Poterie et Histoire à Koumbi Saleh
(M a u rita n ie , IXe - X V siècles)
Productions
céramiques,
Barbara van Doosselaere (UMR ArScAn - Afrique)
L'occasion nous fut offerte, il y a un certain tem ps déjà, d 'e n tre p re n d re une é tu d e te ch n o lo g iq u e sur du matériel céram ique conservé à N o u a k c h o tt e t issu des ca m p a g n e s d e fouille effectuées à Koumbi Saleh entre 1950 e t 81. Ce vaste site du sud-est mauritanien fut, dès sa découverte, en 1912, associé à l'em pire de Ghana, autorité politique m entionnée dans les manuscrits de langue arabe entre les VIIIe e t XVe siècles com m e une im portante form ation é ta tiq u e e n g a g é e dans le com m e rce transsaharien (Fig. 1). Malgré plusieurs cam pagnes d e fouille successives, c e tte hypothèse n 'a pas e ncore trouvé d e réelle confirm ation archéologique (Masonen 2000).
Le com plexe d e Koumbi Saleh, qui s'étend sur un rayon d e plus d e 10 Km e t s'articule autour d 'u n tell principal d'environ 44 ha, n'en constitue pas moins un tém oin privilégie, c o n te m p o ra in des périodes d 'é m e rg e n c e e t d'expansion d e c e que l'on considère encore com m e le premier empire ouest africain. La céram ique, qui constitue ici l'un des seuls types d e vestiges présents dès les premières occupations, se présente, à c e titre, com m e un objet d 'é tu d e primordial.
Une archéologie héritée des textes
En 1914, plusieurs sondages sont ouverts sur le tell p rin cip a l d e Koumbi saleh, dans l'espoir d'exhum er la c a p ita le d e l'em pire de Ghana, Par la suite, plusieurs cam pagne s d e fouille s'y succèdent d e manière discontinue, La zone du tell principal co m p re n a n t une mosquée érigée au Xe siècle et deux unités d 'h a b ita tio n a concentré l'essentiel des
Fig. 1. Données d e synthèse archéologique
Si les données archéologiques obtenues sont, pour une part, conform es aux informations extraites des textes, elles soulèvent néanm oins certaines questions (Fig. 2). Le continuum radiochronologique d a ta n t la s é q u e n ce mise au jour co n firm e e ffectivem ent la chronologie des textes. C ependant, rien, de la poussée alm oravide au XIe siècle, de l'incursion Sosso ou l'expansion de l'em pire de Mali aux débuts du XIIIe siècle, à l'origine selon certains auteurs du déclin d e G hana e t d e l'a b a n d o n de Koumbi Saleh, n'e st v é rita b le m e n t signalé dans l'enregistrem ent archéolog ique (Berthier 1997).
Des techniques de fabrication aux fonctions des céramiques
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D a t a t i o n s s u r c h a r b o n s d e b o is C C a l B C / A D ( o x c a l v 3 . 8 )
Ghana est encore mentionné jusqu'au X V IIe siècle
Autorité sous la domination de l'empire de M a li
Expansions Soso puis mandingue
Ghana reste une puissance régionale
Incursions almoravides
V ille double l'une occupée par des commerçants arabo-berbères,
l'autre occupée par le roi
Premières mentions de Ghana "pays de l'or"
CHRONOLOGIE THEORIQUE DE GHANA D'APRÈS LES SOURCES HISTORIQUES (Cuoq 1975; Levtzion et Hopkins 1981) m û y— -Période D: Niveau V LU LLS t o O —t " «C C£ UJ Période C: - Niveau IV - N iveau III UJ co Su <c LU c:> - Niveau II P ériod e B - N iveau <c s ::i:: o., LU O Période A - Niveau O SEQUENCE ARCHEOLOGIQUE
(Berthier 1997; Robert 1981) HABITATION
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M O S Q U E E
Fig. 2. Synthèse des données : formes, décors, techniques
Au contraire, les six phases d 'o c c u p a tio n reconnues sont plutôt perçues com m e le reflet d 'u n processus continu d'urbanisation am orcé dès le Ve siècle e t qui se serait m aintenu e t intensifié progressivem ent du IXe siècle au XVe siècle. La p e rm a n e n c e e t le peu d 'é v o lu tio n qu e manifesteraient les vestiges matériels associés, en
particulier la céram ique, suggèrent une
hom ogénéité et une stabilité culturelles q u 'a u c u n texte ne laissait supposer, Or, l'é tu d e technolo gique d e c e tte céram ique a mis en évidence une série de discontinuités non perçues in itialem ent e t qui, justement, rem ettent en question c e tte stabilité et c e tte hom ogénéité jugées caractéristiques.
