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Qualité et sécurité des soins: l'expérience du malade

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Academic year: 2021

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Version française de l'article publié en anglais dans le British Journal of Medicine sous le titre :"For want of a four-cent pull chain" ( BMJ Qual Saf 2011;20:986-990 doi:10.1136/bmjqs-2011-000221 ).

Qualité et sécurité des soins: l'expérience du malade

Récit fidèle des péripéties d’une opération « réussie », mais comportant néanmoins douze événements traumatisants et dangereux pour le malade .

Par Michel Villette, hospitalisé pour une prothèse de hanche à la Clinique XXX en janvier 2008.

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Chacun des événements qui ponctuent ce récit peuvent passer pour des détails, des incidents mineurs, des faits statistiquement inévitables et parfaitement indépendants les uns des autres. Cependant, du point de vue du malade, ils forment une suite cohérente qui contribue à définir son « expérience » en tant que patient et à forger l’image globale qu’il se fait du système de soins. Chacun de ces événements apparemment sans importance est aussi source de souffrance inutile et parfois de danger, dont le malade a plus ou moins conscience, mais qu’il ne peut pas faire entendre, ni faire prendre en compte.

On adoptera ici le point de vue subjectif du malade, et l’on considérera chacun des événements, indépendants les uns des autres du point de vue de l’administration de la clinique, comme une suite de « symptômes» plus ou moins cohérents, porteurs de sens et invitant à une réflexion sur la philosophie du rapport système de soin/ malade et sur les améliorations qu’il conviendrait d’apporter pour améliorer la sécurité des malades et réduire autant que possible leurs souffrances.

Evénement N°1 : Aux admissions, problème de coordination entre la mutuelle, la sécurité sociale et la clinique : sentiment du malade que la facturation est la préoccupation essentielle.

J’ai choisi de me faire opérer dans cette clinique privée simplement parce qu’elle est à côté de chez moi, qu’elle est spécialisée dans l’orthopédie, qu’elle a bonne réputation et que ma mère et une de mes filles y ont été opérées avec succès. Tout cela est plutôt rassurant et je n’ai pas vraiment pris le temps de chercher d’autres solutions, alors que certains hôpitaux publiques parisiens m’auraient sans doute offert au moins autant de garanties. Bref, lorsque le jour de l’hospitalisation arrive, je suis confiant et je ne m’attends pas à rencontrer de difficultés particulières, d’autant que l’anesthésiste m’a assuré que « ce n’est rien » et que « je marcherai dès le lendemain de l’opération ».

Dans le grand hall d’accueil, l'hôtesse est pendue au téléphone pour prendre des

rendez-vous et il faut bien dix minutes pour qu’elle vous désigne d’un geste bref le siège où

il convient d’aller s’asseoir. On croyait avoir rendez-vous, mais on a le sentiment de n’être

pas attendu 1 . Il faut faire la queue. Il faut prendre un numéro, attendre qu’on vous appelle

puis déballer ses papiers, faire un chèque de caution, entrer dans la machinerie de la

facturation. C’est alors que l’on découvre que la mutuelle complémentaire qu’on a pris par

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précaution en vue de cette opération prévue de longue date ne couvrira peut être pas, ou pas complètement, le dépassement d’honoraire demandé par le médecin (700€), celui demandé par l’anesthésiste (350 €) 2 , et le supplément pour chambre seule. On s’était pourtant assuré que tout cela serait pris en charge. On avait lu avec attention les belles plaquettes publicitaires sur papier glacé de la mutuelle… Coups de téléphone : - oui, non, oui peut- être, ça dépend, il faut calculer… Mais pour calculer, il faut avoir la facture, et la facture on ne l’aura qu’après l’hospitalisation. Bref, il faut payer et ne pas poser trop de questions.

Finalement, la fameuse « chambre seule » supposée être « prise en charge » pendant dix jours, ne se révélera remboursée qu’à 75%.

Une semaine plus tard, après l’opération donc, l’employée de la mutuelle n’hésitera pas à me reprocher au téléphone de n’avoir pas su négocier le tarif avec la clinique, comme si un malade anxieux d’être bien soigné était en état de marchander les soins qu’il sollicite.

Cette employée accusera aussi la clinique de surfacturer indûment ses prestations.

Evénement N°2 : des documents de « communication » dont les promesses sont manifestement intenables et qui ne contribuent guère à guider le patient dans les difficultés qu’il va rencontrer pour gérer son parcours.

