• Aucun résultat trouvé

Les relations entre l'Organisation des Nations Unies et les organisations régionales : sanctions du Conseil de sécurité et droits de l'homme

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Les relations entre l'Organisation des Nations Unies et les organisations régionales : sanctions du Conseil de sécurité et droits de l'homme"

Copied!
19
0
0

Texte intégral

(1)

Book Chapter

Reference

Les relations entre l'Organisation des Nations Unies et les organisations régionales : sanctions du Conseil de sécurité et droits

de l'homme

BOISSON DE CHAZOURNES, Laurence

BOISSON DE CHAZOURNES, Laurence. Les relations entre l'Organisation des Nations Unies et les organisations régionales : sanctions du Conseil de sécurité et droits de l'homme. In: Ben Achour, Rafâa.. et al. Les droits de l'homme: une nouvelle cohérence pour le droit international ? : rencontre dédiée à la mémoire de Dali Jazi . Paris : A. Pedone, 2008. p.

183-200

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:12915

Disclaimer: layout of this document may differ from the published version.

(2)

LES RELATIONS ENTRE

L'ORGANISATION DES NATIONS UNIES ET LES ORGANISATIONS REGIONALES:

SANCTIONS DU CONSEIL DE SECURITE ET DROITS DE L'HOMME

par

Laurence BOISSON DE CHAWURNES

Professeur, Directrice du Département de droit international public et Organisation internationale.

Professeur invité à l'Institut de hautes études internationales et du développement. Genève

L'édiction de sanctions par Je Conseil de sécurité dans Je domaine de Ja hme anti- terrorisme a donné lieu à des débats nourris tournant autour du régime de la sécurité collective et l'encadrement juridique de celui-cÎ. Dans ce contexte, tant les conditions de mise en œuvre des sanctions que l'existence d'un contrôle de leur exercice ont conduit à s.'il).terroger sur la nature des relations qui prévalent entre Jes décisions du Conseil de sécurité et Je respect des nonnes de droits de l'homme, que ces nonnes aient une portée universelle ou qu'elles relèvent d'accords ou d'ordres juridiques régionaux. Tout en prenant en compte les restrictions et dérogations possibJes au respect des droits de J'homme dans des circonst~ces particulières!, les interrogations ont trait aux conditions de mise en œuvre de sanctions dites ciblées décidées par le Conseil de sécurité, ainsi qu'à la possibiHté d'un contrôle juridictionnel de ces décisions ou des instruments qui les mettent en œuvre dans les ordres juridiques nationaux et l'ordre communautaire.

Des décisions judiciaires récentes, qu'elles soient le fait de la Cour européenne des droits de l'homme2, de la Cour de justice des Communautés européennesJ, du

1 Voir KLEIN (P.), (~Le droit intemaüonal à Pêprcu'Ic du terrorisme nt Recueil lle..'i cours de J'Académie de droit international, vo\. 321,2006, pp. 417ss.

l Voir Bosphorus Hava rollari Tllnzm Ve Ticaret AnOllim Sirketi c. Irlande, rcquëtc no 45036/98, La Cour européenne des droits de l'homme, Grande Chambre, 30 juin 2005 (ci-après: « Arrêl BospllOnfs CEDH»).

) Voir BO.$phorus Hava Yollarj Turizm ve Ticarel AS c. Minis/el' jar Trollspon. EI/ergl' u,uJ Communicaûons el aulres, Affaire C-84195, AlTet de la Cour de justice des Communautes européennes, 30 juillet 1996 (ci-après: ( Arrêt Bruphorus CEJE »)).

(3)

Laurence Boisson de Chazoumes

Tribunal de première instance des Communautés européennes4 ou de juridictions nationales5 ont abordé sous différents angles la possibilité d'un tel contrôle et de son étendue. Des initiatives diplomatiques6, de même que les travaux de la doctrine sont également importants à prendre en.compte pour saisir la portée de la question d'un contrôle de légalité de mesu;" imposées par le Conseil de sécurité et les enjeux qui lui sont attachés.

Dans le cadre de cette contribution, l'attention portera plus particulièrement sur les relations entre l'Organisation des Nations Unies (ONU) et les organisations régionales, et plus particulièrement l'Union européenne (UElCE) et le Conseil de l'Europe. Ces rapports seront mis en éclairage au travers de la place et du rôle des droits de l'homme. Des juridictions établies au sein de ces organ,isations européennes ont été saisies de requêtes portant sur la mise en œuvre de sanctions décidées par le Conseil de sécurité. Les arrêts du Tribunal de première instance de même que les Conclusions de l'Avocat général de la Cour de justice des Communautés européennes en l'affaire Yassin Abdullah Kadi c. Conseil de l'Union européenne et Commission des Communautés européennes et les réactions qu'ils ont suscitées apportent des éclairages sur la question des relations entre les organisations concernées, sur les articulations possibles entre le droit applicable dans les enceintes régionales et le droit de la Charte des Nations Unies ou encore sur les rapports entre les mécanismes de garantie mis en place dans chacune des enceintes. Trois types de relations peuvent être esquissés. On évoquera tout d'abord les relations qui sont conçues en tennes de subordination (1), puis des relations fondées sur le concept d'autonomie (II) et en dernier lieu celles faisant application d'une déférence conditionnée (1lI).

I, SUBORDINATION ET PRIMAUTE DANS LE CADRE DES RELATIONS ENTRE L'ONU ET LES ORGANISATIONS REGIONALES

Des affaires récentes portées devant le Tribunal de première instance de la Communauté européenne, les affaires Yassin Abdullah Kadi c. Conseil de l'Union européenne et Commission 'des Communautés européennes' (ci-après

«Arrêt Kadi ,,) et Ahmed Ali Yusuf et AI Barakaat International FoU/.datio"

contre Conseil de J'Union européenne et Commission des Communautés

4 Voir, par exemple les affaires: Yassin Abdul/ah Kadi c. Conseil de J'Uni01f européenne el Commission des Communautés européennes, affaire n° T-315/0I, arrêt du 2 t septembre 2005; ct Alrmed Ali Yusuf et Al Barakaallnlernationa/ Foundatioll contre Conseil de J'Union européenne et Commission des Commu/lQulés européennes, affaire n° T-306l0J, arrêt du 21 septembre 2005.

, Voir par ex. en Suisse: Youssef Mustapha Nada c. Secrétariat d'Etal pour l'économie, affaire lA.45/2007, Tribunal Fédéral Suisse, 14 novembre 2007; ct en Angleterre: R (HUaI Abdu/- Razzaq Ali AI Jedda) c. Secrétaire d'Etat à la Défense [2005] EWHC 1809 (Admin). [2006} EWCA Civ 327.