Chronotypologie versus technologie
Publiée en 1997 (Berthier), l'é tu d e du matériel cé ra m iq u e exhum é à Koumbi Saleh a permis d'individualiser une séquence tripartite rythmée par l'a p p a ritio n successive d e différents types
m orphologiques e t figures ornem entales.
L'assemblage est dom iné par un ensemble de formes
e t d e décors récurrents produisant
incontestablem ent un « e ffe t » d 'h o m o g é n é ité e t de stabilité. Seule l'ap parition de nouveaux motifs peints e t d e formes supplém entaires peu fréquentes différencie ch a cu n e des phases.
Puisqu'il s'agissait, par l'é tu d e d 'u n petit corpus d e référence, d e confronter données formelles et technologiques, on a tenté de se conform er le plus possible aux données stylistiques préexistantes. Une trentaine d e récipients a é té sélectionnée afin d 'ê tre soumise à une série d 'o bservations opérées à
différentes échelles. Des observations
m acroscopiques (à l'oeil nu et à la loupe binoculaire) en v a ria n t l'in c id e n c e d e l'é cla ira g e , des
radiograp hies sur plans tangentiels e t des
observations en lames minces ont é té mises en œ uvre. Si l'en sem ble des é tapes d e la chaîne opératoire a pu être abordé, les phases de cuisson et d e post-cuisson posent e n c o re d e nom breux problèm es d e ca ra cté risa tio n . En revanche, les procédures de traitem ent des matières premières, de fa ç o n n a g e e t de traitem ent des surfaces onf pu être reconstituées d e m anière assez fine (van Dosselaere 2002, 2004).
Au regard des données techno lo g iq u e s (Fig. 3), la séquence céram ique est bel e t bien qualifiable en termes de continuité mais uniquement à un niveau générique. Cinq chaînes opératoires ont é té différenciées. Les trois premières (1, 2, 3) co rre sp o n d e n t à un ensem ble d e pratiques techniques qui va fortem ent évoluer au cours d e la phase III. C ette phase, initialem ent perçue com m e
un m o m e n t où intervienne nt peu de
renouvellements, est en fait m arquée par une série d 'in n o va tio n s te ch n iq u e s introduites au sein de procédures déjà bien établies. En outre, l'introduction d e ces innovations techniqu es s 'a c c o m p a g n e
é g a le m e n t d e la disparition d'a utres
traditions céram iques bien différenciées et attestées
au cours des périodes plus anciennes (chaînes opératoires 4 e t 5).
Évolution des procédures techniques
Il ressort principalem ent d e l'analyse que, dans le cas de la poterie, s'est déployé e à Koumbi Saleh une véritable tradition. Elle se manifeste par un héritage techniqu e constitué d e savoirs faire d o n t la transmission a pérennisé, au sein d 'u n e séquence générique, un ensem ble d e com p o rte m e n ts reposant sur une sélection des matières premières portée sur les mêmes types d e matériaux (graminées et terre riche en inclusions non plastiques) ; un m êm e m ode d 'é b a u c h a g e (m o n ta g e au colom bin) ainsi que les mêmes types d'enduits d e surface (engobe ou barbotine).
pâtes céramiques, aucun élém ent ne p erm et pour l'instant d'a ffirm e r que les m afériaux argileux utilisés pour la fabrication de ces poteries n 'o n t pas été prélevés à proximité du site. En bref, c e tte industrie présente tous les caractères d 'u n e production locale
stable e t hom ogène.
