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La sémiotique du titre Cas de l’oeuvre romanesque de YASMINA KHADRA : - Les agneaux du Seigneur - Ã quoi rêvent les loups

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Academic year: 2021

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Texte intégral

(1)

République Algérienne Démocratique et Populaire

Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique Université El Hadj Lakhdar - Batna

Faculté des Lettres et des Sciences Humaines Département de Français

École Doctorale de Français Antenne de Batna

Thème

La sémiotique du titre

Cas de l’œuvre romanesque de YASMINA KHADRA :

- Les agneaux du Seigneur

- Ã quoi rêvent les loups

Mémoire élaboré en vue de l’obtention du diplôme de Magistère

Option : Sciences des textes littéraires

Sous la direction du : Présenté & soutenu par : Pr. Saïd KHADRAOUI Mme. Samia ABDESSEMED

Membres du jury :

Président : Abdelwahab DAKHIA, M.C., Université de Biskra. Rapporteur : Saïd KHADRAOUI, Pr., Université de Batna. Examinateur : Rachida SIMON, M.C., Université de Batna.

(2)

TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION………5

Chapitre 1 : Fondements théorique………12

1-1-Le titre………. ………13

1-1-1- Définition et étymologie du titre……….13

1- 1-2-L’étude du titre………14

1-1-3-Les fonctions du titre………15

1-1-4-Les types du titre………...17

1-2- Sémiotique et herméneutique……….19

1-3-Présentation du corpus……….…21

1-3-1-Les agneaux du Seigneur………....21

1-3-2-A quoi rêvent les loups………...22

Chapitre 2 : Fonctionnement sémiotique………23

2-1- Construction syntaxique………...24 2-1-1- Syntagme nominal………..…24 2-1-1-1- L’absence de l’article……….…..25 2-1-1-2- L’article indéfini………...26 2-1-1-3- -L’article défini………..….26 2-1-2- Syntagme verbal……….28 2-2- Symbolique animale………..……30

2-2-1-Les agneaux du Seigneur ………...31

2-2-2 -Ã quoi rêvent les loups ………...……34

Chapitre 3 : Autorité et idéologie ……….…………..……40

3-1- Contexte socio-historique ………..….41

3-2- Les thèmes des romans ………..….44

3-2-1- La persécution des intellectuels………....45

3-2-2- La misogynie………...49

(3)

3-3-Significations et interprétations ……….……60

3-3-1- Les agneaux du Seigneur ………..61

3-3-2- Ã quoi rêvent les loups……….….69

CONCLUSION………...74

(4)

Dédicace

A l’âme de mon père qui m’a quittée

avant de voir son rêve se réaliser.

(5)

Remerciements

La majeure partie de mes remerciements et de ma gratitude s’adresse à monsieur Saïd KHADRAOUI qui a supervisé ce mémoire avec

franchise, disponibilité et patience.

Je tiens à exprimer ma vive reconnaissance à monsieur Samir ABDELHAMID pour son soutien.

Ma plus douce pensée doit aller rejoindre ma famille : Mon mari pour sa patience et sa compréhension, Ma mère pour ses encouragements et sa tendresse, Mes enfants : Mohamed, Mayar, Manar et Maram

(6)
(7)

« Il n’est point de bonheur sans liberté, ni de liberté sans courage. »

Périclès

Quand J. Ricardou considère que lire la littérature est une opération qui tente « de déchiffrer à tout instant la superposition, l’innombrable entrecroisement des signes dont elle offre le plus complet répertoire. »1 , et que « la littérature demande […] que l’on apprenne à déchiffrer l’intrication des signes dont elle est faite »2

, ce n’est que pour insister sur cette incapacité qui

dérange le lecteur à chaque fois qu’il est en situation de décodage de texte littéraire. Ce « second analphabétisme »3 qui guette le lecteur et l’emprisonne dans un cercle de sens bien restreint, l’empêche par conséquent d’exploiter en toute liberté le domaine illimité de la signification. Cette réflexion de Ricardou a attiré notre attention justement sur cet analphabétisme qui guette le lecteur pas seulement en situation de décodage de texte, mais aussi, quand il est en face de certains titres romanesques.

En partant du principe selon lequel le titre est « l’un des lieux privilégiés de l’action

de l’œuvre sur le lecteur »4

, nous rejoignons Hoek quand il nous préconise qu’ « il faut commencer l’étude du texte par celle de son titre »,5

parce que tout simplement le titre est « ce par quoi un texte se fait livre et se propose comme tel à ses lecteurs, et plus généralement au public. Plus que d’une limite ou d’une frontière, il s’agit ici d’un seuil ou […] d’un « vestibule » qui offre à tout un chacun la possibilité d’entrer ou de rebrousser chemin. ».6

Bref, le titre est « à l’œuvre

ce que la clef est à la porte : il permet au lecteur de pénétrer l’épaisseur symbolique du texte. ». 7

Le titre est tout un discours sur le texte qui le suit, d’où son grand intérêt qui nous a motivés pour un travail de recherche qui parviendrait à pénétrer le texte, à travers son titre, et à atteindre, plus ou moins, une totale lisibilité et de là à réduire ce second analphabétisme dont parle Ricardou.

Notre thématique traite de la sémiotique du titre, et l’écrivain dont nous nous proposons de faire l’étude de ses œuvres est un auteur qui fait partie de ces êtres d’exception qui écrivent par nécessité de dire ce que les autres ont peur d’exprimer. En effet, notre écrivain Yasmina Khadra s’attaque à des thèmes d’actualité avec originalité et courage. Courage parce que l’écriture est toujours un acte de courage tant que les libertés

1

JEAN RICARDOU, Problèmes du Nouveau roman, Paris, Seuil, coll. « Tel Quel », 1967, p.20.

2

Ibid.

3

Ibid.

4

TADIE.J.Y, La critique littéraire au xx siècle, Paris, 1987, p.246.

5

LEOHOEK , La marque du titre, La Haye, Mouton, 1981, p.1.

6

GERARD GENETTE, Seuils, Paris, Seuil, 1987, p.7.

7

KADIMA-NZUJI MUKALA, Introduction à l’étude du paratexte du roman zaïrois, p.898. in.www.persée.fr

(8)

d’expression ne sont pas garanties, et un synonyme de franchissement de la barrière de l’interdit : il brave les interdis de paroles et s’attaque au terrorisme.

Né en 1955 à Knadssa, dans la wilaya de Bechar en Algérie, Mohamed Moulesshoul fut confié dès l’âge de neuf ans - par son père qui voulut faire de lui un soldat - à l’école des cadets où il fit toutes ses études avant de servir comme officier dans l’armée algérienne pendant 36ans. Son appartenance à l’institution militaire depuis son jeune âge a en quelque sorte étouffé sa parole, d’où le besoin d’écrire, d’écrire pour se libérer. Donc, ses débuts comme écrivain remontent aux années 80, mais ses publications sous son vrai nom connurent beaucoup de censure : « A l’époque où j’ai écrit Houria8, j’étais encore

soldat, je l’ai écrite avec beaucoup de censure, et lorsque je suis passé dans la clandestinité en 1989, j’ai acquis une sorte d’impunité qui allait avec mon inspiration. »9.

Le privilège du Phénix10 fut le dernier roman publié sous le nom de Mohamed

Moulesshoul. Notre écrivain décida alors de camoufler son identité pour fuir la censure et opta pour un pseudonyme qui lui porta chance : « Yasmina Khadra sont les deux prénoms

de ma femme qui en a trois ! Elle ne les aimait pas, je les ai adoptés. Et ils m’ont porté chance. »11. Avec Le dingue au bistouri12, Yasmina Khadra change de registre et s’oriente

vers le roman policier et ce fut l’acte de naissance du personnage fétiche le commissaire Brahim Llob, suivi par La foire des enfoirés13, Yasmina Khadra est toujours anonyme. Et ce n’est qu’en 1997 avec la parution du polard Morituri14

, où il dénonce la barbarie de la

guerre civile algérienne, qu’il eut le succès dont Mohamed Moulesshoul rêvait. Et puisque « Le pseudonyme est simplement une différenciation, un dédoublement du nom,

qui ne change rien à l'identité »15, notre écrivain continua avec plus d’acharnement à réaliser son rêve d’écrivain. Suivirent ensuite les deux volets de sa trilogie Double blanc 16 et L’automne des chimères17 où il nous fait un constat dur d’un pays qui va mal.