, Voir l'initiative de la Suisse, la Suède et l'Allemagne, « Targeted Sanctions and Due Proccss Initiative )~ :

http://www.cda.admin.ehleda/frlhomeltopies/pcasec/scc/fitcr/prothr.html http://www.swcden.gov.sclsb/dl92 79.

7 Affaire nO T .315/01, arrêt du 21 septembre 2005.

(4)

Les droits de l'homme dans le monde arabe entre régionalisme et universalisme européennes8 (ci·après «Arrêt Yusuf»), pennettent d'éclairer ce type de relatÎons. Les deux affaires sont semblables à maints égards et ont été jointes aux fins de la procédure orale. De ce fait, dans le cadre de celle contribution ,'accent sera placé sur l'une d'eUes, l'affaire Kadi. La décision du Tribunal de première instance a fait l'objet d'un pourvoi devant la Cour de justice des Communautés européennes.

Les circonstances ayant entouré l'adoption des décisions du Conseil de securité en cause dans l'affaire Kadi seront brièvement rappelées. Le Conseil de sécurité commença à réagir à la situation qui prévalait en Afghanistan en octobre 1996 en se déclarant préoccupé par le conflit anné qui y avait lieu, un conflit qui, selon le Conseil, offrait « un terrain propice au terrorisme et au trafic de drogue »9.

Dans une résolution adoptée le 28 août 1998, le Conseil se déclara inquiet de

« la présence persistante de terroristes sur le territoire afghan» et accusa

« les factions afghanes d'avoir entraîné des terroristes el leurs organisations »10.

Cette dernière résolution fut adoptée deux semaines après que le Conseil de sécurité ait condamné les attentats terroristes perpétrés le 7 août 1998 à Nairobi et à Dar es-Salâm. C'était la première résolution à dénoncer la nouvelle vague du terrorisme international associée à Oussama ben Laden et AI-Qaïda. La résolution 1214 (1998) du 8 décembre 1998 lia de manière plus étroite le terrorisme international et le contrôle exercé par les Talibans en territoire afghan". Toutefois C'est la résolution 1267 (1999), adoptée le 15 octobre 1999' qui a établi un véritable lien entre les actes imputés à AI-Qaïda et les Talibans.

Cette résolution aUa plus loin que les autres en obligeant les Etats membres des Nations Unies à adopter des mesures spécifiques contre le terrorisme international ainsi que contre les Talibans. en prescrivant, notamment, l'interdiction de vols aériens et le gel des fonds Talibans". EUe prévoyait en outre la création d'un Comité de sanctions par le Conseil de sécurité pour mettre en œuvre des sanctions contre AI-Qaïda et les Talibans (ci-après: « le Comité des sanctions») 1J.

Les mesures prevues par la Résolution 1267 furent renforcées par la résolution 1333, adoptée le 19 décembre 2000, qui exigeait l'adoption par les Etats membres de mesures nécessaires au gel, immédiat des fonds et autres actifs financiers d'Oussama ben Laden, de l'organisation AI-Qaïda et des individus et d'entités qui sont associés ou contrôlés directement ou indirectement par eux, tels qu'identifiés par le Comité" .

• Affaire nO T-306101, arrêt du 21 septembre 2005.

'Résolution 1076 adoptée par le Conseil de sécurité le 22 octobre 1996.

Il Résolution 1193 adoptée par le Conseil de sécurité le 28 août 1998.

Il Resolution 1214 adoptée par le Conseil de sécurité le 8 décembre 1998.

Il Résolution 1267 adoptée par le Conseil de sécurité le 15 octobre 1999, paragraphe 4.

Il Ibid., paragraphe 6. De manière générale, sur les sanctions édictées par le Conseil de sécurité ct le développement d'un régime des sanctions ciblées, voir GOWLLANO-DEBBAS (V.), ~~ Sanctions Regimes unda Article 41 of the UN Charter »), in National Impiementatiull of United Nations Sanctions: A Comparative Study, Lcidcn and Boston, Martinus Nijhoff, 2004, pp. 3-31.

14 Le paragraphe 8(c) de la résolution 1J33 adoptée par le Conseil de sécurité le 19 décembre 2000 se lit comme suit: (c Geler sans retard les fonds ct autres actifs financiers d'Usama bin Laden et des individus ct entites qui lui sont associés, tels qu'identifiés par le Comité, y compris l'organisation AI·

(5)

Laurence Boisson de Chazournes

Considérant qu'une action de la Communauté européenne était nécessaire afin de mettre en œuvre cette résolution, le Conseil adopta le réglement (CE) nO 46712001 le 6 mars 2001. Son article 2 gelait tous les fonds et autres actifs financiers appartenant à toute personne physique ou morale, toute entité ou tout organisme désigné par le Comité des sanctions et listé dans rannexe l du règlement. L'annexe 1 contenait une liste des personnes concernées qui pouvait être modifiée ou complétée « sur la base des décisions du Conseil de sécurité des Nations Vnies ou du Comité des sanctions contre les Ta/ibans »15. Le Comité des sanctions. à plusieurs reprises, a mis à jour cette liste. Les modifications faites furent systématiquement reportées dans la listè de la Communauté au moyen de l'adoption de nouveaux règlements.

A la suite des attentats terroristes commis aux Etats-Unis le 11 septembre 2001, le Comité des sanctions consolida sa liste en ajoutant les noms de plusieurs personnes considérées comme liées à AI-Qaïda. Le nom de Monsieur· Yassin Abdullah Kadi fut alors ajouté. Le règlement (CE) 2062/2001 du Conseil daté du 19 octobre 2001 permit d'ajouter ce nom à l'annexe 1 du règlement nO 46712001.

M. Yassin Abdullah Kadi déposa une requête le 18 décembre 2001 devant le Tribunal de première instance contre le Conseil de l'Union européenne et la Commission des Communauté européennes demandant l'annulation des règlements (CE) n' 467/2001 et nO 2062/2001 par lesquels ses fonds avaient été gelés. M. Kadi demandait l'annulation de ces deux règlements invoquant qu'au travers de leur mise en œuvre, ses droits fondamentaux, en particulier le droit d'être entendu, le droit au respect de la propriété et du principe de proportionnalité et le droit à un contrôle juridictionnel effectif, étaient violésl6

Devant le Tribunal de première instance, le Conseil de l'Union. européenne fit notamment valoir que les règlements concernés ne sont que des instruments de mise en œuvre des résolutions du Conseil de sécurité. En raison et du fait de leur nature et des circonstances dans lesquelles ils ont été adoptés, ils ne peuvent pas faire l'objet d'une allégation d'iIIicéité17A titre subsidiaire, tant le Conseil que la Commission soutinrent que les règlements attaqués ne portent pas atteinte aux droits et libertés fondamentaux dont la violation était alléguée

l'.

