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Article pp.191-197 du Vol.22 n°125 (2004)

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Texte intégral

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Le téléphone public, cent ans d’usages et de techniques de Fanny CARMAGNAT

par André TURCOTTE

« Pourquoi s’intéresser au téléphone public ? » En posant cette question dès le début de son livre, l’auteure reconnaît l’obstacle le plus important auquel elle fait face : quel intérêt y aurait-il en effet à lire un livre sur un objet aussi familier ? Très rapidement, le lecteur prend cependant conscience que c’est la familiarité même de l’objet d’étude qui rend cette réflexion nécessaire.

Perdu dans notre environnement quotidien, nous oublions vite que le téléphone public constitue un progrès technique, collectif et politique important. Nous prenons pour acquis le défi que représentait l’édification d’un réseau de cabines téléphoniques ou le simple fait de développer un système de paiement pour chaque communication. Nous oublions l’importance et les conséquences sociales de la décision d’offrir un service de communication à des usagers en déplacement et, comme nous le rappelle l’auteure, nous avons cessé de tenter de réconcilier cette ambiguïté fondamentale qui revient dans le téléphone public à installer un outil de communication privée dans un lieu public. Vu sous ces angles, le sujet de l’ouvrage de Fanny Carmagnat perd très vite de son apparente banalité.

Le livre se divise en deux parties. La première a pour but de présenter les faits historiques associés au développement de ce service ; elle est organisée selon un ordre chronologique en six chapitres. F. Carmagnat admet qu’un tel découpage historique soit discutable, mais il tend seulement à indiquer la succession des combinaisons des paramètres techniques, économiques,

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organisationnels politiques et sociaux propres à chaque période (p. 16).

Ainsi, nous retrouvons à travers ces six périodes, l’histoire du téléphone public selon les niveaux successifs de développement technique et industriel de la technologie. Les chapitres mettent aussi en scène des figures emblématiques et des acteurs dominants à chaque époque (l’inventeur, l’ingénieur, le fonctionnaire, le vandale, le gestionnaire, le commercial...).

Le but ultime de cette première partie est essentiellement de discuter les conditions de naissance, de développement et croissance et de déclin de ce service public. Cette discussion prend place dans le contexte d’une société qui passe de la pénurie technologique à l’abondance ; elle va de l’affirmation d’une idéologie libérale à une intégration difficile des secteurs publics et privés ; elle part d’une économie cantonnée aux limites de la nation et se termine à la mondialisation actuelle des échanges.

Ainsi passons-nous de la préhistoire de la téléphonie publique (1885-1920) qui se concentre sur la recherche d’un modèle à travers des balbutiements technologiques, à l’époque du Taxiphone (1920-1955). C’est au cours de cette seconde époque que les questions fondamentales du choix des lieux d’implantations des téléphones publics, ainsi que du rôle de l’Etat se concrétiseront. Les réponses à ces questions varient d’époque à époque mais, comme elles constituent des thèmes centraux au rôle du téléphone public dans la société, un questionnement constant est nécessaire.

F. Carmagnat nous fait ensuite découvrir les années qu’elle décrit comme marquant « l’essoufflement du modèle de la concession (1950-1970) ». Elle met en relief les problèmes de l’époque comme ceux d’une technologie incapable de répondre à l’émergence de l’interurbain, ou ceux de la montée du vandalisme et de la fraude, ainsi que d’une pénurie délibérée de cabines téléphoniques. Elle se penche ensuite sur les deux dernières époques ; celle de la transition où un nouveau modèle se concrétise (1970-1982), puis les années du téléphone à carte et de la déréglementation (1980-1990). In fine, l’auteure questionne l’avenir de la publiphonie à l’ère des téléphones mobiles.

Cette première partie présente l’information de façon très intéressante et efficace. A travers les chapitres, nous apprenons en effet des faits historiques fascinants qui, non seulement contribuent à notre compréhension du téléphone public, mais qui, en même temps, captivent le lecteur curieux.

Nous apprenons par exemple que Clément Ader (1841-1925), plus connu

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pour son rôle dans les débuts de l’aviation, a également mené parallèlement d’importantes activités dans la téléphonie et qu’il fut l’inventeur d’un poste mural particulièrement robuste utilisé comme téléphone public : le Théâtrophone (p. 23) qui, d’un point de vue technique, peut être considéré comme le premier système d’écoute stéréophonique. Ce Théâtrophone fut introduit sous la forme d’appareils publics à deux écouteurs placés dans les cafés, les hôtels, les clubs, et permettant l’audition de cinq minutes de musique contre une pièce de cinquante centimes. Il s’agissait-là d’une forme de communication prépayée. Nous apprenons aussi que les premiers usagers de la téléphonie publique étaient des abonnés du téléphone qui pouvaient passer gratuitement des communications locales depuis des cabines téléphoniques. Ensuite nous passons au Taxiphone et à son usage restreint.

En avant-garde des problèmes plus contemporains, il est intéressant de constater que la compagnie Le Taxiphone-SAFAA n’avait pas étendu ses activités dans les zones rurales. Seules les principales villes de province furent en effet desservies par les cabines publiques à prépaiement. Les différences entre les services ruraux et urbains continueront au cours de l’évolution de la publiphonie. F. Carmagnat nous apprend aussi que l’on doit aussi à Ader l’établissement du premier réseau téléphonique parisien en 1880 dans les bureaux de Poste.

