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Mésusage, dépendance et addictions aux opioïdes antalgiques

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Le Courrier des addictions (20) – Suppl. au n° 1 – janv.-fév.-mars 2018

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Mésusage, dépendance

et addictions aux opioïdes antalgiques

B. Rolland*

* Service universitaire d’addictologie de Lyon (SUAL), Pôle MOPHA, Le Vinatier, université de Lyon.

Les addictions aux opioïdes antalgiques associent souvent des plaintes fonc- tionnelles multiples (douleurs, anxiété, troubles du sommeil, etc.) et des comorbidités somatiques, psychiatriques et addictologiques.

La prévention repose sur une évaluation fine des facteurs de risque, et une contractualisation personnalisée du suivi. Toute addiction nécessite une évaluation spécialisée de la douleur rési- duelle. L’addictologie est nécessaire au traite- ment psychosocial, voire pharmacologique.

On définit par “antalgiques opioïdes”, les agonistes des récepteurs du même nom ayant reçu une indication dans le traitement de la douleur. Aux États-Unis, les problématiques addictologiques avec ces molécules ont abouti à une situation qualifiée d’épidémique, avec une envolée des prescriptions d’opioïdes forts, et certaines années, le nombre de décès liés à ces molécules qui a dépassé celui des décès liés à l’héroïne (1). En France, les premières données disponibles montrent que ces problé- matiques pourraient concerner entre 1 et 4 % des patients (2, 3). Il est important que les profes- sionnels de l’addictologie soient familiers avec ces situations, qui présentent des similitudes, mais aussi de vraies différences avec les troubles d’usage des opiacés illicites. Récemment, un collectif de médecins addictologues et médecins de la douleur s’est réuni pour proposer un guide simple d’évaluation, de prévention, et de prise en charge de ces situations (4). Une synthèse de cet article de recommandations est présentée ici.

DÉFINITIONS

ET SITUATIONS PRATIQUES

De façon simplifiée, il existe deux types de tableaux très distincts mais parfois coexis- tants (figure 1) : le mésusage et la dépendance pharmacologique. Le mésusage d’opioïdes de prescription (MOP) correspond à un usage inap- proprié de l’opioïde, c’est-à-dire des surdosages, chevauchements d’ordonnance, ou compor- tements de Doctor Shopping. Même si une pratique de MOP ne signe pas en soi une addic- tion caractérisée, elle s’en rapproche souvent dans les faits. Il existe des cas particuliers où les comportements de MOP ne traduisent pas

un comportement addictif mais un problème de douleur non stabilisée. On parle alors de pseudo-addiction. Ces situations doivent être évoquées après expertise conjointe avec un médecin de la douleur. À côté des comporte- ments de MOP, une prescription de plus de quelques semaines est susceptible d’induire

une dépendance pharmacologique à l’opioïde (DOP), c’est-à-dire une tolérance associée à des signes plus ou moins marqués de sevrage en cas d’arrêt du traitement. Même s’il s’agit de critères cliniques habituellement considérés comme associés à une addiction, dans le cadre d’un traitement chronique, ces signes ne sont Figure 1. Mésusage et dépendance pharmacologique aux opioïdes antalgiques.

Situation 1 : prescription appropriée avec suivi des recommandations du résumé des caractéristiques du produit (RCP).

Situation 2 : Dépendance induite par une prescription maintenue au long cours à doses stables, sans comportement de mésusage de la part du patient.

Situation 3 : Dépendance induite par une prescription maintenue au long cours à doses progressive- ment croissantes (phénomène de tolérance), sans comportement de mésusage de la part du patient.

Situation 4 : Dépendance avec comportement de mésusage de la part du patient, en particulier des prises régulièrement inappropriées d’opioïdes.

Situation 5 : Comportement de mésusage sans dépendance pharmacologique.

Temps Dose

5.

4.

3.

2.

1.

(2)

Le Courrier des addictions (20) – Suppl. au n° 1 – janv.-fév.-mars 2018 16 pas forcément pathologiques (5). La DOP peut

toutefois compliquer l’arrêt du traitement opioïde chronicisé.

PRÉVENTION, SURVEILLANCE ET REPÉRAGE

Évaluer les facteurs de risque addictologiques du patient

Si le développement d’une DOP est quasiment inévitable lors d’un traitement chronique, l’appa- rition d’un MOP se voit préférentiellement chez des sujets avec facteurs de risque (figure 2). Le repérage de ces facteurs de risque avant initia- tion du traitement ne doit bien sûr absolument pas empêcher un patient douloureux de recevoir une prescription d’opioïde si elle est indiquée.