Qaida, el les fonds tires de biens appartenant à Usama bin Ladcn ct aux individus et enliles qui lui sonl associés ou contrôlés directement ou indirectement par eux, ct veiller à ce que ni les fonds ct autres ressources financières cn question, ni tous autres fonds ou ressources financières ne soient mis à la disposition ou utilises directement ou indirectement au bénéfice d'Usama bin Laden, de ses associés ou de toule entité leur appartenant ou contrôlée directement ou indirectement par eux, y compris l'organisation AI-Qaida, que ce soit par leurs nationaux ou par toute autre personne se trouvant sur leur territoire, et prie le Comité de tenir, sur la base des infonnations communiquées par les Etats ct les organisations régionales, une liste à jour des individus et entités que le Comité a identifiés comme étant associés à Usama bin Ladcn, y compris l'organisation Al-Qaida ».

15 Règlement (CE) nO 467/2001, 6 mars 2001, article 10.

li Voir Arrêt Kadi, op. cil., paragraphe 59.

11 A rrêl Kadi, op. cit., paragraphe 161.

Il Ibid., paragraphe 165.

(6)

Les droits de l'homme dans le monde arabe entre régionalisme et universalisme Dans sa décision, le Tribunal de première instance a en premier lieu considéré que l'appréhension des conditions de mise en œuvre des sanctions édictées par les résolutions du Conseil de sécurité relevait de la compétence des organes communautaires. Différents arguments ont été avancés à cette fin. Le Tribunal a considéré que la compétence de la Communauté était établie sur la base des articles 60 CE, 301 CE et 308 du Traité CE'·. Cene base de compétence a été confirmée dans les décisions rendues subséquemment aux affaires Kadi et Yuslllo. Hors du cadre communautaire, il pouvait être considéré que les Etats membres de l'UE/CE appliquaient les sanctions par l'entremise d'une organisation internationale au sens de l'article 48, par. 2 de la Chane des Nations Unies. Il y avait acceptation par les Etats membres de l'UE/CE qu'il revenait à la Communauté européenne de mettre en œuvre les sanctions décidées par le Conseil de sécurité.

La question qui devait ensuite être abordée était celle de savoir si le Tribunal de première instance pouvait apprécier la légalité des actes communautaires concernés au regard des droits fondamentaux dont Monsieur Kadi revendiquait l'application et qui trouvent application dans l'ordre communautaire. En d'autres mots, il était souligné que la requête ponait sur la légalité des actes communautaires en cause au regard du droit communautaire primaire, y inclus les droits fondamentaux. Le Tribunal de première instance n'a pas suivi M. Kadi sur cene voie. Il s'est appuyé sur le fait que le réglement avait été adopté par la Conununauté pour les Etats membres en tant que membres des Nations Unies, et cela afin de mettre en œuvre les décisions du Conseil de sécurité:!!. Le Tribunal a donc estimé que la Communauté était (~ liée » - pour des motifs tenant au Traité et à la pratique - par la Chane des Nations Unies et que les obligations qui découlaient de cette dernière avaient priorité sur les obligations issues du droit communautaire22Le Tribunal s'est notamment appuyé sur les anicles 297 et 307 du Traité CE pour étayer ses arguments sur la primauté des obligations de la Charte en généraeJ, la nécessité de prendre en compte les engagements préexistants des Etats membres dans le domaine du maintien de la paix et de la sécurité intemationale24 et, en situation de transfert de compétences - lequel

l'Ibid., paragraphe 130. Sur ces aspects, voir SIMON (O.) et MARIATTE (F.), (~ le Tribunal de première instance des Communautés: Professeur de droit international'! A propos des arrêts Yusuf, AI Barakaat International Foundation et Kadi du 21 septembre 2005 ;), in Europe - ReI'/fe Memmefle Lex;sNex.is JurisClasseur, nO 12, dëccmbre 2005, pp. 6-10,

U Voir par exemple les affaires Chafiq Ayadi c. ConseU de {'Union européenne, alTaire nO T·25J102, Tribunal de premiè,.c instance de la Communauté curopêenoe, 12 juillet: 2006 (ci·apres: (~Arre,

Ayadi»), paragraphes 107-112 et Leonid Minin t:. Commission des COmltJlmDlllés eW·Qpëelllre.~,

Tribunal dc première instance de la Communauté européenne T-362104. 31 janvier 2007. (ci-après:

« Arrêt Minim~), paragraphes 84·90 dans lesquelles cette base dc compétence a été confirmee maigre l'invQ(:ation du principe de la subsidiarité par les requérants.

11 Voir Arrêt Kadi, op. dt., paragraphe 213.

12 Sur une apprêciation critique de ee raisonnement, voir BULTERMAN (M.), « Fundamcmal Rights and the United Nations Financial Sanctions Regime: The Kadi and Yusuf Judgmcms of the Court of First Instance of the European Communities~, in LeidenJoWTUlI of/ntemalioltal 1..Uw, vol. 19,2006. p. 766.

U Anit Kadi, op. dt., paragraphes 185-187.

t4 Ibid., paragraphes 188-189

(7)

Laurence Boisson de Chazournes

s'apparentait en l'espèce à une succession -, la nécessité que celles-ci soient exercées dans le respect de la Charte des Nations Unies".

En adoptant les mesures en cause dans l'affaire Kadi, les institutions européennes avaient, selon le Tribunal, « agi au titre d'une compétence liée, de sorte qu'elles ne disposaient d'aucune marge d'apprécia/ion autonome )26. En stipulant que les règlements européens n'étaient qu'une reproduction de résolutions du Conseil de sécurité, le Tribunal a considéré que tout contrôle de la légalité interne desdits règlements impliquerait « que le Tribunal examine, de façon incidente, la légalité desdites résolutions »21. L'institution judiciaire en a conclu qu'elle n'avait pas compétence pOur apprécier la confonnité de l'acte communautaire en question au regard des droits fondamentaux issus de l'ordre juridique communautaire, parce que par ricochet elle aurait dû apprécier la légalité de résolutions du Conseil de sécurité21l

Toutefois le Tribunal a précisé qu'il pouvait exercer un contrôle de légalité incident des résolutions du Conseil de sécurité au regard du jus cogens. Ce corps de nonnes, selon Jlacception donnée par le Tribunal, constitue « un ordre public international qui s'impose à tous les sujets du droit international, y compris les instances de l'ONU, et auquel il est impossible de déroger ,,". Cela a conduit le Tribunal à considérer qu'en cas de violation du jus cogens, les obligations découlant de la résolution en question ne lieraient pas les membres des Nations Unies. Ainsi, de manière indirecte, en passant par le jus cogens, le Tribunal s'est reconnu le droit d'exercer un contrôle de la légalité des résolutions du Conseil de sécurité, en invoquant la préservation de ce qu'il a dénommé 1'« ordre public international ».