Au fil des années le succès de notre écrivain ne se dément pas, il continua à surprendre son lectorat à chaque nouvelle parution. En révélant sa vraie identité au grand public à

8

MOHAMED MOULESSHOULE, Houria, Alger, ENAL, 1984.

9

http://www.yasmina-khadra.com/

10

MOHAMED MOULESSHOULE, Le privilège du Phénix, Alger, ENAL, 1989.

11

http://www.afrik.com/article2305.html

12

YASMINA KHADRA, Le dingue au bistouri, Alger, Laphomic, 1990.

13

YASMINA KHADRA, La foire des enfoirés, Alger, Laphomic, 1993.

14

YASMINA KHADRA, Morituri, Paris, Baleine, 1997.

15

PHILIPPE LEJEUNE,Les brouillons de soi, Paris : Seuil, Poétique, 1998. p.33. 16

YASMINA KHADRA, Double blanc, Paris, Baleine, 1998.

17

(9)

travers L’écrivain18 et L’imposture des mots19, il provoqua débats et polémiques dus à son passé militaire. Dans L’écrivain surtout se trouve définie la posture humaniste de l' « écrivain » face à la force du pouvoir militaire. Par ailleurs, dans ce roman sur sa propre jeunesse brutalement amputée de la tendresse familiale, Y.K. livre à son lecteur les principaux thèmes sensibles du jardin secret de ses souvenirs liés à sa première enfance algérienne. Thèmes que l'on retrouvera transposés dans deux récits touchant de plus près à l'expérience algérienne Ce que le jour doit à la nuit20, À quoi rêvent les loups21.

Et c'est la fameuse trilogie sur les guerres au Moyen-Orient qui consacre la renommée internationale de l'écrivain. Romans qui illustrent le dialogue des sourds qui oppose l’orient et l’occident. L'écrivain y explore les fondements subjectifs, religieux, culturels et économiques de la guerre entre Orient islamique et Occident capitaliste : Les hirondelles

de Kaboul22, qui raconte l’histoire de deux couples afghans sous le régime des Talibans,

L’attentat23

roman dans lequel un médecin arabe recherche la vérité de sa femme kamikaze, et Les Sirènes de Bagdad24 qui relate le désarroi d’un jeune bédouin irakien

poussé à bout par l’accumulation des bavures par les troupes américaines. Auteur de best-sellers, Yasmina Khadra est traduit dans 41 pays, distingué par plusieurs institutions citons entre autres : le Grand prix de Littérature Henri Gal pour l’ensemble de son œuvre, Prix de l’institut de France 2011.

L’intitulé de notre mémoire, la sémiotique du titre , répond à son thème qui consiste particulièrement à démontrer que la relation qui existe entre un titre et son texte est une relation de complémentarité ; tous les deux se complètent , s’expliquent, se voilent et se dévoilent, se chuchotent tout en essayant d’éclairer ou d’égarer le lecteur dans les méandres de leurs sens. La nécessité de franchir le seuil pour être admis au temple du texte demande au lecteur d’être attentif au moindre signe, linguistique qu’il soit ou culturel, de l’appareil titulaire.

Pour ce, nous avons opté pour deux œuvres de Yasmina Khadra, non pas que les autres romans ne présentaient pas d’intérêt pour cette approche au contraire ; notre auteur

18

YASMINA KHADRA, L’écrivain, Paris, Julliard, 2001.

19

YASMINA KHADRA, L’imposture des mots, Paris, Julliard, 2002.

20

YASMINA KHADRA, Ce que le jour doit à la nuit, Paris, Julliard, 2008.

21

YASMINA KHADRA, Ã quoi rêvent les loups, Julliard, Paris, 1999.

22

YASMINA KHADRA, les hirondelles de Kaboul, Paris, Julliard, 2002.

23

YASMINA KHADRA, L’attentat, Paris, Julliard, 2005.

24

(10)

est un poète dont la poésie est apparente dans presque tous ses titres qui sont tout aussi approchables, mais parce que ces deux élues ont l’avantage de marquer une rupture dans le répertoire de Khadra-Moulesshoul ; ce n’était plus le roman noir25, mais une nouvelle « graphie de l’horreur »26. Une écriture qualifiée d’ « Analyse chirurgicale de

l’intégrisme »27

qui a fait couler beaucoup d’encre vu l’audace et le courage avec lesquels l’auteur dénonce les responsables directs du déroutement de la société algérienne vers une guerre civile qui a duré plus d’une décennie, à savoir en premier lieu des gouvernants corrompus qui « doivent comprendre que leur place est au musée de la Bêtise ou bien à

la fourrière. ».28 Et leur « manque d’entrain frustrant en livrant [les] jeunesses au

marasme tous azimuts avant de les abandonner au ressentiment, au renoncement qui en fait un cheptel propitiatoire à tous les détournements suicidaires, notamment idéologiques »29 a mené la société vers le désespoir et la confusion mentale. Et, un

intégrisme religieux sanguinaire guidé surtout par le Front Islamique du Salut (FIS) qui, lui, a conduit toute l’Algérie vers une atroce guerre fratricide. Cependant, la façon fascinante et troublante avec laquelle il peint la descente aux enfers de toute une génération vulnérable n’est pas à négliger, avec un style lucide et une façon singulière à raconter, écrire et traiter un sujet aussi épineux.

Notre choix de Les agneaux du Seigneur30 et à quoi rêvent les loups31 émane de notre conviction qu’ils sont chargés d’une grande richesse sémantique et d’une poésie qui pousse le lecteur à se demander : comment l’étude du fonctionnement sémiotique de ces titres participe à la construction de leurs sens ? Et quel projet esthétique se profile à travers leurs structures syntaxiques ? Ces métaphores assurent-elles une sorte d’articulation entre l’intérieur et l’extérieur, entre « le texte » et « le monde social », en d’autre termes entre le fictif et le réel ?

25

C’était sa trilogie de romans policiers publiée en France sous son nouveau pseudonyme qui révéla Yasmina Khadra au monde , Morituri, Paris, Baleine, 1997 eut un succès retentissant, suivirent ensuite

L’automne des chimères, Paris, Baleine, 1998 et Double blanc, Paris, Baleine,1998. 26

RACHID MOKHTARI, La graphie de l’horreur : essai sur la littérature algérienne (1990-2000), Batna, Chihab, 2002.

27

NICOLE BUFFARD-O’SHEA, Les agneaux du Seigneur de Yasmina Khadra et Nouvelles d’Algérie de

Maïssa Bey : écritures sans appel ? Dans Etudes Littéraires Maghrébines : Subversion du réel : Stratégies

esthétiques dans la littérature algérienne contemporaine, 1991, N° 16. Paris : L’Harmattan, p.99.

28

Propos recueillis par Marie-Laure dans une interview pour RUE DES LIVRES 19-11-2007, in.www.rue-des-livres.com

29

Ibid.

30

YASMINA KHADRA, Les agneaux du Seigneur, Julliard, Paris, 1998.

31

(11)

Pour tenter de répondre à ces interrogations, nous émettons l’hypothèse que Yasmina Khadra adopte pour le choix de ses titres une stratégie hybride, c'est-à-dire qu’il y mêle deux caractéristiques, d’abord il choisit des titres qui allèchent le lectorat, c’est-à-dire qu’il doit d’abord susciter l’intérêt et l’admiration en choisissant des titres métaphoriques et poétiques ,dotés d’une structure ayant une signification symbolique et il remplit ainsi les fonctions séductrice et conative, et par conséquent il les inscrit dans un code littéraire donc fictif. Deuxième caractéristique, c’est qu’il inscrit ces mêmes titres dans le code social à savoir que le corpus d’étude exerce une autorité et invoque une certaine idéologie.

