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Le culte dominical, un besoin pour notre temps ?

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Le culte dominical, un besoin pour notre temps ?

ASKANI, Hans-Christoph

ASKANI, Hans-Christoph. Le culte dominical, un besoin pour notre temps ? Positions luthériennes , 1996, vol. 44, no. 2, p. 125-143

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:30160

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i\lensuel de I'tglise luthérienne à Paris 1 ô. rue Chauch<ll. 75009 Paris

C'. C'. P. Paris 7 1-1-5 99 U

Hebdomadaire pour l'Église de la Confession d'Augsbourg et l'Église Réformée d'Alsace et de Lorraine

1 a. quai Saint-Thomas. ô7081 Strasbourg Cedex C.C.P. Strasbourg 1807.11 K

Dirc:ctriœ de la publication: Doris SCHIRARDIN Rédacteur en chef: Pascal HICKEL

L'AMI CHRÉ1-,IEN

.Journal mcn.~ucl d'édilïcation ct d'information au service de l'Église é\ angélique luthérienne au Pays de Montbéliard.

Rédaction : :Vlaison Pierre TOUSSAIN

2-+. a\cnuc Wilson. 25200 Montbéliard.

Admini~tration: Jacques MARCHAND, 5. rue de l'Étang.

Vandoncourt. 25230 Seloncourt

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124 POSITIONS LUTHÉRIENNES

81. Fuchs, op. cit., p. 153. Wolterstorff, op. cit., p. 27, cf E. Fuchs, Ethique protestante, op. cit., p. 43.

82. Fuchs, Ethique protestante, op. cit., p. 133ss et 152.

83. A. Dumas, "dépasser l'antinomisme ,, dans Loi et Evangile, op. cit., p. 213.

84. Dumas, " dépasser ... ", op. cit., p. 213.

85. Comme le reconnaît lui-même N.Wolterstorff, op. cit., p. 41. Ansaldi,

Ethique ... , op. cit., p. 51 et 152. .

86. D. Bonhoeffer, Résistance et Soumission, lettres et notes de capti- vité, Genève, Labor et Fides, 19673, p. 169.

87. O. H. Pesch, Frei sein aus Gnade. Theologische Anthropologie.

Herder, Freiburg, Basel, Wien, 1983, p. 362.

88. Fuchs, op. cit., p. 75.

89. Fuchs, op. cit., p. 77.

90. Fuchs, op. cit., p. 114.

91. Ansaldi, op. cit., p. 72.

92. Fuchs, op. cit., p. 30 et 50.

93. Fuchs, op. cit., p. 31 et 107.

94. Fuchs, op. cit., p. 11 O.

95. Tel est l'enjeu du rationalisme du 18• siècle, exprimé par Rousseau, Voltaire et Kant.

96. E. Jüngel, Wertlose Wahrheit, München, Kreuz Verlag, 1989, p. 281.

Est-ce un hasard si ce sont surtout les théologiens de l'ancienne RDA, comme Jüngel, Turre (R. Turre, Diakonik, Grundlegung Uf?d Gestaltung der Diakonie, Neuchirche~, 1991) et H .. wag~er (" D1e Diakonie , dans Handbuch der Prakttschen Theo/ogte, dntter Band, Berlin, 19i8) qui insistent sur ce pragmatisme s'opposant à la phra- séologie communiste ?

97. Ansaldi, op. cit., p. 165.

98. Bühler, Justice ... , op. cit., p. 53.

LE CULTE DOMINICAL : UN BESOIN

POUR NOTRE TEMPS*

par Hans-Christoph Askani

Quand on m'a gentiment prié de prendre la parole aujour- d'hui,, on m'a d'abord proposé comme thème : " Le culte dominical : un besoin de notre temps ? ». Quelques se- maines plus tard ce thème a été précisé et est devenu : " Le culte dominical - oui, mais lequel ? » Je me suis donc demandé quelle relation il y a entre ces deux for- mulations.

Apparemment le premier thème est plus fondamental : il s'intéresse à la question de savoir, si vraiment le culte domi- nical est toujours ou non un besoin. Dans la deuxième for- mule, on a déjà répondu à cette question, car il ne s'agit plus que de la forme de ce culte, dont on ne doute pas de la nécessité. Je peux comprendre cette modification : en prin- cipe nous savons tous que nous n'allons pas laisser tomber ïe culte dominical, que nous n'allons pas renoncer à ce culte ; mais nous savons aussi que ce culte subit une crise profonde, une crise qui nous trouble sérieusement et qui nous amène à réfléchir et à agir.

La crise du culte dominical est très évidente : les gens y vont de moins en moins. - Et d'assurer un culte devant- et avec- trois personnes de 85 ans de moyenne d'âge et très souvent d'un sexe unique, cela n'est ni très facile, ni très gai!

On se demande donc quelles en sont les raisons : - la

* Conférence prononcée au Goette Institut de Paris le samedi 13 avril 1996, dans le cadre de la Semaine Luthérienne Paris-Munich. On a gardé à cette communication son style oral.

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prédication est un monologue et en plus elle est trop longue, - les cantiques ont vieilli, - l'atmosphère n'est pas assez familiale, - on ne parle plus des problèmes qui inté- ressent les gens, - le langage et ce qui y est dit sont deve- nus incompréhensibles, - (et tout cela) sans compter que les cloches à dix heures du matin empêchent de dormir !

Aussi a-t-on essayé de modifier ce culte: on a raccourci la prédication, on a fait des sermons à deux ou à dix, on a inventé et chanté des cantiques nouveaux, on a créé une atmosphère plus chaleureuse, on a changé les formulations liturgiques ; on a parlé de Dieu notre ami au lieu de parler de Dieu notre Père ; on a parlé de l'émancipation non en- core achevée des femmes au lieu de parler du péché ; et au lieu de dire que Dieu nous aime, on a dit qu'il ne nous trouve pas trop mal. .. On a même changé l'heure où son- nent les cloches.

Résultat : l'émigration du culte et de l'Église n'a pas dimi- nué, au contraire elle s'est accélérée. Pour le dire en image, mais à vrai dire cette image est une description très précise : si les cloches n'empêchent pas de dormir à dix heures le matin, elles empêchent à midi le petit déjeuner, à 16 h la promenade, à 20 h le dîner, et à 21 h la télévision.

Cela conduit à deux remarques, à deux conséquences (qui peuvent sembler un peu généralisantes, mais qui m'ap- paraissent pertinentes) :

1) La crise du culte n'est point une crise du culte seul ; elle est une crise de la vie ecclésiale : une crise du protestantisme et plus précisement une crise du christia- nisme dans le monde occidental. Le christianisme entrave, il nous empêche dans notre vie quotidienne.

