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Une vraie jeune fille

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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Une vraie jeune fille

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DU MÊME AUTEUR

L'Homme facile, Christian Bourgois, 1968 Le Silence après...,

Éditions François Wimille, 1970 Les Vêtements de la mer, Éditions François Wimille, 1971

Tapage nocturne, Le Mercure de France, 1979

Police, Albin Michel, 1985 36Fillette, Éditions Carrère, 1987 Le Livre du plaisir, Éditions n° 1, 1999

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Catherine Breillat Une vraie jeune fille

ROMAN

DENOËL

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En application de la lot du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement

le présent ouvrage sans l'autorisation de l'éditeur ou du Centre français d'exploitation du droit de copie.

Une première version de ce livre est parue en 1974 sous le titre Le Soupirail

aux Éditions Guy Authier

© 2000, by Éditions Denoël 9, rue du Cherche-Midi, 75006 Paris

ISBN 2.207.25086.5 B 25086.9

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Qui guette à travers le soupirail le bruit continu et mécanique pas un sanglot une menace. Mais laquelle. Qui a ourdi qui la prend entre ses dents comme brûlure de son indécence native. Le vent ce magicien au masque de mots. Ou plutôt la vitesse, une vitesse qui ne servait à rien mais aspi- rait les poils soyeux comme de la salade frisée et, avec eux, l'assaisonnement vomi de cette bouche. Elle n'avait pas encore très bien inventorié comment elle était, quelle sorte d'amygdales. Au reste cela n'avait pas d'importance. Elle était entra- vée. Une culotte d'interlock blanc entou-

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rait ses chevilles et reposait mollement sur ses pieds chaussés de mocassins plats.

Son regard se portait sur le loquet qui était fermé mais on ne peut être sûr de rien et avec le paysage défilant sous la cuvette où, les jambes écartée, la rose luisante s'ouvrait spasmodiquement sur les tiédeurs fétides, tout cela prenait les proportions hallucinantes, plaisir, honte, ennui.

Or il était trois heures de l'après-midi et la jeune fille se livrait non sans contrainte à son habituelle défécation dont la préci- sion ponctuelle de onze heures avait été quelque peu dérangée par la perspective somme toute glorieuse d'un voyage en train, de Grandes Vacances, mais hélas elle les devait passer dans le sein hébété de sa famille, dans une ferme où l'air était bon mais où les rêves étaient le seul remède et elle rêve trop. Ceci est sanguinaire.

Le temps n'est pas venu. Ses sphincters lui semblèrent atrocement gercés et sur-

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tout, elle violée par le vide et le fait que l'on a toujours une sorte d'appréhension de ne point reposer sa matière fécale ni l'entendre tomber avec ce bruit sourd qui prouve qu'on en a pris bien soin et qu'elle ne vous en veut pas. Mais la cuvette d'émail percée, et l'autre plus haut. Alice, entre les deux, accroupie, sucée, excrémentielle.

Elle était encore très jeune et revenait du collège par un train qui, contournant les montagnes, s'arrêtait partout. Il était inter- dit d'utiliser les toilettes à ces moments.

Personne cependant n'aurait songé à cou- rir derrière le train pour débusquer la cou- pable. Il n'y a aucune logique. Obéir vient d'ailleurs d'un sentiment très personnel de possession, d'identification avec sa merde qui peut-être était une très légère altération de la raison.

Elle eut peur vaguement floue, imaginant l'ocre envolée sur la route, il lui sembla que quelqu'un était ligoté sur les rails et la

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recevait dans la bouche. Mais non, il ne pouvait s'agir de personne que le redou- table colosse qui la suivait partout et dont les mines de chien hagard ne devaient pas faire oublier qu'un jour, la terreur devait s'en répandre en elle en cette couleur fade et blanche qui a la caractéristique de vous faire mourir et qu'on appelle et qu'on appelle puis le clapet de métal s'est remis de son sourire niais lavé par l'eau en trombe comme elle venait machinalement de tirer la chaîne suspendue à laquelle man- quait sa poignée de porcelaine.

Elle resta un moment imperceptible encore dans l'attirail ridicule des jupes rele- vées et du cul nu, derrière la porte plu- sieurs voyageurs s'étaient installés sur leurs valises, cela depuis le début du trajet car outre la fin de l'année scolaire qui provo- quait le rush habituel sur les wagons de deuxième classe, il y avait aussi un contin- gent très important de militaires. Ceux-ci

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ont toujours eu des manières qui s'accor- dent mal avec le besoin angoissant de res- pect. Respect à l'intérieur de soi. D'ordi- naire, les palpitations lui courent le long du corps, preuves désespérantes, sensuelles, de son indignité.

