Vous avez tort, collègue, murmura Stauber.

Croyez-moi, il nous faut jouer serré avec ce type...

— On ne peut tout de même pas le balader au bout d'une laisse.

— Je vous dis qu'il cherche le coup dur. Je le renifle. C'est un coriace, collègue, et je m'y connais en coriaces. Je me demande si nous finirons par l'avoir...

— Nous l'aurons, affirma calmement Andral.

Stauber jeta son cigare dans l'herbe jaunie et le regarda s'éteindre. Puis il ouvrit le coffret du tableau de bord et fouilla à l'intérieur.

— Dans votre poche, dit Andral. La droite.

Stauber plongea la main dans sa poche et en tira ses lunettes de soleil. Leur monture était en écaille.

Les verres étaient larges et opaques. Andral l'observa dans le rétroviseur et ressentit le même malaise que la veille : dans le visage de l'Américain, seuls les yeux vivaient. Masqués par les verres, ils n'éclairaient plus cette chair compacte, trop drue, d'une blancheur malsaine. Du corps massif émanait une impression de force brutale, disponible pour n'importe quoi.

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— Alors, il se dépêche un peu ?...

— Vous voyez bien qu'il n'est pas seul, dit Andral avec tout le calme dont il était capable.

Derrière la vitre du snack, ils apercevaient Thomas Neely, qui attendait patiemment qu'une poignée de gosses surexcités ait fini son choix d'ice-creams, sous l'œil résigné des parents. Thomas tournait le dos à la Plymouth, mais Andral savait que ses yeux bruns observaient les enfants avec cette avidité nostalgique qu'il avait pour tout ce qui était jeune, neuf, plein de vie, pour tout ce qui était la vie.

Stauber alluma un nouveau cigare et considéra avec une moue les amples ondulations de la chaîne des Appalaches. Sur l'autre versant de la Shenandoah, des forêts immenses s'étendaient à perte de vue. La masse noire des arbres se découpait comme un lavis sur le ciel tendre, nettoyé de sa brume par la brise qui courait en altitude.

— Cette balade, reprit Stauber, Ann m'a demandé dix fois de la lui offrir. Ann, c'est ma femme. Elle ne la fera jamais. Pas avec moi, en tout cas.

— C'est à ce point?

Stauber pivota et Andral eut en face de lui les deux hublots noirs des lunettes, le front étroit, la bouche en cicatrice et un nez tumultueux, un peu cassé, mal redressé.

— Je vous admire, Andral. J'ai eu mon compte de coups durs et j'ai barboté plus d'une fois dans des enquiquinements majeurs. Mais cette petite balade, je vous le dis, c'est trop fort pour moi. Ce type ne laissera de moi que la peau et les os.

— Vous êtes sûr que l'image est très appropriée?

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Le visage de Stauber vira au rouge brique et il se détourna.

— Si seulement il y avait un espoir ! gronda-t-il.

Un tout petit espoir. Si je pouvais me dire qu'il a une chance sur mille de s'en sortir...

— Pas une sur un milliard, coupa Andral. Thomas Neely sera mort dans un mois.

Ils regardèrent les écureuils à la queue en éventail qui, peu farouches, couraient autour de la voiture.

— Ce que je me demande, reprit Stauber après une hésitation, c'est pourquoi on a jugé bon de l'expédier en France, après son accident de Cap-Canaveral...

— Vous doùtez de la compétence des médecins français ?

— Je n'ai pas dit ça. Vous voyez bien que vous êtes nerveux, vous aussi.

Andral soupira et, fouillant dans sa poche, en tira un étui de cuir fauve. Il choisit soigneusement un cigare ocellé de vert et l'alluma en respectant les rites.

— En 1958, reprit-il d'une voix plus calme, des atomistes yougoslaves ont eu le même accident qui est survenu à Neely. Il se trouve qu'une équipe de toubibs de chez nous a réussi à les guérir, alors que personne n'aurait accepté de jouer un dollar sur leurs chances de s'en tirer. Quand Tom a écopé, on l'a fourré dans un avion et on l'a expédié à Paris. Il souffla un nuage de fumée et le regarda se dislo- quer en volutes capricieuses.

— Seulement, pour lui, ça n'a pas marché, conclut Frank Stauber.

— Exact.

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Stauber se retourna de nouveau :

— Il est dingue ou quoi? Pourquoi ne pas avoir pris l'avion de New-York jusqu'à la Nouvelle- Orléans? Il était chez lui en dix heures, et sans fa- tigue...

— Il n'aime pas l'avion. Trop rapide. Chez lui, Stauber, c'est le cimetière, maintenant. Vous seriez très pressé, à sa place ?