La crise du culte, s'il est vrai que le culte est quelque chose comme le cœur de la vie ecclésiale, est peut-être le centre de la crise de la vie ecclésiale ou, si l'on préfère, il est le lieu où cette crise s'exprime de la façon la plus claire et la plus douloureuse (surtout pour le pasteur). Mais il serait naïf de croire que la crise dans laquelle se trouve notre vie ec- clésiale, serait seulement une crise du culte dominical.

2) Si c'est vrai, et s'il est vrai en outre que tous les chan- gements apportés à la manière de célébrer le culte n'ont pas pu arrêter la crise, si tout cela est vrai, il faut admettre qu'il ne suffit pas d'échanger l'un ou l'autre des éléments du culte, de le rendre un peu plus moderne et un peu moins anachronique. Aussi - et cela nous concerne maintenant - ne suffit-il pas de nous dire et de nous demander « Le culte dominical- oui, mais lequel?» (comme s'il s'agissait d'un simple choix à faire), mais il faut nous demander: voulons

nous vraiment maintenir ce culte, et si oui, pourquoi vou- lons-nous (ou peut-être devons-nous) le maintenir? Qu'est ce que le culte, pour qu'on puisse affirmer qu'il est un be- soin (pour notre temps) ?

C'est la question que j'aimerais aborder dans cet exposé.

Je veux aborder ce thème, car il ne suffit pas, à mon sens, face à la crise de notre vie ecclésiale et de notre culte dominical, d'être déjà sûr de « oui » concernant le culte et de seulement se poser la question «comment? ».

Il est nécessaire de se demander pourquoi ce «oui».

Vous me demanderez alors : « et si on a répondu à cette question, p,ourra-t-on résoudre les problèmes urgents et ar- dents de l'Eglise et du culte de notre temps ? »

J'avoue que je n'en suis pas sûr du tout. Mais je pense que sans cette réflexion assez fondamentale, aucune solu-

tion n'est possible. .

- Or je me suis demandé encore autre chose : est-Il dans le fond approprié de vouloir à tout prix résoudre le problème?

Peut-être l'idée qu'on le puisse, est-elle beaucoup plus convenable à ce temps, aujourd'hui, qui apparemment n'a ps;ts besoin du culte dominical, qu'à ce_phénomèn_e de l'Eglise et du culte, qui semblent anachroniques, et qUI em- pêchent le déroulement de notre vie quotidienne.

Peut-être serait-il plus adéquat à ce genre de phéno- mènes tel le culte dominical, de renoncer à l'idée qu'on puisse résoudre tout problème. Peut-être est-il très adéquat à la foi chrétienne de faire l'expérience- et de l'endurer- que les solutions pratiques ne sont qu'u!le pa~i~ de la ~~a­

lité. Et peut-être nous trouvons-nous meme deja au milieu de ce qu'est le culte chrétien, si nous nous laissons entraî- ner dans une telle dimension de la réalité.

- Si une émission de la télévision n'attire pas assez de spectateurs (disons par exemple un talk show)! on réfl~chit

à la manière de raccourcir ou de prolonger les Interventions de l'animateur, on le fait parler plus rapidement, on lui fait mettre des pantalons différents, on lui conseille de faire des plaisanteries plus délicates ou plus ordinaires et on essaie d'inviter des femmes encore plus belles.

Et somme toute, on croit pouvoir résoudre le problème.

L~ culte dominical n'a aucune chance de rivaliser avec les plaisanteries les plus délicates du présentateur d'un talk-show, ni avec les femmes encore plus belles d'une telle émission.

Mais le culte dominical a peut-être un avantage en compa- raison avec ce talk-show : on peut se demander ce qu'il est.

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128 POSITIONS LUTHÉRIENNES

1. QU'EST-CE QUE LE CULTE DOMINICAL, EN PERSPECTIVE PROTESTANTE ?

a) La question

En méditant la question : " Le culte dominicaj : un besoin pour notre, temps? », je me suis demandé: l'Eglise ortho- doxe ou l'Eglise catholique rom~ine, s~ poseraient-elles ~ne

telle question ? Une telle quest1on, qUJ pour nous a une lm- pQrtance et une urgenc,e énormes, serait-elle possible dans l'Eglise orthodoxe ou l'Eglise catholique romaine?

Pour pouvoir répondre, il faut regarder d'un peu plus près la compréhension du culte qu'ont ces deux confessions.

Que se passe-t-il dans le culte orthodoxe ? Nous savons que la liturgie de ce culte s'appelle la " divine liturgie ». Elle s'appelle ainsi parce que dans ce culte, qui est le cœur de toute la vie de la foi, les croyants font l'expérience de leur union avec Dieu. Dans ce culte le ciel et la terre se rejoi- gnent. Et cet événement de la rencontre entre le ciel et la terre se réalise à travers ladite "divine liturgie », qui struc- ture l'ordre du culte dans ses moindres détails. Or s'il est vrai que pendant ce culte se réalise l'union de Dieu et des fidèles, il est évident qu'il serait blasphématoire de poser la question : " en avons-nous besoin (pour notre temps) ? '', ou l'autre question : " ne serait-il pas mieux de changer un petit peu cet élément-ci ou celui-là ? ,, De telles questions ne seraient pas compréhensibles ; je crois qu'elles n'exis-

t~nt pas, qu'elles ne peuvent même pas exister dans cette Eglise.

Où en sommes-nous en ce qui concerne le culte de l'Église catholiqt,.~e romaine ?

Le culte de l'Eglise catholique romaine a son centre dans la " sainte messe ''· La messe célèbre la, présence du Christ dans son corps sacramentel, qui est l'Eglise. Dans la messe se produit la présence du Christ, dans laquelle le Christ lui-même- le sacrifice et le sacrificateur de Golgotha- " rend présent ,, (repraesentat) le sacrifice de la Croix. «[ ... ] c'est le même qui offre maintenant par le minis- tère des prêtres, qui s'est offert lui-même alors sur la Croix [ ... ] », dit le Concile de Trente2

Le

ua

Concile du Vatican (quelques siècles plus tard) ex-

plique la même chose : ,

«[ ... ] le Christ est toujours présent à son Eglise, surtout dans les actions liturgiques. Il est présent dans le sacrifice de la messe, tant dans la personne du ministre [ ... ] que prin-

LE CULTE DOMINICAL 129

cipalement sous les espèces eucharistique_s. ~1 est présent par sa puissance dan_s les. sa9rements,_ s1 b1en que, lors- qu'on baptise, le Chnst IUJ-meme baptise., Il e?t pres_ent dans sa parole,, car c'est lui qui parle lorsqu on lit !a sa1nte Écriture dans I'Eglise.[ ... ]>>3

Qu'est-ce que cela signifie pour notre quest19n

_?

