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Signification de l'amour, singularité quelconque et deuil de l'analyste

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Signification de l’amour, singularité quelconque et deuil de l’analyste

Nicolas Guérin

To cite this version:

Nicolas Guérin. Signification de l’amour, singularité quelconque et deuil de l’analyste. Les destinées du transfert, pp.103-119, 2020. �hal-03133210�

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Singularité quelconque et deuil de l’analySte

Nicolas Guérin

Avant d’en venir à la solidarité qu’on peut trouver entre les trois syntagmes de « signification de l’amour », de

« singularité quelconque » et de « deuil de l’analyste », un bref détour s’impose sur leur provenance respective.

La « signification de l’amour » est une expression que Lacan emploie dans le séminaire « Le transfert 1 ». Pour lui, l’amour est du registre de la signification. Il main- tiendra cette idée tout au long de son enseignement puisqu’on la retrouve encore telle quelle dans « L’insu que sait de l’une-bévue s’aile à mourre 2 ».

Le syntagme de « singularité quelconque » n’est pas

1. Jacques Lacan, Le Transfert, Paris, Seuil, 2001, p. 53.

2. Jacques Lacan, L’Insu que sait de l’une-bévue s’aile à mourre , séminaire inédit, 15 mars 1977.

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dans « L’étourdit », où c’est « le deuil de l’objet a » qui est évoqué.

Ce deuil désigne un espace/temps de la cure. Sa zone de twilight, sa phase finale, obéit à un mécanisme à double détente.

Le deuil s’inaugure par la « chute du sujet supposé savoir et sa réduction à l’objet a 6. » Un virage s’amorce alors où le sujet voit chavirer l’assurance qu’il prenait de son fantasme et des identifications qui le soutenaient.

Lacan parlera d’une « métamorphose7 ». Néanmoins, et malgré la chute de la supposition de transfert, l’analy- sant ne quitte pas son analyste, lequel continue à causer son désir. On pourrait se demander ce qu’il en est alors du statut des formations de l’inconscient produites lors de cette phase de la cure où le sujet supposé savoir est mis en question. Que dire en effet de ces formations de l’inconscient (comme les rêves notamment) qui ne cessent pourtant d’intervenir dans la cure si elles ne se soutiennent plus d’une supposition de transfert ? Quoi qu’il en soit, ce temps du deuil est chronologiquement variable. Il s’étend autant que le « deuil dure » dit Lacan en une forme d’allitération. Cette période de tumulte (Balint parlera de revendication, Lacan d’exaltation) ne rejoint pas la phénoménologie de l’abattement

6. Jacques Lacan, L’Acte psychanalytique, séminaire inédit, 10 janvier 1968.

7. Jacques Lacan, « Proposition du 9 octobre 1967 sur le psy- chanalyste de l’École », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 254.

issu du champ psychanalytique. Il provient de l’essai du philosophe italien Giorgio Agamben publié en 19903. Ce terme de « singularité quelconque » est, pour Badiou (et Agamben ne le contredit pas), une « diagonalisation de concepts opposés », à savoir d’une part la singularité et, d’autre part, le quelconque. Comme on le verra, cette articulation de l’un à l’autre dit assez justement ce qui est contenu dans le troisième syntagme, soit le « deuil de l’analyste ».

Cette expression recèle une ambiguïté puisque, iso- lée, elle laisse incertain le fait de savoir si c’est l’analyste qui est en deuil ou s’il est lui-même l’objet d’un deuil.

On retrouve cette même ambiguïté dans le choix que Jacques-Alain Miller fait en intitulant le dernier chapitre du séminaire Le Transfert, « L’analyste et son deuil ».

Lacan ne dit pas exactement « deuil de l’analyste ».

Il parle du « deuil autour de quoi est centré le désir de l’analyste4 ». Un deuil donc qui est le pivot du désir de l’analyste et qui présentifie, ajoute Lacan, une vérité que

« Freud lui-même a laissée hors champ de ce qu’il pou- vait comprendre5 ».

Plus tard, en rapport avec la passe et la fin de l’ana- lyse, Lacan reparlera de ce deuil dans sa « Proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’École » et

3. Giorgio Agamben, La Communauté qui vient. Théorie de la singularité quelconque, Paris, Seuil, 1990.

4. Jacques Lacan, Le Transfert, op. cit., p. 464.

5. Ibid., p. 465.

Signification de l’amour…

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primaire et technique psychanalytique12.

