R E C O M M A N D A T IO N S
Rubrique dirigée par C. Copin
Médecine
& enfance
La prise en charge de la douleur chez l’enfant a été et continue d’être un défi dans notre pays, où l’on a si longtemps considéré que le nouveau-né et même le nourrisson ne ressentaient pas ou peu les stimulus no- ciceptifs, et que les antalgiques étaient dangereux pour ces organismes fra- giles. Des progrès importants ont été ac- complis au cours des dernières décen- nies. Outre le développement des traite- ments non médicamenteux, notamment l’administration de solution sucrée ou l’hypnose, les antalgiques de palier 2 ont fait leur entrée dans les prescrip- tions, dans et hors l’hôpital, pour des af- fections fréquentes, comme les otites ou les gingivostomatites, les traumatismes ou les brûlures. La codéine s’est ainsi peu à peu imposée, grâce notamment à une galénique pédiatrique adaptée.
Elle était indiquée chez l’enfant à partir de un an dans les douleurs d’intensité modérée à intense ou ne répondant pas à l’utilisation d’antalgiques de palier 1 utilisés seuls. Pourtant, signale la HAS, les données de la littérature sur les an- talgiques de palier 2 dans les douleurs aiguës ORL, la chirurgie ambulatoire et certaines fractures étaient pauvres, et
leur supériorité par rapport aux antal- giques de palier 1 non démontrée dans bon nombre de ces indications. Leur uti- lisation s’était pourtant largement déve- loppée malgré ces incertitudes et leur métabolisme aléatoire.
DES ACCIDENTS CHEZ LES MÉTABOLISEURS RAPIDES
En effet, comme le rappelle la HAS, le principal métabolite actif de la codéine est la morphine, produite par activité du cytochrome P450 2D6 (CYP2D6). Du fait du polymorphisme génétique du CYP2D6, cette métabolisation produit une quantité variable de morphine, de trop faible chez les « métaboliseurs lents » à trop importante chez les « métaboli- seurs rapides ou ultra-métaboliseurs ».
Des questions sur la sécurité de la co- déine en pédiatrie ont surgi dès 2010.
Le risque d’insuffisance respiratoire après chirurgie ORL, principalement amygdalectomie, a été signalé aux Etats-Unis, où un très faible nombre de cas graves, voire mortels, ont été rap- portés chez des enfants « métaboliseurs
Alternatives à la codéine : les recommandations
de la Haute Autorité de santé
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Depuis 2013, la codéine est contre-indiquée avant l’âge de douze ans, et son utilisation chez l’enfant plus grand est très encadrée. Quel antalgique lui substi - tuer ? C’est à cette question que répond de façon didactique et complète la Haute Autorité de santé (HAS), qui insiste notamment sur l’intérêt de l’ibupro- fène, dès l’âge de trois mois, pour la prise en charge des douleurs modérées à intenses, alors que le paracétamol reste l’antalgique de première intention pour les douleurs aiguës faibles à modérées [1]. En cas d’efficacité insuffisante en monothérapie, ces deux molécules doivent être administrées en association et non en alternance, précise la HAS, qui passe également en revue les indica- tions et les modes d’administration des autres antalgiques susceptibles d’être proposés en alternative à la codéine.
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rapides ». Suite à cette alerte, le Comité européen de la pharmacovigilance a mis en œuvre, en novembre 2012, une réévaluation des médicaments à base de codéine utilisés comme antalgiques chez l’enfant, étude qui a conclu à la né- cessité de restreindre leurs indications.
L’ANSM a alors, dès avril 2013, recom- mandé de ne plus utiliser ce produit chez les enfants de moins de douze ans.
Chez l’enfant plus grand, sa prescrip- tion a été limitée aux échecs du paracé- tamol et/ou d’un anti-inflammatoire non stéroïdien (AINS), et son utilisation contre-indiquée après amygdalectomie ou adénoïdectomie. Depuis 2013, la co- déine est également contre-indiquée chez la femme qui allaite.