Si c'est le Christ lui-même, qui à travers l'Eglise s~ _met en présence dans le culte, la question : « le culte. dom1mcal, est-il un besoin pour notre temps ?», est-elle pertme~t.e ?

Non, je pense. Les problèmes de notre temps, SI Impor- tants soient-ils, le désintérêt de notre é~~que po_ur les que~­

tions et les réponses de la religion chretienne. SI gr~md so1t~

il n'atteignent jamais cette présence du Chnst meme, qUI se passe dans, pend~nt et. à ~avers le culte, _la messe. Et s'il est vrai que le Chnst lu1-meme _s~ rend present dans le:

culte il serait absurde pour un chret1en de se demander, SI oui o'u non, il en aurait besoin.

11 serait aussi absurde (voire impossible) de se dema~­

der, dans quelle mesure: par. ex~mple on peu_t changer ~a li- turgie du culte, si le Chnst lu1-meme y est act1f. Il faudrait au moins lui demander, s'il est d'accord ! , . ,

Venons-en à nous autres protestants et a la mamere dans laquelle nous nous p<;>sons 1~ question du culte.

Je racontais il y a peu a une v1e1lle da~e en AllemaQne que j'étais en train de; p_réparer u~ expose, sur la quest1on de savoir si le culte eta1t un besoin pour notre t~mps. ~lie m'a répondu (sans d'ailleurs que je ne lu1 a1e nen demandé) : « lch dachte schon, w1r habe~ doch zu dan ken ''· « Mais bien sûr, il nous faut rendre grac~ ! '' -~Ce qui me semble intéressant, c'est ce petit mot.« b_1en s~r ~, dans son rapport avec l'action de grâce. << Ma1s b1en sur, 11

nous faut rendre grâce ! » .

Cela m'apparaît une réponse qui n'est, pas mo1~n~ pro- fpnde que celles que no~s avons ~rouvees du cote des

t::glises orthodoxe et catholique roma1~e. , . Et d'une certaine façon mon expose ne sera qu une expli- cation de cette réponse.

Pour cette explication je vais tâcher de cç>mpa~er la com- préhension catholique romaine et la comprehension protes- tante.

b) La messe catholique et le culte protestant Nous avons vu que selon la compréhension catholique romaine, le Christ lui-même est actif dans la messe, comme

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actif aussi est le corps mystique du Christ : « [ ... ] omnis litur- gica c~lebratio, utpote opus Christi sacerdotis, eiusque Corpons, quod est Ecclesia [ ... ]» «[ ... ] toute célébration litur-

~is:~u~, [est] l';euvre du Christ-Prêtre et de son corps qui est 1 Egl1se [ ... ].»

La grande question pour le protestantisme est alors de savoir, quelle relation existe entre l'action de l'un et de l'autre ? Il est évident que l'action de l'ÉGLISE est une ac- tio~ liturgique : or la grande idée de l'ÉGLISE catholique ro- mame est de comprendre cette action comme la réitération du sacrifice du Christ lui-même : dans la liturgie de la messe se renouvelle, s'effectue d'une manière non san- glante le sacrifice du Christ accompli une fois pour toutes (de fa9on san~lante:) sur la Croix de Golgotha5

« S1 quelqu un d1t que, par ces paroles : ' Faites ceci en

~ém~ire de Amoi '[L~ 22,19; 1 Co 11,24], le Christ n'a pas etabli les Ap~tres pre~res, ou qu'il n'a pas ordonné qu'eux et les au!res pretres _offnssent ~on corps et son sang, qu'il soit anatheme [.] ", d1t le Conc1le de Trente et il ajoute : « Si quelqu'un dit que le sacrifice de la messe n'est qu'un sacri-

fie~ de l~uange et d:~ction de gr~c~s, ou u0e simple com-

mem~ratlon du sacnf1ce accompli a la Cro1x [ ... ], qu'il soit anatheme.»6

Ces deux citations (comme les autres que nous venons de mentionner) expriment la compréhension catholique ro- maine de la messe : l'équilibre mystérieux entre deux ac- tions, qui sont deux mais en même temps une seule et entre deux sacrifices qui sont au fond un seul. '

Ce l!lYStère n'a p~s pu toujours êtr~ maintenu. L'équilibre

« frag1le , , « sensible , et non-rationnel d'une activité humaine comprise en même temps comme activité divine, se trouve (comme tout mystère d'un équilibre) confronté au danger de faire pencher l'un des deux plateaux de la balance : dans ce cas-là le côté humain. Alors l'homme accomplit un sacrifice pour Dieu, il lui offre ce sacrifice comme une œuvre méritoire, pour mériter de cette manière le salut.

C'est contre cette compréhension et cette façon de célé- brer le culte, que Luther a développé son interprétation du culte chrétien.

Il a refusé la compréhension du culte comme sacrifice (parce que ce sacrifice a toujours, c'était l'expérience de Luther, tendance à devenir un sacrifice de la part de l'homme pour Dieu) et il a au contraire compris le culte comme un « testament , (testamentum) et comme une

«promesse» (promissio). Dans ces notions fondamentales

de la théologie luthérienne, qui renvoient au Nouvea~

Testament, est exprimée que l'homn:te est, en ce qUI concerne le culte, passif et non pas act1f, recevant e~ non pas donnant. Il est un héritier (cf. « tes~ament »);et 11 ap- partient à l'héritier d'hériter - sans fa1re quelque chose (même dans les cas normaux, sans donner un coup de main à ~et événement qu'est l'héritage).

L:homme en outre est celui à qui s'adresse la promesse de Dieu; et par essence (on dirait même: pa~ définition) un tel récepteur écoute. L:homme , en tant que recepteur de la parole de Dieu, ne fait qu'écouter. Il éco,ute cette P,rome?se, c'est tout : Dieu parle et l'homme ecoute. C est la le centre de la compréhension protestante du culte.

Essayons d'en expliquer les implications.

