• Aucun résultat trouvé

Du chou “prodigieux, et absolument incomestible” à la “copie-monument” : petite tératologie potagère de Bouvard et Pécuchet, œuvre posthume et inachevée

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "Du chou “prodigieux, et absolument incomestible” à la “copie-monument” : petite tératologie potagère de Bouvard et Pécuchet, œuvre posthume et inachevée"

Copied!
16
0
0

Texte intégral

(1)

HAL Id: halshs-02898194

https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-02898194

Submitted on 13 Jul 2020

HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers.

L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés.

“copie-monument” : petite tératologie potagère de Bouvard et Pécuchet, œuvre posthume et inachevée

Stéphanie Dord-Crouslé

To cite this version:

Stéphanie Dord-Crouslé. Du chou “prodigieux, et absolument incomestible” à la “copie-monument” :

petite tératologie potagère de Bouvard et Pécuchet, œuvre posthume et inachevée. Didier Plassard,

Corinne Saminadayar-Perrin et Yanna Kor. Littérature monstre. Une tératologie de l’art et du social

(1848-1914), Presses Universitaires de Liège, pp.47-58, 2020, Situations. �halshs-02898194�

(2)

LITTÉRATURE MONSTRE Une tératologie de l’art et du social

(1848-1914)

Sous la direction de

Didier P LASSARD , Corinne S AMINADAYAR -P ERRIN et Yanna K OR

Presses Universitaires de Liège

2020

(3)

Du chou « prodigieux, et absolument incomestible » à la « copie-monument » :

Petite tératologie potagère de Bouvard et Pécuchet, œuvre posthume et inachevée

Stéphanie D ORD -C ROUSLÉ CNRS-IHRIM, Université de Lyon Bouvard et Pécuchet a d’emblée été conçu par Flaubert comme « un roman moderne faisant la contrepartie de Saint Antoine

1

». L’un comme l’autre ques- tionnent les appartenances génériques : roman et encyclopédie pour le premier, roman et théâtre pour le second. Les deux œuvres démarquent et fusionnent d’un même mouvement ; elles se sont développées dans les marges, en jouant avec les frontières — et en se jouant des genres littéraires reçus. Cette plasticité générique est l’une des déclinaisons de leur rapport au monstrueux qui s’écrit dans un constant décalage par rapport aux normes. Par un effet de mise en abyme, et en raison d’une structure particulièrement accueillante, ces deux œuvres mettent toutes deux en scène un certain nombre de monstres, fantasmagoriques ou mythologiques pour l’une, matériels, physiologiques, sociaux et moraux, pour l’autre. Cette circulation du monstrueux interroge, en particulier dans le cadre de Bouvard

2

, où le monstrueux intentionnel se complique d’un monstrueux acci- dentel, le caractère inachevé de l’œuvre exposant à la vue de tous l’informe par

1. Lettre à George Sand, 1

er

juillet 1872 (Correspondance, éds J. Bruneau, et Y. Leclerc pour le t. 5, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1973-2007, 5 vol. ; ici, t. 4, p. 543).

2. Voir en particulier : Michel Crouzet, « Sur le grotesque triste dans Bouvard et Pécuchet », Nou-

velles recherches sur Bouvard et Pécuchet de Flaubert, Paris, SEDES, 1981, p. 49-74 ; Yvan

Leclerc, La Spirale et le Monument. Essai sur Bouvard et Pécuchet de Gustave Flaubert, Paris,

CDU et SEDES réunis, « Présences critiques », 1988 ; Françoise Grauby, « Comment naissent

les monstres : création et procréation dans deux romans fin-de-siècle, Bouvard et Pécuchet de

Flaubert et À rebours de Huysmans », Essays in French Literature, n

o

28, novembre 1991,

p. 15-22 ; Stéphanie Dord-Crouslé, Bouvard et Pécuchet de Flaubert, une « encyclopédie cri-

tique en farce », Paris, Belin, « Belin-Sup Lettres », 2000 ; Sylvie Triaire, Une esthétique de la

déliaison. Flaubert (1870-1880), Paris, Champion, 2002.

(4)

excellence, c’est-à-dire les matériaux d’une genèse définitivement inaboutie — pourtant sommés de tenir lieu d’œuvre.

G ENÈSE DU CHOU - MONSTRE

L’un des monstres de Bouvard a été jusqu’ici un peu laissé de côté : il s’agit du chou gigantesque qui vient orner le potager des deux personnages quand ils se consacrent à l’agriculture au chapitre II du roman. Dans la logique encyclopé- dique qui veut que Pécuchet passe en revue tous les légumes susceptibles de pous- ser en terre normande, l’apparition du chou succède à une série d’échecs : « Il manqua les brocolis, les aubergines, les navets — et du cresson de fontaine, qu’il avait voulu élever dans un baquet. Après le dégel, tous les artichauts étaient perdus

3

. » Heureusement, la famille des Brassicacées (anciennement appelées cru- cifères) apporte à l’apprenti jardinier un peu de réconfort : « Les choux le conso- lèrent. Un, surtout, lui donna des espérances. Il s’épanouissait, montait, finit par être prodigieux, et absolument incomestible. N’importe ! Pécuchet fut content de posséder un monstre. » Et c’est le plaisir que Pécuchet retire de l’existence de ce chou extraordinaire qui lui donne le courage de se lancer dans la culture, présen- tée comme particulièrement ardue, d’une nouvelle plante potagère, cette fois une cucurbitacée : « Alors, il tenta ce qui lui semblait être le summum de l’art : l’élève du melon ».