Me voilà dans les lieux, en phase préopératoire pour une prothèse de hanche.

Dernière radiographie, dernière prise de sang, dernière analyse d’urines, repas, visite rassurante de l’anesthésiste, petite pilule pour dormir.

En attendant le sommeil, je feuillette négligemment les brochures sur papier glacé qu’on m’a remis. Il est écrit que la clinique est « reconnue pour sa notoriété en chirurgie orthopédique » (être reconnu pour sa notoriété, c’est un joli pléonasme)... Plus loin, je lis :

« Le patient est au coeur de notre dispositif qui doit concourir à lui offrir à la fois des conditions d’accès aux soins idéales en termes d’efficacité et de sécurité, et des conditions de séjour confortables et agréables ».

Heureux présage que cette parfaite identité entre la réalité qui m’est promise et « l’idéal » en matière d’hospitalisation !

« Dans cet établissement, nous nous engageons à prendre en charge votre douleur », cette sympathique phrase est accompagnée du logo « République Française, Ministère de la Santé de la Famille et des personnes handicapées ». Comme s’il fallait l’autorité de l’Etat pour conjurer la douleur ! Espérons que ce talisman républicain sera efficace !

Il est aussi fait référence à l’Article L.1110-5 du code de la santé publique qui stipule que : « …toute personne a le droit de recevoir des soins visant à soulager sa douleur.

Celle-ci doit être en toute circonstance prévenue, évaluée, prise en compte et traitée… ».

Bigre, si n’avoir pas mal est un « droit », alors ma tranquillité est assurée !

Pour finir, je remarque aussi une feuille intitulée : « Composition de la Commission des Relations avec les Usagers et de la Qualité de la Prise en Charge ». Cela signifierait-il par hasard que l’idéal de la parfaite prise en charge n’est pas toujours réalisé en pratique ? Y aurait-il des pratiques coupables, des employés moins parfaits que ne le promet l’institution qui les emploie ? Sur le coup je n’y prête guère attention mais, consultant à nouveau ce document alors que j’écris ces lignes, je constate avec amusement qu’on n’y indique nulle part comment un malade peut s’adresser directement à ladite commission. Ni surtout, à qui il pourrait téléphoner, à tout moment, pour disposer d’un recours face aux difficultés qu’il pourrait rencontrer. Pour le malade en difficulté, il n’y a pas de « hot line », aucun moyen d’obtenir un dépannage immédiat !

On reconnaît au malade le droit formel « d’exprimer ses griefs » et de « faire

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respecter les droits des patients », mais on ne lui dit pas où s’adresser, ni comment la confidentialité de l’instruction sera respectée. Cela vaut peut-être mieux, vu les connotations dangereusement agressives et maladroites de ces formules. Avec ce papier, on a le triste sentiment que tout écart à l’idéal sera traité (après coup) comme un contentieux, alors que le malade voudrait simplement disposer immédiatement d’une réponse humaine à d’inévitables erreurs humaines. Bref, mieux vaut sans doute éviter « d’exprimer des griefs » ça pourrait faire plus de mal que de bien, et démoraliser un peu plus le personnel au lieu de l’aider !

Lassé par l’évident manque de rigueur intellectuelle de ces écrits et par leurs fallacieuses promesses, je m’endors.

Le lendemain dès huit heures on m’opère. Ne me demandez pas ce qui s’est passé dans la salle d’opération, puisque je ne me souviens de rien. Je peux dire, tandis que j’écris ces lignes que les actes techniques médicaux les plus importants c'est-à-dire la chirurgie et l’anesthésie ont été bien faits : ma hanche fonctionne bien, je suis arrivé boiteux et je

repars avec une tête de fémur en céramique, solide et bien à sa place.

Evénement N°3 : Lendemain d’opération : comment allumer la lumière en pleine nuit ?

Un corps bien opéré, une prothèse bien posée, une anesthésie bien menée font un malade en principe « sans problème ». Oui, mais un malade « sans problème » devient justement un être faible, une sorte de petit enfant livré sans défense au fonctionnement ordinaire de la clinique, à l’intendance, au service après-vente. On ne prête plus vraiment attention à lui, et c’est là, justement, que les difficultés commencent.