Selon Luther le culte, le service, est non pas un d<;m d~

l'homme à Dieu, mais au contraire un don de D1~u a l'homme. Dieu se donne lui-même à l'homme dans et a tra- vers sa parole. À première vue, cette, co~pr~he:nsio_n ne semble pas trop différente de celle ou D1eu eta1t prese~t dans le sacrifice de la liturgie. Dans les deux cas, la pre- sence de Dieu est ce qui importe. Or la différence est plus grande qu'on ne le pense. Dieu étant présent vraiment et suffisamment (et uniquement) dans sa parole, le culte n'est plus quelque chose qui est fait, fait par l'h_omme - non, l'homme ne peut jamais faire cette présence, 11 ne peut gue la croire. Au don de Dieu ne peut correspondre que la fo1, la foi qui reçoit, qui connaît et qui reconnaît ce don.

Nous voyons que nous nous trouvons, tant dans la _com- préhension catholique romaine q~e dans 1~ ç;ompre~en­

sion luthérienne, devant un mystere : du cot~ cathollqu~

romain, c'est le mystère de ce que. ~ieu est present et act1f dans une action humaine (le sacnflce de la f"!lesse), et de ce que Dieu est l_ui-même J'~cteur, 1~ plu~ Important ,de cette action humame ; du cote luthenen, c est le mystere de ce que Dieu dans le culte (qui bien sûr visiblement n'est qu'une action humaine aussi), donne tout, - et c'est 1~

mystère de ce gue l'homme y r~ç?it tout. Comment est-11 possible que D1eu donne tout a 1 homme ? Et comm~nt est-il possible et compréhensible que l'homme reç01ve tout? Voilà le mystère protestant du culte. ,

Je pense que la grande découverte de ~uther a propos du culte trouve son origine dans la, ~éa<:;~1on ~antre _une forme plutôt abusive de la messe (1 equ1hbre ebranle de:

l'action de Dieu et de l'action de l'homme, le plateau gu_1 penche vers le côté humain), mais mêm~ ~'1l en a et~

ainsi, Luther a découvert à travers sa polem1que une d1-

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132 POSITIONS LUTHÉRIENNES

mension du culte qui n'a jamais été vue avec une telle force, une telle clarté et une telle radicalité.

Cette dimension est la dimension de la parole, de la pa- role comme le seul fondement et comme la seule raison d'être du culte. « praecipuus cultus Dei est docere evange- lium » _a é~rit Melanchthon (Apol CA XV, BSLK 305,9). On pourra1t objecter : non, le fondement du culte protestant est la parole et le sacrement ; mais le sacrement est aussi une forme de la parole de Dieu. L'institution de la sainte cène q~i ~st pour Luther en même temps l'institution du culte, sè fa1t a travers des paroles- les verba testamenti- et c'est la répét!tion de ces p~roles, et la foi en ces paroles, par quoi la presence du Chnst se donne dans le pain et le vin pour

l~s croyants. Il ne s'agit donc point d'une répétition du sacri- fice du Christ, mais de la validité et de la présence du sacri- fice du Christ, donnée et réalisée à travers les paroles de Dieu et reçue par la foi qui écoute.

Nous avons vu que pour le culte protestant les deux ca- ractéristiques sont essentielles : l'accentuation de la parole et l'accentuation de l'homme qui ne fait que recevoir. Ces deux caractéristiques sont inséparables l'une de l'autre.

C'est parce que la présence de Dieu se réalise à travers la parole (et à travers la parole seule) que l'homme ne fait que recevoir et laisse Dieu opérer pour lui.

. Ou ~our le dir~ ave:_c les mot~ de Luther : « [ ... ] nul ne sert D1eu s 11 ne le la1sse etre son D1eu et accomplir ses œuvres en lui [ ... ].»7

C'est pour cela d'ailleurs, que l'on a souvent compris le mot allemand pour le culte, pour le service « Gottesdienst »

. '

non pas comme un serv1ce de l'homme pour Dieu mais ocmme un service de Dieu pour l'homme. Nombre d'affir- mations de Luther (et d'autres théologiens protestants) vont dans ce sens. Si séduisant soit ce reversement du sens normal du mot « Gottesdienst », il faut avouer quand même que l'étymc;>logie de ce mot est autre. Mais ce qui est beau- coup plus 1mportant pour nous : la distinction facile et com- mode établie entre une compréhension catholique romaine du culte, e~tend~ comme service de l'homme pour Dieu, et une comprehension protestante entendu comme service de Dieu pour l'homme, -cette distinction est trop triviale et simple.

La tension entre ce que nous aimerions maintenir comme caractéristique du culte protestant (la prédominance abso- lue de l'activité de Dieu sur celle de l'homme : le service de Dieu pour l'homme) et le sens normal de ce mot

( « Gottesdienst » le service de l'homme pour Dieu), nous

LE CULTE DOMINICAL 133

conduit à la vraie problématique, à savoir : on ne pe~t pas remplacer le service de l'homme par le service ~e D1~u •. e~

voilà c'est tout; non, il faut comprendre le serv1ce realise par Dieu et le service réalisé par l'homme comme un seul et même événement, qui se passe dans le culte. Dans cette rencontre du service de Dieu pour l'homme et de l'homme pour Dieu nous trouvons l'essence de ce qu'est le service protestant.

Car comment en tout état de cause, l'homme peut-il ser- vir Dieu ? Com~ent peut-on imaginer cette hardiesse, que l'homme pourrait rendre un service à Dieu ? Il n'y a qu'une seule possibilité pour l'homme de se~ir Dieu, c'est e~ rece:

vant ce que Dieu lui donne. Et qu est-ce que D1eu lu1 donne ? Dans son audace et sa sagesse théologique, Luther a répondu d'un seul mot : Sa parole. Dieu parle avec l'homme, c'est le service de Dieu pour l'homme. Et l'homme écoute Dieu, c'est le service de l'homme pour Dieu.

« Der Mensch dient Gott allein dadurch, daB er auf Gott hërt und ihm antwortet. Und Gott dient dem Menschen, indem er zu ihm spricht und auf ihn hërt. »8

c) Le cœur et la problématique

de la compréhension luthérienne du culte . Nous avons vu : le culte protestant, c'est l'événement de la parole de Dieu, auquel correspond l'écoute, la parole et la foi de l'homme.

Or, il faut nous poser la double question _:

1) est-il possible de tro~ver toute, 1~ nchesse du culte dominical (dont nous av1ons parle a propos du culte orthodoxe comme la rencontre entre le ciel et la terre, et à propos d~ culte catholique romain, comme le sacrifi~e du Christ accompli par ce même Christ à travers son Eglise et pendant ce culte), est-il possible de trouver toute cette richesse dans la caractéristique de la parole ?

Et 2) quel sens prend toute cette richesse du culte domi- nical - i.e. la présence de Dieu qui se réalise, qui se donne dans le culte - si elle est exprimée à travers ce seul élément : la parole de Dieu et la foi de l'homme ?