Cette logique de catalogue mis en fiction est en lien direct avec le fonctionne- ment encyclopédique du roman, lui-même assis sur un soubassement documen- taire bien connu

4

. En l’occurrence, pour rédiger ce passage, Flaubert s’est servi d’un ouvrage du professeur d’arboriculture Alfred Gressent, intitulé Le Potager moderne

5

. Non seulement l’auteur y prodigue les conseils de culture pour tous les légumes et leurs innombrables variétés, mais surtout, il sélectionne et adapte les plantes en fonction de la qualité de celui qui va les cultiver et les consommer. Le sous-titre de l’ouvrage l’annonce : Traité complet de la culture des légumes appro- priée aux jardins du propriétaire, du locataire, du fermier, du presbytère, des com- munautés et des pensions, de l’instituteur primaire, des gares et des camps, compre-

3. Bouvard et Pécuchet, avec des fragments du « second volume » dont le Dictionnaire des idées reçues, éd. Stéphanie Dord-Crouslé, Paris, Flammarion, « GF », [1999] 2011, p. 78.

4. Voir l’édition du dossier des notes de lecture relevées par Flaubert « Agriculture. Jardinage. Éco- nomie domestique » (Bibliothèque municipale de Rouen, ms. g226-1 f

o

1-71) sur le site Les dossiers documentaires de Bouvard et Pécuchet, dir. S. Dord-Crouslé, 2012-…, http://www.dossiers- flaubert.fr, ISSN 2495-9979 ; et plusieurs articles de Stella Mangiapane dont « Du discours spécialisé au discours romanesque : sur l’élaboration du chapitre II de Bouvard et Pécuchet », Revue Flaubert, n

o

15, 2017, http://flaubert.univ-rouen.fr/revue/article.php?id=199 . Le numéro 18 de la Revue Flaubert (éds S. Dord-Crouslé et É. Le Calvez) est consacré à « Bouvard et Pécuchet et l’agriculture » (https://flaubert.univ-rouen.fr/revue/sommaire.php?id=20).

5. Édition originale : Alfred Gressent, Le Potager moderne, Paris, A. Goin, 1863 (Flaubert a

consulté la deuxième édition, datée de 1867).

(5)

nant la préparation du sol, la fabrication des engrais, l’assolement, la culture et l’indication des variétés de légumes convenant à chacun de ces jardins. Les variétés de légumes à semer ne seront donc pas les mêmes pour le propriétaire, le loca- taire, le fermier, le curé et l’instituteur. Or Bouvard et Pécuchet sont des pro- priétaires souhaitant cultiver leur potager, et c’est bien dans cette section du manuel de Gressent que Flaubert est allé chercher les prescriptions qui vont don- ner naissance au chou prodigieux de Chavignolles. Mais le romancier les a systé- matiquement détournées ou en a carrément pris le contre-pied.

En effet, Gressent commence par avertir « [l]e propriétaire qui n’a ni mois- sonneurs, ni charretiers à nourrir, [qu’il] doit être très-sobre de choux, et choisir scrupuleusement ceux qui conviennent à sa table

6

». Il attire notamment son attention sur les désordres que les Brassicacées risquent d’engendrer et contre lesquels il lui appartient de lutter : le propriétaire « devra surtout veiller à ce que son potager ne soit pas envahi par ces immenses choux cabus, aux pommes gigantesques, aux côtes larges et coriaces, au goût âcre et musqué, qui font les honneurs de la marmite du jardinier en général, et son bonheur en particulier ».

Seules quelques variétés de choux sont « digne[s] de figurer sur [l]a table » du propriétaire. Ce sont les plus petites, en particulier le chou d’Ulm « qui n’a pas de côtes, sa pomme n’est guère plus grosse que celle d’une laitue, mais il est d’une délicatesse extrême

7

».

Qu’a retenu Flaubert de ce matériau documentaire ? Dans les notes qu’il a relevées en janvier 1873, lors des grandes lectures préparatoires à la rédaction de son roman, l’écrivain ne s’est guère arrêté sur le cas des choux

8

. Mais quand il a préparé puis rédigé son chapitre II (entre la mi-octobre 1874 et la fin février 1875), il a certes relu les notes de 1873, mais il a surtout repris l’ouvrage de Gressent qu’il devait donc toujours avoir à sa disposition. C’est alors que le romancier a sélectionné l’expression « immenses choux cabus » dans le para- graphe que Gressent consacre au chou, expression qu’il a aussitôt fait suivre d’une indication scénarique explicitant la manière dont la notation devra être exploitée dans la fiction : les personnages « sont d’abord contents de voir ce déve- loppement

9

». Un autre feuillet indique : « immenses choux-cabus, se dévelop- pant d’une façon gigantesque

10

». Puis, l’intérêt s’individualise et se déplace sur le comportement d’un chou singulier : « immense chou Cabus se développant <peu

6. Ibid., p. 110.

7. Ibid., p. 110-111.

8. Voir ms. g226-1 f

o

14 recto : « Choux - mauvais et bons à cultiver ».

9. Ms. g226-1 f

o

70 recto.