A une heure du matin, je me rends compte que la cordelette qui permet d’éteindre et d’allumer la lumière au dessus de mon lit est cassée et le bouton de commande qui permet d’incliner le lit électrique inaccessible dans mon état. Ca n’a l’air de rien, mais c’est très gênant lorsqu’on doit pisser au milieu de la nuit. Une aimable infirmière finit par arranger cela. Elle rallonge aimablement la cordelette trop courte avec un tube de perfusion. Ce n’est pas la première fois, ni la dernière qu’elle fait ce genre de bricolage, dit-elle. Chaque semaine, le bricolage avec le tube de perfusion est démonté par les personnes qui font le ménage, et chaque semaine, un nouveau malade arrive… et se retrouve dans l’impossibilité d’allumer la lumière.

Evénement N°4 : La douleur monte et se révèle bien plus insupportable qu’annoncé. Pourquoi n’y a-t-il pas de glace ?

Pour apaiser les douleurs post-opératoires, il est d’usage d’appliquer une poche de glace sur la plaie. C’est un procédé simple et d’une efficacité avérée. Mais voilà que la clinique n’a qu’une seule machine à glace, celle-ci est une fois de plus en panne et il faudra trois jours pour qu’elle soit réparée. Pendant ce temps, je souffre. Ce n’est pas la première fois, ni la dernière, que les infirmières réclament l’achat d’une seconde machine à glace et qu’on leur dit qu’il n’y a pas de budget.

Evénement N°5 : Un infirmier de nuit remplaçant et peu scrupuleux.

Dans ma hanche tuméfiée, la douleur qu’on m’avait annoncée modérée devient

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insupportable J’aborde la troisième nuit en piteux état.

C’est justement la nuit où un infirmier intérimaire règne en maître sur la clinique endormie. Ce jeune homme, –peut-être un étudiant en médecine menacé d’examen-, veut dormir. A mes appels au secours, il répond par une forte dose de morphine et un doublement de la dose des médicaments anti-douleurs. Deux heures après, n’ayant pas fermé l’oeil, je vomis après avoir attendu en vain le secours d’une bassine. Tout est souillé autour de moi et ma jambe me fait horriblement mal. L’intérimaire prend un air dégoûté et réprobateur. Il se tient à l’entrée de la chambre sans se décider à faire quoi que ce soit. Je dois lui demander fermement d'aller chercher une serviette et un gant dans la salle de bain.

Il disparaît aussitôt après, après m’avoir fait bien sentir qu’il n’est pas question de le déranger une seconde fois.

Evénement N°6 : Un supplément pour chambre de luxe légèrement survendu, mais une infirmière qui sait enfin soulager la douleur.

Le lendemain, toujours pas de glace. Quand à la fameuse « chambre individuelle » avec supplément, on a évidemment omis de me signaler qu’elle donnait sur la rue en travaux, et que j’aurai le concert des marteaux piqueurs pendant toute la semaine pour prix de mon « supplément ».

Grâce aux soins bienveillants d’une infirmière de jour attentive et sensible, la douleur s’apaise. La question de la nourriture vient alors au centre de mes préoccupations.

Il s’agit de reprendre des forces.

Evénement N°7 : Un budget nourriture vraiment chiche

Chaque matin, au petit déjeuner, on me donne une portion de beurre, une portion de confiture et deux petits pains. Il est impossible de garnir les quatre tartines avec la quantité de beurre et de confiture fournie.

Chaque matin je demande le double, et chaque matin on me répond qu’il n’y a pas de supplément disponible dans le trolley. Je n’obtiendrai gain de cause que la veille de mon départ, après avoir téléphoner moi-même au cuisiner en chef et après qu’il m’ait menacé (sans rire), de compter le beurre et la confiture en supplément.

Les deux repas principaux ont été étudiés « scientifiquement » par des diététiciennes comme l’indique un dépliant en papier glacé. Cependant, les diététiciennes n’ont sans doute pas prévue qu’un charmant cuisinier d’outre méditerranée prendrait l’initiative d’ajouter une touche exotique. Il fait un usage systématique d’une certaine sauce odorante, que l’on retrouve dans absolument sur tous les plats, à base de sauce tomate, d’ail lyophilisé et d’épices diverses. Une fois mon estomac affaibli par les médicaments je perçois déjà l’odeur de la fameuse sauce,alors que le plateau est encore dans le couloir. Le dernier jour, alors que je fais ma petite enquête auprès des cuisines, j’ai droit à une réaction indignée.

Critiquer la cuisine et surtout la sauce « comme là-bas », c’est gravement manquer de respect au cuisinier. En fait, c’est à moi de m’excuser de ne pas apprécier ses préparations.

