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Quand les morceaux ne passent pas : quel bilan chez l'enfant ?

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Academic year: 2022

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Médecine

& enfance

C hez le nourrisson, la succion- déglutition est une fonction ré- flexe qui apparaît dès la vie fœ- tale. La diversification alimentaire né- cessite un apprentissage des praxies ali- mentaires, avec un temps buccal qui devient volontaire sous contrôle corti- cal. Les périodes optimales d’introduc- tion de nouvelles textures correspon- dent à des périodes dites « sensibles » lors desquelles l’enfant est en mesure de mettre en place ces praxies avec un minimum d’effort : entre quatre et six mois pour le passage à la cuillère et à partir de un an pour l’introduction des morceaux. La maturation de ces praxies se fait progressivement jusqu’à six ans.

La mastication mature comprend des mouvements d’ouverture, de fermeture et de diduction de la mâchoire, ainsi que des mouvements sinusoïdaux de la langue. Cet apprentissage s’intègre dans le développement global de l’en- fant, en particulier psychomoteur, avec contrôle de plus en plus fin des coordi- nations main-bouche et posturales. La

découverte de nouvelles textures et de nouveaux aliments peut cependant être difficile pour l’enfant à partir de deux ans, du fait d’une néophobie alimentai- re physiologique qui peut persister jus- qu’à six ans.

De plus en plus d’enfants sont vus en consultation pour des difficultés à man- ger des morceaux. Les causes sont mul- tiples, souvent imbriquées, allant d’étio- logies organiques à des causes psycho- gènes (voir tableau). Il est fondamental de

De plus en plus d’enfants présentent des difficultés pour accepter et manger des morceaux. Derrière ce symptôme se cachent des réalités physiopathologiques variées dont va dépendre la prise en charge : causes organiques anatomiques, immaturité de la mastication et problème de coordination, trouble de la sensibilité (hypersensibilité sensorielle avec réflexe hypernauséeux, hyposensibilité), trouble du comportement alimentaire avec ou sans sélectivité. Ces causes peuvent s’associer les unes aux autres. Le bilan s’attache à com- prendre les différents mécanismes sous-jacents pour adapter la prise en charge à chaque enfant et à chaque famille. Le contexte et l’anam- nèse sont primordiaux pour guider la suite des investigations. L’éva- luation clinique est multidisciplinaire, orthophonique et ORL. Elle peut comporter une nasofibroscopie avec essai alimentaire et être complétée par une vidéofluoroscopie de déglutition et une manomé- trie œsophagienne haute résolution.

Quand les morceaux ne passent pas : quel bilan chez l’enfant ?

C. Blanchet, M. Lathuillière, M. Mondain,département d’ORL et de chirurgie maxillo-faciale, hôpital Gui-de-Chauliac, CHU de Montpellier

décembre 2016 page 323

Etiologies des difficultés d’acceptation des morceaux chez l’enfant

Etiologies organiques anatomiques obstructives ou fonctionnelles

Gingivites, caries multiples Troubles de l’articulé

dentaire Hypertrophie

amygdalienne

Sténose pharyngée (post- caustique)

Sténose œsophagienne Trouble du péristaltisme

œsophagien, antécédent d’atrésie de l’œsophage Dysfonction du sphincter

supérieur de l’œsophage

Immaturité des praxies, problèmes de coordination, problèmes neurologiques Immaturité de la

mastication et des praxies bucco-faciales sans cause neurologique avérée (retard d’acquisition) Problème de coordination

bucco-pharyngée et œsophagienne

Problème de coordination main-bouche

Trouble du tonus sensorimoteur

Maladies neuromusculaires (myopathies, myasthénie, paralysie cérébrale, etc.)

Problème d’intégration sensorielle

ou comportemental Trouble de la sensibilité

(hypersensibilité sensorielle avec réflexe hypernauséeux, hyposensibilité)

Trouble du comportement alimentaire avec sélectivité en texture pathologique 07 déc16 m&e morceaux 22/12/16 17:36 Page323

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bien comprendre les mécanismes impli- qués pour proposer une prise en charge adaptée. L’un des premiers éléments à faire préciser est le moment de surve- nue des difficultés : s’agit-il d’une diffi- culté récente chez un enfant qui n’avait pas de problème jusque-là (en cas d’hy- pertrophie des amygdales par exemple) ou d’un enfant qui n’a jamais réussi à manger de morceaux. En effet, les diffi- cultés d’acceptation des morceaux s’ins- crivent souvent dans un continuum de difficultés alimentaires que les parents (et les soignants) n’avaient pas forcé- ment repérées (problèmes d’oralité chez le prématuré avec hypersensibilité sensorielle par exemple).

BILAN CLINIQUE

Une consultation multidisciplinaire est la démarche la plus efficace pour évaluer les troubles de déglutition du jeune en- fant. Le minimum requis est une consul- tation ORL et un bilan orthophonique, si possible réalisés conjointement.