Cette concentration extraordinaire sur le langage, convient-elle à l'être humain, convient-elle au culte chrétien, convient-elle à la relation entre Dieu et l'homme ? C'est la grande question qui se pose face à une théologie protestante du culte.

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On a souvent dénoncé dans le culte protestant son caractère unilatéral, son déséquilibre. Combien plus varié en effet est un culte catholique romain, et davantage encore un culte orthodoxe ! Ces cultes, ne parlent-ils pas à l'homme tout entier, tandis que le culte protestant ne concerne que l'intellect, la_ t~te (ou ce qu'on appelle la tête) e~ 1~ langage ? -Cette opmron, cette alternative entre d'un cote un culte comportant des éléments fort variés et s'adressant à tous les sens de l'homme, et d'un autre côté un culte tout en parole (aussi dans les chants, dans les sa- crements), et ne se dirigeant que vers une partie de l'h~mme, est fausse. Elle est abstraite, et le contraire est vrar.

La paro~e, la parole de Dieu, ne s'adresse pas à une seu~e partre, de l'homme ; ou si on veut déjà parler des po~ron~ ~e 1 homme (façon de parler et de penser très abs- trarte d arlleurs), cela serait une autre portion de l'homme qui serait le récepteur de cette parole : non pas la tête, mais le cœur.

La partie, _l'organe de l'homme qui parle, c'est son cœur.

~ Et la partre, l'organe de l'homme qui écoute, c'est son ame.

Nous tous, - aussi bien les catholiques que les protestants - nous avons tendance à comprendre ce qu'est l'homme à travers ce qu'il fait. Et la personne le centre de l'ho_mme serait ~omp~is comm~ l'aut~ur de ce~ faits. Or n'y a-t-ri pas une drmensron humame qur n'est pas envisagée si l'on comprend l'être humain de cette manière ? '

Suis-je, ce que je fais ?

Ne suis-je responsable que de ce que je fais ?

N'y a-t-il pas des situations, n'y a-t-il pas des relations où l'homme est appelé à répondre autrement que par des actes, que par ce qu'il peut faire.

« C'est l'expérience de la différence entre la personne et ses actions qui est constitutif pour l'être de l'homme » a dit le théologien G. Ebeling

Vous allez me dire : elle est très ancienne et très fameuse cette distinction, nous la connaissons tous. C'est vra!. Mais elle nous éc~appe. Elle nous échappe presque touJ_ours. No~s la connarssons et nous savons qu'elle a son drort et son rmportance. Mais nous n'y croyons pas ! Autre chose est de connaître cette distinction, et autre chose est de la croire (et parfois, il n'est pas du tout facile de croire ce qu'on sait).

Or le culte, le « service de Dieu » a affaire avec cette distinction. Car devant Dieu, c'est l'homme en tant que

---~---

personne qui est appelé, qui est demandé, en un mot : à qui est adressée la parole. Et devant Dieu, l'homme ne peut rien faire à travers ces actions10C'est même le centre d'une compréhension protestante du culte : L'homme ne peut rien faire, et Dieu aussi ne fait pas grand chose : Dieu est là et présent, et Dieu veut que l'homme soit là aussi.

En d'autres mots : « De la part de Dieu, l'homme ne s'attend non seulement à des dons, mais aussi à la pré- sence de Dieu même. Et de la part de l'homme Dieu ne s'attend pas à des dons non plus, mais à l'homme lui- même, à son cœur.»11

Nous nous sommes intéressés aux implications d'une compréhension protestante (luthérienne) du culte et nous nous sommes demandés si une telle compréhension ne représentait pas un déséquilibre, en comparaison avec le culte catholique romain par exemple. Je pense que ce _culte présente (si on le compare aux autres) en fart un déséquilibre avec sa concentration sur la parole seule ; or ce déséquilibre signifie en même temps la découverte d'une dimension nouvelle, comme nous le croyons, la découverte décisive de ce qu'est l'être humain :

- la distinction entre ce qu'il fait et ce qu'il est ;

- la distinction entre ce qu'il fait et ce qu'il ne peut pas faire;

- la distinction entre l'homme en tant qu'acteur et l'homme en tant que personne.

Cette distinction est célébrée dans un culte protestant : Dieu veut l'homme en tant qu'homme ; et Dieu se donne à l'homme en tant que Dieu.

C'est pour cela que Dieu parle à l'homme et c'est pour quoi il invite l'homme à parler avec lui.

Et ce dialogue est tout.

On peut interpréter cette concentration sur le langage, comme une restriction de la plénitude des éléments que comportent le culte catholique romain et le culte orthodoxe, - qui eux aussi bien sûr contiennent 1~ parole et l'élément du langage - . Or cette concentratron, cette restriction, ce déséquilibre ont révélé le sens le plus englobant de cet être humain : il a le don du langage ; en d'autres termes (plus connus, mais plus surprenants) : Dieu

!ui parle et Dieu vevt qu'il lui parle aussi.

Si le culte de l'EGLISE catholique romaine a donné au christianisme le grand don de la découverte de cet équilibre saint entre l'homme qui apporte à Dieu un sacrifice, et le fait que c'est - à travers, ce sacri~ice a<?c?mpli par_ de~ ho~mmes - 9ieu par son fils Jesus-Chnst qur 1 accomplit lur-meme ; le

(9)

136 POSITIONS LUTHÉRIENNES

culte protestant a donné au christianisme le don de la découverte que tout l'homme est présent dans ce seul organe humain qui s'appelle son cœur- et que c'est là que Dieu veut parler avec l'homme et que l'homme parle avec Dieu. Le cœur de l'homme ne fait qu'écouter et que parler, et ce n'est pas moins mais davantage que toutes les variétés des actions humaines, que toute la variété de ses sens et de ses sensibilités.

C'est la grande découverte du protestantisme. Ou disons: peut-être la grande redécouverte d'une vérité qui est déjà biblique.

Je ne veux pas peser le pour et le contre de ces deux interprétations. Et je ne veux surtout pas jouer le juge entre les deux. - La polémique, qui il y a quelques siècles a fait surgir une nouvelle découverte, empêche à mon avis aujourd'hui de comprendre les vraies différences.

Ce qui m'intéresse cependant, c'est autre chose.

J'aimerais comprendre encore un peu mieux ce qui se passe dans un culte protestant et j'aimerais à travers cette réflexion revenir sur la question initiale, à savoir : ce culte dominical, est-il un besoin pour notre temps?