Sa merde derrière elle, bien vite elle n'y pensa même plus aussitôt qu'elle se fut rhabillée : elle avait remonté sa culotte jus- qu'à ce que la ceinture élastique ait enserré tant bien que mal sa taille de sorte d'être susceptible de tenir et que personne ne la suspecte.

Un coup d'ceil à la glace lui avait montré son apparence crasseuse et ses doigts, posés délicatement sous ses narines lui révélèrent à quel point elle avait pu être peu soigneuse dans l'usage du papier-soie d'ailleurs plutôt ficelle; cependant elle renonça à utiliser le lavabo d'angle, n'ayant plus qu'un besoin impérieux SORTIR car si elle s'est depuis longtemps accoutumée à

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délivrer sa pisse, se livrant à cela plusieurs fois par jour, elle n'a jamais pu supporter l'idée qu'on la soupçonnât de fienter comme d'ailleurs d'avoir des règles et elle en conçoit un sentiment houleux de honte d'injustice et de colère.

Ainsi orgueilleuse, elle tint bon et tira le loquet jusqu'à ce qu'il notifie « LIBRE » au merdeux voyageur suivant. Et tout de suite quelqu'un l'a bousculée et est entré.

Alice s'est effacée en bafouillant, consciente d'avoir été trop longue pour peu qu'il ait attendu presque depuis le début. Lui sans doute n'a rien remarqué, naturellement puisqu'elle s'était effacée, la main posée sur sa braguette, il regardait le siège au fond, contre le mur ce qui était déjà un temps de gagné sur l'automatisme triste qui consiste à soulager non soi-même mais sa vessie. Pas une lanterne pas un lampion. Un lampiste.

D'autres dans le couloir, serrés, comme

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un long intestin grêle. Certains, le corps à moitié passé par la fenêtre, trouvaient un moment drôle de se faire des signes, les cheveux plaqués sur le visage, la respira- tion hennissante des chevaux. Elle a remar- qué cela.

Bientôt ils se lassaient et s'asseyaient à nouveau sur les bagages ou s'adossaient au mur.

Laissez passer mademoiselle !

Regardez comme elle est mignonne. Il lui a fallu entendre tout et en mesurer l'inexac- titude au gouffre de plomb interne qui s'est produit dans son corps. Peut-être était-elle jolie. Mais non sans défaillance. Elle pro- gressait les mains le long du mur du côté des compartiments de façon à tenir le moins de place possible et en évitant tout regard pré- cis. Ni pardon. Ni merci. Il aurait fallu tout changer de son apparence et d'abord enle- ver cette crasse tiède, cette chaleur rouge (l'humiliation) vert-de-gris (l'atmosphère).

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Un parmi les jeunes miliaires s'enhardit et lui barra le passage. Il essaya de lui attra- per le bras. Sûrement. Il souriait gogue- nard. Ses cheveux rasés sous son béret étaient noirs. C'était le plus beau de tous ce qu'il ne lui aurait pas fallu remarquer car alors malgré sa vulgarité il la domina encore plus. Elle le regarda fixement, vio- lente et farouche comme une punaise, ne voulant pas consentir à ce qu'il admît ni à admettre elle-même. Quoi au juste. Juste ce ne l'est pas, ni humain.

Elle cria d'une petite voix fausse : connard! Et elle se sentit très laide et désemparée.

Mais bientôt avec la monotonie du voyage et ayant retrouvé son comparti- ment de braves gens revêches et tacites gardes-chiourmes du sexe, tout cela ne fut plus qu'un voyageur vert plombé dans un wagon vert Nil vert mousse vert tue la vertu l'avertit.

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Comme on dit. Comme on dit, pianotant au jeu du labyrinthe dont vous avez proba- blement saisi les règles car ça commence pareil et ça finit comme ça, jeu de l'accor- déon en quelque sorte DEMANDE MENDIER.

C'est très simple à comprendre : per- sonne n'a jamais rien inventé de compliqué sauf les rouages administratifs (donc, si elle avait pu accéder à un délassement insi- dieux (le vent qui tout à l'heure était un homme pendant qu'elle pissait l'éventail acide de ses larmes) donc elle aurait pu connaître à ce moment précis la vérité sur ce qu'il en est des contradictions et des obligations qu'il y a à être soi-même et n'être pas contrainte par la suite de cher- cher auprès d'un mari boiteux, d'une pro- géniture borgne, le refuge à d'acres pro- blèmes alimentaires : scatologiques autre- ment dit.

