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La liberté de ton du procureur durant la phase de l'instruction

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La liberté de ton du procureur durant la phase de l'instruction

GRODECKI, Stéphane

GRODECKI, Stéphane. La liberté de ton du procureur durant la phase de l'instruction.

Plaidoyer , 2016, no. 5, p. 44-46

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:95371

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La liberté de ton du

procureur durant la phase de l'instruction

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Stéphane Grodecki, premier procureur à Genève, Dr en drolt1.

Dans plusieurs arrêts récents, le Tribunal fédéral (TF) a précisé les conditions de la récusation du Ministère public.

1. Introduction

En application de l'art. 16 al. 2 CPP2, il incombe au Ministère public de conduire la procédure préliminaire, de poursuivre les infractions dans le cadre de l'instruction et, le cas échéant, de dresser l'acte d' accus~~i6'n et de soutenir l'accusation.

Conformément à l'art. 6 CPP, il doit rechercher d'office tous les faits pertinents et instruire, avec un soin égal, les circons- tances qui peuvent être à la charge et à la décharge du pré- venu.

Les instructions pénales - en particulier les auditions du pré- venu - sont parfois tendues. Le procureur doit confronter le prévenu aux preuves récoltées ou à ses contradictions.

Avant l'entrée en vigueur du CPP, le TF avait relevé qu'il convenait de reconnal:tre au magistrat instructeur une cer- taine liberté de ton, que cela soit par la mise du prévenu face à ses contradictions, par une attitude orientée durant l'audi- tion, par l'expression de ses doutes, voire p~r des remarques ironiques: «Le magistrat doit instruire à charge et à décharge et est tenu à une certaine im-

partialité. Dans les enquêtes faisant l'objet d'une large cou- verture médiatique, le juge d'instruction peut .être amené à se prononcer sur l'état du dos- sier, sans pour autant que sa conviction ne soit définitive- ment arrêtée. Il peut ainsi s'ex- primer sur les chances de succès d'un recours dirigé contre une de ses propres décisions. Des remarques ironiques, faites du- · rant la procédure ou en dehors de celle-ci, qui peuvent être dé- placées et ressenties négative- ment par l'inculpé, ne suffisent pas en général pour justifier une demande de récusation. Au contraire du juge appelé à s'ex- primer en fait et en droit sur le fond de la cause, lequel doit en principe s'en tenir à une atti- tude parfaitement neutre, le juge d'instruction peut être amené, prov1so1rement du moins, à adopter une attitude plus orientée à l'égard de l'in- culpé; il peut faire état de

seS

doutes quant à la version des faits présentée, mettre le préve- nu en face de certaines contra- dictions, et tenter de l'amener aux aveux, pour autant qu'il ne soit pas fait usage de moyens déloyaux. Le juge d'instruction ne fait donc pas preuve de par-

tialité lorsqu'il fait état de ses

· convictions à un moment don- né de l'enquête; cela peut au contraire s'avérer nécessaire à l'élucidation des faits. On peut par ailleurs comprendre cer- tains mouvements d'impatience du magistrat, par exemple lorsque le prévenu adopte une attitude d'obstruction ou per- siste à nier l'évidence. Le magis- trat instructeur doit ainsi se voir reconnal:tre, dans le cadre de ses investigations, une cer- taine liberté, limitée par l'inter- diction des procédés déloyaux, la nécessité d'instruire tant à charge qu'à décharge, et de ne point avantager une partie au détriment d'une autre.»3 De manière générale, cette juris- prudence reste d' actualité4

Dans deux arrêts publiés . et dans plusieurs arrêts non pu- bliés récents, le TF a été amené à se pencher sur l'attitude d'un procureur durant la procédure d'instruction, ordonnant par cinq fois la récusation d'un ma- gistrat5. Il est dès lors intéres- sant d'examiner les enseigne- ments qui peuvent être tirés de ses arrêts sur la liberté de ton qui est laissée au procureur du- rant la phase d'instruction.

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2 .. Les principes

applicabl~s

en matière de récusation d'un procureür

Selon la jurisprudence bien éta- blie, un magistrat est récusable pour l'u"n des motifs prévus aux art. 56·.l~t. ~·.à e CPP. Ill' est éga- lement,(selbn l'art. 56 let. f CPP, forsgùe d'autres motifs sont de· nature à le rendre sus- pect de prévention. Cette dis- position a la portée d'une clause générale recouvrant tous les motifs de récusation non ex- pressément prévus aux lettres précédentes. Elle correspond à la garab.tie d'un tribunal indé- pendant. et impartial instituée par les art. 30 Cst.6 et 6 CEDH7.