Je parviens à détendre l’atmosphère, mais c’est pour entendre réaffirmer la certitude du chef de contribuer à l’amélioration de l’ordinaire des malades grâce à la sauce à l’ail et aux épices, partout et toujours, même sur les haricots verts et la purée.

Evénement N°8 : Le lit en portefeuille et le budget matériel.

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Depuis le jour de mon arrivée, j’ai remarqué que la commande électrique de mon lit de malade a un fonctionnement bizarre. Vers la fin de mon séjour, en pleine nuit, j’ai beau appuyer sur les boutons, le lit se referme inexorablement sur moi en portefeuille. Je reste prisonnier de la machine devenue folle jusqu’à ce qu’une charmante infirmière de nuit vienne me libérer. Nous plaisantons, et elle m’avoue que ce matériel est hors d’âge, souvent en panne, aussi usé que les bords de la table en bois effrité, qui sont de parfaits pièges à microbes, impossibles à nettoyer.

Tout cela pourrait être terriblement dangereux, et les malades se succèdent dans la chambre sans qu’aucune mesure ne soit prise. Les mêmes erreurs se reproduisent de semaine en semaine.

Le lendemain, je raconte pour rire ma mésaventure. On m’explique alors pourquoi il n’y a pas d’argent pour investir et pourquoi on réduit sans cesse le personnel.

Fondée d’abord par un chirurgien, la clinique aurait été revendue à un investisseur qui n’aurait pas fait de travaux pendant dix ans et obtenu une excellente rentabilité avant de revendre, à son tour, au groupe XXX. Ce nouveau propriétaire peinerait à obtenir la rentabilité attendue de son investissement parce que les locaux appartiendraient à un organisme mutualiste de santé qui demande un loyer, parait-il « exorbitant ». Il ne resterait donc pour s’en sortir, qu’à faire des économies drastiques sur le fonctionnement, l’investissement et le personnel…

Histoire vraie ou fable ? Je ne sais, mais c’est l'explication qu’on m'a fourni.

Evénement N°9 : Une sortie mal préparée et non négociable.

Arrive le moment de la sortie. Personne ne me demande mon avis ni ne s’enquiert des conditions de vie qui seront les miennes le jour suivant. Personne ne me demande si j’habite seul (comme de plus en plus de gens à Paris) ou si j’ai quelqu’un pour s’occuper de moi. Dans le cadre du « budget global », une opération de la hanche est supposée donner lieu « en moyenne » à une hospitalisation d’une semaine et cette moyenne est aussi une norme. Tout dépassement réduirait la rentabilité

1

.

Seul ou pas seul, en forme ou pas, il faut partir !

Une secrétaire vient me remettre plus de 25 pages de papiers administratifs de toute sorte mais me dit n’avoir pas le temps de me les expliquer : trop de choses à faire ! Je finis par comprendre que j’aurai pour tout service « après vente » trois visites post-opératoires à la clinique, dont le jour et l’heure ont d’ailleurs été fixés sans me consulter sur les disponibilités. Parmi les papiers, je trouve une elliptique ordonnance d’achat de médicaments – sans explication claire sur la façon dont il faut les prendre-, et une ordonnance pour des soins de kinésithérapie dans un centre qui a un accord commercial avec la clinique, et dans lequel des rendez-vous ont déjà été pris pour moi, sans me consulter.

C’est alors que je découvre que j’aurai du préparer soigneusement la phase post- opératoire, bien avant mon entrée en clinique ! En effet, le fameux centre de rééducation est en banlieue, loin de chez moi, et je suis supposé m’y rendre chaque jour, dans les embouteillages, en utilisant les services d’une compagnie d’ambulance, avec laquelle il m’appartient de prendre contact en consultant l’annuaire… Cette solution m’apparaît parfaitement impraticable. L’ayant refusé, je découvre qu’il n’y a tout simplement pas de

1 Comme le déclare avec humour le professeur Grimaldi de la Pitié-Salpêtrière, dans un entretien

au Canard Enchaîné (30 janvier 2008, p.4) : « Le bon client, c’est celui qui nécessite des soins ou

une chirurgie avec hospitalisation courte, de préférence. Le patient qui traîne une maladie chronique a

rang d’emmerdeur ».