10. Bibliothèque municipale de Rouen, ms. g225-2 f

o

220 verso (Les manuscrits de Bouvard et

Pécuchet, édition électronique du manuscrit intégral de Bouvard et Pécuchet, premier volume,

Centre Flaubert, http://flaubert.univ-rouen.fr/bouvard_et_pecuchet).

(6)

à peu> d’une manière gigantesque

11

» — chou qui sera même qualifié un peu plus tard de « roi du potager

12

». En regard, Pécuchet s’interroge sur la durée du pro- cessus (« où s’arrêtera-t-il [?] ») et voit ses sentiments évoluer puisque sa joie initiale se mue bientôt en effroi (« d’abord content puis effrayé »). Mais surtout, un peu plus bas sur le même feuillet, la conséquence paradoxale de ce dévelop- pement végétal anarchique est énoncée : « pas moyen d’en manger ».

Ainsi, non seulement Pécuchet ne tient pas compte de la mise en garde de Gressent en laissant le champ libre à des plantes dont l’auteur recommandait au contraire de limiter l’expansion

13

, mais il se réjouit d’une croissance qui va à l’en- contre du but premier poursuivi par le professeur d’horticulture. En effet, son manuel ambitionne de permettre aux individus de se nourrir selon leurs goûts et leurs besoins qui sont fonction de leur situation sociale

14

. Or le chou de Chavi- gnolles, qui n’aurait jamais dû atteindre une telle taille, déroge à sa raison d’être première en ce qu’il ne peut être consommé. D’autre part, dans les brouillons du passage, Flaubert avait ébauché une description de la crucifère phénoménale dans laquelle il reprenait systématiquement, en les inversant, les éléments incriminés par Gressent : quand l’auteur du Potager moderne fustige ces choux « aux pom- mes gigantesques, aux côtes larges et coriaces, au goût âcre et musqué », Pécuchet

« se plaît à leur odeur » et les « contempl[e] le matin, quand ils <leurs feuilles>

brill[ent] dans la rosée, sous la bavure des limaces », « les côtes épaisses et le cœur épanoui

15

». La description a finalement été supprimée

16

, vraisemblablement pour des raisons d’économie génétique, mais peut-être aussi parce qu’elle rappelait trop certaines promenades d’Emma dans l’ennuyeux jardin de Tostes, quand

« [l]a rosée avait laissé sur les choux des guipures d’argent avec de longs fils clairs qui s’étendaient de l’un à l’autre

17

»…

11. Ms. g225-2 f

o

106 verso.

12. Ms. g225-2 f

o

113 recto.

13. Gressent refuse généralement « le culte du gros » qui relève du « potager de la ferme » (Le Potager moderne, op. cit., p. 106).

14. « Mon but, en publiant le Potager moderne, n’est pas de former des marchands de légumes, mais d’apprendre à tous à retirer de leurs jardins une abondante récolte d’excellents produits à un prix inférieur à celui du marché » (A. Gressent, Le Potager moderne, op. cit., p. VII).

15. Ms. g225-2 f

o

112 recto.

16. À propos des suppressions de descriptions chez Flaubert et d’un autre « monstre » flaubertien, voir Stéphanie Dord-Crouslé, « Genèse et disparition de la “Panogaudopole”. L’épisode sup- primé du jouet des enfants Homais (Madame Bovary, II, 14) », Atti del convegno internazio- nale « Madame Bovary, Préludes, présences, mutations / Preludi, presenze, mutazioni » (Mes- sina, 26-28 ottobre 2006), sous la direction de Rosa Maria Palermo et Stella Mangiapane, Naples, Edizioni Scientifiche Italiane, 2007, p. 43-57.

17. Madame Bovary, éd. Jeanne Bem, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la

Pléiade », 2013, t. 3, p. 205.

(7)

Le plaisir sensoriel, voire esthétique, que ressent Pécuchet devant son chou gigantesque le fait passer de l’effroi à la contemplation, sans que la dimension quasi religieuse de la réaction disparaisse — puisque le chou est qualifié de « pro- digieux

18

» avant de devenir un « monstre

19

». « Monstre », le légume l’est parce qu’avec la complicité passive de Pécuchet, il a échappé aux prescriptions du manuel, parce qu’il a déjoué les règles édictées par le professeur d’horticulture et manifeste ainsi la résistance de la nature aux exigences humaines sur lesquelles sont fondées l’agriculture et l’économie domestique.

L’ OMBRE AGISSANTE DU « CHOU COLOSSAL »

Cependant, la monstruosité du chou a un autre ressort — qui échappe au lecteur d’aujourd’hui mais que ne pouvaient ignorer les contemporains de Flaubert. Cette cause cachée n’est plus documentaire et encyclopédique, mais his- torique, médiatique et linguistique. La convocation de la crucifère dans diverses expressions qui l’associent à la bêtise n’est une surprise pour personne.