Que se passe-t-il donc dans un culte dominical protestant, s'il ne se passe rien que la parole de Dieu et la parole de l'homme ? Et comment est-il possible que la parole de Dieu devienne événement et qu'elle rencontre la parole humaine?

Je veux faire, après toutes ces explications historiques et systématiques tout à fait ennuyeuses de la 1re partie, dans la 2• une proposition, qui est un peu hérétique et donc peut- être moins ennuyeuse :

C'est le sacrifice qui est inéluctable, pour que la parole de Dieu puisse devenir événement, et pour que la parole humaine puisse devenir une parole qui rencontre la parole de Dieu.

Il. LE SACRIFICE

ET LE CULTE DOMINICAL PROTESTANT

Que le culte protestant aussi bien que tout autre culte chrétien ait affaire avec le sacrifice, personne n'en doute.

Ce sacrifice est le sacrifice de Jésus-Christ sur la Croix de Golgotha. Pour les Églises et les théologies protestantes, ce sacrifice a été accompli une fois pour toutes, et il n'y a ni besoin ni possibilité de le renouveler (cf. Hé 10,10.12 ; cf. Hé 9, 13f.) Le sacrifice de Jésus-Christ offert sur la Croix

LE CULTE DOMINICAL 137

pour nos péchés a été le dernier sacrifi~e au sens ~r~pre, et il termine pour toujo~rs la prat1q~~ ~ac~lflclelle.

Jésus-Christ, le fils de D1eu s'est sacnf1e lu1-meme pour nous comme sacrifice expiatoire (cf. Rm 3,24;

2 co's,14-21). Et il nous appartient, non pas de rép_éter,ce sacrifice, mais de l'accepter, de nous en souvenir, ~_en parler : de le prêcher et de le recevoir, comme un sacnf1ce accompli pour nous.

Or, comment est-il possible, qu'un sacrifice accompli par un autre soit un sacrifice accompli pour nous ? Comment est-il possible de s'en so~venir et d'_en parler? Co~ment est-il possible de le recevo1r et d'y cro1re ? En un mot . com_- ment la présence de ce sacrifice peut-elle se donner a nous, sans que ce sacrifice soit répé~é ? , ,

La réponse protestante est cla1re : c est a travers la parole et le sacrement, et c'est à travers la foi qui leur . correspond. Or, que se passe-t-il dans la parole:, que se passe-t-il dans le sacrement, et que se passe-t-11 dans la foi?

S'agit-il dans la prédication, dans nos prières et dans nos chants de paroles tout à fait !dentiq~e:s aux parç>les que nous « utilisons » dans notre v1e quot1d1enne ? Et a pr~pos du sacrement, s'agit-il d'une action, comme d'autres act1ons

de notre vie ? . ,

Je n'ai pas la pr~t~nti_on d'expli_quer de man1ere exhaustive ni la pred1cat1on (cho1s1e c;:omm~ un ~es

« paradigmes » de la parole du culte), n1 la samte cene (choisie comme « paradigme» du sacrement). . ,

Je ne peux que développ~r un aspect ~e leur mterpreta- tion, un aspect pourtant qUI me _semble 1mp~rta~t pour le thème du culte et pour la quest1on, de savo1r s1 nous en

avons besoin aujourd'hui. , . .

Cet aspect, je veux le form~ler dans la the;se, su1vante : m la prédication (a), compnse co'!lme evenf!!m,ent du langage, ni la sainte cène (b) compnse comme evenemen~

de la mémoire (de la présence de ~ que_lque c~o,se »passe déjà depuis longtemps), peuvent etre _t!7terpretees sans la notion et la réalité de ce qu'est un sacnftce.

a) la relation entre prédication et sacrifice

Au début de cet exposé nous avons parlé ~e~ te~tatives de modifier ce phénomène étrange de la pred1cat1~:m : au lieu d'un monologue d'une seu~e pe~son~e

gUI

parle pendant 20 ou 30 minutes sans qu on pUisse 1 arreter, sans qu'on puisse la contredire, sans qu'on puisse au demeurant ---~

(10)

parler aussi, au lieu de cette sorte de prédication, on a inventé des prédications à deux ou à trois ou à cinq ; on a remplacé le monologue par un dialogue, par un débat ; on a ajouté du moins une discussion après la prédication. Et on s'est demandé, s'il fallait vraiment et à tout prix maintenir la prédication d'un culte protestant ; on s'est demandé si un tel phénomène n'était pas inadapté à notre temps.

Et en effet, c'est fortement inadapté. La prédication protestante regardée du dehors, est un phénomène des plus particuliers.

Si nous parlons dans notre vie quotidienne, nous voulons parler avec quelqu'un de quelque chose ; nous voulons, si l'autre parle, dire quelque chose aussi ; nous voulons traiter un thème ou nous voulons bavarder ou négocier ou conférer ; et nous voulons nommer les choses de la manière la plus claire, et nous voulons normalement arriver à un certain but. Si nous écoutons une prédication, nous sacrifions tout cela : nous sacrifions notre volonté de parler nous-mêmes aussi, nous sacrifions notre volonté de discuter, de bavarder, de conférer, nous sacrifions la poursuite de nos buts, et nous sacrifions la sécurité avec la- quelle normalement nous arrivons à nommer les choses et à exprimer ce que nous voulons dire. En un mot : nous sacrifions notre langage quotidien, ce langage que nous connaissons assez bien, dont nous nous servons pour effectuer ce que nous voulons ; nous sacrifions notre langage, qui nous sert comme un outil léger (l'outil le plus léger possible) et pratique, nous sacrifions tout cela chaque dimanche quand nous écoutons une prédication.

Mais ce n'est pas seulement nous - les paroissiens écoutants - qui sacrifions, c'est aussi nous - les prédica- teurs : nous sacrifions notre temps pour la préparation (comme d'ailleurs les paroissiens, chacun sacrifie son temps), or- et cela me paraît beaucoup plus important- nous sacrifions aussi le désir humain d'avoir une réponse, car c'est quelque chose de très humain d'avoir besoin d'une réaction, si on a parlé (mais il n'y a pas de place pour cela dans le culte), nous sacrifions notre intérêt intel- lectuel à traiter ce problème ou un autre, notre intérêt d'instruire, et nous sacrifions notre intérêt moral de dire aux autres ce qui est bon et mauvais, ce qu'il faut faire ou non.

En un mot, nous sacrifions le langage clair qui poursuit un but à travers des paroles que nous dominons, comme un instrument.

Car tout cela n'est pas une prédication protestante : ni une conférence, ni une instruction, ni une leçon morale, ni

un exposé théorique, ni - somme toute - l'utilisation du lan-"

gage pour arriver à un but. Mais - au nom de Dieu - si une prédication n'est pas tout cela, qu'est-elle donc ?