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solution de rechange. Il aurait fallu, me dit-on, réserver un centre de rééducation avec hébergement depuis des mois, tout est plein… Lorsque j’explique cela, on me dit clairement que je suis un malade trop exigeant et que si tout le monde était comme moi, on ne s’en sortirait pas. Je répète exactement la formule prononcé par la secrétaire du service d’orthopédie : « ici on n'a pas le temps, on ne peut s’occuper des détails, on ne s’en sortirait pas ».

Or les détails, ce sont les problèmes du malade.

Evénement N°10 : le retour à domicile, une prestation d’ambulanciers, suivie d’un grand silence…

Formalité de sortie, règlement de la facture… Deux ambulanciers me ramènent chez moi. L'un des deux est dans un état étrange, peut être ivre, ou drogué, bien qu’on soit en début de matinée. Il propose à toutes les infirmières que nous croisons de coucher avec elle, et tape rudement sur le fessier avantageux de l’une d’entre elles.

Face à l’ascenseur, il part dans une crise de fou rire et finit par me dire que sa trithérapie le fatigue beaucoup. Son collègue tente de le rappeler à l’ordre : « Excusez-le Monsieur »…

Arrivé à l’ambulance, le fou veut absolument me faire asseoir sur un siège plutôt que de sortir le brancard. Ma jambe raide reste inexorablement coincée à l’embrasure de la portière. Ils finissent par sortir le brancard, tandis que derrière, l’embouteillage gronde.

Couché dans l’ambulance, je découvre le charme des pavés parisiens. Je suis horriblement secoué et me demande comment des personnes vraiment malades ou gravement blessées parviennent à supporter un tel supplice. L’infirmier m’explique que c’est typique des ambulances Renault. « Ca c’est Renault » qu’il dit ! C’est l’ambulance la moins chère, mais c’est pas la meilleure ! » Eclats de rire. Ensuite, il commence à me parler de sa petite fille de 6 ans et des difficultés de ses finances personnelles. Larmoyant, il prépare méthodiquement le pourboire à venir. J’ai un peu de mal à le trouver sympathique.

L’infirmier qui sort le brancard de l’ambulance se retrouve immobilisé, avec tout le poids de mon corps sur les bras. L’appareil refuse de déployer ses pieds à roulette ! Pendant ce temps, l’autre rigole. C’est lui, le bougre, qui a coincé le mécanisme en y logeant mes cannes anglaises. Les deux compères s’insultent généreusement.

Entré dans l’immeuble, l’un des deux me récite, comme une leçon de catéchisme, toutes les consignes de sécurités qu’un infirmier doit respecter lorsqu’il accompagne un malade dans un ascenseur. « Je connais mon métier moi, je fais ça depuis vingt ans » ! C’est l’ultime

démonstration de ses compétences avant la quête du pourboire qu’il exige plus qu’il ne le sollicite.

La porte se referme et me voilà livré à moi-même un samedi matin, sans médicaments, sans kinésithérapeute, sans infirmière à domicile et même, je m’en rends compte, sans numéro de téléphone d’urgence pour appeler la clinique en cas de besoin.

Que serais-je devenu si ma vieille mère n’était venue à mon secours ?

Evénement N°11 : La douleur à domicile, sans recours.

Deux jours plus tard, je souffre toujours plus que prévu. Il me faudra plusieurs jours

pour comprendre que la dose de médicament anti-douleur peut être considérablement

augmentée et modulée selon les besoins et que les anti-inflammatoires qui font mal à

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l’estomac sont inutiles. Il me faudra aussi attendre la première visite au kinésithérapeute pour apprendre qu’en plaçant un épais coussin sous les genoux pendant la nuit, j’aurai pu réduire dès le début les contractions musculaires, et donc la douleur. Cette découverte tardive me rend carrément furieux lorsque je me remémore mes nuits d’insomnie à la clinique à cause de muscles crispés à se rompre, que ce procédé tout simple eut sans doute soulagé.

Evénement N°12 : Faut-il enlever les fils de la plaie ?

Quant aux fils de la plaie, je téléphone à la clinique pour demander qu’en faire. On me dit de faire appel à une infirmière pour les enlever, mais c’est trop tard, les fils ont adhéré à la chair. L’infirmière professionnelle diplômée d’Etat a alors ce mot charmant : « nous, on ne prend aucun risque, je les laisse, vous n’avez qu’à téléphoner à votre clinique pour leur demander conseil. » On voit bien que la brave dame ignore ce qu’est le standard téléphonique informatisé d’une clinique moderne où les standardistes ne s’intéressent qu’aux prises de rendez-vous, autrement dit, à la prospection de nouveaux clients. Pour les clients déjà sortis, il n’y a pas de téléphone rouge…

Conclusion : une chirurgie efficace, une prise en charge négligée.