Employées par Flaubert, elles sont toujours en usage : dans sa correspondance, l’écrivain trouve que fêter la bonne année est « bête comme chou

20

», et, dans L’Éducation sentimentale, Rosanette accuse la Vatnaz d’être « bête comme un chou

21

». Mais le chou est aussi le symbole de l’ordre bourgeois. Le « roman fla- mand de la jeune fille qui meurt vierge et mystique entre son père et sa mère », imaginé par Flaubert en 1850, se déroule « dans une petite ville de province, au fond d’un jardin planté de choux et de quenouilles

22

». Et quand le romancier a besoin de changer d’air, après la Bovary, il explique ne plus vouloir sacrifier au

« culte du simple et du carré de choux

23

». Pour lui, les crucifères sont le « légume bourgeois

24

» par excellence, évidemment convoqué lorsqu’il s’agit de dénoncer une conception erronée du cours de la nature : « On croit un peu trop généra- lement que le soleil n’a d’autre but ici-bas que de faire pousser les choux

25

». Aussi se réjouit-il de voir « le Vrai Ordre se rétablissant dans le faux ordre » — malgré ses « espaliers détruits » et son « potager [mis] sens dessus dessous » par une

« soignée grêle […] tombée sur Rouen et alentours ».

Mais la crucifère, déjà bien maltraitée dans la langue en général et dans l’esprit de Flaubert en particulier, a subi en outre une grave avanie, à savoir l’es-

18. Ms. g225-2 f

o

111 recto.

19. Ms. g225-2 f

o

113 recto.

20. Par exemple, lettre à George Sand, 1

er

janvier 1868, Correspondance, op. cit., t. 3, p. 719.

21. L’Éducation sentimentale, éd. S. Dord-Crouslé, Paris, Flammarion, « GF », [2001] 2013, p. 241.

22. Lettre à Louis Bouilhet, 14 novembre 1850, Correspondance, op. cit., t. 1, p. 708.

23. Lettre à Ernest Feydeau, fin juin 1857, Correspondance, op. cit., t. 2, p. 740.

24. Lettre au même, 26 juillet 1857, ibid., p. 749.

25. Lettre à Louise Colet, 12 juillet 1853, ibid., p. 380-381.

(8)

croquerie des graines de chou colossal. À partir de l’été 1836 et pendant plusieurs mois, des annonces ont fleuri à toutes les quatrièmes pages des journaux. Elles faisaient état de l’existence d’un « chou colossal », d’une hauteur de 15 pieds (soit 5 mètres), et d’une circonférence de 20 (soit 6 mètres cinquante), vendu 1 franc la graine chez un M. Obry domicilié 8, rue de Richelieu

26

. La nouvelle était relayée par des réclames qui vantaient les mérites de cette plante venue de Nouvelle- Zélande, dont cinq ou six exemplaires « suffisent à la nourriture quotidienne de dix vaches ou de cent moutons » et dont « le roi d’Angleterre, un grand nombre des membres de la famille royale, et de riches propriétaires anglais ont acheté une grande quantité de graines

27

». En dépit de l’énormité du procédé, il fallut attendre le mois de novembre 1837 pour qu’une des personnes dupées porte plainte et que des spécialistes comme l’agronome Vilmorin se penchent sur la question et rendent leur avis. C’est alors une floraison d’articles dans la presse dénonçant l’escroquerie qui aurait rapporté 500 000 francs à son bénéficiaire, mais surtout ridiculisant la crédulité de ceux qui se sont laissé prendre à cette

« pure graine de niais ».

Le chou colossal et ses graines trompeuses deviennent dès lors le symbole de la bêtise humaine et connaissent une immense popularité. On les retrouve convo- qués, par exemple, en 1838 dans la revue du nouvel an de la Porte-Saint-Martin

28

; en 1846 dans Le Monde tel qu’il sera, par Émile Souvestre, et dans Jérôme Paturot à la recherche d’une position sociale, par Louis Reybaud ; en 1847 dans les Mémoi- res de M. Cincinnatus Fenouillet, agronome et agriculteur-pratique, à la poursuite du progrès agricole, ou l’Agriculture en roman, par le marquis de Travanet ; ou encore en 1852, dans Grandeur et décadence de M. Joseph Prudhomme, comédie d’Henry Monnier. Les caricaturistes se saisissent eux aussi du phénomène. Cham dessine un chou gigantesque qui abrite les gens du soleil, sur lequel on grimpe avec une échelle et dont les feuilles supportent une escarpolette

29

. Quant à Dau- mier, dans sa série des « Robert Macaire » qui date de 1837, il met en scène l’af- fairiste sans scrupule recommandant à un comparse de répondre à n’importe quelle demande de remède à la mode ou de chou colossal par le contenu d’un même et unique sac puisque tout cela est également « de la graine de niais pre- mière qualité

30

».

26. Un exemple parmi cent autres : Gazette des tribunaux, dimanche 9 avril 1837, n

o

3613, p. 559.

27. Par exemple : Le Constitutionnel, 28 août 1836, p. 4.

28. Le Constitutionnel, 8 janvier 1838, p. 2.

29. Cham et Henry Émy, Folies caricaturales, Paris, Aubert & Cie, [s.d.] circa 1842, pl. n

o

9.

30. Lithographie de Charles Philipon et Henri Daumier, 1837 (L.D. 424), Caricaturana, 69, impri-

mée chez Aubert, 22,5 × 22,5 cm (l’image) ; référence donnée par Pierre Julien, « Moutarde

blanche et Racahout des Arabes », Revue d’histoire de la pharmacie, n

o

297, 1993, p. 157. Voir

aussi des caricatures mettant en scène le chou colossal ou son souvenir dans le Journal

amusant du 18 juillet 1857 (Bertall) ou L’Illustration, 10 juillet 1852, p. 28 (Quillenbois).