LES ANTALGIQUES DE PALIER 1 EN MONO- OU BITHÉRAPIE
Suite à ces nouvelles recommandations, la HAS a réalisé, à la demande de la Di- rection générale de la santé, une éva- luation des alternatives à la codéine dans la prise en charge de la douleur ai- guë et prolongée chez l’enfant, au terme de laquelle a été élaborée une fiche mé- mo pour guider le praticien dans les si- tuations cliniques les plus fréquentes.
Ce document de synthèse précise l’en- semble des molécules disponibles, leurs indications et leurs posologies (voir ta- bleau I et II), en excluant les traitements non pharmacologiques et les situations de douleur induite par les soins ou re- quérant de la morphine IV d’emblée, ainsi que les douleurs neuropathiques.
Des enquêtes aux urgences pédiatriques et auprès de pédiatres de ville ont per- mis d’identifier les situations qui posent le plus de problèmes depuis le retrait de la codéine : ce sont les douleurs post- opératoires au retour à domicile (en particulier après amygdalectomie, her- nie inguinale, orchidopexie, posthecto- mie, chirurgie orale et mise en place de dispositif orthodontique), les urgences traumatologiques, les brûlures, les dou- leurs abdominales aiguës et les dou- leurs ORL (otite moyenne et externe ai-
guë, rhinosinusite, pharyngite, mucite, en particulier gingivostomatite de type herpétique).
Le paracétamol est recommandé en pre- mière intention dans les douleurs faibles à modérées, et l’ibuprofène dans la plu- part des douleurs aiguës modérées à in- tenses. Dans certaines situations comme la traumatologie et pour certaines dou- leurs postopératoires, les AINS ont mon- tré une efficacité supérieure aux antal- giques de palier 2, voire 3, contraire- ment à l’idée implicite induite par la clas- sification de l’OMS, souligne la HAS.
Rappelons, comme le spécifient les RCP, que les AINS sont contre-indiqués en cas d’insuffisance rénale, hépatique
ou cardiaque sévère, d’antécédents d’hémorragie ou de perforation digesti- ve au cours d’un précédent traitement par AINS, d’hémorragie gastro-intesti- nale ou cérébrovasculaire et d’ulcéra- tion gastroduodénale. En dehors de ces contre-indications, seules certaines si- tuations particulières doivent rester l’objet de précautions : la varicelle, les infections sévères et la déshydratation.
En France, la peur de l’utilisation des AINS est forte et en grande partie in- fondée, estiment les experts. En effet, en prescription de courte durée (48 à 72 h) aux posologies recommandées (20 à 30 mg/kg/j) et bien sûr en res- pectant ses contre-indications, cette Médecine
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mai-juin 2016 page 148 Tableau I
Données pharmacologiques concernant les molécules alternatives à la codéine
Palier 1 Paracétamol
Ibuprofène
Palier 2 Tramadol
Palier 3 Morphine (2)
IV : intraveineuse. IR : intrarectale. LP : libération prolongée. LI : libération immédiate.
(1) En LI, posologie prescrite et augmentée en fonction de la douleur, en principe au maximum 400 mg/j.
(2) Doses initiales chez un enfant naïf de morphine. L’adaptation des posologies se fait ensuite selon la douleur, avec des augmentations de 50 %/24 h (et jusqu’à 100 %/24 h pour des prescripteurs expérimentés), sans dosage maximal, la posologie à atteindre étant celle qui soulage la douleur sans entraîner d’effets indésirables gênants.
(3) En cas de douleur très intense et en fonction de la situation clinique.