Afin de démontrer l’inscription de Les agneaux du Seigneur et à quoi rêvent les loups dans le code littéraire et/ou le code social, nous nous sommes livrés à un exercice interdisciplinaire et nous n’avons point hésité à emprunter nos concepts de diverses disciplines en l’occurrence la sémiotique du titre initiée par Léo.H. Hoek, Gérard Genette et d’autres pour décrire le concept de « titrologie » c'est-à-dire l’étude du titre. Comme il nous a paru indispensable aussi d’avoir recours à l’apport de la linguistique à travers les travaux de Christien Moncelet et Gustave Guillaume pour démontrer comment la construction syntaxique inscrit le titre dans un code littéraire et/ou social. La sociocritique, avec les travaux de Henri Mitterrand et Claude Duchet serviront d’outil pour le décryptage de l’idéologie existant dans nos deux titres. Aussi, sans hésitation aucune, nous nous sommes livrés à des interprétations intuitives, mais argumentées, encouragés par les théories de Wolfgang Isir et Roland Barthes qui attribuent au lecteur le rôle de dévoiler les multiples significations qui s’accumulent dans « les vides » ou « les blancs » des textes. Car, après tout, à la base de ce travail, il y a, entre autre, notre subjectivité, passion, curiosité et implication en tant qu’élément-sujet de cet univers que nous proposons de décortiquer en optant pour la méthode analytique.

Notre travail sera divisé en trois chapitres. Dans le premier chapitre nous estimons nécessaire d’aborder quelques notions théoriques concernant le titre (sa définition et son étymologie). L’étude du titre nous éclairera sur l’itinéraire de cette discipline qui est la titrologie, sans oublier pour autant d’évoquer ses grands précepteurs à commencer par Furetière, Genette, Moncelet, Grivel, Hoek, Duchet, Ricardou et Goldenstein ainsi que leurs imminents travaux sur ce sujet. Les fonctions et les types du titre nous aiderons à mieux comprendre les mécanismes qui entrent en jeu dans la réception du roman. Faire un bref survol sur les notions de la sémiotique et de l’herméneutique nous sera utile pour démontrer l’importance de l’intervention d’un lecteur averti dans l’interprétation et la

(12)

compréhension d’un texte littéraire et comment la lisibilité de ce texte dépend de son savoir lexical et encyclopédique. Nous clorons ce chapitre par une éventuelle présentation de notre corpus.

Dans le deuxième chapitre, nous aborderons le nœud de notre problématique, à savoir le décryptage des indices qui vont confirmer ou infirmer si le titre renvoie aux éléments fictionnels de l’histoire à travers les aventures et les personnages, Ou bien ils débordent au même temps dans le code social. Nous commencerons par l’analyse de la construction syntaxique du titre pour comprendre comment la structure syntaxique favorise une lecture plutôt qu’une autre. Cette analyse nous mène indubitablement à aborder la problématique du syntagme nominal et le syntagme verbal. Nous focaliserons notre étude sur l’article défini dans le syntagme nominal Les agneaux du Seigneur, article ambigu qui suggère « la particularité ou la généralité »32. Dans à quoi rêvent les loups nous montrerons

comment ce titre structuré en phrase verbale et une interrogation qui marque le désarroi et l’indignation s’inscrit dans le réel alors qu’il se présente comme un résumé d’une fiction. Nous passerons ensuite, dans un autre volet, qui nous paraît aussi important que le précédent, celui de la symbolique animale où nous proposerons une analyse de la métaphore zoomorphe qui implique le lecteur dans ces deux récits narratifs qui prennent en charge le vécu réel de cette époque troublante.

Nous consacrerons le dernier chapitre à l’étude de deux concepts qui sont importants dans la réception de toute œuvre littéraire : la notion du contexte, surtout socio-historique et politique, cette notion, étant déterminante pour le lecteur pour qu’il puisse saisir la portée particulière du texte qu’il a devant les yeux, permettra d’appréhender les conditions d’émergence de Les agneaux du Seigneur et à quoi rêvent les loups. La deuxième notion, sera la thématique, dans laquelle nous essayerons de déceler les sujets épineux qui préoccupent notre écrivain. Consécutivement ces deux notions nous amènerons à l’élaboration de différentes interprétations et significations qui peuvent émaner de notre corpus. Nous terminerons notre travail de recherche par une conclusion où nous récapitulerons brièvement les étapes de notre investigation.

32

(13)

.

CHAPITRE

I

(14)

1-1-Définition et étymologie du titre

De nombreuses définitions tentent, plus au moins avec succès, d’appréhender les

nombreuses significations que recèle le concept du titre ; mais la totalité de ces tentatives d’interprétation se réunissent autour de la même pensée : celui qui résume le contenu. Pour Hachette, le titre est un « énoncé servant à nommer un texte et qui en évoque le contenu »33, quant au wiktionnaire, il devient un « élément qui est mis en valeur par rapport au contenu qui le suit et qui le résume parfois »34. De son coté, l’étymologie du mot est tout aussi explicite : « Titre » vient du latin « titulus » dont les sens étaient multiples : rang, affiche ou étiquette. Utilisé dans cette dernière optique, le « titulus » servait « à faire connaître le nom de l’auteur et la matière traitée dans le « volumen » sans avoir à dérouler celui-ci. »35

. Ruban pendu au « volumen », le « titulus » correspondait d’abord à un besoin pratique de connaissance et de classement. On l’emploie aussi comme légende pour définir toutes sortes de supports d’écriture telle l’épigraphe gravé sur pierre ou sur bois pour indiquer la fonction commerciale ou religieuse d’un bâtiment. Ce type d’enseigne sert également à identifier le ou les crimes commis par un condamné qui doit lui-même la porter à son cou, jusqu’au lieu d’exécution.

Ainsi, il a fallu « attendre le 16è siècle pour voir apparaître le "titre coup de poing", selon l’expression de Jean-Louis Flandrin, qui tente d’annoncer le contenu de l’ouvrage »36

. Avec le temps, la fabrication de supports d’écriture mieux adaptés à la manipulation et à la conservation de l’écrit ont fini par donner lieu au format livre que nous connaissons aujourd’hui. Consécutivement, l’habitude de placer le titre aux premières pages se développe et une pleine page lui sera consacrée dans le livre imprimé. « Mais quel que soit

le support, le titre demeure la pierre d’assise du catalogage des œuvres, il est toujours garant de la mémoire collective. ».37 Il connut beaucoup de modifications et ce n’est qu’au

33

Hachette, éd, 2005, p. 1613.

34

Wiktionnaire, in fr.wiktionary.org/ wiki/ dictionnaire

35

MAURICE HELIN, Les livres et leurs titres, « marches romanes », n°34, 1956, p.139. cité par SERGE FELIXBOKOBZA, Contribution à la titrologie romanesque : variation sur le titre « Le rouge et le noir », p. 19. in Google livres.

36

NOBERT MARGOT, Le titre comme séduction dans le roman Harlequin : une lecture sociosémiotique.

Études littéraire. Vol.16-n°3, 1983, p.380.

37

NYCOLE PAQUIN, Sémiotique interdisciplinaire : Le titre des œuvres : un « titulus » polyvalent. Portée,

(15)

19è siècle qu’il acquiert une définition quelque peu fixe, tendant au raccourci narratif avec une syntaxe qui détache les mots clés : « Moins explicite par rapport au texte, il a tendance à

se situer à un niveau d’abstraction logico-sémantique qui a conduit aujourd’hui à l’apparent hermétisme de certains titres. »38

1-2-L’étude du titre

« Un beau titre est le vrai proxénète du livre »39. Cette remarque provocante de Furetière est devenue, trois siècles plus tard, « la formule canonique des titrologues d’aujourd’hui »40. « Discipline mineure »41, la titrologie n’a vu le jour que depuis presque quatre

décennies avec Claude Duchet qui a célébré la naissance d’une discipline qui aurait comme objet de recherche « un élément polyédrique et apparemment insaisissable »42avec la parution de son travail La fille abandonnée et La bête humaine, élément de titrologie romanesque en 1973 ; l’emploi du néologisme lui est donc attribué pour désigner ce champ de recherches. Depuis, « les recherches sur le titre se sont enrichies avec des apports très divers issus de domaines forts différents : de la linguistique du texte aux sciences de la communication, en passant par la théorie de l’argumentation, la déconstruction, l’esthétique de la réception, la pragmatique et bien entendu la sémiotique, les méthodes d’analyse qui ont porté sur le titre se rejoignent dans leur intérêt pour les phénomènes de la production et de la construction du sens »43.

