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Le glacier des Bossons: la forte crue de 1981-1982 et une estimation de sa vitesse sur 30 ans
SESIANO, Jean
Abstract
Le glacier des Bossons, dans le massif du Mont-Blanc, en France, a présenté une forte crue en 1981-82. Sa progression a écrasé la forêt qui s'était établie sur ses flancs. Un pied humain appartenant à un passager de l'avion indien Malabar Princess qui avait percuté le Mont-Blanc en 1950, a été retrouvé, permettant d'estimer la vitesse moyenne de la glace à 260 m/an sur une période de 30 ans.
SESIANO, Jean. Le glacier des Bossons: la forte crue de 1981-1982 et une estimation de sa vitesse sur 30 ans. Revue de géographie alpine , 1982, vol. LXX, no. 4, p. 431-438
DOI : 10.3406/rga.1982.2517
Available at:
http://archive-ouverte.unige.ch/unige:41194
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Le glacier des Bossons
:la forte crue de 1981-1982
ef une estimation
de sa vifesse sur 30 ans
RÉsutt,rÉ.
-
Poursuivant une avance omorcéeil
))a
une vingtaine d.'années, le glacier des Bossons. parmi d'cnrtres de Iavallée de Chantonix,e
vu cette crue se poursuivre durant I'année 198I-1982, avec une ampli- tude inaccotttttmée. Des observations suivies de sa marclte ont été effec- tuées, et quelques explications du phénomène sont données. De plus, un pi.ed humain décortvertà
l'extrémitéde la
langLre glaciaireet
avant probahlenten.t apparterutà I'un
des passagers d'un avion indien a)tant peruûé le Mont-Blanc en 1950, est utilisé comme indicateur de vite.sse dela glace. Un chiffre moyen de 260 m par an est ainsi obtenu.
Ansrnacr.
-
The Bossons glacierin
the Mont-Blanc massif ha-s,among others, been advancing over the last 20 yeors. During the years 19Bl-19,9?, this'advance went on
at
an accelerated rate. Several obser- vations and m.easurements were made and some explanationsfor
thisphenomenon are given. Additional evidence in the lorm of a human foot that most probablv belonged to a passenger from the plane which crashed
on
the Morû-Blanc some 30 years ago, was recently discoveredon
theglacier front.
An
average ic'e velocity over this periodof
time can be calculated; it
amounts to about 260 meters per year.1.
Généralités.Le glacier des Bossons est situé sur les flancs nord du Mont-Blanc.
Sa langue atteint pratiquement la vallée de Chamonix, quelques kilomètres au sud de cette localité. I1 est ahmenté par les neiges et glaces des pentes nord-ouest du Mont-Blanc du Tacul (4 248 m), du flanc nord du Mont- Maudit @ 465
m) et
enfindu
grand cirque délimitépar le
Dôme duo lJniversité de Genève, Département de Minéralogie, 13, rue des Maraîchers, l2ll Genève 4, Suisse.
( Revtre de Géographie Alpine, t.: LXX - 1982 - 4 n
432 JEAN SESIANO
Goûter (4 304 m), le Mont-Blanc (4 807 m) et le Mont-Maudit.
A
I'alti- tude d'environ 3 000 m, une partie de ces gl:rces divcrge pour alin-renterle glacier de 'faconnaz, dont la langue jouxte à I'C)uest celle des Bossons.
I-e glacier des Bossons recouvre environ 990 ha entre les cotes 4807 et
1230,
et sa
longueur est d'environ8 km.
Sa pente moyenne est de25 degrés, mais elle peut être deux fois plus forte dans les tronçons à séracs caractérisant les ruptures de pente.
2.
Observations.Le
vaste glarier, plaine de débris morainiques dcvant le glacier des Bossons, était occupé par le glacier aux alentours des années 1920, période marquée par les crues généralisées dc 60 % des glacrers alpins (alors que90 %
étaient en décrue durant les décennies précédentes).De
1930 au début des années 50, on assiste à une décrue générale (9A "7"1, interrompue par une légère avance durant Ia deuxième guerre mondiale (Vivian,I975).Une phase de cnre débute ensuite, avec la progressir:n de 15 à 20 % des glaciers ,1ès 1966. cette proportion croissant jusqu'à
ll3
dans lesannées suivantes. Pour
le
glacier des Bossons, cela se traduitpar
unPhot. 1.