ANAMNÈSE

L’anamnèse, fondamentale, permet de comprendre le contexte. Cette anamnèse recherche :

les antécédents familiaux (troubles des conduites alimentaires) ;

les antécédents anténatals et périna- tals (terme, déroulement de l’accouche- ment, nécessité de ventilation méca- nique et/ou d’alimentation entérale, notamment chez le prématuré) ;

les antécédents médicaux et chirurgi- caux pouvant être à l’origine de difficul- tés alimentaires (antécédents cardiaques, malformation digestive).

Le déroulement initial des prises alimen- taires est étudié (modalités de l’allaite- ment et des tétées). L’âge de la diversifi- cation (âge d’introduction de la cuillère, puis des morceaux) est noté (périodes sensibles respectées ?). Les textures ac- tuellement acceptées sont analysées (sé- lectivité ?), ainsi que le déroulement du repas (installation, personne référente faisant manger l’enfant, etc.).

La présence de fausses routes est re- cherchée (fausse route à la salive, aux

liquides ou aux morceaux avec antécé- dent de blocage alimentaire), ainsi que l’existence d’une dysphagie (gêne au passage pharyngé et œsophagien des morceaux).

Enfin sont abordés :

le vécu parental face à ces difficultés d’alimentation de l’enfant (peur panique d’étouffement et éviction de tout mor- ceau, sentiment d’incompétence, etc.) ;le retentissement sur la vie sociale de la famille (difficulté de mise en col- lectivité du fait de l’absence de prise de morceaux, projet d’accueil indivi- dualisé, etc.).

PREMIER TEMPS DU BILAN ORTHOPHONIQUE

Le bilan orthophonique débute par une phase d’observation du comportement de l’enfant vis-à-vis de sa bouche : suc- cion du pouce, d’une tétine, etc. Il re- cherche la persistance anormale des ré- flexes oraux archaïques, la présence d’un réflexe nauséeux trop marqué ou trop antérieur, ainsi que d’autres hyper- sensibilités sensorielles (tactiles, olfac- tives, auditives ou visuelles). Il fait une analyse des praxies bucco-labio-faciales et verbales, puis s’intéresse au tonus et à la motricité, et recherche des particu- larités tonico-posturales. La déglutition salivaire (bavage ?), le mode de respira- tion (nasal ou buccal) et la posture lin- guale de repos sont observés.

EXAMEN ORL

Eléments morphotypiques, paires crâ- niennes et flux nasal sont analysés. La cavité buccale est inspectée : articulé dentaire, état bucco-dentaire, volume et mobilité de la langue, brièveté du frein de langue, intégrité du palais dur et du voile du palais, présence d’une hyper- trophie amygdalienne gênant le passa- ge des morceaux et présence de salive dans la cavité buccale.

L’examen se poursuit par une nasofibro- scopie, sans puis avec essai alimentaire si possible, dans un environnement sé- curisé (matériel d’aspiration préparé, ballon pour oxygénation avec masque facial adapté à l’âge de l’enfant à dispo- sition). Un jeûne de deux heures est

préférable pour éviter toute régurgita- tion ou tout vomissement lors de l’exa- men. Des nasofibroscopes pédiatriques de moins de 3 mm de diamètre sont ac- tuellement disponibles, permettant de réaliser un examen atraumatique et non douloureux. Le plus désagréable est le passage des fosses nasales.

La nasofibroscopie est réalisée l’enfant assis sur les genoux d’un parent, afin de pouvoir proposer un essai alimentaire en fin d’examen. Cet examen permet d’analyser la filière aéro-digestive, des fosses nasales au larynx. Il permet de rechercher un obstacle anatomique, une malformation, une inflammation (signes indirects de reflux pharyngo- laryngé), un trouble de la mobilité vé- laire ou laryngée et la présence de stases de salive ou de sécrétions pha- ryngées. La qualité de la déglutition de la salive est observée. La sensibilité pha- ryngée peut être analysée en touchant la paroi pharyngée postérieure si les cir- constances le permettent.

Pour compléter l’examen, un essai ali- mentaire est proposé [1, 2]. Cependant, cet essai est contre-indiqué en cas de problème de vigilance ou de troubles de la déglutition sévères avec fausses routes salivaires et stases.

Dans les cas favorables, plusieurs tex- tures peuvent être essayées : liquides, li- quides épaissis, aliments mixés, voire morceaux, mais uniquement chez les en- fants très coopératifs qui comprennent l’examen. Pour une meilleure analyse, les liquides utilisés sont colorés (lait, colo- rant alimentaire ajouté à de l’eau, etc.).

Plusieurs contenants peuvent également être utilisés (seringue, verre, cuillère, paille pour les liquides). L’orthophoniste gère la proposition des aliments et sur- veille le temps buccal, en se plaçant à hauteur de l’enfant. Si la déglutition est correcte, avec une bonne coordination oro-bucco-pharyngée, le passage de l’ali- ment n’est pas visible au moment du temps pharyngé de la déglutition, et c’est par l’existence d’une stase résiduelle ou la présence de colorant au niveau des cordes vocales que des fausses routes peuvent être suspectées. Un défaut de continence de l’isthme vélo-pharyngé Médecine

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pendant le temps buccal préparatoire peut être mis en évidence par la visualisa- tion de l’aliment dans les vallécules avant que la propulsion linguale ait lieu. La co- ordination entre le temps buccal et le temps pharyngé peut être étudiée.