Mais l’auteur qui a, sans doute, le mieux exploré le sujet est Gerard Genette avec « Seuils » en 1987. Une étude d’ensemble sur les paratextes, où le titre est abordé en profondeur. Pour lui, le titre est au seuil de l’œuvre d’art faisant partie de ce qu’il appelle « le paratexte », « cette frange aux limites indécises qui entoure d’un halo pragmatique l’œuvre littéraire –et par une extension sans doute légitime du terme ,toutes sortes d’œuvre d’art – et qui assure, en des occasions et par des moyens divers ,l’adaptation réciproque de cette œuvre et de son public(…) le paratexte n’est ni à l’intérieur ni à l’ extérieur : il est l’un et l’ autre, il est sur

38

NOBERT MARGOT, Le titre comme séduction dans le roman Harlequin : une lecture sociosémiotique.

Op,cit., p.382. 39

ANTOINE FURETIERE, Le roman bourgeois. Paris : Gallimard, coll. « Bibl., de la Pléiade », p.1084, cité par LEOHOEK, La marque du titre, La Haye, Mouton, 1981, p.3.

40

CHRISTIVA STEVENS, L’écriture solaire d’Hélene Cixoux : travail du texte et histoires du sujet dans Portrait du soleil, Faux titre, 1999, p. 23. In w.w.w.google livres.

41

GERARDGENETTE, Les titres. Paris : Seuil, coll. « Poétique », 1987, p. 54. Selon GENETTE c’est C.DUCHET qui a ainsi baptisé cette discipline « mineure ».

42

JOSEPH BESA CAMPRUBI, Les fonctions du titre, in nouveaux actes sémiotiques. Limoges, presse universitaires de Limoges, 2002, p.7.

43

(16)

le seuil et c’est sur ce site propre qu’il convient de l’étudier car, pour l’essentiel peut être ,son être tient à son site. »44.

Ricardou quant à lui a étudié les titres de romans d’un point de vue rhétorique : pour lui le titre est une primauté dans la couverture du livre en tant que porte qui s’ouvre au lecteur puisque la « couverture est aussi cet écran très surveillé où se déploie le titre. Or, tout se passe comme si cette première page de carton jouait le rôle d’une porte d’entrée […] une fois franchie l’unique entrée du texte, le lecteur est convié à suivre le corridor jusqu’à l’unique sortie, tout au bout.».45

C. Grivel de son côté souligne la « puissance » du titre dans la mesure où « l’autorité du titre se lit et se subit dès sa marque inaugurale ».46

Selon L.Hoek , on participe à une interaction sociale et le titre devient acte de parole au moment où l’on se sert d’un titre pour désigner un référent : « En tant qu’énoncé intitulant, le titre se présente comme un acte illocutionnaire : le titre est le point d’accrochage où l’attention du récepteur[…] d’un texte se dirige en premier lieu ; la relation établie entre le locuteur (l’auteur) et l’interlocuteur(le lecteur) est conventionnelle tant par l’endroit où l’énoncé se manifeste traditionnellement que par son contenu, son intention et son effet .».47

P. Goldenstein étudie les titres de romans comme composants de l’« appareil paratextuel » qui précèdent le texte : « chargé de pré-dire le récit à venir, promesse d’un manque à combler, cet énoncé initial mérite d’être considéré avec attention.».48

Nous en venons à conclure que le titre d’un roman est autre chose qu’une étiquette, il

est le premier indicateur, le premier guide du lecteur qui approche l’œuvre. Et pour mieux comprendre les mécanismes qui entrent en jeu dans la réception du roman, il ne serait pas vain de survoler les fonctions du titre dans ce qui suit.

1-3- Les fonctions du titre

On croit toujours que le titre porte sur le contenu du texte et qu’ainsi le sens réel du

texte ne peut apparaître vraiment qu’après la lecture du texte que ce titre introduit, pourtant le titre a bien d’autres fonctions que celle de préparer au texte. En dépit de leur caractère vacillant de

44

GERARD GENETTE, Seuils, op. cit., p. 5.

45

JEAN RICARDOU, La prise, prose de Constantinople. Paris : Minuit. 1972, p. 21.

46

CHARLE GRIVEL, Production de l’intérêt romanesque « puissance du titre », La Haye, Mouton, 1973,

p.166.

47

LEO HOEK. La marque du titre, op. cit., p. 248.

48

(17)

leur dénomination, les critiques présentent une remarquable convergence en ce qui concerne les trois grandes fonctions du titre qui concernent trois composantes de la communication : le message, l’objet et le destinataire .Pour les présenter, nous avons opté pour la définition proposée par L.Hoek : « Ensemble de signes linguistiques […] qui peuvent

figurer en tête d’un texte pour le désigner, pour indiquer le contenu global et pour allécher le public visé »49

.

Le titre remplit ainsi les fonctions suivantes:

1-3-1-Désignative

« Intituler signifie baptiser le texte, le titre est le nom de l’œuvre, […], il sert à identifier l’œuvre aussi précisément que possible »50

. Sa fonction première est donc désignative, qui prend en charge la dénomination de l’œuvre, « il fonctionne à la fois comme un nom

propre »51 puisque c’est un signifiant qui renvoie directement à un référent qui parle du

texte. Il représente la structure profonde d’un texte « c’est un microtexte autosuffisant, générateur de son propre code ».52 Cette fonction nomme l’ouvrage et permet de le rendre unique.

1-3-2- Conative

Tout énoncé littéraire est formé de deux parties : une partie longue « le texte » et une partie courte « le titre », qui seront comme deux pôles « entre lesquels circule une électricité de sens ».53 C’est une interaction qui va créer le type de lecture. Bokobza affirme qu’ « en lisant le titre, le lecteur sera, en somme, conditionné dans l’optique de l’événement à venir » 54 puisque « Le titre est un texte à propos d’un autre texte ».55Mais il avance également que la

lecture d’un roman passerait « d’abord par la compréhension de son titre »56parce que ce dernier dit quelque chose du texte, il promet donc savoir et plaisir, il ne dévoile pas tout, il oriente et programme l’acte de lecture, donc il n’est pas arbitraire c'est-à-dire qu’il est choisi en fonction de la lecture du texte qu’il annonce.

49

LEO HOEK,La marque du titre, op.cit., p.17. 50

JOSEPH BESA CAMPRUBI, Les fonctions du titre, in nouveaux actes sémiotiques, op.cit., p. 8.

53LEO HOEK, Pour une sémiotique du titre, Document de travail, Urbine, n°21-2, février1973, série D

52

CHARLES GRIVEL, Production de l’intérêt romanesque « puissance du titre », op. cit., p. 169.

53

Michel BUTOR, Les mots dans la peinture, Paris, Skira, p.17.

54

SERGE FELIX BOKOBZA, Contribution à la titrologie romanesque, op.cit., p.20.

55

CHARLES GRIVEL, Production de l’intérêt romanesque « puissance du titre », op. cit., p .173.