S'agissant plus spécifique- ment d~ la récusation du Minis- tère p~blic, il y a lieu de distin- guer à quel stade de la procédure

celle~ci est demandée. Durant l'instruction, il doit établir, d'office et avec un soin égal, les faits à charge et à décharge (art. 6 CPP); il doit statuer sur les réquisitions de preuves et peut rendre des décisions quant à la suite de la procédure (classe- ment ou mise en accusation), voire rendre une ordonnance pénale pour laquelle il assume une fonction juridictionnelle.

Dans ce cadre~ le Ministère pu- blic est tenu à une certaine im- partialité même s'il peut être amené, provisoirement du moins, à adopter une attitude plus orientée à l'égard du pré- venù ou à faire état de ses convictions à un moment don- né de l'enquête. Tout en dispo- sant, dans le cadre de ses i~ves­

tigations, d'une certaine liberté, le magistrat reste tenu à' un de- voir de réserve. Il doit s'abstenir de tout procédé déloyal, ins- truire tant à charge qu'à dé- charge et ne point avantager

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une partie au détriment d'une autre. En revanche, après la ré- daction de l'acte d'accusation, le Ministère public devient une partie aux débats, au même titre que le prévenu ou la partie plai- gnante (art. 104 al. 1 let. c CPP). Par définition, il n'est plus tenu à l'impartialité et il lui appartient en principe de soute- nir l'accusation (art. 16 al. 2 in fine CPP). Dans ce cadre, ni les art. 29 et 30 Cst. ni l'art. 6 par.

1 CEDH ne confèrent au pré- venu ou à la partie plaignante aucune protection particulière leur permettant de se pfaindre de l'attitude du Ministère pu- blic et des opinions exprimées par celui-ci durant les débats8

3. La liberté de ton durant l'instruction:

les enseignements des arrêts récents

Le TF a refusé la récusation d'un procureur qui, durant des audiences d'instruction, avait, notamment, demandé au conseil du prévenu si c'était

«bientôt terminé avec les ques- tions» et expliqué au prévenu, qui choisissait de ne pas colla- borer, le risque de collusion et ses conséquences (soit une ar- restation). Le TF a relevé que l'explication du risque de collu- sion ne constituait nullement une menace et que la remarque sur les questions était «peu à propos», mais ne constituait pas un motif de récusation9Il en va de même pour un procureur qui a appelé l'avocat d'un prévenu pour lui laisser le message selon lequel un courrier «ne lui conve- nait pas du tout et qu'il lui lais- sait jusqu'à demain, à 17 h pour le rappeler po.ur clarifier la situation, sinon il mettrait A. en prévention». Le TF a relevé qu'il s'agissait d'une démarche «ina- déquate», mais isolée, ne justi-

fiant pas une récusation10. Il a également jugé qu'une «bou- tade manifestement ironique»

adressée, en audience d' instruc- tion, à une personne mise en cause, au demeurant non ins- crite au procès-verbal, n'était pas non plus un motif de récu- sation11.

En ~evanche, le TF a ordonné la récusation du procureur dans les cas suivants.

1. Lorsqu'un procureur a ordon- né le classement d'une procédure en relevant dans son ordonnance qu'une condamnation ne sem- blait «tout simplement pas pos- sible», puis dans le cadre des échanges d'écriture dans la pro- cédure de recours précisé qu'il était «difficile d'imaginer un pro- cureur, convaincu de l'innci''cence du prévenu, le déférer au tribu-

nal

pa';:'

acte d'accusation pour

ensuite demander sa libératioh».

A la suite à l'annulation de l'or- donnante· dë dassèment, le TF a ordonné la récusation du procu- reur au vu de ces déclarations et du refus des réquisitions de preuves qui avait été déposées12.

II. En cas de manquements graves et répétés des procureurs, notamment en raison de re- marques faites sur la stratégie de défense (critique virulente de l'utilisation du droit au silence), de la tenue d'un procès-verbal incomplet, de la révocation in- justifiée de l'avocat nommé d'office. Le TF a relevé que les propos tenus par le procureur au prévenu qui indiquait qu'il usait de son droit au silence, à savoir «nous discuterons ulté- rieurement de savoir si c'est in- telligent»13, n'étaient pas accep- tables14.