Certaines procédures vont pourtant se modifier au cours d e la phase III : d e la paille, plutôt qu e des matières végétales composites est incorporée aux m atériaux argileux ; une phase d e b a tta g e est introduite dans la séquence d e préform age des récipients ébauchés au colom bin ; les barbotines interviennent plus fréquem m ent, au détrim ent des engobes et, enfin, l'en fum age semble se généraliser.
Les modifications introduites dans les procédés d e fabrication d e la poterie, à la phase III, to u ch e n t ainsi une bonne partie de la chaîne opératoire, La disparition ou la baisse de fréquence des récipients associés aux deux autres chaînes opératoires (4 e t 5), lesquels sont présents dès les premiers niveaux d 'o c c u p a tio n , signale égale m e n t une évolution. Leur faible représentation au sein du corpus de référence limite toutefois la valeur d e l'argum ent. Q uoiqu'il en soit, la phase III se présente bel e t bien com m e un m om ent charnière de la séquence céram ique. Ceci n 'a u ra it pu être mis en é vidence sans la prise en c o m p te des aspects te ch n o lo g iq u e s d e c e tte céram ique, initialement perçue au travers d e ses critères formels com m e un élém ent d e continuité, en particulier à la phase III.
Une industrie inscrite dans l’histoire régionale ?
Si la portée e xacte des évolutions rencontrées nous é c h a p p e encore, l'élargissement du c h a m p de lecture laisse entrevoir un lien a v e c des phénomènes m acro-historiques d 'o rd re social, é c o n o m iq u e e t politique. En effet, les discontinuités que manifeste la séquence céram ique à la phase III s'inscrivent dans un c a d re plus général de changem ents m arquant, au XIIIe siècle, l'en sem ble d e la séquen ce archéolog ique e t to u ch a n t plus particulièrem ent les industries métallurgiques e t agricoles. Ceci, à un m om ent d 'a u ta n t plus crucial qu'il correspond à une rupture historique majeure : l'expansion d e l'État Soso puis d e l'em pire d e Mali. Selon M. Delafosse e t R. M auny les conquêtes militaires m andingues menées par Sunjata, durant la première m oitié d e c e siècle, auraient mis un term e définitif à la puissance de G hana e t occasionné l'a b a n d o n brutal du site de
Des techniques de fabrication aux fonctions des céramiques
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3 4 5Matières premières Graminées (graines) & argiles/sables
Graminées (graines) & argiles/sables
Graminées (tiges) & argiles/sables
Chamotte & crottin
Chamotte & organiqe
Façonnage Colombins Colombins & battage Colombins & battage Creus-étir Martelage
Surfaces Engobes & barbotines
Engobes& barbotines
Barbotines & engobes Engobes& enduits secondaires
Engobes & enduits secondaires
imuiHj iim iiiii
0 10
U UJ.l.UJLJ
F orm es, d éco rs, tec h n iq u e s : ru p tu re s e t c o n tin u ité s
La s t a b ilité f o r m e ll e q u i c a r a c té r is e la p h a s e III m a s q u e u n e s é rie d e d is c o n t in u ité s t e c h n iq u e s .
pieds CXll
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iiiiin in linm iin
0 10 0 10
M aintien sur to u te la séquence des mêmes techniques génériques associées à des form es et des décors récurrents
- — - - — — --- \ Les v a r ia t io n s f o r m e lle s q u i d i s c r im in e n t la p h a s e II n 'o n t a u c u n é q u iv a l e n t t e c h n o lo g iq u e , j les p r o c é d é s t e c h n iq u e s re s ta n t, g l o b a l e m e n t , les m ê m e s , e x c e p t io n f a it e d e la c h a în e j ■ o p é r a t o i r e 5. M is e e n p la c e , d è s les p r e m ie r s n iv e a u x d 'o c c u p a t io n , d 'u n e p r o d u c t io n c é r a m i q u e lo c a le , p é r e n n e e t d o m i n a n t e , p r o d u is a n t u n " e ffe t" d 'h o m o g é n é i t é e t m a s q u a n t la d iv e r s ité d e s p r o c é d u r e s t e c h n iq u e s .