Le propos dans le cadre de cette contribution n'est pas celui d'apprécier la justesse de la démarche du Tribunal de première instance dans son appréciation du contenu et de la portée des nonnes envisagées par le Tribunal comme étant susceptibles de relever du jus cogens, mais de s'interroger sur le raisonnement conduit dans cette décision. Invoquant le primat des obligations qui découlent du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies en vertu des articles 25 et 103 de cette dernière, le Tribunal se prononce en faveur du principe selon lequel celles- ei prévalent sur toutes autres obligations internationales, y compris celles découlant d'instruments internationaux, telle la Convention européenne des droits de l'homme30. Cela lui pennet de considérer qu'il n'a pas compétence pour contrôler la légalité des résolutions du Conseil de sécurité en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales, hormis la possibilité d'un contrôle au regard du respect des normes de jus cogens.

15 Ibid., paragraphes 194ss. Voir aussi JACQUÉ (J.-P.).« Le TribunaJ de première instance face aux résolutions du Conseil de Sœurité des Nations Unies "Merci roonsÎeur le Professeur" ), L'Europe des Libertés, 19, 2006, pp. 2-3

(http://lcuropedeslibcrtcs.u-strasbg.fr/articlc.php ? id _ article-261 &id _ rubrique=S 1).

l' Ibid., paragraphe 214.

27 Ibid., paragraphe 21 S.

li Ibid., paragraphe 225.

H Ibid., paragraphe 226.

31 ibid., paragraphes 183 ct 184. Voir BULTERMAN (M.), op. cil .. p. 765.

(8)

Les droits de l'homme dans le monde arabe entre régionalisme.et universalisme Le type de relations envisagées est donc celui d'une subordination du système communautaire à l'endroit du droit de la sécurité collective du fait d'un principe de primauté contenu dans les articles 25 et 103. Le raisonnement du Tribunal de première instance repose sur le fait qu'en de telles circonstances le droit communautaire doit permettre l'application d'obligations bénéficiant de la primauté, celle-ci ressortissant de l'application des dispositions de la Charte des Nations Uniesl'.

Ces différents éléments du raisonnement du Tribunal conduisent à la [onnulation d'observations et remarques. Le Tribunal avait lui-même établi que le droit onusien trouve place dans rordre communautaire en vertu du droit communautaire et non pas seulement en vertu de la Charte des Nations Unies.

Ainsi, les obligations qui pèsent sur les Etats membres en vertu de la Charte le sont en tant qu'obligations découlant d'une convention conclue avant le 1er janvier 195832, date d'entrée en vigueur du traité établissant la Communauté européenne, et ne doivent pas être affectées par -les traités européensJ3. Le Tribunal a également considéré, selon une jurisprudence constante de la Cour de justice14t que les compétences de la Communauté doivent être exercées dans le respect du droit international. JI en conclut que « le droit communautaire doit être interprété, et son champ d'ap~lication circonscrit, à la lumière des règles pertinentes du droit international » s. Il était par conséquent possible d'envisager que le droit communautaire dont Monsieur Kadi se prévalait puisse être interprété conformément aux obligations découlant de la Charte des Nations Unies, laissant ainsi ouverte la possibilité d'une non-confonnité.

Le Tribunal de première instance a choisi une autre voie. Du Càit de la compètence dite liée de la Communauté, il a appréhendé les règlements communautaires comme des véhicules d'application du droit onusien du maintien de la paix, ce dernier étant au bénéfice du jeu des articles 25 et 103 de la Charte des Nations Unies. Selon l'instance judicaire, cette situation mettrait les décisions du Conseil de sécurité hors d'atteinte d'un contrôle juridictionnel à l'échelon régional. La seu1e limite à cette forme d'« immunité)} est le respect de nOrmes relevant dujus cogens, liant -selon la conception que le Tribunal donne du jus cogens - tant les Etats que les organisations internationales. Certains ont pu s'interroger sur le fait de savoir si le Conseil de sécurité est lié par de telles normesJ6Si l'on suit le raisonnement du Tribunal qui n'a pas d'hésitation à

JI En ee sens, voir TOMUSCHAT (C.), {( Primaey ofUnite<l Nations Law - Innovative fcaturcs in the Community Legal Order ~), in Common Market Law Review, vo\. 43. 2006, pp. 541ss.

12 Traité ilUtiluonl /0 Communauté. européenne (ci-après: «CE »), article 307.

J3 Arrêt Kadi, op. cit., paragraphes 185-188.

).4 Voir KUIJPER (P.-J.). ( Customaty imcmationallaw, deeisions of international organisations and olher techniques for ensuring respect for intemationallegal mIes in European Community law >. in J.

Woutcrs, P.-A. Nollkacmper et E. de Wei (dirs.), The Europeanisation of Interna/ional Law, La Haye. Asser, 2008, p. 100.

35 Ibid., paragraphe 199 .

.kt Voir l'opinion séparée de J. Dugard, juge ad hoc dans l'a traire Activités annees sur le territoire dl(

Co"go (République dêmocraliqu.e du Congo c. Rwanda), Cour internationale de justice. décision du J février 2006, paragraphe g : ( Moreover. il has been suggested that a Sccurity Couneil rcsolution will be void if il conniets wilh a nonn of jus cogens (sec the separalc opinion of Judge ad hoc Sir Elihu

189

(9)

Laurence Boisson de Chazourncs

admettre que le Conseil de sécurité est lié par les normes de jus cogens, on perçoit alors que selon rinstance-judiciaire, il y a un ordre public international constitué de normes auxquelles nul ne peut déroger. Chaque sujet de droit international serait en quelque sorte le gardien de la légalité, y compris les instances et organes d'organisations régionales. Dans le cadre de ce raisonnement, le Tribunal semble considérer que les droits fondamentaux de l'ordre conununautaire pourraient relever de ce jus cogens « omnium ». Cela le conduit à admettre la possibilité d'un contrôle juridictionnel sur la légalité des résolutions'du Conseil au regard dujus cogens, sans s'appesantir sur l'origine des

nonnes dujus cogens en question. .

Le postulat selon lequel une juridiction régionale pourrait exercer un contrôle au regard du jus cogens a pu être considéré comme portant en lui les germes d'un affaiblissement du système de sécurité collective de l'ONU". Tant le pouvoir de toute juridiction compétente - qu'clle soit nationale ou régionale - d'exercer un tel contrôle que les risques d'interprétation divergente qui pourraient en ,découler sont mis en cause. L'identification de normes de jus cogens par des juridictions régionales ou nationales peut faire place à des conceptions divergentes ainsi qu'à des problèmes de définition et d'interprétation de ces normes".