III. En raison du ton employé dans différents actes, en parti- culier dans une ordonnance de classement, où un procure.ur a

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'Chargé de cours à l'Université de Ge- nève. La présente contribution n'engage que son auteur.

2Code de procédure pénale suisse, RS 312.0.

3TF 1P.334/2002 du 3 septembre 2002, c. 3.1; partiellement publié in SJ 2003 I 174.

4ATF 138 N 142, c. 2.2.2.

5ATF 141 N 178 (récusation de deux procureurs ordonnées); ATF 138 N 142 (récusation d'un procureur ordonné); TF 1B_46/2016 du 19 avril2016 (récusation d'un procureur refusée); TF 1B_435/2015 du. 25 février 2016 (récu- sation d'un procureur ordonnée); TF 1B_24/2016 du 23 février 2016 (récusa- tion d'un procureur refusée); TF 1B_430/2015 du 5 janvier 2016 (récusa- tion d'un procureur ordonnée); TF 1B_328/2015 du 11 novembre2015 (ré- cusation d'un procureur ordonnée).

6Constirution fédérale suisse; RS 101.

7ATF 141 N178 c. 3.2.1;ATF 139 I 121 c. 5.1.

8ATF 138 N 142 c. 2.2. Voir aussi ATF 141 N 178 c. 3.2.2.

9"fF 1B_24/2016 du 23 février 2016.

"'TF 1B_46/2016 du 19 avril2016.

"TF 1B_200/2014 du 15 juillet 2014.

12ATF 138 N 142.

13Citation originale: «Wir werden nach- her noch darüber sprechen, ob das sinn- vol! iso>.

14ATF 141 N 178.

15TF 1B_328/2015 du 11 novembre 2015.

16TF 1B_430/2015 du 5 janvier 2016.

17TF 1B_435/2015 du 25 février 2016.

18TF 1B_24/2016 du 23 février 2016.

'!>TF 1B_46/2016 du 19 avril2016.

2"Voir Stéphane Grodecki, Le procureur face au principe in dubio pro duriore, Plai- doyer 5/2015, p. 34.

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indiqué: «Un acte d'accusation est exclu; il apparrut sans équi- voque que A. a volontairement instrumentalisé la situation pour obtenir un transfert à la prison Y. La plainte est menson- gère»; puis: «La plainte est té- méraire. La plaignante a fait des déclarations contraires à la véri- té et met en cause des gardiens pour des manquements graves à leur fonction. Elle a agi de ma- nière injustifiée et gratuite.»

Dès lors, le TF a relevé que, dans la perspective de la nou- velle procédure pour diffama- tion ou calomnie, il y avait une apparence de prévention justi- fiant une récusation15

Iv. En traitant un justiciable de

«menteur patenté» durant la procédure, un procureur . fait preuve de partialité et sa récusa- tion doit être ordonnée16

V. Le TF a relevé qu'en autori- sant le porte-parole de la police à faire état à la presse des antécé- dents d'une personne pour jus- tifier son interpellation, le pro- cureur apparaissait avoir été davantage préoccupé de proté- ger l'intervention infructueuse de la police organisée sous son autorité, que de respecter la lé- galité de la procédure, ce qui justifiait sa récusation17

4. Synthèse

Il ressort de ces différents arrêts que le TF limiteplus la liberté de ton du procureur dans ses écrits qu'en audience. Les arrêts des 23 février 201618 et 19 avril 201619 précités montrent qu'ûn procureur peut laisser transpa- rrutre de l'agacement ou expli- quer clairement - même de manière inopportune - au pré- venu les conséquences de ses

· choix sans risquer une récusa- tion. En revanche, il découle des autres arrêts que le procti~

reur doit être particulièrement attentif à sa plume lors de la ré- daction d'ordonnance de classe- ment ou d'observations pour ne pas risquer de récusation en cas d'annulation. de son acte par l'autorité de recours.

5. Conclusion

La jurisprudence mentionnée au début de cette contribution qui rappelle la liberté de ton du magistrat instructeur est tou- jours valable. Les arrêts récents du TF démontrent, en re- vanche, la difficulté du procu- reur qui, aux prises avec le prin- cipe in dubio pro durior?0, aura tendance à motiver de manière parfois sèche une ordonnance de classement, risquant ainsi sa récusation en cas d'annulation de l'ordonnance sur recours. En définitive, les arrêts récents ne limitent pas tellement la liberté de ton du procureur durant l'instruction, mais l'enjoignent avant tout à nuancer sa plume. 1

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