Le prescripteur devra veiller à une contractua- lisation et une surveillance plus cadrées de la prescription (voir ci-dessous).

Contractualisation de la prescription et de la surveillance avec le patient Un certain nombre de points doivent être anti- cipés avec le patient, avant l’initiation de la prescription de l’antalgique opioïde (4). Cette anticipation est systématique et concerne tous les patients, même ceux sans facteurs de risque identifiés. Elle doit juste s’appliquer avec plus de rigueur dans ce cas. La contractualisation est basée sur le postulat que tout traitement antal- gique initié est destiné à être arrêté plus ou moins progressivement après disparition de la douleur et de son facteur causal, ou bien en cas de constat d’inefficacité de l’opioïde. Par ailleurs, le repérage de comportements problématique doit être orga- nisé à des points plus ou moins réguliers du suivi, en particulier lorsque la prescription dépasse plusieurs semaines. Cette vigilance doit être plus resserrée pour les patients avec facteurs de risque identifiés. Elle peut se faire à l’aide d’outils tels que le Prescription Opioid Misuse Index (POMI) [6], très utile pour un suivi addictologique simple de la prescription (tableau).

PRINCIPES D’INTERVENTION

Situation de dépendance pharmacologique isolée

Les cas de DOP isolée concernent généralement des patients pour qui le traitement a été prescrit sur une longue durée sans que cela ait amené au développement de MOP. Le sevrage progressif est envisagé en cas de disparition des douleurs, ou bien d’efficacité insuffisante de l’opioïde sur les douleurs. Quelle que soit la raison d’un sevrage progressif en situation de DOP, celui-ci peut être rendu difficile en raison de survenue de signes de sevrage, ou surtout de résurgence

douloureuse. Le sevrage peut être alors étalé sur des semaines ou des mois. Il peut être rendu plus confortable par le relais vers des formes LP ou des molécules à demi-vie longue, voire par des traitements de substitution qui ont l’avantage de nécessiter une prise quotidienne unique.

Situations de mésusage isolé

Les situations de MOP isolé traduisent souvent une recherche d’effets non-médicaux de l’opioïde, ou bien la recherche d’effets sur des symptômes non douloureux itératifs, tels que l’anxiété ou les troubles du sommeil. Ils peuvent également signaler des recrudescences algiques expliquant le MOP. De tels comportements doivent donc nécessiter un état des lieux précis sur le niveau résiduel global des douleurs du patient, mais aussi sur la présence de signes fonctionnels autres, voire de comorbidités psychiatriques insuffisam- ment traitées par ailleurs. La recherche d’autres comportements addictifs, en particulier de mésu-

sage d’autres médicaments, paraît indispensable dans ce cas de figure.

En cas de douleurs itératives, des alternatives ou compléments aux opioïdes, médicamenteux ou non médicamenteux, doivent être recherchés, en partenariat avec un centre de la douleur.

Des alternatives thérapeutiques efficaces peuvent faire disparaître ou fortement dimi- nuer la douleur et le MOP. En cas d’absence de douleurs, la pertinence de la poursuite de l’opioïde doit être questionnée. Ce dernier peut alors être réduit, ou substitué avant cela par un opioïde de longue action.

DÉPENDANCE

ET MÉSUSAGE ASSOCIÉS

Les situations associées de DOP et MOP sont les plus fréquemment rencontrées en services d’addictologie. Souvent, les patients sont Tableau. Version française de l’échelle Prescription Opioid Misuse Index (POMI) [6].

Les items sélectionnés dans cette échelle ont fait l’objet d’une validation en langue anglaise. Ils illustrent les principaux signes cliniques suggérant l’existence d’un mésusage aux opioïdes de prescription : un score de 2 ou plus suggère un risque réel de mésusage aux opioïdes de prescription.

OUI NON 1. Vous arrive-t-il de prendre votre traitement à des doses plus importantes

que celles qui vous sont prescrites ?

2. Vous arrive-t-il de prendre votre traitement plus souvent que ce qui vous est prescrit ? 3. Vous arrive-t-il d’être à court de médicaments pour la douleur ?

4. Vous arrive-t-il de ressentir un effet de “shoot” après la prise de votre traitement antalgique 5. Vous arrive-t-il de prendre votre traitement parce que vous êtes énervé(e),

ou bien pour vous soulager de problèmes sans lien direct avec la douleur ?

6. Vous êtes-vous déjà rendu chez des médecins différents, et notamment aux urgences, à la recherche de prescriptions supplémentaires de traitements antalgiques ?