(9)

Cham et Henry Émy, Folies caricaturales, Paris, Aubert & Cie, [s.d.] circa 1842, pl. n

o

9, disponible dans les archives numériques de l’Université du Maryland,

http://hdl.handle.net/10713/709

Propulsé par le puff

31

, le chou colossal acquiert une immense célébrité et devient l’aune à laquelle est jugée la crédulité du public. À ce titre, son nom est usuellement associé à d’autres mystifications célèbres telles que « l’Arbor sancta ou orgueil de la Chine » qui donnent l’occasion à Alphonse Karr de publier une piquante chronique dans un numéro de ses Guêpes en novembre 1841

32

. Le reten- tissement est tel que, jusqu’à la fin du XIX

e

siècle, le chou colossal est profon- dément ancré dans la mémoire collective des Français : il est régulièrement convoqué dans des publications sérieuses, à fin de démystification, — ou plai- santes, qui jouent sur la dimension fabuleuse de l’épisode. Mais chacune d’entre elles contribue à réactiver cette mémoire.

La correspondance de Flaubert est un excellent point d’observation pour juger de cette intégration du chou colossal à la langue et à l’imaginaire contem- porains. Car l’écrivain utilise le syntagme à plusieurs reprises dans ses lettres.

D’abord le 30 novembre 1838, alors que la dénonciation de l’escroquerie est toute récente et colonise encore les journaux, à son ami Ernest Chevalier qui lui annonce qu’il s’est « arrêté à la croyance définitive d’une force créatrice (Dieu, fatalité, etc.) », Flaubert répond ironiquement qu’il devrait faire preuve d’encore plus d’aveuglement : « Tâche d’arriver à la croyance du plan de l’univers, de la moralité, des devoirs de l’homme, de la vie future et du chou colossal, tâche de croire à l’intégrité des ministres, à la chasteté des putains, à la bonté de l’homme,

31. Le puff « entreprend avec un succès égal, tout ce qui concerne sa partie. Il a créé le chou colos- sal, le caoutchouc, les dents osanores, O’Connell, le Dictionnaire de Napoléon Landais, le pétrin mécanique et les Mémoires d’un bourgeois de Paris » (Jules Janin, Histoire de la littérature dramatique, Paris, Michel Lévy, 1854, t. 4, p. 266).

32. Alphonse Karr, « Arbor sancta », Les Guêpes, novembre 1841, p. 63-66 (annoncé dans le som-

maire sous la forme : « Arbor sancta, nouveau chou colossal », p. 4).

(10)

au bonheur de la vie, à la véracité de tous les mensonges possibles. Alors tu seras heureux et tu pourras te dire croyant et aux trois quarts imbécile, mais en atten- dant reste homme d’esprit, sceptique et buveur

33

. » Le chou colossal est la seule mystification matérielle dans cette liste de « blagues » qui, à cette exception près, sont des conceptions morales, philosophiques ou religieuses qui pourraient être prises en bonne part. Le chou colossal joue donc un rôle important dans le discours du jeune Flaubert : il en étaye et leste le sens ; il en rend également impossible le flottement.

Cinq ans plus tard, l’escroquerie n’a pas sombré dans l’oubli. Dans la nuit du 26 mai 1853, le romancier énumère à sa maîtresse Louise Colet les preuves de « cré- tinisme » déjà données par le XIX

e

siècle. Personnellement, Flaubert a « assisté […]

au choléra qui dévorait les gigots que l’on envoyait dans les nuages sur des cerfs- volants, au serpent de mer, à Gaspar Hauser, au chou colossal, orgueil de la Chine

34

, aux escargots sympathiques, à la sublime devise “liberté, égalité, fraternité”, inscrite au fronton des hôpitaux, des prisons et des mairies. — À la peur des Rouges, au grand parti de l’ordre

35

». Indépendamment du subversif effet d’égalisation que produit cette mise en série de croyances humaines fort diverses, on voit que le chou colossal apparaît toujours au nombre des blagues les plus mémorables, de celles qui mettent le mieux en lumière la crédulité du bourgeois. Enfin, Flaubert convoque aussi la crucifère mystificatrice au simple titre de la taille gigantesque qu’elle était présumée atteindre — ainsi lorsqu’il confie à Louise Colet, en avril 1854, qu’« il [lui] pousse […] un clou qui, s’il ne rentre pas, sera monstre ! Chou colossal ! Orgueil de la Chine ! Arbor sancta

36

! »

Par la suite, le syntagme « chou colossal » n’apparaît plus dans la correspon- dance connue de l’écrivain. Mais cela ne veut pas dire pour autant que Flaubert l’a oublié. En effet, dans le chapitre VI de Bouvard et Pécuchet, pour expliquer que

« tous les Chavignollais [aient voté] pour Bonaparte » à l’élection présidentielle du 10 décembre 1848, les deux bonshommes convoquent les faiblesses du suf- frage universel et surtout l’invétérée « sottise du peuple ». Bouvard en prend pour preuve « tous ceux qui achètent la Revalescière, la pommade Dupuytren, l’eau des châtelaines, etc. ! Ces nigauds forment la masse électorale, et nous subissons leur volonté

37

». Or la genèse de ce passage révèle que, jusqu’à une étape très avancée, les trois compositions médicinales (Revalescière, pommade Dupuytren et eau des châtelaines) étaient accompagnées du « chou colossal, [et de] l’orgueil de la

33. Lettre à Ernest Chevalier, 30 novembre 1838, Correspondance, op. cit., t. 1, p. 32.

34. Flaubert semble mélanger ici le chou colossal et l’orgueil de la Chine — qui sont pourtant deux plantes et deux escroqueries différentes.