Certes Balint a interprété à sa manière ce deuil final.

Il en appelle, pour se l’expliquer, à Ferenczi, à Reich et surtout à Klein. Mais son questionnement, authentique, ne manque ni de pertinence ni de courage. Il interroge en effet à cette occasion le système de formation de l’I.P.A. Il avait remarqué qu’un bon nombre d’analystes, bien qu’une fois admis à l’Institut, poursuivent encore longtemps leur propre analyse alors que, du fait même de leur admission, ils étaient censés avoir terminé leur cure et achevé leur formation. Balint suppose alors judi- cieusement qu’il doit exister de véritables critères d’une fin d’analyse, non reconnus officiellement dans l’I.P.A., absents de la doctrine, mais néanmoins à l’œuvre dans le cadre privé des cures de chacun.

Il choisit donc de s’atteler à décrire et interpréter cette phase conclusive de l’analyse où les analysants semblent, dit-il, avoir guéri de leur symptôme alors même qu’ils continuent à se rendre à leurs séances. « Qu’attendent- ils de nous ? » se demande-t-il. Son hypothèse, qui ne manque pas de sel, étant qu’ils veulent se donner la chance d’aimer autrement.

Balint parle effectivement de deuil pour qualifier cet état transitoire durant lequel l’analysant abandonne,

« Le renouveau et les syndromes paranoïdes et dépressifs » [1952].

12. Michael Balint, Amour primaire et technique psychanaly- tique, Paris, Payot & Rivages, 2001. Lacan se réfère à la première édition.

qui s’impose ordinairement avec l’idée de deuil. C’est que « la paix ne vient pas aussitôt sceller cette méta- morphose8 ». Selon Lacan, lorsque Dora contemple la Madone Sixtine, elle se tient exactement sur ce gué, entre passe et fin, raison pour laquelle il ne s’agit pas de « la laisser là9 ». Façon de dire que la doctrine analy- tique doit aller plus loin que là où Freud l’avait laissée et que, cliniquement, le départ de Dora reste le paradigme d’une fausse fin qui éternise le deuil et contrevient à son achèvement.

Cette période s’achève avec la fin du deuil et a pour conséquence le découplage de la paire analytique : l’ana- lysant quitte son analyste.

Ce temps du deuil, qui dissocie passe et fin d’analyse (la chute du sujet supposé savoir ne signe donc pas la fin de la cure), n’a pas été problématisé par Freud.

C’est Michaël Balint, que Lacan a lu et auquel il se réfère sur ce point explicitement, qui a le premier mis en exergue les caractéristiques de cette phase finale qu’il a nommée « new beginning » (« renouveau10 ») et à propos de laquelle il a consacré quelques articles (envi- ron quatre11) de 1932 à 1952 dans son ouvrage Amour

8. Ibid.

9. Jacques Lacan, Les Écrits techniques de Freud, Paris, Seuil, 1975, p. 209-210.

10. Lagache préférera la traduction de « recommencement ».

11. « Analyse de caractère et renouveau » [1932] ; « Le but final du traitement psychanalytique » [1934] ; « La fin d’analyse » [1949] ;

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parle, quant à lui, du caractère « maniaco-dépressif » du désir que l’analyste persiste encore à causer chez l’analy- sant après la chute du sujet supposé savoir.

Ce déplacement, qui substitue aux termes kleiniens un terme du vocabulaire psychiatrique, met l’accent sur la fonction, disons « bipolaire », de l’objet a qui oscille, durant ce moment logique, entre polarité maniaque et polarité dépressive. On peut voir dans cette touche maniaque l’expression d’un sentiment de triomphe, ou d’« exultation14 » dira Lacan, qui peut aussi bien témoi- gner de la levée de certaines inhibitions où l’effort four- ni d’auparavant pour soutenir certaines identifications n’est plus mobilisé, en quoi d’ailleurs il conviendrait de différencier jouissance démobilisée et jouissance déva- lorisée. Ce moment maniaque peut aussi bien masquer, voire contrer (au sens de la défense), et donc retarder un effet castration où la perte s’atteste dans l’achèvement du deuil.

