Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 24 août 2011 1595
Pathosophie ou l’objet de la médecine
La dimension psychosomatique de la maladie que nous avons à traiter ne cesse de nous poser des défis, de troubler notre paix et nos rares certitudes.
La traduction française de l’ouvrage Patho
sophie1 de Viktor von Weizsäcker (1886- 1957), l’un des fondateurs de l’anthropologie médicale, vient renouveler le
débat autour des enjeux – re- connus ou méconnus – de notre mo de de penser la psy- chosomatique. Le champ de la médecine est encore déchi- ré par les clivages qui s’opè- rent entre les attributions étio- logiques de ces trou bles.
Le livre, dont l’actualité et l’originalité ne peuvent nous échapper malgré le fait qu’il a été écrit il y a plus de 60 ans,
nous invite à nous pen cher sur les articula- tions qui s’opèrent à l’intérieur de ce champ clinique – et qui doivent être mobilisées en un sens curateur par le travail du soin – entre les aspects biologiques, psychi ques, sociaux contribuant à l’accomplissement d’une his- toire de vie.
Les médecins sont – presque à leur insu – constamment interpellés par la question de la «condition humaine» et de la «nature»
de l’homme telle qu’elle se profile à l’horizon de la maladie et de la rencontre soignante.
Ils sont concernés par la question de savoir comment «commercer» avec l’homme, la fem- me, l’enfant en souffrance et en aspiration au travers du symptôme présenté.
Comme le commente Michèle Gennart – qui est aussi l’une des traducteurs de Patho
sophie – dans un ouvrage à paraître,2 von Weizsäcker nous propose une définition de la subjectivité selon laquelle le sujet se consti- tue de «l’unité – menacée ou maintenue – de l’organisme». L’enjeu princeps du sujet est moins l’identité que l’unité ou l’intégrité : faire un avec soi-même au travers de la co- hérence d’une «existence».
«L’unité du sujet, écrit von Weizsäcker, ne se constitue que dans son inlassable res
tauration pardelà les inconstances et les crises». Et c’est dans sa participation à la restauration du sujet qui passe à travers des crises de sa santé avec une souffrance phy- sique ou une douleur mentale – et le plus
souvent les deux en même temps – que le médecin accomplit son devoir anthropolo- gique. Il se met en relation et «traite» avec l’homme qui se construit en «intégrant» son corps à sa vie et à son histoire. C’est par son corps qu’il vit, sent et ouvre son avenir.
La question est en définitive de savoir quel est l’«objet» de la médecine. Si la médecine se définit essentiellement comme une pra- tique qui a pour fin de soigner : qu’est-ce qui demande à être soigné ? Est-ce le corps en tant que chose physique ? Est-ce l’homme lui-même – l’homme dont le corps serait marqué par la condition humaine et dont le fonctionnement biologi que, en ce sens, ne pourrait pas vraiment se comprendre si on l’abstrayait de la configu ra- tion d’ensemble qui définit la situation de l’humain ? L’ob jet du soin médical est l’homme souffrant – l’hom me qui peut souffrir dans son corps et qui, quand il a mal, clame et appelle à l’aide ; l’homme qui peut souffrir quand ses liens lui font mal ; l’homme qui peut souffrir de lui-même et de son irrémédiable tâche d’exister.
Notre formation nous porte encore à «dé- sintégrer» le sujet en atomisant ses parties, et ceci malgré une certaine protestation de viser son unité. La crise (qui départage et in- troduit de la discontinuité) détient néanmoins une signification essentielle pour la constitu- tion du sujet. Nous avons, en tant que méde- cins, à accompagner le sujet en crise et, par notre action et notre présence, à faire de celle-ci une expérience de co-constitution de l’humain.
1 von Weizsäcker V. Pathosophie. Trad. fr. par J. De Bis- schop, M. Gennart, M. Ledoux, B. Maebe, C. Mugnier et A.-M. Norgeu. Grenoble : Millon, 2011.
2 Gennart M. Corporéité et présence. Jalons pour une approche du corps dans la psychose. A paraître dans la collection Phéno ; Paris : Le cercle herméneutique.
carte blanche
Pr Marco Vannotti CERFASY Ruelle Vaucher 13 2000 Neuchâtel mvannotti@cerfasy.ch
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