56

(18)

1-3-3 Séductrice

Cette fonction a pour de conquérir le lecteur, de solliciter sa curiosité pour le texte, c’est une fonction qui permet au titre de jouer un rôle de séduction qui a un objectif spécifique : la consommation du produit littéraire, c’est donc un appât qui attire en flattant les sens et encourage l’acquisition de l’œuvre. En effet « des lecteurs affirment avoir choisi ou acheté un livre pour son titre, pour son attrait en soi ou pour son notoriété »57. Ainsi, le titre doit avoir une qualité littéraire et musicale ; littéraire : doit annoncer et résumer le texte, musicale- par sa phonie et musicalité- doit inviter l’âme du lecteur à rêver. Le rôle d’incitateur à la lecture que joue le titre est très important à la circulation du roman mais il doit y avoir un certain équilibre entre les deux, un titre plus séduisant que son texte mène à la déception du lectorat et par conséquent au rejet du roman. Vu l’importance de cette dernière remarque, G.Genette lance un appel à l’ensemble des écrivains : « Ne soignons pas trop nos titres. »58. Un titre doit tout simplement « exprimer dans un bref raccourci la substance profonde du texte, qu’il soit clair, précis… » .59

1-4-Les types de titre

De même, un rapide coup d’œil sur les types de titre nous aidera à comprendre l’objet lui-même et rendre compte de sa spécificité et bien sur à inscrire le titre romanesque dans un discours littéraire (ce par quoi il existe) ou social (ce pour quoi il existe). D’où cette affirmation de Claude Duchet : « Le titre du roman est un message codé en situation de marché ; il résulte de la rencontre d'un énoncé romanesque et d'un énoncé publicitaire : en lui se croisent nécessairement littérarité et socialité : il parle de l'œuvre en termes de discours social mais le discours social en terme de roman. ».60Notons que littérarité n’est pas littérature

comme le souligne Roman Jakobson « l’objet de la science de la littérature n’est pas la

littérature mais la « littérarité », c'est-à-dire ce qui fait d’une œuvre donnée une œuvre littéraire »61. Différentes divisions du titre nous sont proposées par les critiques :

Paul Ginestier distingue trois types62 :

57

ROY MAX. Du titre littéraire et de ses effets de lecture, Portée. V 36, n°3, 2008, p.47.

58

GERARD GENETTE, Seuils, op. cit., p. 95.

59

ChRISTIAN MONCELET, Essai sur le titre en littérature, et dans les arts, op. cit., p.6.

60

CLAUDE DUCHET, Eléments de titrologie romanesque.In Littérature, n° 12, decembre1973. p.17.

61

ROMAN JAKOBSON, Questions de poétique, Paris, Seuil, 1974, p. 24. 62

PAUL GINESTIER, Le Théâtre contemporain dans le monde. Essai de critique esthétique, Paris, P.U.F., 1961, p.126.

(19)

1) Le type mystérieux que l’on comprend après la lecture.

2) Le type nom ou homonymique avec effet de choc et effet magique (type de titre recommandé par l’antiquité et les classiques).

3) Le titre fictionnel qui renferme l’action : le titre raconte. Pour Christian Moncelet les titres se divisent en deux types 63 :

1) Le titre générique : le titre indique le genre.

2) Le titre eponymique : le héros donne son nom au livre entier.

Bokobza, quant à lui, rejette les divisions citées ci-dessus et il pense que même si elles sont d’une grande justesse « elles ne sont malheureusement pas d’un grand secours pour une étude du titre limitée au genre romanesque »64 et préfère réunir les titres sous l’appellation d’onomastique et de référentielle :

1) Le titre onomastique : titre qui contient un nom propre et il est divisé en deux sous- groupes :

a) titres anthroponymes : noms de personnes. b) toponymes : noms de lieux.

2) Le titre référentiel : noms communs.

G. Genette de son coté a repris la bipartition de L. Hoek : titres subjectaux (qui désignent le sujet du texte dans son acception la plus large), et titres objectaux (qui désignent l’objet, le texte lui-même) en la renommant thématique et rhématique pour les raisons suivantes : « L’essentiel est pour nous de marquer en principe que le choix n’est pas exactement entre

intituler par référence au contenu (Le spleen de Paris) ou par référence à la forme (Petits Poèmes en prose),mais plus exactement entre viser le contenu thématique et viser le texte lui-même considéré comme œuvre et comme objet. Pour désigner ce choix dans toute sa latitude sans en réduire le second terme à une désignation formelle qu’il pourrait à la rigueur esquiver, j’emprunterai à certains linguistes l’opposition qu’ils marquent entre le thème (ce dont on parle) et le rhème (ce qu’on en dit) »65

.

Onomastique ou référentiel, le titre reste un signal « sémique très complexe puisque sa langue est supposé constituée pour en désigner une autre. ».66

63

CHRISTIEN MONCELET, Essai sur le titre en littérature, et dans les arts, op. cit., p.24.

64

SERGE FELIX BOKOBZA, Contribution à la titrologie romanesque, op. cit., p.24.

65

GERARD GENETTE, Seuils, op. cit., p.75.

66

(20)

1-5- Sémiotique et herméneutique

Cette discipline connaît deux dénominations qui sont traditionnellement en

concurrence : sémiotique et sémiologie, toutes les deux se distinguent de la sémantique qui est définie par Denis Bertrand comme étant « la partie de la linguistique qui a pour objet l’étude des significations lexicales ».67 C'est-à-dire l’étude du sens de la langue. C’est un mot extrêmement général puisqu’il peut s’appliquer aussi bien à des systèmes formels qu’à des langues humaines. Quant à la sémiologie, c’est F. de Saussure qui l’a conçue et il la définit comme suit : « la science qui étudie la vie des signes au sein de la vie sociale ;

elle formerait une partie de la psychologie sociale, et par conséquent de la psychologie générale ; nous la nommerons sémiologie (du grec sēmeîon, « signe »). »68. Dans le dictionnaire Petit Robert on trouve la définition suivante : « Science étudiant les systèmes

de signes (langues, codes, signalisations, etc.) »69. Les deux définitions dessinent donc l’étendue considérable de leur objet : l’univers général des signes bien au-delà de la seule la langue. Notons cependant que la théorie générale des signes n’était autre que la sémiotique, terme d’origine anglo-saxonne, qui s’est répandu avec Peirce. Deledalle le confirme dans la citation suivante : « En bonne morale terminologique, la sémiotique est la

théorie peircienne des signes et la sémiologie la théorie saussurienne des signes ».70 Peu après, la sémiotique acquiert son statut indépendant, dessine les limites de son domaine et devient théorie de la signification et du sens. Greimas nous fournit une définition plus technique, qui pose les bases programmatiques du projet sémiotique : « La théorie

sémiotique doit se présenter, d’abord, pour ce qu’elle est, c'est-à-dire pour une théorie de la signification. Son souci premier sera donc d’expliciter, sous forme d’une construction conceptuelle, les conditions de la saisie et de la production du sens. ».71. Dans notre optique, cette affirmation présenterait le texte littéraire comme source de signes et l’acte de lecture devient à ce moment une tâche exploratrice à la recherche de signes significatifs qu’il faut repérer, relever puis interpréter. L’objet sémiotique, c'est-à-dire tout élément d’une culture donnée, permet d’ancrer le texte dans son contexte : le lecteur se prépare à

67

DENIS BERTRAND, Précis de sémiotique littéraire, Paris, Nathan, 2000, p.7.

68

FERDINAND DE SAUSSURE, Cours de linguistique générale, Bejaïa, TALANTIKIT, 2002, p.22.

69

PETIT ROBERT,

70

CHARLES.S. PEIRCE, Écrits sur le signe, Paris : Seuil (coll. « L’ordre philosophique »). Rassemblés, traduits et commentés par Gérard Deledalle, 1978, p.212.

71

ALGIRDASJULIENGREIMAS, JOSEPHCOURTÉS,Sémiotique. Dictionnaire raisonné de la théorie du langage, 1979, cité par DENIS BERTRAND in Précis de sémiotique littéraire, op. cit., p.10.

(21)

accomplir un travail d’interprétation. Il comble les manques, rétablit un ordre, fait des rapprochements entre les mots du texte, les faits du texte, le texte et d’autres textes, le texte et sa propre expérience.