35. Lettre à Louise Colet, 26 mai 1853, Correspondance, op. cit., t. 2, p. 334-335.

36. Lettre à Louise Colet, 4 avril 1854, ibid., p. 543.

37. Bouvard et Pécuchet, op. cit., p. 232-233.

(11)

Chine », ainsi que des « rasoirs Foubert ». La disparition de ces trois derniers items peut être la conséquence de l’habituelle phase de resserrement, propre au rythme de la genèse flaubertienne. Elle peut aussi s’expliquer par une volonté d’homogénéiser le domaine des marqueurs de sottise en ne conservant que les prétendues préparations pharmaceutiques. Mais il n’est pas impossible que la dis- parition du chou colossal dans le sixième chapitre soit aussi liée à l’existence du légume monstrueux dans l’épisode du potager. Car Flaubert semble avoir fait le choix que ce chou et la signification qui lui est attachée n’apparaissent plus expli- citement dans le roman : il a supprimé le syntagme complet dans le chapitre VI, et il a renoncé à utiliser l’adjectif « colossal » dans la description du légume au potager. Alors que sur plusieurs brouillons Pécuchet se réjouissait d’« avoir élevé un colosse », c’est finalement le terme de « monstre » qui lui est préféré par l’écri- vain.

Si le chou colossal originel n’apparaît donc plus tel quel dans le roman, c’est peu dire qu’il le couvre de son ombre. Le chou de Pécuchet est un monstre d’abord parce qu’il reprend en les inversant toutes les prescriptions du manuel consulté par Flaubert, donnant naissance à un anti-légume, un légume qui ne se consomme pas. Mais il figure aussi, au beau milieu du potager des deux bons- hommes, un autre renversement logique : le chou colossal est une escroquerie et pourtant il existe ! À l’instar de Bouvard et Pécuchet dans l’épisode de la bota- nique, le lecteur ne sait plus que penser : « Allons, bon ! Si les exceptions elles- mêmes ne sont pas vraies, à qui se fier

38

? » Le chou colossal qui ne dit plus son nom commémore et expose secrètement une bêtise qui s’est elle-même trouvée retournée : alors, de qui « se fout »–on ?

L E ROMAN - MONSTRE

Dans le fonctionnement fictionnel retors de ce chou exceptionnel à plus d’un titre, on peut voir comme l’image miniaturisée de la complexité du roman tout entier. Dans son essai La Spirale et le Monument, Yvan Leclerc n’a-t-il pas défini Bouvard et Pécuchet comme un « livre-chou (surtout par le volume des notes) dont les feuilles n’en finissent pas de monter, pour devenir absolument incomes- tible-illisible

39

» ? Au-delà de la métaphore filée, le chou monstrueux illustre le rapport particulier qu’entretient le roman à sa monstruosité constitutive, en par- ticulier aux deux extrémités de son histoire : dans sa genèse la plus lointaine, d’une part, et, d’autre part, dans sa configuration finale qui, du fait de son carac- tère inachevé, n’est évidemment pas celle que l’écrivain aurait souhaité lui donner.

Car c’est bien comme un monstre que Flaubert a conçu Bouvard à l’origine, en l’espèce du Dictionnaire des idées reçues, qu’il évoque alors qu’il parcourt

38. Ibid., p. 370.

39. La Spirale et le Monument, op. cit., p. 86.

(12)

l’Orient en 1850 : « Complètement fait et précédé d’une bonne préface où l’on indiquerait comme quoi l’ouvrage a été fait dans le but de rattacher le public à la tradition, à l’ordre, à la convention générale, et arrangée de telle manière que le lecteur ne sache pas si on se fout de lui, oui ou non, ce serait peut-être une œuvre étrange, et capable de réussir, car elle serait toute d’actualité

40

. » Matrice du roman à venir, le Dictionnaire est d’abord une « œuvre étrange » dont il serait impossible de déterminer le positionnement et qui serait précédé d’une préface.

Par la suite, cette préface a pris une importance croissante confirmant le statut quasi terroriste de l’entreprise : « Cette apologie de la canaillerie humaine sur toutes ses faces, ironique et hurlante d’un bout à l’autre, pleine de citations, de preuves (qui prouveraient le contraire) et de textes effrayants (ce serait facile), est dans le but, dirais-je, d’en finir une fois pour toutes avec les excentricités, quelles qu’elles soient

41

. » Et Flaubert de s’impatienter quelques mois plus tard : « — Ah ! je hurlerai à quelque jour une vérité si vieille qu’elle scandalisera comme une monstruosité. Il y a des jours où la main me démange d’écrire cette préface des Idées reçues

42

[…] ». Mais le « livre des vengeances », nom que Flaubert donnait à son projet selon Maxime Du Camp

43

, entre ensuite en sommeil. Il ne se réactive que dix ans plus tard, métamorphosé en un « roman à cadre large

