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Le dossier électronique du patient peut-il être communautaire ?

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Academic year: 2022

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Sera-t-elle du même ordre que celle amenée dans le monde des taxis par Uber, dans celui des hôtels par Airbnb, dans la musique par iTunes, dans les livres par Amazon ? En tout cas, il n’existe aucune raison que la révolution liée à la digitalisation et au commerce de don- nées épargne le système de santé. Le «mar- ché» y est peut-être moins sclérosé, moins miné par les monopoles et plus proche des usagers que celui des taxis. Mais comme c’est le cas pour les systèmes de transport, d’hôtel- lerie ou de diffusion musicale, son organisa- tion peine à s’adapter aux nouveaux modèles de consommation. La question ne concerne pas seulement le prix. Il s’agit de répondre à la manière complètement nouvelle qu’ont nos con temporains d’organiser leur existence avec un téléphone portable, une carte de crédit, la géolocalisation des services, un réseau d’utili- sateurs et une application intégrant le tout.

Face à ces nouvelles habitudes, comment l’ac- tuel système de santé va-t-il survivre ?

Première réponse : rien ne va changer. En pla- çant les patients en son centre, la médecine a déjà fait une partie de sa révolution. Surtout, sa complexité humaine, sociale et scientifique la rend résistante aux approches des jeunes ambitieux qui, depuis la Silicon Valley, récol tent des milliards et imposent leur conception de la vie au monde entier (pour résumer l’autre aspect de la réalité des innovations à la mode). La mé- decine émerge de multiples rapports entre les humains, où l’essentiel est irréductible au nu- mérique. Elle vise la liberté des personnes – leur capacité d’être eux-mêmes – sur le long terme et en de nombreuses dimensions. Voilà du moins son idéal. Mais impos sible d’en rester à cette réponse : une partie des citoyens actuels ne la partage pas. Fascinés par ce que pro- posent les nouvelles technologies et le marke- ting qui les accompagne, beaucoup voient la santé comme une affaire de données, de con- trôle, de satisfaction, de consommation de soi.

Donc, oui, d’un autre côté, la médecine est vul- nérable. Quantité d’applications santé propo- sent déjà des tests, des profils, une multitude de capteurs, des médicaments ou des ser- vices. Leur succès vient d’une surveillance narcissique et parfois obsessionnelle des pa- ramètres qui n’apporte pas grand chose en ter- mes de santé. Mais souvent, en même temps, certaines données sont partagées entre les individus. Apparaît alors un élément vraiment novateur, offrant aux patients des savoirs et outils inédits : le réseau social construit autour d’un projet de santé.

Surfant sur cette vague, s’organisent déjà des tentatives de globalisation des services au

moyen des données. Dans certains Etats amé- ricains, quand on pose une question de santé sur internet, Google commence à proposer des numéros de téléphone de médecins installés dans les environs. Dans ce nouveau monde, tout est pensé en fonction des consomma- teurs : internet très facile d’utilisation, informa- tions claires. Les «fournisseurs de prestations»

sont paupérisés et contraints d’obéir aux multi- nationales de services révolutionnaires. Mais qu’importe : un marketing souriant domine la scène.

Il ne s’agit pas de fiction. C’est la réalité qui avance, qui est déjà là. Quant au système de santé, en Suisse du moins, il n’a pas changé de monde. Il ne cherche même pas à com- prendre ce qui arrive. Il poursuit son tranquille chemin, se donnant des échéances lointaines, typiques d’un monde qui n’est déjà plus.