On peut néanmoins remarquer que, comme Balint, Lacan parle de « position dépressive » pour désigner ce qui authentifie cette passe, et ne récuse ainsi pas com- plétement le répertoire kleinien. Pour savoir ce qu’il en est vraiment de cette position dépressive de la passe, Lacan insistera sur l’idée qu’il n’y a pas d’autres moyens que d’en passer par-là. Pas la peine « de s’en donner les

14. Exultation qui peut conduire l’analysant à croire que sa cure est terminée et participer ainsi d’une fin avortée.

dit-il, « morceau par morceau » (la référence est à Freud dans « Deuil et mélancolie ») ses anciennes rela- tions d’objet. Si la position dépressive kleinienne lui sert alors de boussole, il évoque aussi la position schi- zo-paranoïde pour rendre compte du fait que les ana- lysants, durant cette phase, interprètent chaque chose comme le signe que l’Autre les aime moins, pas assez, ou plus assez. Certains réclament la présence de l’analyste quand d’autres veulent le toucher. Dans tous les cas, ils attendent de recevoir les signes compensatoires de son amour ressenti comme insuffisant. Le fond d’aveugle- ment narcissique de cette période13 de revendication,

« paranoïde », rappelle la plainte de la « belle âme » ou le « délire du misanthrope », rejetant sur le monde le désordre qui fait son être ; période qui précède ordinai- rement, dans la dialectique de la cure, la rectification subjective d’entrée. Dès lors faudrait-il penser que ces états que décrit Balint annonceraient une rectification subjective de fin ?

Il faut noter que là où Balint en appelle aux posi- tions schizo-paranoïdes et dépressives de Melanie Klein pour caractériser ces états terminaux de l’analyse, Lacan, se référant pourtant à la clinique de Balint dans

« L’étourdit », déplace sensiblement l’accent puisqu’il

13. À leur sujet, Lacan parlera de « transe narcissique termi- nale ». Cf. « La direction de la cure et les principes de son pouvoir », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 607.

Signification de l’amour…

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Si de tels virages en cette phase finale pourraient s’ex- pliquer de là, y demeurer (selon l’axiome : toutes les mêmes puisqu’il n’est pas d’objet qui ait plus de prix qu’un autre), équivaudrait à une conclusion prématurée qui relève du « solde cynique16 » d’une analyse.

Sans se contenter du solde donc, comment com- prendre ce qu’implique ce deuil autour duquel s’articule le désir de l’analyste, soit qu’aucun objet n’ait plus de prix qu’un autre ?

On peut d’abord légitimement penser qu’à l’époque du séminaire « Le transfert », où l’objet a n’est pas en- core extrait de sa gangue imaginaire, l’énoncé selon le- quel aucun objet n’a plus de valeur qu’un autre désigne la série a’, a’’, a’’’…, des objets postiches dont il y a lieu ici de mesurer l’« équivalence érotique17 ». Objets quel- conques mais au-delà desquels il y a un objet transpécu- laire pas quelconque : l’objet de la pulsion.

Il y a sur ce point une différence, chez ledit « Homme aux rats » par exemple, entre les occurrences imaginaires (ou les sens) du rat (le rat dans le supplice chinois, le rat comme unité monétaire, etc.) et le phonème [ra], hors sens, prélevé dans lalangue, condensateur de jouissance, quant à lui objet élu pour servir au but de la pulsion.

Dans cette perspective, le deuil (de l’analyste) doit-il

16. Jacques Lacan, «  Compte-rendu du séminaire sur l’acte psychanalytique », Autres écrits, op. cit., p. 381.

17. Jacques Lacan, Le Transfert, op. cit., p. 302.

airs15 », dira-t-il. Inutile donc de décliner les gammes de la délectation morose en parodiant l’endeuillé ou en dra- matisant la tragédie de la condition humaine.

Un élément de détail m’a interpelé concernant ce deuil, sa fonction et sa place centrale dans le désir de l’analyste.

Il y a, dans ce deuil, un effet didactique, au double sens d’effet de formation et de gain épistémique. Un sa- voir s’en dépose et c’est ce savoir qui est au centre du dé- sir de l’analyste. De quoi s’agit-il ? Que l’analyste peut-il savoir ? Lacan le dit en une phrase, lors de cette dernière séance du séminaire « Le transfert ». Ce que l’analysant, passant à l’analyste du fait de ce deuil, sait : il n’y a pas d’objet qui ait plus de prix qu’un autre.