Elle est une parole humaine, une parole pourtant qui n'est pas possible sans un sacrifice: un sacrifice de notre temps, mais surtout de notre langage.

Et à quoi ce sacrifice sert-il ? A rien ! Nous voyons sa fumée, et c'est tout.

La fumée qui s'élève du sacrifice dominical de notre lan- gage quotidien, c'est ce phénomène particulier qu'est la prédication protestante :

-c'est le discours libre d'une seule personne écouté silencieusement par plusieurs ; -c'est un discours simplement reçu ; - c'est un discours non pas sur un thème, mais sur des textes très anciens;- c'est un discours sans destination autre qu'être discours, un discours qui n'est ni pratique, ni théorique, ni instructif, ni moral, - un discours, somme toute, qui n'utilise pas le langage, mais qui est langage.

Voilà la fumée qui s'élève de ce sacrifice: on sacrifie une utilisation du langage pour recevoir un autre langage non- utile, (mais libre).

Je voudrais tâcher d'illustrer ce que je viens de développer. N'est-ce pas un phénomène étonnant, que chaque pasteur prépare pour chaque dimanche une nouvelle prédication, au lieu par exemple d'un seul pasteur (bien doué pour cela) qui préparerait une prédication pour tous ses collègues d'une Inspection ? N'est-ce pas un phé- nomène étonnant, qu'on ne lise pas dans nos cultes de grandes prédications, formulées par de grands théologiens de tous les temps (prédications qui sans doute seraient cent fois meilleures que les pauvres prédications préparées par nous-mêmes aujourd'hui) ?

Pourquoi cela? Pourquoi cette folie? C'est à cause de ce sacrifice, dont nous venons de parler. S'il est vrai, que dans un culte protestant, tout est concentré dans la parole, dans la parole de Dieu, il est vrai de même qu'il n'est pas possible de recevoir cette parole de Dieu sans un sacrifice : sans un sacrifice de notre langage.

Nous avons vu que le cœur de toute compréhension pro- testante du culte repose sur le fait, que l'homme n'y peut rien faire que recevoir. Or justement accepter de ne pouvoir rien faire que recevoir, c'est le sacrifice sans lequel un culte protestant serait ni culte, ni protestant.

C'est le sens d'ailleurs de ce mot « Dankopfer », « sacri- fice d'action de grâce». On a toujours dit, que dans un culte protestant il n'y aurait plus de sacrifice que dans un sens

(11)

140 POSITIONS LUTHÉRIENNES

métaphorique. On a alors parlé dans ce sens métaphorique comme d'un sacrifice de louer Dieu et de lui rendre grâce.

Or rendre grâce, c'est à vrai dire un sacrifice dans un sens non-métaphorique. L'action de grâce en tant que tel est un sacrifice : le sacrifice de recevoir, et de se comprendre comme quelqu'un qui ne fait que recevoir.

b) la relation entre sacrement et sacrifice

Mais il y a un autre lieu du sacrifice dans le culte protes- tant : c'est le sacrement. Dans la messe catholique ro- maine, l'Eucharistie est la répétition du sacrifice du Christ ; il n'y en a pas ainsi dans le culte protestant, mais la sainte cène : la célébration de la mémoire de la mort du Christ pour nous, comporte aussi des aspects du sacrifice ..

1. un sacrifice du temps 2. un sacrifice du langage.

Nous avons vu de quelle manière la prédication, comme événement du langage, comme discours libre, est liée à un sacrifice de notre langage quotidien, à un sacrifice de l'utili- sation de ce langage dans un sens unilatéral.

Ce sacrifice est concentré dans la célébration de la sainte cène, et notamment dans les paroles d'institution, sans lesquelles la sainte cène ne serait qu'un repas mo- deste et ordinaire.

« Ceci est mon corps, qui est rompu pour vous ; faites ceci en mémoire de moi. ..

Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang ; faites ceci en mémoire de moi toutes les fois que vous en boirez. » (1 Co 11 ,24-25)

« Ceci est mon corps ... », ce n'est vrai, ce n'est accep- table qu'à travers le sacrifice des paroles dans leur signifi- cation directe et descriptive ; un sacrifice qui engendre un sens nouveau de ces mots et du langage même. Ce sens est d'ailleurs un sens qui n'est pas moins vrai que le sens direct et descriptif, mais qui découvre une nouvelle dimen- sion de vérité.

Nous sacrifions donc notre langage quotidien, et la fumée qui s'élève de ce sacrifice est la mémoire de la mort de Jésus-Christ pour nous, la présence du Christ entre nous dans les éléments du pain et du vin. La fumée qui monte de ce sacrifice, est la célébration d'un événement qui a eu lieu il y a 2000 ans ; elle est le « une fois pour toutes » de ce sacrifice de Jésus-Christ, dont on dirait dans un langage quotidien qu'il a eu lieu une fois, mais dont on ne pourrait jamais dire qu'il avait lieu une fois pour toujours.

LE CULTE DOMINICAL 141

Et nous voilà déjà arrivés au sacrifice, ~u ter:nps qui se pro- duit - qui devient événement - dans la celebration de _la sa1nte cène : dans la célébration de ce « une fo1s pour toutes »: nous sacrifions notre temps présent et nous rece- vons un autre temps, un temps nouveau qui surgit du passé.

Nous recevons un passé qui est le passé d'un autre et qui d~­

vient le nôtre : le passé de Jésus-Christ, qui nous est ~anne, qui devient présent, qui vient vers nous : notre a-vemr. (Un

« une fois » qui est devenu un « une fois pour toutes » ).

Nous sacrifions l'unilatéralité, l'uni-dimensionalité de notre temps et nous recevons une pluralité de te~ps : notre temps quotidien et ce que j'appel!~ ~e temps c:hr~~len. Notre temps quotidien a ses dates, ses JOies, ses benefices, ses espo1rs et ses déceptions, son passé, son présent et son fut~r ~ et son rythme qui est un rythme au jour le jour, car en pnnc1pe dans ce temps quotidien chaque jour est égal à l'autre. _Mals si nous sacrifions ce temps quotidien, comme nous le fa1sons en célébrant le dimanche, nous recevons un autre temps avec un autre rythme, un temps où il n'est plusyr33-i qu'un jour soit l'égal de l'autre. Le dimanche est 11n jour different c?e tous les autres. Et si cela est vrai, tous les Jours de la semame de- viennent différents, parce qu'ils sont en relation différente avec ce jour qui est tout autre. C'est un temps autre, c'est un rythme autre qui surgissent: un temps nouveau, qUJ da~~ sa célébration connaît un autre sens que le temps quot1d1en, que le temps naturel. Dans ce nouveau temps, la fin a lieu avant le commencement. La mort avant la v1e : « Le monde ancien est passé, voici qu'une réalité nou~el)e est là. »

Nous vivons donc dans deux temps differents : un temps quotidien et un temps qui a cessé d'être quotidien : un nou- veau temps.