- Le front du glacier des Bossons, le 24 septernbre 1981.
Y{îii,,;"
culbutage
de
gros blocset le
recouvrement d'un hoqueteau d'arbustes sur le front du glacier. Dès l'année 1975, c'est environ la moitié des glaciersqui sont en progressi')n, et cette tendance s'est confirmée d.ans toute la chaîne durant I'année 1981 (voir le rapport de la Commission des glaciers de la Société helvétique des Sciences naturelles, publié annuellement dans
Les Alpe,r,
la
revuedu
ClubAlpin
Suisse). Dèsle
début de 1981, des observations suivies ont été effectuées surle
glacier des Bossolls, avec prises de clichés du front glaciaire à partir d'un même point. Dès le mois de mai,il
est clair qu'une violente onde de crue descencl le long du glacier.La
passerelle menant du chalet, à I'altitude de 1 500m
en rive gauche, jusqu'à la grotte de glace, est bousculée et écrasée sous des blocs de glace,Photo 2.
Le front du glacier des Bossons,
le 12 juin 1982, pris à peu près
du même endroit que la photo 1.
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des rochers et des troncs d'arbres. Quant au sentier menant de la plate- forme d'entrée du tunnel du Mont-Blanc au replat du glacier'
il
conduitsous la glace.
La
végétation de cette rive du glacier, composée de bouleaux, sapins, varnÈs, aulnes et mélèzes, tous assez jeunesil
est vrai (moins del0
m de hagteur), car ils ont colonisé la moraine latérale drcite du siècle passé, cette végétation est écraséepilr le
gonflementdu
glacierqui
lasurplombe même à certains endroits. Le microclimat ainsi créé n'est pas fav,trable du tout à |'épanouissement des arbustes en co début de prin- temps. En ce qui concerne le front glaciaire,
il
est caractérisé, pat un profil à falaise, démontrant si besoin était, que le glacier est e'n crtle'comme cela
a
déjà été démontré pour ce glacier (Mougin, 1925)' on n'observe pas une progression uniforme du front, mais c'est la partie droite, ou gauche, ou le centre quifait
une poussée' tanclis que le resteclu glacier reste stationnaire. Ce
fait
était particulièrement net clurant I'année d'observation. C'est ainsi que pendant I'autotnne 1981, c'est la partie en rive droite qui progressait, la rive gauche étant stationnaire' alors que durant le début de 1982, I'inverse se produisait'Un
fait relnarquable montrant l'amplitude dela
crue actuelle est lesuivant.
En
été, normalement,un
glacier reculeoti, tout au
moins'*:
:i . ,,',-.
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"'"''':ii j\'
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W'r;*ft|
Phot. 3.
- Le front du glacier des Bossons,le 12 juin 1982'
On remarque une -oruin"- iiô"ial"" de poussée et la dcstruction de la végétation au premier plan et au fond, en rive gauche'
demeure stationnaire du
fait
de I'insolation élevée et des hautes tempé- ratures. alors qu'en hiver, on observe une avance. Dans le cas du glacier des Bossons, le retrait est d'autant plus marqué que la proximité des hauts remparts morainiques renvoyantla
chaleur, conduit à une ablation très marquée du flanc droit du glacrer. Malgré toutes oes conditions défavo- rables, le glacier des Bossons a poursuivi une avance inexorable durantla
chaude saison, qui, pour n'être que de quelques mètres, n'en est queplus signif,cative. C'est ainsi qu'entre
le
mois de septembre 1981 et le mois dejuin
1982, on a pu constater une avance de la partie gauche dela
langue d'environ 50 m. Les parties droite et centrale du glacier ont progressé durant ce temps d'environ 40 m. Entre le 24 avril etle
12 juin 1982, I'avanoe sur tout le front atteint une valeur entre 8 et 10 m. On a donc une avance moyenne mensuelle de 6 à 7 m. Quant à l'élargissernent du glacier à I'altitude de 1 500 m environ, au niveau de I'ancienne grotte de glace,il
est évident, mais difficile à chiffrer, le gonflement se produisant tantôt sur une rive, tantôt sur I'autre.Le
déboisement indiquela
limite {provisoire) de I'onde de crue.3.