Cette formule ne va pas de soi. Peut-on penser, par exemple, que, dans le cas de tel analysant parvenu en ce moment de deuil dans son analyse, il en conclurait que, puisqu’il n’y a pas d’objet qui ait plus de prix qu’un autre, alors toutes les femmes se valent ou bien, ce qui revient au même, qu’aucune ne vaut plus qu’une autre ? Une telle déduction n’est pas à exclure dans certains cas et pourrait éclairer des situations où le donjuanisme et l’ascétisme du célibataire, pour opposés qu’ils puissent paraitre, sont l’envers et l’endroit d’une même chose.

15. Jacques Lacan, « Proposition du 9 octobre 1967 sur le psy- chanalyste de l’École. Première version. », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 586.

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du signifiant du transfert et participer de la condition de l’association libre.

Une coordination dans la structure est envisageable entre, d’une part, le deuil de l’analyste qui atteste d’une équivalence érotique des objets (s’il n’y a pas d’objet qui ait plus de prix qu’un autre) et, d’autre part, l’équivalence matérielle du signifiant à laquelle l’analyste est atten- tif du fait qu’il occupe lui-même la place du signifiant quelconque dans le transfert, ce qui lui permet d’être sensible à l’équivoque et d’interpréter.

Toutefois ce « quelconque » est inclus dans une dia- lectique. Il ne vaut pas pour lui seul. Il n’est pas l’indice d’un arasement généralisé où tout se vaudrait comme son contraire. Il n’est pas la promotion du n’importe quoi ou du n’importe qui. C’est ce qui fait dire à Lacan, par exemple, que le plus-un du cartel restauré à la Cause freudienne « s’il est quelconque, doit être quelqu’un20 ».

La dimension du quelconque est mise en tension avec celle du quelqu’un. C’est pourquoi Lacan se demande, dans « Radiophonie », ce qui peut faire dire au cartel dans la procédure de la passe que, concernant tel pas- sant, « ça c’est quelqu’un21 », à condition de ne pas faire du quelqu’un un pèse-personne. Lorsque Lacan s’inter- roge sur le fait de savoir « où trouver le quelqu’un qu’il

20. Jacques Lacan, D’écolage, séminaire inédit, 11 mars 1980.

21. Jacques Lacan, «  Radiophonie  », Autres écrits, op. cit., p. 415

être entendu comme le deuil de la chasuble imaginaire de l’objet ? Ce n’est pas si sûr finalement. Car dans

« L’étourdit », Lacan utilise l’expression de deuil de l’objet a et il ne semble pas désigner à ce moment-là ses simples occurrences imaginaires.

Il est possible qu’avec ce deuil au centre du désir de l’analyste se rouvre une dialectique complexe et essen- tielle, que l’on retrouve ici et là dans l’enseignement de Lacan, entre le quelconque et le quelqu’un (soit le « pas quelconque » du tout).

En révélant qu’aucun objet n’a plus de prix qu’un autre, ce deuil créé, c’est du moins mon hypothèse, une sensibilité au quelconque. C’est cette sensibilité à l’« équivalence érotique » des objets comme d’ailleurs une sensibilité à l’« équivalence matérielle18 » du signi- fiant, qui fait le support de l’attention également en suspens de l’analyste. C’est en ce sens peut-être que ce deuil a, pour l’analyste, un effet de formation. Il intro- duit à une intelligence du quelconque. Or se faire à la dimension du quelconque est, pour l’analyste, fonda- mental puisque la place qu’il occupe dans la structure est justement celle du « signifiant quelconque19 » qu’il doit être en mesure d’assumer pour supporter l’adresse

18. Jacques Lacan, Les Non-dupes errent, séminaire inédit, 11 juin 1974.

19. Jacques Lacan, «  Proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’École. Première version. », Autres écrits, op. cit., p. 584.