Posologie
60 mg/kg/j en 4 prises (max. 80 mg/kg/j)
20 à 30 mg/kg/j en 3 ou 4 prises (max. 400 mg/prise)
LI : 1 (à 2) mg/kg/prise toutes les 6 à 8 h (1)
(max. 100 mg/prise) LP : 1 prise toutes les 12 h
Posologie initiale de 0,2 mg/kg/prise 6 fois par jour (max. 20 mg) et de 0,1 mg/kg/prise pour les moins de 1 an
Dose de charge (3)
de 0,4 à 0,5 mg/kg (max. 20 mg)
Voie
Orale ou IV Voie IR non recommandée du fait de sa mauvaise absorption
Orale
Orale
Orale (voie IV non détaillée ici)
Galénique
Comprimés, comprimés oro- dispersibles, gélules, sirop, sachets, ampoules IV et suppositoires Comprimés, comprimés oro- dispersibles et sirop
Gouttes et comprimés
Comprimés et gélules LI, gouttes et pipettes mono- doses
(formes LP non détaillées ici)
AMM
Dès la naissance
3 mois
3 ans : gouttes 12 ans : comprimés LP 15 ans : comprimés LI Voie orale : 6 mois (usage hors AMM dès la naissance) 09 mai16 m&e recos codéine 13/06/16 17:30 Page148
classe thérapeutique n’expose qu’à très peu de complications. D’après des études de cohortes portant sur plu- sieurs dizaines de milliers d’enfants, le profil de sécurité de l’ibuprofène est
comparable à celui du paracétamol. Les effets indésirables les plus fréquents sont gastro-intestinaux, surtout en cas de posologie élevée et de traitement prolongé.
L’ibuprofène est la molécule de choix chez l’enfant. Un rapport de l’OMS de 2012 précise qu’« aucun autre AINS n’a été suffisamment étudié en pédiatrie, en termes d’efficacité et de sécurité, Médecine
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mai-juin 2016 page 149 Tableau II
Propositions en cas de douleur aiguë chez l’enfant dans différentes situations cliniques à l’hôpital et au domicile (1)(les situations de douleur aiguë induite par les soins ou requérant d’emblée de la morphine IV, telles que les brûlures étendues, sont exclues).
Les indications thérapeutiques dans les douleurs prolongées et/ou chroniques, ainsi que des exemples de prescription peuvent être consultés sur le site de la HAS.
Douleur modérée Douleur intense
Douleur postopératoire
Amygdalectomie – sans SAOS Association paracétamol-ibuprofène (2) Association paracétamol-ibuprofène (2)
+ tramadol ou morphine orale
– pour SAOS Association paracétamol-ibuprofène (2) Réévaluer avec hospitalisation éventuelle pour analgésie morphinique en surveillance continue
Hernie inguinale (1) Paracétamol Avis spécialisé car douleur intense inhabituelle
Orchidopexie (1) Association paracétamol-ibuprofène Avis spécialisé car douleur intense inhabituelle pendant 48 h, puis à la demande
Chirurgie du prépuce (1, 3) Association paracétamol-ibuprofène Réévaluer et si besoin tramadol ou morphine orale
Chirurgie orale et mise en place Ibuprofène Association paracétamol-ibuprofène (4)
de dispositif orthodontique Douleur aux urgences
Traumatologie (1) Paracétamol ou ibuprofène Association ibuprofène-tramadol
(fractures, entorses) ou association des 2 ou association ibuprofène-morphine orale
Douleurs suspectes d’un abdomen chirurgical Paracétamol Morphine IV
Brûlures non étendues et sans signes de gravité Association paracétamol-ibuprofène (5) Tramadol ou morphine orale Infections ORL
Otite externe aiguë Traitement local Traitement local (antibiotiques + anesthésique) (6)
(antibiotiques + anesthésique) (6) associé à du paracétamol et de l’ibuprofène (5)
Otite moyenne aiguë Association paracétamol-ibuprofène (5) Réévaluer et si besoin tramadol ou morphine orale (7)
Pharyngite Paracétamol ou ibuprofène (5) Association paracétamol-ibuprofène (4, 5)
Stomatites
Mucite en oncologie Tramadol ou morphine orale Analgésie multimodale en hospitalisation Gingivo-stomatite Association paracétamol-ibuprofène (5) Tramadol ou morphine orale (8)
SAOS : syndrome d’apnées obstructives du sommeil. IV : intraveineuse.