Bref, cette histoire est toute simple : un geste chirurgicale parfaitement accompli par de bons techniciens, mais une prise en charge du malade plus que chaotique. Il est vrai que je suis passé entre les mains de plus de cinquante personnes et de plus de dix entreprises différentes au fil de ces deux semaines. Ce serait merveille qu’une foule si disparate puisse exécuter une prestation harmonieuse et prêter attention au malade, fragile petite personne siégeant dans ce corps qui passe de mains en mains, et sur lequel chacun s’en tient au geste rapide, précis, et spécialisé dont il a l’habitude : rendement, rendement...

Finalement, je m’interroge sur la pertinence du travail de tous ces organismes certificateurs de la « qualité de service ». Ont-ils vraiment suivi le parcours d’un malade de A à Z pour identifier les points critiques et améliorer sa prise en charge ? Sont-ils allés vraiment jusqu’au détail qui fait toute la différence ?

Je m’interroge aussi sur la contradiction entre l’amabilité et la gentillesse de beaucoup des personnes rencontrées, l’inhumanité globale du système, et les réactions parfois très défensives, très crispées voir hostiles dès qu’un malade pose un problème qui ne correspond pas exactement à « la fiche de poste » de celui auquel il s’adresse.

J’ai le sentiment que beaucoup d’employés sont constamment à la limite du surmenage, excédés. Ils sont très gentils avec vous, mais à la condition de ne surtout rien leur demander de plus que ce qu’ils sont déjà obligés de faire. Ainsi, même lorsque l’amabilité est grande, la disponibilité est trop faible pour que le problème du malade puisse être pris en compte. Il suffit, en outre, de croiser sur son parcours quelques individus n’ayant strictement aucun sens du service pour achever de dégrader la situation.

Cinquante gestes élémentaires peuvent avoir été accomplis

correctement, indépendamment les uns des autres, chaque employé faisant exactement ce qu’il a à faire, le malade n’aura pas été « pris en charge » pour autant. La division du travail en tâches élémentaires standardisées, exécutées au plus vite, laisse des interstices, et c’est

précisément dans ces interstices que les problèmes du malade surviennent et qu’il

n’y a personne pour les entendre. Tout se joue, en fait, dans l’entre deux des opérations

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programmées. Par exemple, si vous demandez à la charmante dame qui distribue les repas d’ouvrir la fenêtre parce que vous avez trop chaud, elle peut très bien vous répondre qu’elle n’a pas le temps et qu’il faut appuyer sur la sonnette : chacun son travail.

La médecine d’aujourd’hui est une organisation aussi compliquée qu’une chaîne de montage automobile chez Renault. Un malin génie à du faire exprès de pousser si loin la division du travail et le culte de la productivité, histoire de faire souffrir un peu les malades.

Où est le temps où l’on portait une boite de chocolat à « son » médecin pour le remercier de ses bons soins ? Le dépassement d’honoraires ayant été négocié d’avance, il est évident que la logique du marchandage a pris le pas sur la logique du don… J’ai tout de même donné un billet de cinquante euros à l’infirmière qui a su le mieux prêter attention à ma douleur et y remédier. Pourquoi n’aurait-elle pas droit, elle aussi, à un petit « dépassement d’honoraires » ? Etait-ce l’esquisse d’une fraternité, ou la phase ultime d’un combat sans merci ?

Epilogue :

Lors d’une visite post-opératoire, je transmets le texte que vous venez de lire au médecin anesthésiste dans l’espoir que cela pourrait contribuer à l’amélioration du traitement des malades dans la clinique.

L’anesthésiste le lit et le trouve intéressant et pertinent. La question de la prise en charge des malades le préoccupe et il a souvent dit en réunion qu’il faudrait « faire quelque chose ». Il promet de transmettre mon texte au responsable de la communication du groupe, qui est de ses amis.

Quelques temps plus tard, je lui demande ce qu’est devenu mon témoignage. Hélas, entre temps, le responsable de la communication a été muté. L’anesthésiste ne connaît pas le nouveau venu et doit être prudent. Une restructuration est en cours. Ce n’est plus le moment de faire circuler ce genre de document embarrassant. Ma tentative d’alerte restera donc sans suite.

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