Estimationde la vitesse
moyennesur
30 ans.Le 24 octobre 1981, nous avons trouvé un pied hunrain à la surface de
la
glace, surla
rive gauche dela
langue.La
conservation de cette pièce s'est avérée très facilc. caril
semble qu'elle ait srrbi une cryodessi-cation intense et rapide qui, par le retrait de I'eau des tissus, a permis la momification
du
pied. I1 est donctout à fait
stableà la
température ambiante. Ce pied, de couleur brun foncé, donne l'impression d'un arra- chement violent. Les tendons en sortent comme les bouts d'une pelotte de ficelle, et les orteils sont très recroquevillés.Il
s'agit du pied gauche d'une jeune femme.On a tout de suite attribué sa provenance à la catastrophe aérienne
du 3
novembre 1950. Ce jour-là,le
Constellation < Malabar Princess >d'Air
India, assurantla
liaison Bombay-Genève, percutaitle
versantitalien des rochers de
la
Tournette à 4 677 m, une vingtaine de mètressous I'arête sommitale ouest
du
Mont-Blanc. D'après des témoignagesde personnes ayant peu après survolé
le lieu du
drame, beaucoup dedébris avaient été projetés par-dessus I'arête et étaient éparpillés sur Ie versant français.
Il
y eut 46 morts, dont le guide français R. Payot, tombé clans une crevasse alorsqu'il
participait aux opérations de secours qui se révélèrent vaines.Le
fragment humain fut transmis à l'Institut de Médecine légale deI'Université de Genève, afin d'extraire toutes les informations pouvant
436 JEAN SESIANO
permettre de connaître I'hist<lire et
la
provenance du pied. Deux radio- graphies faceet profil du
pied furent eftectuées, puis soumisesà
la Clinique d'Orthopédie et de Chirurgie de l'Hôpital cantonal universitaire de Genève. L'Institut de Médecine légale prélevaun
morceau de peau momifiée pour tenter,à
traversun
examen histologique, de déterminer éventuellement l'origine raciale du pied par la quantité de pigment cutané (mélanrne). Cependant, l'hydratation ne réussit paset la
coloration du fragnrent n'a pas pu être élucidée.La
Clinique d'Orthopédie, quant à elle, examina avec soin les deux radiographies et put émettre, parla
bouche du ProfesseurJ.
Vasey, les remarques suirantes.Il
s'agit d'un pied qui a été sournis à un traumatismeà
très haute énergie alorsqu'il
n'était pas protégépar
une chaussure.La
comminution des fractures et I'association de fractures de très petits os comme les phalanges font penserqu'il
s'agit d'un traumatisme direct sur le pied, et non pas d'un mécanisme inclirect comme on en rencontre dans les torsions ou dans les chutes. On imagine mal aussi un pied chausséd'un soulier de montagne présenter des fractures pareilles de phalanges.
Une pression prolongée telle qu'elle pourrait se développer dans un glacier ne semble pas
à
même de créer ce genre de désordre.De
façon très classique,on
observece
type de pied dans les accidents de voiture, lorsque le pied reste pris dans les pédales, ou dans les accidents d'avion privé. L'orthopédiste pense doncqu'il
s'agit plutôt d'un traumatisme detype accident d'avion avec pied non protégé.
Phot. 4.
- Une vue du pied trouvé au glacier des Bossons, le 24 octobre 1981.
En
admettant quele
pied retrouvé provient bien d'un passager del'avion indien, on peut estimer la vitesse moyenne du glacier sur une assez longue périocle. En prenant une distance totale de 8 km entre les rochers de la Tournette et l'extrémité de la langue. en tenant cornpte de la déni- vellation (3 447
m), et un
lapsde
tempsde 3I
ans,on
arriveà
une vitesse moyenne pourle
glacier des Bossons de 260m
par an environ.On peut comparer cette valeur aux suivantes.