(1) Importance de l’anesthésie locorégionale. (2) L’association paracétamol-corticoïde peut également être proposée mais reste à être évaluée. (3) Hors nouveau-né. (4) En cas d’odynophagie sévère, tramadol ou morphine (la prescription sous forme de gouttes permet un soulagement et une reprise de l’alimentation orale, mais si l’odynophagie persiste, une nouvelle évaluation clinique à la recherche de complications est justifiée). (5) En prescription courte pendant 48 à 72 heures. (6) En l’absence de perforation tympanique. (7) Discuter de l’indication de paracentèse. (8) Hospitalisation en cas d’échec.
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pour être recommandé comme une al- ternative à l’ibuprofène » [2].
En cas d’insuffisance d’efficacité du pa- racétamol seul ou de l’ibuprofène seul, leur association, et non leur alternance, est recommandée.
LA MORPHINE POUR LES DOULEURS INTENSES D’EMBLÉE
Le tramadol est indiqué à partir de trois ans, mais son métabolisme passe en par- tie, comme la codéine, par le cytochro- me P450 2D6. Cet antalgique de palier 2 expose donc également au risque d’évé- nements indésirables graves, et son uti- lisation doit être prudente. La question de sa prescription chez le jeune enfant pourrait être posée…
La morphine orale, antalgique de pa- lier 3, est donc la molécule de choix pour la prise en charge des douleurs intenses.
Elle est indiquée à partir de six mois, mais elle est utilisée hors AMM dès la naissance dans certaines situations. Le traitement doit être commencé à faibles doses (0,1 mg/kg/prise) et sous sur- veillance pendant au moins une heure, surtout lors de la première administra- tion. La HAS souligne toutefois la néces- sité de disposer de formes galéniques de morphine mieux adaptées, en particulier pour les enfants les plus jeunes et pour les traitements de courte durée.
DES ALTERNATIVES À ÉTUDIER
La HAS signale deux autres alterna- tives : la nalbuphine à partir de dix mois, utilisée par voie intraveineuse en milieu hospitalier, mais dont la voie ora- le, non disponible à ce jour, pourrait être intéressante en raison de sa bonne tolérance respiratoire, et l’oxycodone,
qui a fait l’objet d’études en pédiatrie, mais qui n’a pas d’AMM chez l’enfant dans notre pays.
POUR CONCLURE
Les experts soulignent l’importance de l’information des familles, mais aussi des praticiens et des pharmaciens, pour garantir les conditions optimales de pri- se en charge de la douleur chez l’enfant, en raison de la fréquence des sous-do- sages des antalgiques tant en terme de posologie que de nombre de prises. 첸
L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.
Références
[1] HAS : « Prise en charge médicamenteuse de la douleur chez l’enfant : alternatives à la codéine », fiche mémo, janvier 2016, www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2016- 02/prise_en_charge_medicamenteuse_de_la_douleur_chez_lenf ant_alternatives_a_la_codeine_-_fiche_memo.pdf.
[2] World Health Organization : « WHO guidelines on the phar- macological treatment of persisting pain in children with medical illnesses », 2012, http://whqlibdoc.who.int/publications/2012/
9789241548 120_Guidelines.pdf.
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10 NOVEMBRE 2016
AMPHITHÉÂTRE DU BÂTIMENT IMAGINE, HÔPITAL NECKER, 75015 PARIS
2e Congrès ECHANGE
(ECHANGE DE CONSENSUS HOPITAL-AMBULATOIRE EN NUTRITION, GASTROENTEROLOGIE ET HEPATOLOGIE)
du Groupe francophone d’hépato-gastroentérologie et nutrition pédiatriques (GFHGNP) sous la présidence de M. Bellaïche
DPC proposé par l’AFPA et le GFHGNP
Le petit enfant qui ne mange pas (M. Bellaïche et B. Dubern)
Prix :120 euros ; internes et chefs de clinique : 60 euros
Inscriptionpar email (paiement par chèque) : developpeur.gfhgnp@gmail.com
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