Figure 2. Facteurs de risque de mésusage d’opioïdes de prescription.

ORIENTATION SYSTÉMATIQUE VERS UNE DOUBLE PRISE EN CHARGE SPÉCIALISÉE ALGOLOGIE / ADDICTOLOGIE

PRISE EN CHARGE DES COMPORTEMENTS ADDICTIFS

• Si antalgie par opioïde maintenue : alternance avec d’autres classes

d’antalgiques opioïdes

• Si antalgie par opioïde non maintenue : tentative de sevrage progressif encadré ou subsitution par TSO selon critères addictologiques

PRISE EN CHARGE DES COMORBIDITÉS

• Comorbidités addictologiques

• Comorbidités psychiatriques : articulation coordonnée

avec suivi psychiatrique

• Problématiques sociales : articulation coordonnée

avec service social MOP/DOP combinés

PRISE EN CHARGE DE LA DOULEUR RÉSIDUELLE

• Si douleur résiduelle, évaluer la pertinence de continuer

l’utilisation d‘opioïdes

• Considérer les alternatives médicamenteuses en fonction

du type de douleur

• Considérer les mesures non-médicamenteuses susceptibles

d’aider le patient, en fonction du type de douleur

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Le Courrier des addictions (20) – Suppl. au n° 1 – janv.-fév.-mars 2018

17 adressés par les CETD eux-mêmes, après échec

des méthodes utilisées dans ces structures, en particulier le relais par opioïdes de longue durée.

Si l’indication d’un traitement de substitution est souvent la règle, celui-ci doit s’accompagner d’une explication claire au patient. Le traitement opioïde n’a plus vocation à soulager la douleur mais à traiter l’addiction, même s’il arrive parfois que les douleurs s’améliorent, d’ailleurs pas toujours pour des raisons pharmacologiques, puisque la prise en charge addictologique peut s’accompagner d’approches psychothérapeu- tiques ou psychosociales utiles.

Comparativement aux stratégies de réduction progressive des doses d’opioïdes, le traitement de substitution a l’avantage d’être centré sur la réduction du craving et d’être plus efficace.

La buprénorphine est préférée en l’absence de douleurs résiduelles en raison de la simplicité de sa prescription, un faible risque de mésu- sage oral et un risque quasi nul d’overdose sauf en en cas d’association à d’autres substances psychoactives En cas de douleurs résiduelles,

comme dans les situations précédentes, des alternatives non opioïdes doivent être recher- chées avec le médecin de la douleur. Dans tous les cas, une préparation à la prise en charge addictologique est nécessaire. Une interaction étroite de la prise en charge avec le médecin trai- tant, le pharmacien, et si nécessaire, un médecin de la douleur, est primordiale pour le succès global du traitement (4).

CONCLUSION

Les situations de MOP sont des problématiques complexes qui nécessitent toujours au moins un double avis, voire un double suivi, de la part d’un médecin de la douleur et d’un spécialiste des addictions. Toute prescription d’antalgique opioïde de plus de quelques semaines doit nécessiter une prescription adaptée aux facteurs de risque du patient et une anticipation de l’arrêt du traitement, en cas d’efficacité comme d’inefficacité.

Références bibliographiques

1. Dart RC, Surratt HL, Cicero TJ et al. Trends in opioid analgesic abuse and mortality in the United States.

N Engl J Med 2015;372:241-8.

2. Chenaf C, Kabore JL, Delorme J et al. Codeine shop- ping behavior in a retrospective cohort of chronic non- cancer pain patients: incidence and risk factors. J Pain 2016;17:1291-1301.

3. Chenaf C, Kabore JL, Delorme J et al. Incidence of tramadol shopping behavior in a retrospective cohort of chronic non-cancer pain patients in France. Pharmaco- epidemiol Drug Saf 2016;25:1088-98.

4. Rolland B, Bouhassira D, Authier N et al. Mésu- sage et dépendance aux opioïdes de prescription : pré- vention, repérage et prise en charge. Rev Med Interne 2017;38:539-546.

5. Brady KT, McCauley JL, Back SE. Prescription opioid misuse, abuse, and treatment in the United States: an update. Am J Psychiatry 2016;173:18-26.

6. Knisely JS, Wunsch MJ, Cropsey KL, Campbell ED.

Prescription opioid misuse index : a brief questionnaire to assess misuse. J Subst Abuse Treat 2008;35:380-6.

L’auteur déclare des liens d’intérêts avec Indivior, Bouchara, Ethypharm et Camurus.

Références

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