— Je vous dis qu'il n'est pas normal ! explosa Stauber. Il est morbide, malsain... Ce retour en voiture, style voyage de noces, j'appelle ça de l'exhi- bitionnisme ! Après tout, on n'a pas le droit d'im- poser la compagnie d'un mort vivant à des hommes bien portants !

— Vous vous égarez, collègue, objecta doucement Andral. Neely n'a pas spécialement insisté pour nous avoir avec lui. Je me trompe ?

— Non, maugréa Stauber, à voir la bobine qu'il fait, on comprend tout de suite que la compagnie d'un agent du F.B.I. ne lui paraît pas tellement indispensable. Vous, ce n'est pas pareil...

— Pourquoi?

— Il vous a plutôt à la bonne, dit Stauber.

Il réfléchit, puis ajouta :

— Cette balade ne rime pas à grand-chose. Il n'a même pas l'air de remarquer le paysage...

— Il s'en imprègne, collègue. Il ne bouge pas sur sa banquette, raide comme une statue, mais il enre- gistre chaque arbre, l'odeur de l'herbe, la tiédeur de l'air. Vous avez raison : ceci est un voyage de noces. Thomas Neely célèbre ses noces avec la mort, en même temps qu'il prend congé du monde.

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Par la vitre, ils voyaient la fille du snack, derrière le comptoir, placer les sandwiches dans un sac en papier.

— Je comprends qu'il vous ait demandé de con- tinuer avec lui, après New-York, dit Stauber. Vous vous ressemblez tous les deux : morbides et com- pliqués. Trop compliqués pour moi.

Andral observa la nuque carrée, recouverte de sa toison rousse. Il s'attendait presque à la voir se gon- fler et palpiter, comme celle des taureaux de combat qui errent dans la plaine andalouse.

— Stauber, quand vous étiez coincé dans un coup tordu avec une chance sur mille de vous en sortir, vous n'auriez pas accepté avec empressement une balade sur la Skyline Drive, histoire de vous soûler de vie et de beauté avant de faire le grand saut?

— Si c'est ça, le contre-espionnage, je vais de- mander à revenir d'urgence dans la section crimi- nelle du F.B.I. Là, on n'a pas le temps de rêvasser sur la mort. Il s'agit d'aller, pétard au poing, sortir un voyou de son trou. Le plus malin des deux est celui qui tire le premier, et on enferme l'autre entre quatre planches sans tambours ni trompettes.

Andral ne répondit pas. Thomas Neely revenait vers eux, le paquet de sandwiches sous le bras gauche, la main droite serrée sur les goulots de trois bouteilles de coca-cola.

— Regardez sa gueule, souffla Stauber. Je vous dis qu'il cherche le coup dur...

Il débarrassa Neely, puis remit le contact :

— On va plus loin. J'en ai ma claque de cet endroit.

Ils roulèrent quelques minutes, puis déjeunèrent

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rapidement sur une terrasse installée en surplomb sur la vallée. Ils échangèrent les mêmes phrases banales que la veille.

Andral reprit le volant, tandis que Thomas Neely s'installait à côté de lui et Stauber à l'arrière. Même à cette altitude, la chaleur se faisait écrasante. Ils virent un troupeau de daims traverser la route à vingt mètres du capot de la Plymouth. Le paysage n'en finissait pas d'être magnifique.

— Il dort, constata Neely après s'être retourné vers Stauber.

— O. K., Tom ?

— Ça va.

Dès midi, la fatigue pinçait les narines de Neely et il commençait de frotter l'une contre l'autre ses paumes moites d'une sueur glaciale. Le soir, il mar- cherait à tout petits pas, les épaules rétrécies, le dos rond, vieilli de quinze ans. Chaque matin, Andral éprouvait le même choc en le retrouvant reposé par sa nuit, l'œil vif, comme si le sommeil lui restituait une jeunesse que la journée lui avait dérobée heure par heure.

— Il ne m'aime pas, hein? fit Neely d'une voix âpre.

La route descendait en larges anneaux vers la vallée. Les pneus crissaient sur le macadam avec un bruissement de soie déchirée.

— Non, ce n'est pas ça. Simplement, Stauber est comme la plupart des hommes : au fond, il n'est pas absolument convaincu qu'il mourra un jour.

— Et ma présence le lui rappelle sans cesse...

— Voilà. C'est cela qu'il n'aime pas.

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Penché en avant, les coudes sur les genoux, Neely se massa longuement les paupières.

— Il y a autre chose, murmura-t-il comme pour lui-même. Parfois, j'ai l'impression qu'il n'a pas pour mission de me protéger, mais de me surveiller, comme si j'étais un traître.