FIN DU BILAN ORTHOPHONIQUE : OBSERVATION D’UNE PRISE DE REPAS

Selon le résultat de la nasofibroscopie, une observation de prise alimentaire peut terminer le bilan. Différentes tex- tures sont là aussi proposées, en lais- sant si possible un choix d’aliments à l’enfant. L’orthophoniste évalue les ca- pacités masticatoires lors du temps buc- cal : capacité à réaliser des mouvements latéraux sinusoïdaux de langue pour transporter le bol alimentaire, indépen- dance des mouvements de la langue et de la mâchoire, présence de mouve- ments parasites, etc. La propulsion est également analysée (sphinctérisation avec occlusion labiale et dentaire, ap- puis linguaux), ainsi que l’ascension du larynx lors de la déglutition, la présence d’une toux et la clairance buccale après la déglutition. Les capacités de coordi- nation main-bouche et les difficultés posturales sont également notées.

SYNTHÈSE DE LA CONSULTATION Au terme de cette évaluation, une syn- thèse est donnée aux parents sur les

mécanismes des troubles, la nécessité ou non de bilans complémentaires. Des conseils sont donnés pour adapter l’ali- mentation aux possibilités de l’enfant, et une prise en charge multidisciplinai- re est souvent proposée.

VIDÉOFLUOROSCOPIE DE DÉGLUTITION ET AUTRES EXAMENS COMPLÉMENTAIRES

L’examen nasofibroscopique de dégluti- tion analyse mal la sous-glotte et pas du tout la trachée ni l’œsophage. De plus, certaines fausses routes peuvent être difficiles à voir.

Une vidéofluoroscopie de déglutition peut compléter l’examen ORL. Cet exa- men radiologique nécessite une équipe formée, acceptant de positionner l’en- fant dans une posture compatible avec la prise alimentaire. Des aliments de différentes textures, mélangés à de la baryte, peuvent être proposés dans dif- férents contenants. Cet examen analyse la dynamique du carrefour pharyngo- laryngé et peut visualiser tous les types de fausses routes. Le temps œsophagien est également accessible, avec analyse de la motricité (défaut d’ouverture du sphincter supérieur de l’œsophage, trouble de synchronisation pharyngo-

œsophagien, achalasie). Des signes de compression de l’œsophage (malposi- tion vasculaire), de communication anormale trachéo-œsophagienne (fistu- le), de malposition du cardia ou de l’es- tomac et de reflux gastro-œsophagien sont recherchés [3].

La manométrie œsophagienne haute ré- solution, réalisable dès la première année de vie par certaines équipes, peut égale- ment être très utile pour analyser les troubles œsophagiens (anomalie du péri- staltisme, dysfonction du sphincter supé- rieur de l’œsophage, achalasies, etc.) [4, 5].

CONCLUSION

Les difficultés pour manger des mor- ceaux sont fréquentes chez l’enfant, mais peuvent être dues à des méca- nismes physiopathologiques très variés qui s’imbriquent les uns avec les autres.

Comprendre ces mécanismes est fonda- mental pour proposer une prise en char- ge adaptée. L’évaluation est tout d’abord clinique, multidisciplinaire, associant un bilan orthophonique et un examen ORL incluant une nasofibroscopie avec essai alimentaire. Une vidéofluoroscopie de déglutition, voire une manométrie œso- phagienne haute résolution peuvent compléter le bilan clinique.

C. Blanchet déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.

M. Lathuillière et M. Mondain n’ont pas précisé leurs éventuels liens d’intérêts.

Médecine

& enfance

décembre 2016 page 325 Références

[1] HARTNICK C.J., HARTLEY B.E., MILLER C., WILLGING J.P. :

« Pediatric fiberoptic endoscopic evaluation of swallowing », Ann. Otol. Rhinol. Laryngol.,2000 ; 109 :996-9.

[2] SITTON M., ARVEDSON J., VISOTCKY A. et al. : « Fiberoptic

endoscopic evaluation of swallowing in children : feeding out- comes related to diagnostic groups and endoscopic findings », Int. J. Pediatr. Otorhinolaryngol.,2011 ; 75 :1024-31.

[3] ST PIERRE A.E., REELIE B.A., DOLAN A.R. et al. : « Terms used to describe pediatric videofluoroscopic feeding studies : a Delphi survey », Can. J. Occup. Ther.,2012 ; 79 :159-66.

[4] GOLDANI H.A., STAIANO A., BORRELLI O. et al. : « Pediatric

esophageal high-resolution manometry : utility of a standardized protocol and size-adjusted pressure topography parameters », Am. J. Gastroenterol.,2010 ; 105 :460-7.

[5] SINGENDONK N.M., KRITAS S., COCK C. et al. : « Applying the Chicago Classification criteria of esophageal motility to a pe- diatric cohort : effects of patient age and size », Neurogastroen- terol. Motil.,2014 ; 26 :1333-41.

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