Réagir ? Mais comment ? La première réponse est celle du dossier électronique pris dans un sens très simple : rendre possible le partage des informations concernant un patient. Il y a en effet quelque chose de ridicule dans la ma- nière qu’a l’actuel système de santé de produire chaque jour infiniment plus d’informations qu’il n’est capable de relier et de valoriser. On ne peut plus continuer ainsi. Comme la plupart des pays développés, la Suisse a donc son propre projet de dossier électronique du pa- tient. Mais il faut voir avec quelle mollesse elle le promeut ! L’ ambition limitée n’y a d’égal que la minuscule aide financière promise : 30 mil- lions de francs par an. Pour donner un point de comparaison, les Etats-Unis ont prévu d’inves- tir 30 milliards de dollars dans leur projet de dossier électronique et les médecins y partici- pant toucheront jusqu’à 40 000 dollars par an.

Chez nous, même s’il est développé au mieux de ce qui est prévu, ce dossier électronique devra se contenter, par manque de ressour ces, de systèmes d’information infiniment moins sophistiqués que ceux des assureurs maladie.

Ce qui montre bien la priorité politique : l’admi- nistration et le contrôle financier.

Des délibérations du Parlement sur le dos- sier électronique du patient, le dernier mot n’est pas encore dit, certes, mais presque (un ul- time retour aux Etats est prévu). Parmi les di- vergences, reste celle d’obliger ou non les médecins installés à entrer dans le jeu (les pa- tients étant libres) ou de laisser trois ou cinq ans aux hôpitaux pour y participer. L’ esprit d’en- semble ne changera pas.

Et pourtant, il faudrait aller plus loin. L’exploita- tion de l’ensemble des données du système de santé favoriserait une médecine davantage individualisée, avec des diagnostics plus pré-

cis et des traitements mieux adaptés. Mais aussi, comme le rapporte un article du New England sur le «big health care data»,1 une ap- proche par data mining de l’ensemble des données du système de santé offrirait aux mé- decins une chance de sortir d’un grand pro- blème affectant leur pratique : leurs connais- sances se fondent sur des preuves produites par «des études impliquant des patients qui dif- fèrent des leurs et qui sont traités dans des en- vironnements de recherche hautement con trô- lés». Aux Etats-Unis, rapporte cet article, a ré- cemment été lancée une initiative visant à créer un réseau national collectant les données des différents systèmes de soins et permettant une recherche en continu. Si la politique suisse n’aide pas la médecine à entrer dans cette ère, les grandes multinationales des données seront seules à produire et commercialiser les nouvelles dimensions de ce savoir.

Une petite mise en garde, en passant : la nou- velle épidémiologie en flux continu et la com- paraison de toutes les données entre elles et entre tous les individus ont toutes les chances de mener à une surenchère de diagnostics et de contrôles. La grande promesse ne sera plus la liberté mais la normalité. C’est pour nous pré- munir de cet enfer climatisé, de ce triste repli anthropologique, que les médecins doivent participer, avec leur esprit critique, à l’aventure de l’informatisation.

Reste l’aspect culturel. L’ actuel projet de dos- sier électronique reste trop technocratique.

Alors que les applications du mobile health embarquent les utilisateurs dans une passion de savoir et de comparaison, il ne propose qu’une couche administrative. Le projet de loi emploie certes le terme de «communauté de référence» pour désigner un système particu- lier de dossier électronique auquel se réfèrent des patients et des médecins. Mais l’aspect communautaire reste inexistant. Pour que le dossier électronique devienne un contre-pou- voir capable de s’imposer dans l’environnement moderne, il faudrait que les patients puissent se l’approprier, transmettre les données provenant de leurs applications, intervenir à tout moment, se comparer à d’autres. Au-delà du dossier, il faudrait créer un réel écosystème humain, in- tégrant citoyens et soignants dans une com- munauté plus libre, mais aussi plus efficace que celle des réseaux sociaux pilotés par les entreprises du big data. Immense programme.

Bertrand Kiefer

Bloc-notes

844 Revue Médicale Suisse www.revmed.ch 8 avril 2015

1 Schneeweiss S. Learning from big health care data. N Engl J Med 2014;370:2161-3.

Le dossier électronique du patient peut-il être communautaire ?

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