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formes intelligibles). Ces transcendantaux ont des pro- priétés communes attribuables à n’importe quelle catégo- rie (comme la substance, l’action, le temps, le lieu). Il faut ici s’attarder sur le statut de ce « n’importe quelle » puisque les propriétés de ces transcendantaux sont communes à n’importe quelle catégorie. L’adjectif latin (quod libet), désigne cette dimension du « n’importe quel » ou du « quelconque ». Or, selon Agamben, tra- duire quodlibet ens par « l’être peu importe lequel » est une erreur. On devrait plutôt entendre quodlibet ens par

« l’être tel que de toute façon il importe » ; « il suppose, poursuit Agamben, déjà de quodlibet un renvoi à la vo- lonté [i.e. libet qui est « ce qui plait »] ; l’être quelconque entretient une relation originelle avec le désir25 », pour- suit le philosophe. Il y a une singularité du quelconque dans le rapport du quelconque avec le désir, et Agamben de se demander ce que serait une communauté (qu’il dit à venir) de singularités quelconques26, une communauté dépourvue de prédicat ou de propriété d’appartenance

25. Giorgio Agamben, op. cit., p. 9.

26. Dans cette perspective, qu’on n’aille pas penser que cette communauté à venir de singularités quelconques serait celle des

«  nouveaux-sujets-contemporains  » qu’un courant décliniste dans la psychanalyse annonce et diagnostique depuis quelques décen- nies. L’être quelconque, décrit par Agamben, n’a rien à voir avec ledit « nouveau sujet ». En effet, l’être quelconque n’a rien de nou- veau puisqu’il est déjà défini dans la scolastique ! En outre, comme Agamben le souligne, il est au plus près du désir là où, par contre, le

« nouveau sujet » est toujours décrit comme égaré quant à son désir.

faut lui [au sujet] procurer d’urgence22 ? », le quelqu’un n’est rien d’autre que l’adresse du sujet représenté par un signifiant pour un autre, en tant que la structure du signifiant subvertit celle du signe et de son adresse intrinsèque (le signe représentant quelque chose pour quelqu’un). Il faut donc que l’analyste soit quelqu’un mais pas le « suprême quelqu’un23 » ni non plus le

« quelqu’un de nulle part qui doit tout manigancer24 ».

L’analyste est personne mais pas n’importe qui puisqu’il faut être quelqu’un pour être quelconque. Il n’est pas n’importe qui puisqu’il s’est instruit du deuil de l’objet auquel il a réduit son analyste et qui lui permet de se ré- duire lui-même au signifiant quelconque pour d’autres.

Le syntagme oxymorique d’Agamben, la « singula- rité quelconque », tombe là à pic et pourrait aussi bien désigner la situation de l’analyste que ce à quoi il doit lui-même être sensible. Si la réflexion d’Agamben est proprement philosophique, elle n’est pour autant pas sans résonner avec des questions relatives à la psychana- lyse, ce qui ne s’avère guère étonnant puisque, dans un cas ou dans l’autre, il s’agit toujours de la structure du parlêtre.

Agamben interroge l’énumération scolastique des transcendantaux (comme le bon ou le vrai qui sont des

22. Ibid., p. 413.

23. Ibid., p. 414.

24. Ibid., p. 414.

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Cette distinction participe de la raison pulsionnelle du « renouveau » (new beginning de Balint). Ce qui (re) commence et s’entraperçoit dans ce (re)commence- ment est affin à ce que pointe Freud dans « Pulsions et destins des pulsions » : l’objet de la pulsion, son aptitude à la satisfaction de la pulsion, est quelconque, variable.

« Il peut en être changé aussi souvent qu’on veut dans le cours des destinées de la pulsion29. » Et pourtant, pour que se creuse la place du x où viendraient ces objets, pour que la pulsion se soude (Verlötung) à ce x, il faut que cet objet (ex : la chaussure du fétichiste), soit un objet étranger (fremde), c’est-à-dire séparable du corps propre et qui, par là même, puisse manquer à sa place.

Cet emplacement du quelconque dans la structure est aussi bien le x dont le symptôme fait fonction [f(x)]

et dont l’analyste occupe la place. Le sens de ce x quel- conque et essentiel est laissé blanc puisqu’il est sans qua- lité autre que celle de la place qu’il occupe pour le sujet dans le champ du désir. Toutefois il a une signification.

J’en viens donc à ce que Lacan appelle « la signifi- cation de l’amour ». C’est en tant qu’un signifiant se substitue à un autre signifiant que surgit la signification,

29. Sigmund Freud, «  Pulsions et destins des pulsions  » [1915], OCF/P., XIII, Paris, PUF, p. 168. Ce qui est vrai dans l’ab- solu mais pas aussi simple au cas par cas. Qu’on songe à ceux dont Freud soulignait la « viscosité de la libido » et la « fidélité d’investisse- ment ». Cf. Sigmund Freud, « L’analyse avec fin et l’analyse sans fin » [1937], Résultats, idées, problèmes II, PUF, Paris, 1985, p. 256-257.