Ceci dit, l’approche sémiotique d'un texte littéraire est une opération profonde et complexe qui suppose l'intervention active et consciente d'un lecteur averti qui n'est plus le récepteur du texte mais un élément indispensa ble à son sens. Selon les linguistes, le lecteur joue un rôle très important dans la saisie du sens du texte littéraire (l’outil de communication) puisqu’ il crée un cour ant de signification chargé d’intentionnalité entre le destinateur et le destinataire. C'est dire aussi que le sens d'un discours n'est pas donné uniquement par la langue : il est découvert par le destinateur grâce aux multiples points de repères que le destinataire y a placés pour exprimer ce qu'il veut dire. Les blancs sémantiques sont ici d'une importance majeure. Comme savoir faire, la compréhension de la littérature suppose la maîtrise des c o n t r a i n t e s sociales et des r è g l e s l i n g u i s t i q u e s ; c'est donc un dispositif complexe d'aptitudes dans lequel les savoirs linguistiques et les savoirs socioculturels constituent un tout et contribuent à l'édification du sens. Ce qui nous mène aussi au concept de l’intertextualité qui selon Eigeldinger « se définit par un travail d’appropriation

et de réécriture qui s’applique à récréer le sens, en invitant à une lecture nouvelle »72. Ce concept nous présente le texte comme une « œuvre ouverte » qui

se définit par son ouverture en direction du lecteur pour désambiguïser le sens et l’interpréter. Un texte est rempli d’indices, de traces dont la valeur sémantique pour le lecteur échappe souvent au narrateur lui -même et c’est là que se rapporte la beauté d’une œuvre ; dans son ambiguïté.

Et c'est ainsi que les questions de nature herméneutique s'avèrent

incontournables. Du nom du dieu Hermès, l’herméneutique est définie comme étant « l’ensemble des connaissances et des techniques qui permettent de faire

parler les signes et de découvrir leur sens »73.Elle engage un travail d’interprétation et « elle suppose que les signes et les discours ne sont pas

transparents, et que derrière un sens patent reste à découvrir un sens latent, plus profond ou plus élevé » .74 La constitution de l’herméneutique comme art de

72

EIGELDINGER, Mythologie et intertextualité. Genève, éd. Slatkine, 1987, p.11.

73

FOUCAULT, M. cité in Le dictionnaire du littéraire, PUF. p.260

74

(22)

l’interprétation remonte à la Grèce antique : il s’agissait de dévoiler le sens caché de certains textes comme l’Iliade et l’Odyssée. Donc, on interprète lorsque, pour une raison ou une autre, le sens littéral ne semble pas aller de soi et qu’il faut faire appel à un autre niveau de sens. Ainsi, la question herméneutique se déplaçait vers le lecteur et la lisibilité, la compréhension et l’interprétation d’un texte littéraire dépendent des lecteurs et de leur savoir lexical et e ncyclopédique, ce qui fait que le sens d'un texte, voire d'une œuvre littéraire se construit au cours des différents moments de l'histoire, à travers les différents horizons d'attente, par les diverses expériences de lecture, la dite lisibilité dépend aussi de la syntaxe qui peut clarifier ou brouiller la cohérence donc la compréhension. L'histoire littéraire est, dans ce contexte, un ensemble d'horizons d'attente ce qui a conduit Gadamar à avancer que « la tâche de l’herméneutique est d’élucider ce miracle de la

compréhension, qui n’est pas communion mystérieuse des âmes mais participation à une signification commune ».75

2-Présentation du corpus

2-1- Les agneaux du Seigneur

C’est l’histoire du glissement d’une partie de la société vers le fanatisme destructeur due surtout à l’envie que les plus défavorisés ont nourri pendant des années. Dans un petit village paisible et tranquille de l’Algérie, nommé Ghachimat, on assiste à la rapide montée triomphale de l’islamisme politique et on voit se dessiner l’apparition du terrorisme, de la violence et de la terreur parmi la population. Le drame se noue au retour d’un enfant endoctriné d’Afghanistan ; Kada Hilal laisse pousser sa barbe, après avoir été refusé par Sarah, et décide de rejoindre les « Moudjahidin » en Afghanistan, après son retour, il devient le bourreau du village et la violence éclate décuplée par les rancunes enfouies. La vengeance est dans l’esprit de tous: Tej fils de Aissa la Honte, un mécanicien au passé humiliant, s’intronise émir et s’arroge le droit de vie et de mort. Le nain Zane « qui n’a

pas plus de noblesse qu’un chien de race »76

, exploité et méprisé par tout le monde, attend une occasion pour se venger. Toutes les rancunes se voient renforcées avec

75

GADAMAR H.G., Vérité et méthode, Paris, Seuil, 1976, cité in Dictionnaire littéraire, op. cit., p.261.

76

(23)

l’avènement du FIS qui vient basculer le village dans une nuit infernale de terrorisme. « Et

c’est ainsi que, progressivement, des garçons bien tranquilles deviennent des tueurs en série… ».77 Parmi les nombreux sacrifiés, la belle Sarah et son époux le policier Allal Sidhom, l’instituteur d’origine pied- noir Hadj Maurice, l’intellectuel Dactylo, l’imam Hadj Salah…Bref , tous les jours , un convoi ira confier son cher disparu à une terre devenue charnier. Avec Les agneaux du Seigneur, on descend directement aux enfers de la décennie noire et on vit avec ses personnages la confusion mentale dans laquelle ils ont sombrés.

2-2- À quoi rêvent les loups

Le crime n’est crime que s’il est commis dans l’esprit de faire du mal. Mais que se

passe- t-il si le même crime est commis, aussi horrible soit-il, avec la conviction de faire juste. L’histoire se passe dans la capitale, nous sommes en Algérie, à la fin des années 80. C’est l’histoire d’un jeune algérien Nafa Walid qui rêve d’une carrière d’acteur international. En attendant, il devient un chauffeur de l’une des plus prestigieuses familles d’Alger. Il découvre un univers totalement corrompu où les lois communes ne s’appliquent pas. Une nuit, on lui ordonne de faire disparaître le corps d’une jeune adolescente morte d’une overdose dans le lit du fils des Raja. Terrorisé, il exécute de peur d’être accusé de meurtre, humilié par ces hommes puissants, il perd tout respect de lui-même. En trouvant refuge chez les islamistes, il s’aperçoit d’un coup que l’on peut exister, que le monde n’est qu’à porter de main, qu’il suffit de la tendre et prendre ce qui est dû. Vulnérable comme beaucoup de jeunes gens, il était facile à manipuler, alors il cède à la tentation de la violence, il s’oppose à sa famille et à son entourage et tombe dans la confusion mentale jusqu’à perdre ses repères, jusqu’à commettre l’abominable. Et c’est ainsi que commence la descente aux enfers. Son premier meurtre l’a traumatisé le deuxième moins, le troisième pas du tout ; il ose même égorger un bébé.

« Pourquoi l’archange Gabriel n’-t-il pas retenu mon bras lorsque je m’apprêtais à trancher la gorge de ce

bébé brulant de fièvre ? Pourtant, de toutes mes forces, j’ai cru que jamais ma lame n’oserait effleurer ce cou frêle, à peine plus gros qu’un poignet de mioche. » (p. 11.)

77

(24)

CHAPITRE

II

FONCTIONNEMENT

SEMIOTIQUE

(25)

2-1-La construction syntaxique

Étant le « moellon »78 du titre comme le considère L.Hoek, le syntagme nominal apparaît comme la forme la plus naturelle du titre. C’est pour cette raison, sans doute, que Y.Khadra a opté pour la forme nominale dans la majorité de ses titres ; nous avons constaté la nette dominance du syntagme nominale ainsi qu’un penchant apparent pour les titres condensés. Peut être parce qu’il rejoint Régine Atzenhoffer qui soutient que « la réduction

syntaxique garantit une augmentation de l’informativité du titre : l’information est le plus souvent condensée dans un seul syntagme. Les titres les plus longs amorcent la rêverie, laissent prévoir certains drames, ils installent le lecteur dans l’ambiguïté et l’incertitude, créent une attente. »79. Vingt sur vingt deux des titres Khadriens sont nominaux, i-e un pourcentage de 90٪ et seulement deux titres verbaux. 18 ٪ des titres comptent (1) élément, 18٪ en comptent(2), 50٪ en comptent (4), 4٪ en comptent (5), 4٪ en comptent (7) et 4 ٪ en comptent (8). Seulement 3 titres sur 22 contiennent plus de 4 éléments, il s’agit des deux titres verbaux (À quoi rêvent les loups), (Ce que le jour doit à la nuit) et un titre à syntagme prépositionnel (De l’autre coté de la ville).