Les droits sur lesquels le Tribunal de première instance s'est basé pour conduire un contrôle qu'il a qualifié d'« incident» offrent un autre prisme de réflexion sur les relations entre l'ONU et les organisations régionales. Le droit

li

la propriété, celui d'être entendu, ou encore le droit d'accès à la justice relèvent-ils du jus cogens compris dans une acception universelle? L'intervention du jurisconsulte de l'Organisation des Nations Unies lors d'une séance du Conseil de sécurité consacrée au respect du droit international laisse penser - au-delà de la question de savoir si les droits mentionnés relèvent du jus cogens - que la formulation et le contenu de ces droits peuvent varier entre l'ordre communautaire et européen et l'ordre universel". La question du contenu de ces droits mise à part, il faudrait

Lauterpacht in the case conceming the Application of the Convention on the Prevenlion and Punishment of the Cn'me of Genocide. (Bosnia and Herzegovjna v. Yugoslavia (Serbia and Montenegro), Provisional Mcasures, Order of 13 Scptembcr 1993, I.CJ. Reports 1993, p. 440, para.

100).»

J1 Voir DECAUX (Emmanuel), ~~Déclaratjons et conventÎons en droit international », Cahiers du Conseil coIlSlitutio,me', 2006, 21. p. 4.

)1 Voir BULTERMAN (M.). op. cil.; CAMERON (1.). The European Corrventl:on on Human Righes.

Due Process and United Nations Security Council Counter-Terrorism Sanctions, Rapport préparé par le Conseil de l'Europe, 6 février 2006. p. 17 (disponible à

http://www.coc.intltle/legal_affairsllegal_eo-operationlpublic _ intcmationa l_lawrr exts _ &_

Documcntsl2OO61I.%20Cameron%20Report%2006.pdt); DE WET (Erika), «Holding the United Nations Sccurity Council aœountable for human nghes violations through domestic and rcgional courts: A case of be careful whal you wish for? ~>. in Jeremy Farral! el Kim Rubenslein (dirs.), Sanctions Accountability and Govemance in a Globalised World (forthcoming). version du 25 janvier 2008, disponible à

http://wwwJaw.tau.Dc.il/Heb/ _ U P loadsldbsAttachcdF i IcslCanberra26doc.pdf. . J, 5474" Séance du Conseil de sécurité des Nations Unies, le 22 juin 2006 à New York, Document S/PV.5474, page 5 (intervention de Nicolas Michel): (. [ ... ] First, a person against whom measurcs have becn taken by the Council has the right to be infonned of !hase measurcs and 10 know the case againsi him or her as soon as and to the extcnt possible. The notification should includc a statemcnt

(10)

Les droits de l'homme dans le monde arabe entre régionalisme et universalisme ensuite établir l'appartenance des droits en question au jus cogens. La question de la notion de jus cogens régional" pourrait d'ailleurs être évoquée. Serait-il possible pour les institutions dluDe région donnée de revendiquer l'application d'un droit impératif régional à l'égard de décisions prises par le Conseil de sécurité?

Ces considérations et questions sur les implications d'un contrôle incident en vertu dujus cogens soulignent les risques de désarticulation dans l'application de mesures de sécurité collective adoptées en vertu de la Charte des Nations Unies.

C'est la coopération entre régimes juridiques, comprenant pour certains et non pour d'autres, au-delà des nonnes~ des procédures de contrôle juridictionnel qui sont garantes de l'application de celles-ci, qui est objet d'attention. On peut penser que ces risques auraient pu en partie être écartés si le Tribunal avait d'abord percé le postulat de primauté en vertu des articles 25 et 103 de la Charte des Nations Unies. L'article 103 énonce avant tout une règle de conflit d'obligations qui ne devrait produire d'effets que s'il y a un conflit. Le problème n'était·il pas avant tout celui de savoir si le Tribunal de première instance avait compétence pour apprécier le conflit revendiqué entre les obligations découlant des décisions du Conseil de sécurité et les obligations en matière de droits de l'homme qui lient les Etats membres des Nations Unies, mais aussi les membres de la Communauté européenne au titre du droit communautaire. Ce n'est qu'en cas de conflit entre obligations" que la règle de l'article 103 devrait produire ses effets, tout en prenant en compte les exigences découlant du droit impératif.

of the case and information as to how requests for rcvicw and excmptions may be made. An adcquatc statement of the case requires the prior determination of clcar criteria for listing.

Sccondly, such a person bas the right 10 be heard, via submissions in writing, within a rcasonablc lime by Ihe relevanl decisioo-making body. Thal righl should ineludc the ability to directly 3ecess the decisionmaking body, possibly Ihrough a focal point in the Secretariat, as weil as Ihe right 10 bc assisted or represented by eounsel. lime timits should be set for the consideration ofthc case.

Thirdly, such a person has the right to revicw by an effective review mcchanism. Thc cfTcetiveness of that mechanism will depcnd on its impartiality, dcgrcc of indepcndcnce and ability to providc an effective remcdy, including the lifting of thc measurc and/or, undcr spccific conditions 10 bc dctcnruned. compensation.

Fourthly, the Security Council should, possibly through its Committces, pcriodically rcvicw on its own initiative targeted indivKlual sanctions, especially the frcczing of asscts, in order 10 mitigatc the risk of violating the right to propcrty and rclatcd human rights. The frcquency of such rcvicw should bc proporticnate to the rights and interests involved.

The non-paper indicates aise that those elements would apply mutatis mutandis in respect of entities [ ... ) »

... Sur cette notion, voir RAGAZZI (M.), The Concept of Internarional Obligations Ergs Omnes, Oxford. Clarendon Press, 1997. p. 194 et S8.

~1 Voir LYSEN (G.), ~(Targeted UN Sanctions: Application of Legal Sources and Procedura!

Mauers )~. in Nordic Journal oflnternational Law, vol. 72, 2003, p. 291 et ss. L'article a été publié en 2003 ct donc avant le rendu de la décision en l'affaire Kadi. Mais il semble selon cet auteur qu'on ne pourrait parler de conflit qu'au regard de la non-satisfaction des principes de nécessité ct proportionnalité (voir p. 296).

(11)

Laurence Boisson de Chazoumes

II. AUTONOMIE ET APPROCHE CONSTITUTIONNALISTE DANS LE CADRE DES RELATIONS ENTRE L'ONU

ET LES ORGANISATIONS REGIONALES

L'affaire Kadi a fait l'objet d'un pourvoi devant la Cour de justice des Communautés européennes42L'Avocat général, M. Poiares Maduro. 8 présenté ses conclusions le 16 janvier 2008. Sa perspective de l'affaire est très différente de celle du Tribunal de première instance. S'appuyant sur la nature juridique paniculière de l'ordre juridique communautaire, dite de nature

« constitutionnaliste », et observant dans ce contexte que les obligations internationales doivent être prises en compte à l'aune de l'ordre juridique communautaire, il précise que « le rapport entre droit international el ordre juridique communautaire est régi par cel ordre lui-même, le droit international Ile peut interagir avec cet ordre juridique qu'aux seules conditions fIXées par les principes constitutionnels de la Communauté f>4). L'Avocat général considère de ce fait que le Tribunal de première instance était compétent pour ·exercer un contrôle de légalité du règlement communautaire en cause à la lumière des droits fondamentaux, ceux-ci relevant des principes généraux du droit qui sont une SOUIce du droit communautaire.