44

», futur Bouvard et Pécuchet dont Flaubert élabore les premiers scénarios entre 1862 et 1863 lorsqu’il hésite entre ce projet et celui de L’Éducation sentimentale. Si l’ins- cription générique de l’ouvrage a ainsi évolué, sa violence intrinsèque demeure suffisante pour que Flaubert puisse craindre de se faire « chasser de France et de l’Europe [s’il] écri[t] ce bouquin-là

45

», voire « de [s]e faire lapider par les popu- lations ou déporter par le gouvernement

46

»… Dix ans plus tard encore, quand l’écrivain se met enfin à préparer effectivement le roman, le comique, la blague supérieure — comme dit Flaubert, viennent tempérer le projet et le reconfigurent profondément à l’aune de l’encyclopédie. Mais il s’agit toujours de combattre la bêtise sans retenue aucune, le romancier prévoyant même de « pousse[r] l’idée à outrance

47

».

Le roman est donc essentiellement monstrueux : le dessein initial de Flaubert et les évolutions du projet l’indiquent clairement. L’œuvre franchit allègrement

40. Lettre à Louis Bouilhet, 4 septembre 1850, Correspondance, op. cit., t. 1, p. 678-679.

41. Lettre à Louise Colet, 16 décembre 1852, Correspondance, op. cit., t. 2, p. 208.

42. Lettre à Louise Colet, 20 avril 1853, ibid., p. 310-311.

43. « Ce roman l’occupait exclusivement ; il disait : “Ça, ce sera le livre des vengeances !” Ven- geance de quoi ? Je ne l’ai jamais deviné et ses explications à ce sujet ont toujours été confuses » (Souvenirs littéraires, 1822-1850, Paris, Aubier, 1994, p. 618).

44. Lettre à Louise Colet, 16 décembre 1852, Correspondance, op. cit., t. 2, p. 208.

45. Lettre à Jules Duplan, 2 avril 1863, Correspondance, op. cit., t. 3, p. 315.

46. Lettre à Edmond et Jules de Goncourt, 6 mai 1863, ibid., p. 323.

47. Lettre à George Sand, Paris, 8 avril 1874, Correspondance, op. cit., t. 4, p. 789.

(13)

les limites des genres littéraires puisqu’elle est née des métamorphoses d’une pré- face à un dictionnaire ; elle défait les logiques de l’engendrement dans la mesure où elle trouve son origine dans le Dictionnaire des idées reçues mais qu’elle devait aussi accueillir ce même Dictionnaire en son sein, dans son second volume

48

.

Bouvard, roman tératographique — on l’a vu avec l’exemple du chou ; Bou- vard, roman tératogène conçu et assumé comme tel — on vient de le voir ; mais Bouvard, roman également tératoïde, et ce, évidemment, en grande partie malgré lui… Or l’inachèvement de ce roman participe de sa monstruosité. Si Flaubert n’a évidemment pas choisi d’abandonner son œuvre avant la fin, il n’en reste pas moins que la brutale interruption causée par sa mort a aujourd’hui encore, pour les lecteurs, des conséquences : le roman, et plus particulièrement son second volume, est immobilisé dans un état informe. Certes, on possède quelques scénarios qui donnent une idée de la manière sont Flaubert envisageait d’agencer la partie finale

49

. Mais tous les scénarios ne sont pas cohérents entre eux : ainsi, deux interprétations s’opposent quant au contenu du onzième chapitre. N’aurait- il compris qu’un échantillon des notes relevées par les deux personnages, l’essentiel du dossier étant rejeté en appendice après la note « on a retrouvé par hazard [sic] leur copie, l’Éditeur la donne afin de grossir le présent ouvrage

50

» ? ou bien ce chapitre aurait-il présenté toute la matière documentaire sélectionnée par les deux bonshommes ? À ce type d’incertitudes structurelles massives s’ajoute l’ignorance dans laquelle on est des citations que Flaubert aurait encore ajoutées à son « sottisier », de celles qu’il aurait supprimées, et surtout — évidemment — de la manière dont il les aurait agencées. Plusieurs classements partiels coexistent effectivement sans qu’on puisse déterminer lequel aurait eu la préférence de Flaubert, d’autant qu’il lui aurait sûrement encore apporté des modifications.

Le second volume de Bouvard et Pécuchet subsiste donc dans cet état informe et monstrueux qui exhibe ce qui aurait normalement dû disparaître au cours d’une genèse menée à son terme. Mais le coup d’arrêt définitif donné au second volume n’offre pas les mêmes chances que le « cas rare » du « fameux Canadien de Beaumont

51

» qui avait attiré l’attention des deux personnages lors de leurs études médicales : le chirurgien américain William Beaumont, présenté de ce fait comme le père de la physiologie gastrique, avait en effet pu réaliser diverses expé- riences sur le processus de la digestion dans et en-dehors du corps grâce à la fistule que le trappeur canadien Alexis Saint Martin présentait à l’estomac. Au

48. Comme l’écrit Yvan Leclerc : « L’un précède l’autre dont pourtant il procède » (La Spirale et le Monument, op. cit., p. 17).

49. Sur ces aspects, voir Stéphanie Dord-Crouslé, « La place de la fiction dans le second volume de Bouvard et Pécuchet », Arts et Savoirs [en ligne], 1 | 2012, http://journals.openedition.org/aes/579.

50. Bibliothèque municipale de Rouen, ms. gg10 f

o

68.