C'est dans la sainte cène que nous «avons», que nous recevons la source de cet 'autre temps- on dirait même, que nous mangeons et buvons de cette source : nous man~

geons et nous buvons un passé qui nous dépasse, et qu1 devient le nôtre.

Nous échangeons le présent contre le ~utur ~travers la mémoire d'un passé qui nous est prom1s, qu1 nous est annoncé et qui nous est dit; et qui ~.travers cette pr~messe

et cette annonce dépasse les cond1t1ons de notr~ ex1stence avec son passé (et son futur !) . Cela se fa1t dans la mémoire. Mais cette mémoire qui y joue n'est pas seule- ment un effort intellectuel ou psychique, elle est un événement et cet événement est un sacrifice : sacrifice du temps, qui reçoit un temps nouveau. .

Nous avons vu que ce sacrifice avait lieu ~ans la samte cène, mais il a lieu aussi dans le culte tout ent1er.

(12)

Posons-nous pour terminer une dernière question : pour- quoi ce temps du culte dominical à côté du temps de tous les jours ? Car la vie de tous les jours - selon une compré- hension protestante - est bien aussi temps du culte. Toute la vie chrétienne est service de Dieu. Alors pourquoi la célébration du culte dominical à côté du culte quotidien ? Réponse : comme sacrifice et comme don.

D'après une interprétation protestante, le sacrifice est toujours en même temps don. Don de ce qui est sacrifié et de ce que l'on reçoit à travers ce sacrifice. Et en outre, don du sacrifice même, car le sacrifice lui-même a son origine dans un don.

C'est le sens du rapport entre le sacrifice du Christ accompli une fois pour toutes, et le sacrifice qui est accom- pli maintenant: notre sacrifice n'est jamais qu'une réponse, n'est jamais qu'un recevoir.

C'est l'essentiel dans le protestantisme : tout sacrifice avant d'être sacrifice est don.

Or voici ce que le protestantisme a tendance à omettre : le recevoir ne peut s'effectuer que par un sacrifice.

Pourtant- et telle est peut-être la source des difficultés qu'éprouve notre temps vis-à-vis du culte dominical (et avec le christianisme)- notre temps n'aime ni les dons ni les sa- crifices.

Nous sommes partis des deux questions :

" Le culte dominical, est-il un besoin pour notre temps? ,

" Le culte dominical - oui, mais lequel ? ,

Je ne prétends pas à donner une réponse directe à ces deux questions. J'ai dit qu'avant que l'on ne puisse se de- mander quel culte on veut avoir, il serait nécessaire de savoir si vraiment on veut maintenir ce culte dominical et pourquoi.

Or si vraiment le culte dominical est dans tout son dérou- lement un don et un sacrifice, cette question ne se pose pas: on n'a pas besoin d'un don, et la catégorie de la né- cessité ne peut jamais atteindre la dimension d'un sacrifice.

Mon maître Eberhard Jüngel aurait peut-être dit : un culte n'est pas nécessaire, il est plus que nécessaire.

S'il en est ainsi, la question de savoir quel culte il faut choisir, comment il faut modifier ce culte ( « le culte domini- cal : oui, mais lequel?»), devrait trouver son orientation non pas dans notre besoin, mais dans le culte même : dans la question : que perdrions-nous si nous perdions le culte do- minical?

Car je crois que l'on perdrait quelque chose : un don et un sacrifice.

NOTES

1. Je remercie mon collègue Jacques-Noël Pérès _qui a g~ntiment cor- rigé Je texte. Tout ce qui (sous un aspect Jangag1er) est JUste dans .c~

texte lui est dû, tout ce qui est faux (sous tous les aspects) est du a

l'auteur. - · 'f" d

2. Concile de Trente, 22• session. Doctrine sur le.tres sam_t sacn !ce e la messe, ch 2 (La foi catholique [FC], traduction et presentation de G. Dumeige, Paris : éditions de J'Orante, 19~5, ~o 768).

3. Ile Concile du Vatican, 2• session. Const1tut1on " Sacrosanctum

Concilium , (FC 795/2). . . .

4. Ile Concile du Vatican, 2• sess1on. Co~st1tut1on ".~~crosanctum Concilium , (FC 795/2). (Cf. Hen~ici Denz1nger, Ench!nd1~n symbolo- rum definitionum et declarat1onum de rebus f1de1 et morum

[DS] 4007). - · ·f·

5. Cf. Concile de Trente, 22• session. Doctrine sur le tres samt sacn 1ce de la messe, ch 1 (FC 766).

6. Ibid., ch 9, FC 777 et FC 778. ,

7. M. Luther, Le Magnificat traduit en alle,mand et comme.nte [1521], in : M. Luther, Œuvres, tome Ill, Geneve : Labor ~t F1~es 196~, 68 <<[ ... ] niemant d~enet abe~ got, denn wer yhn less1t sem got. ~em und seine werck m yhm w1rcken [ ... ]»(M. Luther, Das Magmf1cat verdeutscht [1521], WA 7, 595,34-35.)

Cf. <<yn der meB geben wir Christo nichts, sondern nehmen nur v~n yhm [ ... ]» (M. Luther, Ein Sermon von dem neuen Testament, das 1st von der heiligen Messe [1520], WA 6,36~.~3.) . . 8. G. Ebeling, ,, Die Notwendigkeit des chnsthchen Gottesd1enstes "• m

Wort und Glaube Ill, Tübingen: Mohr, 1975, p.533-553,54~.

9. ,,zum Menschsein gehort die Erfahrung der Untersche1dung von

Person und Werk. , (Id, Ibid. 550) .

1

o.

Cf. Ebeling : «Denn vor Gott kommt der M.ensch ais Perso~. ~n Betracht. Gott gegenüber kann der Mensch mcht durch Werke tat1g

werden.» (Ibid. 550) .

11. <<Von Gott hat der Mensch nicht bloBe Gaben, sondern d1e Gegenwart Gottes selbst zu erwarten .. Und vom Me~schen erwar:tet Gott gleichfalls nicht Gaben, sondern 1hn selbst, sem Herz.» (lb1d., 542)

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