La relation proposée entre l'ordre juridique communautaire et le système de la Charte des Nàtions Unies est celle d'une autonomie relative du premier par rapport au second, en ce sens que dans la « sphère de compétence» de l'ordre communautaire, le droit international y est reçu et son respect doit se conformer aux. exigences posées par le premier. L'une des exigences a trait au respect des valeurs sur lesquelles repose l'édification de J'ordre juridique communautaire, Ce respect doit se réaliser quitte à «annuler des mesures adoptées par les institutions communautaires, même lorsque ces mesures reflètent les souhaits du Conseil de sécurité ))44.

L'Avocat général se prononce alors en faveur de la possibilité d'un contrôle des sanctions édictées par le Conseil de sécurité et telles que transcrites en droit communautaire. eu égard à leur portée. Si elles étaient « disproportionnées, voire même mal orientées, tout en restant pourtant en vigueur indéfmiment». cela constituerait « un anathème dans une société qui respecte la prééminence du droit »". 1\ s'agit en quelque sorte d'un contrôle de légalité au regard de l'ordre

U Kadi contre Conseil de l'Union européenne et Commission des Communautés européennes. Cour de justice des Communautés européennes, affaire C-402l05 P, Requête (10),.10 C 36 du Il.02.2006, p. 19. Pourvoi fOOllé le 17 novembre 2005 par Yassin Abdullah Kadi contre l'arrêe rendu le 21 septembrc 2005 par la deuxième chambre (formation élargie) du Tribunal de première instance des Communautés curopCcnnes dans J'affaire T·315/01, Yassin Abdullah Kadi contrc Conseil de "Union européenne ct Commission des Communautés européennes.

41 Voir: Kadi contre Conseil de l'Union européenne et Commission des Communautés européennes, Cour de justice des Communautés européennes affaire C402/05 P, Conclusions de l'Avocat général, M. M. Poiares Maduro prêsentêcs le 16 janvier 2008 (ci·après: «( Affaire KatH, ûlI1dusions de l'Avocat général ~), paragraphe 24 (italiqüCS ajoutés).

-44 Kadi, Conclusions de l'Avocat général, paragraphe 44 (italiques ajoutés).

o Kadi, Conclusions dc l'Avocat général, paragraphe 53 (italiques ajoutés).

(12)

Les droits de l 'homme dans le monde arabe entre régionalisme et universalisme juridique de réception. Cette vision fait place aux particularismes de l'ordre qui reçoit les obligations internationales. En l'espèce, l'une des caractéristiques de l'ordre communautaire a trait au respect de garanties fondamentales et c'est sur la base de celles-ci que le contrôle doit s'exercer. Dans le cadre de ce raisonnement, il apparaît que ce qui importe est que toutes les garanties fondamentales au sens de l'ordre juridique communautaire soient respectées sur le territoire communautaire. C'est exclusivement en termes de droit communautaire que le raisonnement est conduit.

Vibrant plaidoyer pour la protection d'un espace régional régi par le respect de la règle de droit, cette approche régionale renferme aussi les ferments d'une application écartelée, sinon fragmentée, des obligations internationales qui découlent du système de sécurité collective de la Charte des Nations Unies. Le caractère universel de ce système n'est pas pris en compte, notamment la responsabilité principale du Conseil de sécurité en vertu de l'article 24 de la Charte d'assurer le maintien de la paix et de la sécurité. En application du chapitre VII, cet organe peut engager tous les membres des Nations Unies au moyen de mesures décidées par le Conseil. Accepter que les conditions d'exercice des sanctions du Conseil de sécurité soient susceptibles d'un contrôle au nom du particularisme du droit applicable en un espace donné pourra faire des émules. Les paramètres de légalité pourraient varier d'une région à une autre.

Dans le cadre du raisonnement de l'Avocat général, il n'est pas question de l'invocation du respect de nonnes de jus cogens dont le respect s'imposerait à tous les membres de la société internationale," mais de l'invocation des spécificités d'un système juridique particulier. Les rapports entre systèmes peuvent varier tant du fait des conditions "d'application des mesures de sécurité collective que du fait des normes de référence en matière de contrôle de légalité.

Les mesures adoptées par le Conseil de sécurité ne sont pas à l'abri de possibles entrechoquements avec des normes et obligations de droit international. Selon le modèle de relations proposé par l'Avocat général, il est conçu qu'un contrôle de la légalité des décisions du Conseil de sécurité puisse se faire à l'échelon régional, en fonction des spécificités que présente un ordre juridique particulier.

Faut-il concevoir qu'un tel contrôle puisse se réaliser dès que les institutions ·de ce système considèrent que ledit contrôle est intrinsèque à la préservation de l'intégrité de l'ordre juridique en question?

Prenant en compte les liens de l'ordre communautaire avec le droit international, l'Avocat général n'écarte pas le fait qu'un contrôle exercé par la Cour de justice des Communautés européennes puisse être sanctionné au plan international par une mise en cause de la responsabilité des Etats membres de l'organisation européenne;

39. En outre, les effets juridiques d'un arrêt de la Cour demeurent limités à l'ordre juridique interne de la Communauté. Dans la mesure où un tel arrêt empêcherait la Communauté et ses membres de mettre en œuvre des résolutions du Conseil de sécurité, les conséquences juridiques dans l'ordre juridique international continuent d'être détemlinées par les règles du droit

(13)

Laurence Boisson de Chazoumes

international. Stil est exact que les restrictions imposées par les principes généraux du droit conununautaire aux actions des institutions peuvent gêner la Communauté et ses Etats membres dans leurs négociations internationales, ces principes sont appliqués par la Cour sans préjudice de l'application des règles internationales sur la responsabilité étatique ou de la règle prévue à l'article 103 de la Charte des Nations Unies. L'assertion du Conseil selon laquelle, en contrôlant le règlement attaqué, la Cour exercerait une compétence allant au-delà des limites de l'ordre juridique communautaire, est donc erronée.

Au nom de la préservation de valeurs en une région régie par un ordre juridique particulier, le contrôle du respect des obligations de droit international et les conséquences de leur violation sont laissés à des mécanismes de type universel.