La première partie du livre traite également des questions fondamentales.

F. Carmagnat discute par exemple l’importance du fait que les premiers postes publics, installés en 1883 à titre expérimental, n’aient été que des postes ordinaires sans système de paiement spécifique intégré. Elle nous fait réfléchir sur le défi technique d’un tel système. Nous apprenons ainsi que ce fut l’Anglais Frederick William Hall qui produisit l’encaisseur téléphonique (brevet déposé en 1919). Carmagnat discute également en profondeur les deux grandes crises qui ont affecté la publiphonie : celle de la gestion en 1960 et, dans les années 1990 – le défi technologique du téléphone mobile.

Selon l’auteure, à la fin des années 1960, tous les éléments étaient en place pour provoquer en France une crise du téléphone. La demande en téléphonie était encore contenue par l’administration grâce aux coûts élevés d’abonnement et de frais de raccordement, et, en ce qui concernait le téléphone public, par la multiplication des appareils à pièces ou à jetons situés dans les cafés. Les besoins n’étaient plus seulement un développement quantitatif, mais qualitatif, puisque l’on observait un élargissement des possibilités de communications dans le temps et dans l’espace et une

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ouverture à l’interurbain et à l’international. Très rapidement, les pouvoirs publics ne purent plus suffire au développement (p. 84) et il fallut environ douze ans pour développer un système capable de répondre à ces nouveaux défis.

Une crise plus récente peut remettre en cause l’existence du téléphone public. F. Carmagnat nous démontre que, depuis 1997, la prolifération des téléphones mobiles s’est étendue à tous les publics incluant les jeunes et les femmes qui furent longtemps non utilisateurs. Durant cette période, Carmagnat identifie une baisse quasi symétrique du trafic de communication à partir de cabines téléphoniques. Elle mentionne les changements institutionnels qui ont déjà eu lieu à la suite de cette baisse et indique qu’il serait nécessaire de repenser le rôle de l’Etat et de l’approche marketing stratégique et opérationnelle de la publiphonie.

La deuxième partie de l’ouvrage, thématique, se veut une analyse sociotechnique du téléphone public. F. Carmagnat y réinterprète l’évolution historique en empruntant, en particulier, le modèle explicatif de Thomas Hughes. Un premier thème explore l’identité technique de cet objet en constante évolution. Nous passons ensuite à une discussion des usagers du téléphone public. Finalement, cette deuxième partie se conclut avec une discussion en profondeur sur un questionnement initial quant à l’identité politique et économique du téléphone public. En particulier, F. Carmagnat se demande si le statut du téléphone public comme service public – au sens de service sous gestion publique, est circonstanciel ou essentiel ?

Si l’ouvrage de Carmagnat a une faiblesse, c’est dans l’aspect quelque peu répétitif de cette seconde partie. Parce qu’elle a décidé de réinterpréter les faits saillants du développement historique traité en première partie, le lecteur est ramené à plusieurs faits qu’il connaît déjà. Cette approche crée certaines longueurs. Néanmoins, cette seconde partie traite de points nouveaux importants. En particulier, elle nous permet de prendre conscience que l’un des éléments remarquables de l’histoire du téléphone public a trait aux parts respectives prises dans sa gestion par les secteurs public et privé. De plus, F. Carmagnat identifie clairement les questions fondamentales qui marquent la démarcation entre public et privé : pénurie de l’équipement, fraude, pillage et vandalisme, habitacles, cartes téléphoniques, télésurveillance des cabines, prix des communications, contestation de ces prix, nouveaux lieux d’implantation

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des cabines, constructeurs, téléphones des Abribus, grèves du personnel des cabines, privatisation des cabines (p. 259).

L’une des discussions les plus intéressantes porte sur l’évolution du concept d’usager. A ce titre il peut être surprenant de constater que cet usager ne fut pas considéré comme « client » avant 1982. Auparavant, il fut tantôt

« imaginé » par l’ingénieur qui tentait de comprendre ses besoins ou dépersonnalisé comme ayant des caractéristiques en harmonie avec « l’intérêt général ». Il fallut attendre les années 1980 pour voir les premières segmentations de la clientèle et 1995 pour voire apparaître des études de segments de clientèle (p. 219).

En conclusion, F. Carmagnat pose la question de l’avenir réserve de la publiphonie, dans un contexte où il est évident que les téléphones mobiles remettent en question le téléphone public. L’auteure nous fait comprendre que tout n’est pas fini dans ce secteur. L’avenir semble en effet vouloir se définir autour d’une compréhension en profondeur du rôle de la publiphonie pour des usagers spécifiques, telles que les personnes en déplacement, les jeunes actifs, et les touristes. De plus, Carmagnat installe une discussion sur la relation future entre le public et le privé dans la gestion de ce service public. Mais avant tout, elle propose une réflexion constructive sur son identité politique et économique, essentielle pour la préservation du téléphone public dans la collectivité et comme mode de vie. Même s’ils se dissimulent dans notre environnement quotidien et s’ils ne demeurent pas à terme un service public au sens juridique du mot, les téléphones publics, de par leur dimension de partage, participent au débat politique sur les modalités du vivre ensemble. Fanny Carmagnat apporte une contribution importante à ce débat.

Fanny Carmagnat, Le téléphone public : cent ans d’usages et de techniques, Paris, Hermès-Lavoisier, 2003, 310 pages.

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