Il s’agira, notons le, d’examiner comment la structure syntaxique favorise une lecture plutôt qu’une autre et nous tenterons de dégager les codes qui investissent le titre d’une valeur exemplaire ou exceptionnelle et de déceler les éléments qui l’inscrivent dans le code social et/ou littéraire. Autrement dit, nous chercherons les indices qui vont confirmer ou infirmer si le titre renvoie aux éléments fictionnels de l’histoire à travers les aventures, les personnages, etc. Ou bien ils débordent au même temps dans le code social. Les agneaux

du Seigneur et À quoi rêvent les loups, nous semblent très adéquats pour confirmer ou

infirmer cette hypothèse.

2-1-1- Syntagme nominal

Devant cette abondance du syntagme nominal chez Yasmina Khadra, le problème des éléments syntaxiques qui gravitent autour du nom commun se pose. Et, sur la ligne du front, se tient l’article, que THOMAS VAUTERIN considère comme « Signifiant de premier

78

LEOHOEK, Pour une sémiotique du titre, op. cit., p.18.

79

REGINE ATZENHOFFER, Le titre « formule magique » ou comment fidéliser son lectorat. Analyse de la charge sémantique, du code herméneutique et de l’effet textuel des titres de H.Courths-Mahler. p.6.

(26)

ordre, puisqu’il détermine avant tout les relations qu’entretient le syntagme nominal avec le contexte, qu’entretient le titre avec le roman. Ainsi l’emploi du syntagme nominal, suivant qu’il se présente sans article : Poussière sur la ville, avec article indéfini : Une Poussière sur la ville ou avec le traditionnel article défini : La Poussière sur la ville, se fait selon des termes forts différents et qui prennent différentes valeurs. ».80

Dans le cas qui nous intéresse, la norme de l’article défini semble s’imposer d’elle-même, pas seulement à cause du corpus choisi, mais aussi parce que c’est la seule forme qui existe dans toute l’œuvre de Y.K. Mais nous jugeons utile d’y faire un survol théorique des deux autres cas parce qu’ils illustrent les deux pôles entre lesquels va osciller la valeur de l’article défini du titre.

2-1-1-1- L’absence de l’article

Genette avait déjà noté que l’absence de l’article proposait le titre comme « rhématique »81 (métafictionnel) : journal d’un jeune marié, soliloque en hommage à une jeune femme. Et puisque le titre métafictionnel « procède de l’ascendant du discours

social sur celui de la fiction, l’absence d’article prend ici une valeur similaire celle de l’étiquette commerciale ou de la marque de commerce où l’objet fait corps avec son nom ».82

On remarque cependant que les termes du titre sans article se proposent

essentiellement dans un sens générique. En effet, si l’article détermine la relation qu’entretient le syntagme nominal avec le contexte, « son absence se pose comme une non-

définition, la relation devant être prise dans sa plus grande extension »83. Dans Sa thèse,

Codes littéraire et Codes sociaux dans la titrologie du roman québécois au XXe siècle,

Vauterin avance, en donnant exemple de Rédemption de Rodolphe Girard, que l’omission de l’article fait appel à une référence extra-textuelle du concept et peut exprimer une notion abstraite. Ainsi que Neige noire d’Hubert Aquin illustre sa théorie en ce qui concerne l’absence d’article qui « promet moins la résolution de cette

antinomie que ne l’aurait fait « La neige noire ». En effet l’emploi d’un déterminant

80

THOMAS VAUTERIN, Codes littéraire et Codes sociaux dans la titrologie du roman québécois au XXe siècle,

thèse de la Maitrise ès arts (Lettres Française) : M.A. Ottawa-1997. p.47. in w.w.w.googlelivres.com

81

GERARD GENETTE, Seuils, op.cit., p.85.

82

THOMAS VAUTERIN, Codes littéraires et Codes sociaux dans la titrologie du roman québécois au XXe siècle, op.cit., p.48.

83

(27)

renvoyant à quelque réalité romanesque donnée comme présupposé topique, désamorcerait l’effet de l’oxymore grâce à l’assurance de sa résolution. »84

Nous concluons donc que le titre sans article se définira surtout dans le discours social, et l’évolution du discours social entraînera une évolution plus aigue de la compréhension du titre sans article.

2-1-1- 2- L’article indéfini

A la lumière de ce qui vient d’être dit ci-dessus, nous pouvons deviner que l’article

indéfini possède une valeur contradictoire à celle de l’absence d’article. Puisqu’il possède tous les attributs d’un introducteur qui, certes, désigne un objet indéterminé mais, ce faisant, le détermine. L’article indéfini du titre identifie et particularise l’énoncé comme l’a signalé Hoek dans son ouvrage La Marque du titre : « Un mariage sous l’Empire ou Un

drame au Palais des Tuileries traitent en fait d’un mariage et d’un drame fort déterminés par le co-texte et non pas du mariage ou du drame en général »85. En effet, l’article

indéfini du titre possède une valeur assez proche de la fois dans le poncif du conte : il était une fois, qui signale d’emblée que l’indétermination du chronotope reste le gage de sa fictionnalité.

Vauterin souligne aussi qu’ « un syntagme nominal indéfini dans le titre, demeure

donc la promesse implicite d’une définition dans le roman […] il reste l’exemple le plus frappant d’un énoncé purement romanesque malgré sa faible récurrence. »86

. Ainsi des titres comme Un homme et son péché, Un amour maladroit ne prennent leur sens que dans le roman.

2-1-1- 3- L’article défini

Nous observons une utilisation abondante de l’article défini en position initiale L’attentat, L’olympe des infortunes, Les hirondelles de Kaboul, Les agneaux du

Seigneur ou intérieure À quoi rêvent les loups, Ce que le jour doit à la nuit. Dans la

mesure où le défini détermine un sujet prétendu connu par le récepteur du titre, il prend, selon les grammairiens, la valeur de « notoriété » dite encore valeur anaphorique. Dans ses

84

Ibid., p.52.

85

LEO HOEK, La Marque du titre, op. cit., p.164.

86

THOMAS VAUTERIN, Codes littéraire et Codes sociaux dans la titrologie du roman québécois au XXe

(28)

travaux réalisés sur l’article défini, Langage et science du langage, Guillaume Gustave87 affirme que ce dernier (l’article défini le) suppose un mouvement de pensée qui va du singulier vers le général. La détermination est donc une composante du pacte de lecture implicite proposé par Yasmina Khadra. Pacte qui procède d’un désir d’établir dès le titre une relation entre son imaginaire et la réalité. Les agneaux du seigneur assume-t-il l’inscription et la liaison à l’histoire du roman ou assure –t-il une expansion vers le monde réel donc une expansion extratextuelle ?

Si on adopte la réflexion de Christien Moncelet, l’article défini suggère « la

particularité ou la généralité »88. La première possibilité nous renvoie au raisonnement qui suit : Les agneaux du Seigneur, est un titre composé de deux syntagmes nominaux, le second Seigneur avec un « S » majuscule est dieu, n’est utilisé dans l’absolu qu’en parlant d’Allah Ta’ala, celui qui se charge de toute chose bénéfique aux créatures (ar-Rabb) dans le coran et la sunna. Le premier, quant à lui, est un nom commun qui renvoie à un animal le petit d’une brebis. Précédé de « les », article ambigu par sa nature - C’est cette ambiguïté qui explique la forte prédominance quantitative de cette forme syntaxique- il exprime ce double jeu du générique et du particulier, les agneaux nous envoie directement à cet animal doux, innocent et bon. Associé au mot Seigneur, il provoque en nous le sentiment de la paix, la douceur et la protection. Par conséquent, Les agneaux du

Seigneur trouve définition directement liée à l’histoire du roman. Il s’agit sans doute

d’agneaux romanesques, ceux dont parle le roman et qu’en principe nous ne connaissons pas encore l’histoire.