Garantir le respect des droits fondamentaux dans un ordre juridique donné au risque d1eogager la responsabilité internationale des Etats concernés consiste à délier les ordres juridiques en question, tout en adinettant qu'il puisse y avoir des conséquences juridiques qui slensuivent. La mise en cause de la responsabilité de membres européens du Conseil· de sécurité, qu'j ls soient des membres pennanents ou non pennaneots, apparaît toutefois très aléatoire et 00 peut s'interroger sur le contenu de la réparation qui serait recherchée.

Ce genre de relations qui prévaudrait entre l'organisation universelle et les organisations régionales est fondé sur une logique d'autonomie pour préserver l'ordre juridique des secondes. Il contient lui aussi les ingrédients d'un affaiblissement des mesures de sécurité collective adoptées dans le cadre de la Charte, les membres d'une organisation régionale étant susceptibles de se trouver en situation de ne pas pouvoir appliquer les décisions du Conseil de sécurité.

111_ A PROPOS D'UNE APPROCHE DE DEFERENCE CONDITIONNEE . DANS LE CADRE DES RELATIONS ENTRE L'ONU

ET LES ORGANISATIONS REGIONALES

Aux côtés des deux types de relations qui viennent d'être évoqués, ceux de la subordination et de rautonomie, une autre approche doit être évoquée. C'est celle d1une déférence conditionnée. Dans le cadre de celle-ci, il n'y aurait place pour un cOlltrôle de la légalité de mesures prises dans le cadre d'une autre organisation ou dans un autre ordre que si les garanties de légalité offertes dans les ordres juridiques concernés ne sont pas considérées conune équivalentes. L'affaire Bosphorus portée devant la Cour européenne des drOits de l'homme donne des éclairages sur cette conception46.

L'affaire a surgi dans le contexte de sanctions adoptées par le Conseil de sécurité contre la République fédérative de Yougoslavie pendant le conflit en Ex- Yougoslavie. Les membres de Nations Unies avaient notamment robligation d'empêcher toutes transactions faisant intervenir des aéronefs battant pavillon

.. Arrêt Bosphorus, op. cit..

(14)

Les droits de l 'homme dans le monde arabe entre régionalisme et universalisme

yougosJave47. La société requérante, une compagnie aérienne charter de droit turc, avait pris en location auprès de Yugoslav Airlines (<< la lAT ») un aéronef qui a ensuite été saisi pendant trois ans par l'Etat irlandais alors que l'avion faisait l'objet d'un entretien en Irlande. Ayant perdu le bénéfice d'environ trois ans d'un contrat de location prévu pour une durée de quatre années, la société porta plainte.

Devant la grande chambre de la Cour européenne des droits de l'homme, la société requérante a soutenu que la saisie de l'aéronef par l'Irlande constituait une violation de son droit au respect de ses biens tel que protégé par le Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. La Cour européenne des droits de l'homme a alors estimé que, si la -protection offerte par le droit communautaire était « équivalente ci celle assurée par le mécanisme de la Convention )), l'lrlande devrait être considérée comme s'étant confonnée à la Convention européenne des droits de l'homme en mettant en œuvre les obligations qui résultaient de son appartenance à la Communauté européenne (lesquelles incluaient les dispositions découlant de décisions du Conseil de sécurité).

La Cour européenne des droits de l'honune s'est prononcée de la manière suivante:

155. De l'avis de la Cour, une mesure de l'Etat prise en exécution de pareilles obligations juridiques doit être réputée justifiée dès lors qu'il est constant que rorganisation en question accorde aux droits fondamentaux (cette notion recouvrant à la fois les garanties substantielles offertes et les mécanismes censés en contrôler le respect) une protection à tout le moins équivalente à celle assurée par la Convention (M. & Co., décision précitée, p. 152, démarche à laquelle les parties et la Commission européenne souscrivent). Par « équivalente ». la Cour entend « comparable )): toute exigence de protection « identique)) de la part de J'organisation concernée pourrait aller à l'encontre de l'intérêt de la coopération internationale poursuivi (paragraphe 150 ci-dessus). Toutefois, un constat de « protection équivalente» de ce type ne saurait être définitif: il doit pouvoir être réexamtné à la lumière de tout changement pertinent dans )a protection des droits fondamentaux.

156. Si l'on considère que l'organisation offre semblable protection équivalente, il y a lieu de présumer qu'un Etat respecte les exigences de la Convention lorsqu'il ne fait qu'exécuter des obligations juridiques résultant de son adhésion à l'organisation.

Pareille présomption peut toutefois être renversée dans le cadre d'une affaire donnée si ton estime que la protection des droits garantis par la Conventt"on était entachée d'une insuffisance manifeste. DQlIS tu, tel cas, le rôle de la Convention en tant qu instroment constitutionnel de l'ordre public européen ff dans le domaine des droits de l'homme l'emporterait sur

47 Conseil de sécurité, Résolution 7S7 (1992) du 20 mai 1992, paragraphe 4(b); Règlement (CEE) no 990/93 adopté le 26 avril 1993.

195

(15)

Laurence Boisson de Chazournes

['intérêt de la coopération internationale (Loizidou c. Turquie (exc~tions

préliminaires), arrêt du 23 mars 1995, série A no 310, pp. 27-28, § 75) . Cette appr~che de déférence soumise à condition49 s'inscrit dans le sillon de la position adoptée par la Cour constitutionnelle allemande· dans ses décisions Solange 1 et Solange 11'° La juridiction s'était déclarée compétente pour vérifier le respect des droits fondamentaux par les actes communautaires « aussi longtemps» (<< sa lange» en allemand) qu'une protection équivalente -, mais pas nécessairement identique - de ces droits n'était pas assurée dans l'ordre juridique communautaire". Les juges allemands avaient. accepté que le droit européen trouve application tout en déclarant conserver en pratique la possibilité de se référer à certaines dispositions du droit allemand en cas de conflit. Dans le cadre des affaires susmentionnées, la juridiction s'est déclarée compétente pour contrôler la légalité des actes communautaires concernés dans le premier arrêt dit Solange 1 datant de 1974, mais non dans l'arrêt dit Solange 11 rendu en 1986, cela étant dû au renforcement du respect de la règle de droit et des droits fondamentaux par les organes communautaires~2.

Le Tribunal de première instance dans l'affaire Kadi ne s'est pas aventuré sur la voie de la déférence conditiotmée au travers d'une-appréciation de l'équivalence en termes de protection. Il a interprété de manière univoque la relation entre le droit communautaire et le droit de la Charte, considérant que la primauté dont bénéficient les obligations au titre des articles 25 et 103 de la Charte lui interdisait un quelconque contrôle, hors les cas de violations du jus cogens. Un raisonnement basé sur une approche de déférence conditionnée aurait pu le conduire à ne pas recourir à l'argument dujus cogens. Il aurait pu faire valoir le nécessaire respect de droits garantis par l'ordre communautaire dont la protection pour certains d'entre eux serait ({ entachée d'une insuffisance manifeste »53.