Fig. 3. Synthèse d e la séquence technologique
s'intensifie au m om ent m êm e où Sunjata se serait em paré de la c a p ita le d e G hana. Si rien n'indique que Koumbi Saleh ait é té le théâtre d 'u n e prise de p o u vo ir vio le n te e t destructrice, les données a rch é o lo g iq u e s d o n t on dispose signalent, par c o n tre , d e réelles évolutions à c e tte é p o q u e . Evolutions qui initia le m e n t é ta ie n t passées inaperçues. Bien q u 'e lle ne p e rm e tte ni d 'e n déterm iner la nature exacte ni d 'e n mesurer l'échelle ou l'am plitude, l'industrie céram ique tém oigne sans d o u te d e l'a n c ra g e d e ces évolutions jusque dans les sphères de production e t de consommation, d e biens domestiques e t quotidiens, Bien entendu, l'expansion d e l'em pire d e Mali, pa ra d ig m e a va n cé au d é b u t de c e siècle par les administrateurs coloniaux, n 'a pas en soi valeur explicative. Le c a ra c tè re militaire des conquêtes m andingues est d'ailleurs fortem ent remis en cause p a r un c e rta in nom bre d'historiens, l'expansion d e c e tte puissance ém ergente é ta n t plus vraisem blablem ent liée à la mise en p la c e d 'u n e politique régionale décentralisée, la mise en valeur d e relations diplom atiques e t le déploiem ent d 'u n réseau d'a ctivités commerciales. Des travaux récents o n t m ontré que, par c e truchem ent, la diffusion de systèmes à « castes » distinguant différents groupes endogam es, selon les spécialisations économ iques des acteurs sociaux, aurait eu un im p a ct sur des sphères d e production aussi diverses que le travail de la poterie, d e la sculpture sur bois ou du cuir (Frank 1998; Gosselain 2000 ; Sali 2001 ; Pinault-Paradis 2001).
Berthier S. 1997. Recherches archéologiques sur la c a p ita le d e l'e m p ire d e Ghana. C a m b rid g e M o n o g ra p h s in A fric a n A rc h a e o lo g y (41), Londres : A rchaeopress. Bonnel d e Mézières M. 1923. R e ch e rch e d e l'e m p la c e m e n t
d e G h a n a (fouilles à K oum bi Saleh e t Settah).
Delafosse M. 1924. Le G a n a e t le M ali e t l'e m p la c e m e n t d e leurs c a p ita le s . BCEHSAOF, t. VII, p. 479-542.
Frank B. 1998. M a n d e potters a n d leatherworkers. A rt a n d H eritage in West A fric a .W a sh in g to n a n d L o n d o n : Sm ithsonian Institution Press.
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Van D oosselaere B. 2002. Processus d e fabrication des poteries a rch é o lo g iq u e s d e Koum bi Saleh : essai reconstitution e t d 'in te rp ré ta tio n des chaînes opératoires. M é m o ire d e DEA. Paris I : P a n th é o n - Sorbonne.
Van D o osse lae re B. 2004. P e rc e p tio n stylistique e t te c h n o lo g ie c é ra m iq u e : reco nstitutio n e t in te rp ré ta tio n de s te c h n iq u e s d e fa ç o n n a g e des p o te rie s a rc h é o lo g iq u e s d e Koum bi Saleh, Proceedings o f the X V ir UISPP.