La deuxième possibilité renvoie au terme générique, une signification construite à même le discours social. L’emploi du titre défini procure le sentiment du « déjà lu » et qui permet de généraliser le sens du titre en question, en lui donnant une signification plus étendue. Il s’agit de deux renvois à des discours d’inégale réalité, qui se font concurrence surtout que notre titre a une visée politique et idéologique, et les deux codes (social et littéraire) travaillent à relier le titre à une situation sociologique réelle : l’incipit et la clausule sont en étroite relation :

« Le soleil maintenant se retranche derrière la montagne. Quelques mèches sanguinolentes tentent vainement de s’agripper aux nuages. Elles

s’effilochent et s’éteignent dans l’obscurité naissante.» (p.13)

87

GUILLAUME GUSTAVE, Langage et science du langage, Paris presse, p36.

88

(29)

Les mots « sanguinolentes », « s’agrippe », « s’éteignent », « l’obscurité » nous préparent au crime décrit dans la clausule :

« Tej rejette la tête contre le mur dans un râle. Ses yeux s’affolent. Un ultime spasme lui fouette le cou. Son regard vacille lorsqu’un filament

sanguinolent échappe des commissures de sa bouche. Il glisse sur le côté et ne bouge plus. » (p.222)

La puissance idéologique que sous-tend la position du titre comme syntagme nominal est souligné par L. Hoek : « La phrase nominale elliptique et la stéréotypie

sémantique du titre confirme généralement les attentes des publics et, en même temps, une image idéologique du monde que peut avoir le lecteur »89 . En effet, quoi de plus innocent qu’un syntagme nominal ? « Mais lorsque celui-ci s’offre en tant que synthèse, il

devient redoutable d’efficacité. ».90

Les agneaux du Seigneur est fortement connoté et chargé de signification, le choix des mots n’est pas fortuit, il s’agit d’attirer la curiosité du lecteur. Il est évident qu’on ne peut ici trancher, et que la volonté de notre écrivain est nette de vouloir user des deux valeurs, d’une part pour se relier au monde, et de l’autre pour se relier au roman.

2-1-2- Syntagme verbal

Lorsque T. Vauterin affirme que « La forme verbale du titre permet de dynamiser

l’acte d’énonciation du roman »91, nous pensons à ce choix qu’a fait l’auteur d’utiliser un titre verbal pour son roman. À quoi rêvent les loups est un titre structuré en phrase verbale, de type interrogatif, l’article défini « les » sert à définir et à préciser le nom qu’il désigne. Et comme on l’a déjà expliqué cet article défini exprime ce double jeu du générique et du particulier. De prime abord, ce titre se présente comme une parole, une voix intradiégétique, qui se trouve liée directement à l’histoire du roman mais cette même parole devient extradiégétique et par conséquent le titre dégage une parole sociale qui s’inscrit dans la décennie noire qu’a vécue l’Algérie. Ce titre est énoncé dans un présent

89

LEO HOEK, La Marque du titre, op, cit., p .283.

90

THOMAS VAUTERIN, Codes littéraires et Codes sociaux dans la titrologie du roman québécois au XXe

siècle, op. cit., p.68. 91

(30)

qui le rapproche du discours social plus que du discours littéraire du roman. En effet, Le verbe « rêver à », qui signifie désirer ardemment, souhaiter, imaginer positivement, conjugué au présent devient un acte inachevé, étendu, continu. Même s’il se présente comme le résumé d’une fiction, ce titre est énoncé hors de celle-ci et apparemment, l’auteur ne veut surtout pas qu’il soit fictif ; c’est un appel désespéré contre l’intégrisme, un appel proclamé dans le présent intemporel, dans une interrogation qui marque fortement le désarroi et l’indignation contre ces loups avides de la chaire humaine :

« Les premiers coups de hache leur fracassèrent le crâne…Pareils aux ogres de la nuit, les prédateurs se ruèrent sur leurs proies. Le sabre cognait, la hache pulvérisait, le couteau tranchait…Bientôt les cadavres s’entassèrent

dans les patios…Et Nafa frappait, frappait, frappait ». (pp. 262. 263)

Et quand L.Hoek soutient que « l’instance narrative qui parle dans le titre peut

changer d’un récit à l’autre »92 , nous pensons à cet autre choix que l’auteur a fait d’utiliser deux narrateurs pour raconter l’intrigue : le héros narrateur, Nafa Walid, et un narrateur inconnu, impersonnel qui exprime ses opinions dans un dialogue fictif entre le narrateur et son lecteur à travers ces « intrusion d’auteur »93. Un choix qui confirme les soucis réalistes qui préoccupent notre écrivain. Ã quoi rêvent les loups est un titre qui marque de façon très nette les enjeux moraux qu’il met en scène.

« Nous nous engouffrâmes dans les forêts, marchâmes une partie de la nuit et observâmes une halte dans le lit d’une rivière. Et là, en écoutant

le taillis frémir au cliquetis de nos lames, je m’étais demandé à quoi rêvaient les loups, au fond de leur tanière, lorsque, entre deux grondements repus, leur langue frétille dans

le sang frais de leur proie accrochée à leur gueule nauséabonde comme s’accrochait, à nos basques, le fantôme de nos victimes. ». (p.264)

A travers ce parcours nous avons constaté la façon dont s’actualisent les lectures du titre selon la forme syntaxique de ce dernier. Grace à sa solidité sémantique, la forme nominale du titre accepte facilement deux lectures et montre les relations équivoques qui s’établissent au sein d’un simple mot. Autrement dit, le titre nominal Les agneaux du

92

LEO HOEK, La Marque du titre, op. cit., p.258.

93

GEORGE BLIN, Stendhal et les problèmes du roman, in

(31)

Seigneur garantit une flexibilité entre le littéraire et le social. Le titre verbal, quant à lui,

permet de dynamiser l’acte d’énonciation du roman et du titre, et nous avons vu comment

à quoi rêvent les loups est énoncé dans un présent qui le rapproche davantage du discours

social que du discours littéraire du roman.

2-2- Symbolique animale

Je chante les héros dont Esope est le père Troupe de qui l’histoire, encore que mensongère Contient des vérités qui servent de leçons. Je me sers d’animaux pour instruire les hommes JEAN DE LE FONTAINE, A MONSEIGNEUR LE DAUPHIN

« Au VI e siècle avant Jésus-Christ, Diogène le Cynique soulignait déjà

l’absurdité de la définition de l’homme donnée par Platon comme un animal à deux pattes sans plume en lui apportant un poulet déplumé. ».94En lisant cette anecdote, nous nous sommes demandés s’il suffit, pour définir l’homme, d’écarter les critères non-humains et bestiaires ou bien faut-il au contraire se référer à ces créatures justement non-humaines parce qu’elles reflètent en nous « nos préoccupations, nos égarements identitaires, nos

absurdités collectives et individuelles ».95 Bref, nous renvoient-elles« l’image de qui nous sommes et de qui nous pourrions être » 96 ?

Autant d’expressions courantes qui attestent de l’importance de la présence animale dans la vie de tous les jours : fier comme un coq, langue de vipère, têtu comme un âne… Ces expressions réaffirment-elles la nature de l’être humain ?

Par l’utilisation du symbolisme animalier Esope, La Fontaine, Ibn El Mouquafâa et beaucoup d’autres ont accompli une étude sociologique et psychologique des divers comportements humains. Est-ce aussi une étude sociologique et psychologique que veut notre auteur Yasmina Khadra ? Ou une implication thématique dans le réel social algérien ? C’est vrai que le désir de notre auteur d’attirer et d’arrêter l’attention sur de

94

Desblache,Lucile, Ecrire l’Animal Aujourd’hui : perspectives comparatives. Presses Universitaires Blaise

Pascal, mars2006.p.11. 95

Ibid.

96

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