Il n'y a pour l'heure pas de décision judiciaire qui ait fait application du test de l'équivalence en application d'une approche de déférence conditionnée lorsqu'est contestée la légalité de mesures de sécurité collective décrétées par le Conseil de sécurité. L'affaire Bosphorus portait sur l'équivalence entre les garanties offertes par l'ordre juridique communautaire et celles du système de la Convention européenne des droits de l'homme, en évoquant la possibilité d'un contrôle en cas de protection entachée d'insuffisance manifeste, même si cela allait à l'encontre de « l'intérêt de la coopération internationale )}S4. Certains ont souligné, tel l'Avocat général Maduro, que la Cour européenne des droits de l'homme nlavait ainsi pas écarté la possibilité d'un contrôle de la légalité des résolutions du

... Arrêt BosphQnlS, Dp. cil., paragraphes 155 et 156 (italiques ajoutés) .

... Sur cette approche, voir LAVRANOS (N.), «UN Sanctions and Judicial Review )~, in Nordic Journal v/International Law, vol. 76, p. 16; CAMERON (1.), Dp. cU., pp. 24·25.

51 Solange 1,29 mai 1974. BverfGE 37, 271 ; Solange Il. 22 octobre 1986, BverlGE 73, 339 .

.sI Voir LANIER (E. R.), « Solange, fareweJJ: the federal Gennan Constitutional Court and the recognition of the Court of Justice of the European Communities as !awful judge >~, in Boston College International and Comparative !Al\! Review, vol. Il, 1988, pp. 155.

!l Ibid., pp. 21 ss.

l i Arrêt BosphoTUS, op. cir., paragraphe 156.

54 Ibid., paragraphe 155.

(16)

Les droits de l'homme dans le monde arabe entre régionalisme et unÎversalisme

Conseil de sécurité au regard du système européen de protection des droits de l'homme5S,

Il est intéressant de constater que certains travaux de doctrine, pour des motivations qui peuvent varier, s'inscrivent dans cette mouvance, sans que cela soit pour autant explicitement dit. Ces travaux ont néanmoins tous en commun de souhaiter que l'ONU se dote d'un régime de protection qui garantisse le respect d'exigences liées au respect des droits de l'homme en cas d'exercice de sanctions ciblées. C'est en quelque sorte une approche de non-déférence qui est prônée pour contraindre le Conseil de sécurité à mettre en place les garanties considérées comme nécessaires par les tenants de cette approche.

Pour certains, les Nations Unies sont liées par les droits de l'homme au travers notamment des articles 1 et 24(2) de la Charte des Nations Unies, ainsi que du fait des engagements souscrits, notamment lors de la création des tribunaux pénaux intemationauxS6Cela les conduit à considérer que le fait d'édicter des sanctions ciblées sans garanties d'accès à un mécanisme de recours constitue de la part du Conseil de sécurité une violation de droit international qui doit être dénoncée par les juridictions saisies, quelles qu1elles soient. En sus de l'exercice de pressions diplomatiques, la possibilité d'un contrôle juridictionnel par des juridictions régionales et nationales est encoura~ee dans le but de conduire le

Consei1 de sécurité à corriger son comportementS ,

Le Rapporteur de la Commission des questions juridiques et des droits de l'homme, D. Marty, dans son rapport à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe sur les Listes noires du Conseil de sécurité des Nations Unies et de l'Union européenneS8 prenant en compte les aménagements au régime des sanctions que le Conseil de sécurité a mis en places9, considère que les mesures adoptées par rorgane international pour remédier aux doléances e't critiques émises60 sont insuffisantes et que dès lors, les juridictions saisies doivent pouvoir se prononcer sur ces questions,

55 Affaire Kadi, Conclusions de l'Avocat général, paragraphe 36.

56. Voir DE WET (Erika) et NOLLKAEMPER (André), «( Revicw of the Sccurity Couneil Decisions by National Courts », Gennan Yearbook afln/en/alional Law, vol. 45, 2002, pp. 166-202 ct pp. J 7)·) 76.

57 DE WET (Erika), «( Holding the United Nations Sccurity Couneil aecountable for humnn righls violations lhrough domestic and rcgional courts ... ), op. cil. ; BULTERMAN (M.), op. cir .• p. 768.

51 Rapport de la Commission des questions juridiques ct des droits de l'homme (Rappo"cur:

M. Dick Marty, Suisse, Alliance des Démocrates ct des Libéraux pour l'Europe) à l'Assemblce parlementaire du Conseil de l'Europe sur les Listes noires du Conseil de sécurilc des Nations Unies ct de "Union curopëcnne, 16 novembre 2007, Doc. ) 1454, para 35 ct ss ; Introductory Memorandum de la Commission des questions juridiques ct des droits de l'homme (Rapporteur: M. Dick Marty.

Suisse. Alliance des Démocrates et des Libéraux pour ['Europe) à l'Assemblce parlementairc du Conseil dc J'Europe sur «( UN Sccurity Council black lislS »), AS/Jur(2007) 14·, 19 Mareh 2007.

59 Sur ceux-ci, voir COUZIGOU (1.), « La lutte du Conseil de sccurité contre le terrorisme international et les droits de l'homme» Revue générale de droü international public, vol. 112, nO l, 2008, pp. 49-84.

"Voir par ex. : Assemblce gCl1érale des Nations Unies, Doclimemfinal du Sommer momlitd de Z005, Doc: A/6OIL.l, 20 septembre 2005; voir aussi: Intervenlion de Nicolas Michel pendant la 5474c Sêance du Conseil de sœurité des Nations Unies, op. ciL

Références

Documents relatifs

Cette brochure se propose de fournir des informations relatives à l’engagement de la Finlande en faveur de la paix, de la sécurité et du développement dans le monde entier,

Lors d’une réunion par visioconférence publique sur la faim induite par les conflits, qui s’est tenue le 17 septembre 2020, le Directeur exécutif du Programme

• Les coprésidents du Groupe et les autres membres du Conseil de sécurité devraient mener des activités de mobilisation politique directe de haut niveau en faveur de la

En référence à la lettre datée du 30 juin 2020 du Représentant permanent de la France, en sa qualité de Président du Conseil de sécurité, concernant le projet de

« pureté » décisionnelle à l’égard des droits de l’homme ainsi qu’une.. certaine incohérence qui fait que les organes de l’Union possèdent des compétences

L'institution régionale tenta ainsi de contourner la sujétion à l'organisation universelle non pas par une référence à ses propres normes (régionales) mais en

19 Rapport au Gouvernement de la Belgique relatif à la visite effectuée en Belgique par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains

Le Conseil réaffirme sa profonde solidarité avec les victimes du terrorisme et leurs familles, souligne qu’il importe d’aider ces victimes en leur apportant ainsi qu’à