— C'est stupide, Tom, carrément stupide.

Mais au trouble qu'il éprouva, Andral comprit que lui-même ressentait la même sensation diffuse, sans se l'être jamais clairement formulée.

Ils restèrent silencieux jusqu'à six heures. Andral tenta bien de relancer la conversation, mais Neely, prostré dans son coin, ne répondait que par mono- syllabes revêches. A Paris, pourtant, il avait toujours été amical. Dès New-York, cette sympathie avait baissé de plusieurs degrés. Et à mesure qu'ils s'en- fonçaient vers le sud des Etats-Unis, Thomas Neely se faisait de plus en plus hostile. Andral songea que les choses ne seraient pas simples.

A six heures, Stauber se réveilla en sursaut et extirpa de sa poche son flask de whisky. Chacun en but quelques gorgées.

A Charlottesville, ils mirent un bon quart d'heure à trouver l'hôpital. Les médecins avaient été prévenus par Washington de l'arrivée ce soir-là de Neely, tout comme ceux d'Atlanta l'étaient déjà de sa visite pour le lendemain. Stauber accompagna Neely jusqu'à la porte, puis revint à pas lents vers la Ply- mouth. Andral, debout, pianotait impatiemment sur la carrosserie.

— Il vous paraît vraiment indispensable de l'es- corter de la sorte ? questionna-t-il sèchement. De quoi

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avez-vous peur, Stauber ?... Vous craignez qu'on nous le fauche et qu'on l'expédie à Moscou franco de port ?

— Ma mission consiste à le surveiller : je le sur- veille. Ce type m'inquiète. Il couve quelque chose.

Il n'est plus le même, depuis que nous avons quitté New-York.

Andral tourna le dos à l'Américain et contempla les pelouses vertes qui entouraient l'hôpital.

— A Paris, la surveillance a été facile? demanda Stauber d'une voix désinvolte.

— Très.

— Je n'aime pas avoir à garder un type étendu sur un lit d'hôpital. Trop de va-et-vient. Les toubibs, les infirmières, les filles de salle... On m'a tué sous les yeux l'unique témoin d'un règlement de comptes entre gangsters. Il avait pris une balle perdue dans la cuisse.

— Descente en force sur l'hôpital ?

— Non, on lui a fait boulotter une glace fourrée à la strychnine. C'est moi qui tenais le plateau. On s'est regardé tous les deux avec des yeux étonnés, et puis le type s'est recouché, tout raide, le poil hérissé.

— Engueulade ?

— Non, on ne m'avait pas donné l'ordre de goûter ses aliments. Pourquoi Paris n'a-t-il pas accepté que ce soient des agents américains qui assurent la sur- veillance de Neely ?

— Si nos médecins étaient assez bons pour le soigner, pourquoi nos Services secrets n'auraient-ils pas été assez bons pour le garder?

— Je ne sais pas, admit Stauber, perplexe. Vous

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n'avez pas la cote, chez nous. Les Anglais non plus.

Trop de types qui passent chez les Rouges, je suppose.

Il paraît que les grands chefs avaient la tremblote, à l'idée que leur atomiste risquait de se faire emballer par un commando de communistes.

— Cela ne se passe pas comme ça, assura paisi- blement Andral. De toute façon, qui pourrait fichtre bien s'intéresser encore aux secrets atomiques améri- cains ? Israël ? La Yougoslavie ?

Stauber fit le tour de la voiture pour se planter devant Andral. Otant ses lunettes, il posa son regard bleu-ciel qui contrastait si étrangement avec la dureté des traits du visage.

— Vous plaisantez ? Vous savez bien que si nos types parviennent à adapter la propulsion atomique sur les fusées, les Ivans prendront d'un seul coup dix ans de retard sur nous. Le cosmos sera américain.

— Tant mieux pour lui.

— Notre unique problème est un problème de propulsion. Le carburant liquide que nous employons est inférieur à celui des Russes. Quand nous aurons un moteur atomique sur la fusée Redstone, il ne res- tera plus qu'à trouver des volontaires pour s'éparpiller dans les étoiles.

— Vous en seriez ?

— Pourquoi pas ? Si je vous disais que je préfére- rais poser mes fesses sur le siège d'une fusée plutôt que sur la banquette de cette satanée bagnole, vous ne me croiriez pas, et ce serait pourtant vrai...

— Les fusées n'ont pas de siège, objecta Andral. On y est couché sur le dos. De toute manière, Neely

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15.507. — Imp. « La Semeuse », Etampes. — C. O. L. 31.1258.

Dépôt légal : 4e trimestre 1961.

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