(être français, communiste ou musulman). Une com- munauté de singularités quelconques sans présupposés, ni conditions d’appartenance, ni identité ; laquelle com- munauté ne serait pas non plus une « non-communau- té ». Jusqu’où cette communauté « qui vient » (existe-t- elle ?) pourrait-elle être celle des « épars désassortis27 » que sont les analystes ? Je laisse là Agamben.

Le caractère singulier du quelconque, qui n’est donc pas n’importe quoi, relève de la même logique qui est propre au x, nombre quelconque, dans un calcul littéral.

Ce x, dans le calcul, peut être n’importe quel nombre mais il n’est pas à n’importe quelle place. Ce x est une lettre qui vient de l’inconscient. Son caractère quel- conque résulte qu’elle soit isolée de toute qualité. En ce sens, elle est substituable (d’où l’équivalence érotique des objets, ou encore l’équivalence matérielle du signi- fiant). Et pourtant le x évoque aussi bien la fixité d’une place.

Dès lors, doit-on s’étonner qu’en cette phase finale de l’analyse, lorsque s’entraperçoit qu’aucun objet n’a plus de valeur qu’un autre, « les redistributions de la li- bido ne vont pas sans coûter à certains objets leur poste, même s’il est inamovible28 » ? C’est le poste en x qui est inamovible, et non pas l’objet qui occupe ce poste.

27. Jacques Lacan, « Préface à l’édition anglaise du séminaire XI », Autres écrits, op. cit., p. 573.

28. Jacques Lacan « La direction de la cure et les principes de son pouvoir » [1958], Écrits, op. cit., p. 631.

Signification de l’amour…

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énigmatique, à la fin du séminaire « Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse », quand Lacan déclare que le désir de l’analyste est solidaire du surgissement de la « signification d’un amour sans limite, parce qu’il est hors des limites de la loi, où seulement il peut vivre32 » ? Cette signification est une place vide, le cerne d’une île, mais la signification de l’amour n’est pas viable hors des limites de la loi, et donc du phallus.

Peut-être que ce qu’une cure met à découvert, est que cet amour sans limite est un amour au-delà de l’objet, mais qui ne peut pour autant se réaliser sans un objet, révélant par là même le caractère aussi bien nécessaire que quelconque de cet objet pourvu qu’il vienne à cette place du manque phallique.

Et si l’amour ne peut que cerner cette île, soit cette île du vide central de l’objet tout comme la réfraction de l’infini au-delà de lui, alors c’est peut-être ça une psycha- nalyse : la possibilité d’une île.

32. Jacques Lacan, Les Quatre Concepts fondamentaux de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1973, p. 248.

toujours phallique. Tel est le cas de l’amour qui est un effet de métaphore et, en tant que tel, il est une signi- fication. Dans « Le transfert », lorsque Lacan donne la structure signifiante de l’amour à travers sa lecture du Banquet de Platon, la métaphore de l’amour inter- vient quand le signifiant erastès, qui désigne le sujet du manque, se substitue au signifiant erômenos, qui désigne l’objet du manque. Un manque en croise donc un autre.

Lorsque cette bascule opère où celui qui a l’objet et est aimé devient le sujet du manque et du désir, un effet métaphorique, ou effet de transfert, surgit comme signi- fication de l’amour.

Ce moment de bascule est un « moment de retour- nement où de la conjonction du désir avec son objet en tant qu’inadéquat doit surgir cette signification qui s’ap- pelle l’amour30 ». L’amour, comme signification, vient à la place d’une inadéquation, l’inadéquation du désir et de son objet. Dans cette mesure, l’« amour ne peut que cerner cette île31 », soit le vide central révélé de cette ina- déquation fondamentale. La signification de l’amour est vide. Lacan le dira à la fin de son enseignement : l’amour n’est rien qu’une signification, laquelle est un mot vide puisqu’il dénote une inexistence, celle du rapport sexuel.

Dès lors, comment comprendre cette formule

30. Jacques Lacan, Le Transfert, op. cit., p. 47. Les italiques sont de moi.

31. Ibid., p. 464.

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