Autrement dit il est probable que cette épopée qu'elle raconte et qu'elle a vécue

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ou cruellement rêvée, peu importe, au seuil de sa quinzième année aura été misé- rable en fait et sans aucune importance que celle de l'avoir rendue frigide mesquine et ménagère).

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Elle avait chaud et les secousses tellu- riques internes étaient un engourdissement cependant que incidemment déformée par les bulles sans magie des vitres, la lande déjà qui s'étend de Bordeaux jusqu'après Hossegor défilait immuable et jamais mono- tone mais mal au cœur. Malaise entre les cils d'être violée par ces bâtons droits et fugitifs et odorants dont on recueille la sève comme une glu dans de petits pots de terre. Ensuite on en faisait des boules de gomme que des ânes avec de longues oreilles velues offraient sur les marchés, dans les villes là où il y avait des gens mais

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Alice s'en allait là où il n'y avait personne que sa famille, les ouvriers de la scierie et peut-être un chat, si celui gris qui s'était égaré un jour dans la cour était encore apprivoisé.

Tout change vite. Les petits faits misé- rables. Mais dans ce qui est important, la vie, la vie, tout ne lui était que sommeil, attente non féline ni calculée. De quoi? Le collège. Les diplômes. Un métier. Profes- seur pour les vacances. Les mêmes grandes vacances. C'est ainsi qu'on lui avait fait miroiter son avenir mort-rose et c'était exact, elle avait pu s'en apercevoir déjà au plaisir pris aux luttes scolaires, ou se pava- ner avec un ruban neuf, mais il devait y avoir autre chose. Où est la société des hommes.

Pas celui qui fumait la pipe et qui n'était rien à côté d'elle qu'un béret et une mous- tache grommelante. En face, la mère d'un enfant.

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L'enfant laid et triste déshabillait des poupées hideuses. Le paysage donc s'était fait uniforme et défilait comme un bâille- ment à travers la vitre ou plutôt un accès de nausée à cause de la rangée d'arbres qui du fait de la vitesse se muait en un proto- type unique et étiré comme le mouvement élastique qui conduit le liquide stomacal à travers le gosier jusqu'aux lèvres.

Déjà trop fascinée pour se détacher du spectacle sans autre obligation primor- diale, Alice songea à demander en face d'elle un Paris-Jour déjà lu et acheté sans doute par la plus indigne des matrones dont le sein laiteux et rance disait : atten- tion nourrice !

Alice n'achetait jamais rien, surtout pas des journaux. L'économie domestique lui avait déjà appris cela, d'ailleurs elle n'avait pas de poche et pas d'argent de poche, que cinq francs remarquablement rangés dans le porte-cartes en plastique où celle de sortie

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recouvrait celle d'identité. Alice Bonnard, indubitablement comme l'avait récité son insigne père devant un assistant de mairie minable et depuis lors mort et enterré sans autre pompe que funèbre et l'assistance transie des cohéritiers malingres et har- gneux dans une église de campagne vide et le cercueil vide car personne n'a vécu comme elle s'apprête à le faire et la haine suinte de son cerveau fangeux.

Elle mesurait un mètre soixante et un.

Le train cent. Elle allait sans aventure. Rien n'avait pu dérailler sauf elle. Elle n'avait plus beaucoup à attendre mais qu'attendre de cela et la clochette du panier ambulant tintinnabula comme une fleur printanière et chantante dans sa grille emmurée, mais si Alice avait tendu la main avec un sourire au serveur, qu'il compte, le compte y était en pièces de cuivre laiton nickel de tout pour faire un monde et sa blouse en coton était propre avec son insigne et ses che-

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Catherine Breillat

•• Une vraie jeune fille

Ce roman, écrit à la première personne en 1973, est le quatrième de Catherine Breillat, après L'Homme facile, Le Silence après..., et Les Vêtements de la mer.

Elle en a fait son premier film.

Les rêves des jeunes filles sont sanguinaires, et Alice en est une vraie, qui traîne sa doci- lité et son apparente passivité comme sa culotte, en permanence au bas de ses pieds.

Car ce qui l'entrave comme un boulet, c'est cette adolescence qui n en finit pas, cette souffrance incroyable, ce désir dont elle ne sait rien de tangible mais qui la hante comme le fantôme d'un avenir impos- sible.

Quand les grandes vacances sont vécues comme une perte intermi- nable.

Quand les parents ne vous enca- drent plus que comme des geôliers avec qui on ne partage rien que le pesant silence des repas.

Quand le jeune homme auprès duquel on revient inlassablement rôder à la scierie s'appelle Jim, alors l'imaginaire déborde et rompt soudain les digues engluées de la morale.

Alors le plaisir est dans la honte même.

DENOËL

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