51. Bouvard et Pécuchet, op. cit., p. 111.

(14)

contraire, l’exposition pérenne des matériaux génétiques destinés au second volume ne permet pas d’en découvrir le mode de fonctionnement. Le processus est immobilisé à tout jamais. On peut tout au plus présumer ce qu’il aurait donné — ou mieux, comparer diverses réalisations possibles de ce second volume, comme y invite l’agenceur, outil informatique disponible sur le site d’édition des dossiers documentaires de Bouvard et Pécuchet 

52

.

Les rapports du roman posthume de Flaubert au monstrueux sont donc complexes. Ils participent à la fois de la capacité révélatrice du monstre en tant que phénomène obligeant à redéfinir la norme, et de sa dimension mystificatrice, un chou colossal — auquel il ne manque que l’adjectif — venant s’épanouir au beau milieu d’un roman défini comme « une espèce d’encyclopédie critique en farce

53

», dépourvu de positionnement énonciatif stable. Exposition de monstres, l’œuvre est elle-même monstrueuse dans le dessein de Flaubert et du fait de son inachèvement : bien malin qui dira donc si Bouvard, c’est du lard ou du cochon…

Une seule chose est sûre : le chou l’accompagne bien !

52. Voir l’espace de travail du site Les dossiers documentaires de Bouvard et Pécuchet, op. cit., et Stéphanie Dord-Crouslé et Emmanuelle Morlock-Gerstenkorn, « Sur le modèle du kaléido- scope : concevoir l’édition électronique du “second volume” de Bouvard et Pécuchet », Nou- veaux Cahiers François Mauriac, n

o

19, 2011, p. 169-183.

53. Lettre à Edma Roger des Genettes, 19 août 1872, Correspondance, op. cit., t. 4, p. 559.

(15)

Table des matières

Didier P LASSARD et Corinne S AMINADAYAR -P ERRIN

Introduction ... 7 PREMIÈRE PARTIE : MODERNITÉ MONSTRE

Corinne S AMINADAYAR -P ERRIN

Les fils de Quasimodo ... 19 Filip K EKUS

Politique de la chimère. Lecture socio-historique des « Chimères » de Nerval ... 31 Stéphanie D ORD -C ROUSLÉ

Du « chou prodigieux, et absolument incomestible » à la « copie- monument » : Petite tératologie potagère de Bouvard et Pécuchet ... 47 Didier P LASSARD

Saint Antoine, son cochon et ses monstres ... 59 Martial G UÉDRON

Aliénation, dégénérescence et monstruosité dans la France

du XIX

e

siècle. À propos d’un traité de Bénédict-Augustin Morel ... 75 Yoan V ÉRILHAC

« Le temps du format monstre est à la fin venu ». Les emplois

adjectivés de « monstre » dans la presse du XIX

e

siècle ... 89 DEUXIÈME PARTIE : ÉCRITURES MONSTRES

Judith W ULF

Les « mots monstres » de Victor Hugo. Entre défiguration

historique et démonstration esthétique ... 105

(16)

Laëtitia B ERTRAND

Les « monstres grinçants » du Moi : Le dédoublement chez Musset et Baudelaire ... 115 Andrea S CHELLINO

Pour une tératologie poétique chez Rimbaud ... 127 Yanna K OR

Les théâtres monstrueux de Lautréamont, Rimbaud et Jarry ... 139 Cristina G RAZIOLI

Penser la parole en formes monstrueuses : Les Silènes d’Alfred Jarry et le paradigme grotesque ... 153

TROISIÈME PARTIE : L’ENTRE-SORT FIN-DE-SIÈCLE Manuela M OHR

L’apparition du monstre dans Maître Zacharius de Jules Verne :

Anamorphose et modernité ... 169 Marie-Astrid C HARLIER

« Ni chiens, ni loups : des dingos ».

L’animal monstre chez Octave Mirbeau ... 183 Laurette B URGHOLZER

« Nomenclature des monstres ». Monsieur de Phocas ... 197 Vicky G AUTHIER

Rachilde, écrivaine monstre ... 209 Pierre B AZANTAY

Une raison en enfer. Tératopoétique de Roussel ... 219

Notices des auteurs ... 231

Références

Documents relatifs

Note that some nouns follow the regular rule of plural formation but are pronounced differently in the plural!. For example, the -f is pronounced in the singular, but not in

Fort de ces expériences concluantes et de ma motivation, je suis heureux d’être au service du P2R et je me réjouis de vous retrouver au champ dans la bonne humeur, de

« déluge » jouait, chez les Chinois anciens, le même • 70 rôle que son équivalent joue aujourd’hui encore chez les T•i blancs ou les T•i noirs du Haut-Tonkin : avant,

Feuilles développées extérieures, amples, ondulées , de couleur blond doré nuancé de brun sur le sommet des cloqures qui sont nombreuses et saillantes.. Pomme moyenne (de 0m,29

J’entoure le titre de l’album écrit dans les différentes graphies.. Le chat

comparaison avec les mots du dictionnaire, mettre toutes les étiquettes en place.. carottes

consigne: Dessine avec des flèches le déplacement de la chèvre Dessine avec des flèches le déplacement de la chèvre Dessine avec des flèches le déplacement de la chèvre

Range les mots dans l’ordre alphabétique.. Colorie les majuscules et