En
1820, trois guidesdu
Docteur Hammel disparaissaient dans une crevasse, au-dessus des Rochers l{ouges (à environ 4 500 m);
on retrouvait leurs corps 41 ansplus tard au bas du glacier. Quant au Capitaine Arkwright et aux trois rnenrbres de son expédition,
ils
subirenten
1866le
même sort sur le Grand Plateau (à environ 4 000 m), et leurs corps furent rendus 31 ansplus
tard par le
glacier.La
vitesse moyenne est, dans les deux cas,d'environ 200 m par an. D'autre part,le 31 decernbre 1956, un hélicoptère Sikorsky participant à un sauvetage vers 4 000, s'abîmait sur le glacier ;
ses débris atteignaient
la
langue terminale (alorsà I
400m)
en juillet 1973, soit à une vitesse moyenne d'environ 200 m par an.Finalement, on peut relever que le 8
juin
1978, une patrouille de la Gendarmerie française de haute montagne (P.G.H.M.) letrouvait au basdu
glacier des Bossons, quelques liasses de correspondanceet un
sac postal provenant de I'avion indien dont nous avons parlé ci-dessus, etque dès cette date, de nombreuses trouvailles macabres
ont
été faites.En
étant conscientdu fait
que les premiers objets mentionnés ont pu rouler ou être déplacés (vent, avalanches) à une certaine distance du point de chute, on obtient en prenantla
même distance de 8km
une limite supérieure de vitessede
290m
par an, chiffre relativernent proche decelui calculé aYec le pied.
4.
Conclusions.Durant
la
période s'étendant dejuin
1981à juin
1982, une forte crue du glacier des Bossons a été constatée. De nombreuses visites sur le terrain et des photographies de la langue sous plusieurs angles ont permis d'estimer que I'avance se montait à environ 70 m. Elle est accompagnéed'un gonflement du glacier qui écrase ainsi
la
végétation non seulementsur son front, mais encore sur les flancs
du lit
glaciaire (morainiqueou
non). L'estimation est plus délicate, mais elle est de I'ordre d'une dizaine de mètres d'épaisseur sur les bords.On peut tenter maintenant de rechercher I'explication de cette poussée glaciaire. Rernarquons d'abord que les glaciers du massif du Mont-Blanc
ont
amorcé une crue dès 1960 déjà, mais ellea
atteint ces dernièresannées une ampleur inaccoutumée.
Du fait
de leurs pentes en général fortes, les glaciers de ce massif ont des tenrps de réponse aux surcharges glaciairesdu
bassin d'alimentation assez brefs. Cependant, ce n'est pas seulement I'augmentation des précipitations nivales qui est la cause d'une crue glaciaire (à travers un engraissement du glacier, d'oir un écoulement accéléré dela
glace et une descente à plus basse altitude dans la vallée, la ligne d'équilibre apport-ablation au niveau de la langue étant repousséevers
le
bas), mais encoreun
abaissement des températures moyennes printanières et estivales, marqué surtout à I'altitude moyenne des fronts glaciaires. C'est ainsi que cet abaissement atténue la disparition du man- teau neigeux, limitant ainsi I'ablation.Il a
été mis en évidence d'une manière nettepar A.-V.
Cerutti durant ces40
dernières années, au Grand Saint-Bernard, entre autres. Plus que tout autre, de par son accèsfacile,
sa
position évidenteet sa
langue précédéed'un
vaste glacier horizontal,le
glacier des Bossons réagit d'une manière frappante aux facteurs énoncés ci-dessus.Finalement,
la
découverte d'un pied humain, sur I'origine duquel pèsent de lourdes présomptions, a pernis le calcul de la vitesse moyenne annuelle du glacier au cours de ces trente dernières années. Une valeur de 260 m par an a été trouvée, chiflre qui confirme des estimations faites au siècle passé à I'aide de découvertes tout aussi macabres.REMERCIEMENTS
438 JEAN SESIANO
Je remercie
le
ProfesseurH.
Vasey deDr. J.-M. Faes de l'Institut de Médecine Légale dans la recherche de l'origine du pied.
la Clinique d'Orthopédie et le pour l'aide qu'ils m'ont apportée
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