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Géographie et cultures. Le « tourment culturel »

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93-94 | 2015

Géographie et cultures à Cerisy

Géographie et cultures

Le « tourment culturel »

Paul Claval

Édition électronique

URL : http://journals.openedition.org/gc/4074 DOI : 10.4000/gc.4074

ISSN : 2267-6759 Éditeur

L’Harmattan Édition imprimée

Date de publication : 1 avril 2015 Pagination : 389-394

ISBN : 978-2-343-09186-0 ISSN : 1165-0354 Référence électronique

Paul Claval, « Géographie et cultures », Géographie et cultures [En ligne], 93-94 | 2015, mis en ligne le 17 octobre 2016, consulté le 26 novembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/gc/4074 ; DOI : https://doi.org/10.4000/gc.4074

Ce document a été généré automatiquement le 26 novembre 2020.

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Géographie et cultures

Le « tourment culturel »

Paul Claval

1 Nul cadre ne convenait mieux que celui de Cerisy pour parler du ‘Tourment’ culturel de notre discipline. Géographes intéressés par l’approche culturelle, nous sommes bien placés, pour savoir combien les lieux comptent dans la transmission et l’échange des idées, des modes et des pratiques. Nul doute que le souvenir que nous garderons de cette rencontre ne soit coloré par la magie du cadre : un château vieux de quatre siècles, des arbres bi- ou tricentenaires, des fauteuils profonds dans une pièce au plafond peint, une nourriture agréable et quelques ordinateurs : c’est le secret de la créativité intellectuelle que poursuivent nos collègues spécialistes de l’économie de la connaissance, mais qui est ici maîtrisé depuis longtemps !

2 L’accueil que nous a réservé Édith Heurgon, la sagacité et l’humour de Sylvain Allemand et le temps exceptionnel ont largement contribué au succès de la réunion.

3 Merci aux organisateurs, à Francine Barthe, au groupe qui l’a entouré dans la longue préparation de cette réunion et à ceux qui s’y sont trouvés davantage impliqués, Yann Calbérac et Emmanuelle Dedenon, pour nous avoir offert un colloque aussi ouvert, avec une telle diversité de points de vue !

4 Merci d’y avoir inséré des séances inhabituelles dans une conférence de géographie : un film magnifique sur les jeux taurins californiens, dont nul, hormis Jean-Baptiste Maudet, n’avait idée de la richesse et de la variété ! Merci d’avoir permis à Joseph Rabie de nous révéler ses paysages décousus et recousus grâce à des procédures informatiques et selon des rythmes musicaux prenants : un nouvel art du paysage, un nouveau Land Art ! Merci à Serge Weber d’avoir donné une dimension musicale à cette plongée dans l’approche culturelle en géographie !

5 Merci aux organisateurs d’avoir évalué l’impact de la revue « Géographie et cultures » et de la collection du même nom, d’avoir montré l’évolution de leurs contenus et souligné leur audience !

6 Merci d’avoir illustré les ouvertures que permet l’approche culturelle par des interventions aussi convaincantes que celle d’Alexis Metzger sur la géo-climatologie de

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la Hollande et de l’Espagne classiques, ou celle de Claire Brisson sur la corpolâtrie des plages de la zone Sud de Rio ! Merci à Rainer Kazig et Damien Masson de s’être attachés aux ambiances !

7 Merci à tous ceux qui ont mis l’accent sur le rôle des divers modes d’expression que l’approche culturelle analyse : la bande dessinée (Anna Madœuf), la peinture (Alexis Metzger), et le cinéma (Bertrand Pleven) ! Merci à Vincent Berdoulay, Jean-Baptiste Maudet, Marc Brosseau et Paulo Cesar da Costa Gomes d’avoir proposé une réflexion plus générale encore sur l’image, sa valeur heuristique et les enjeux épistémologiques qu’elle implique !

8 À l’évocation des champs que l’approche culturelle a ouverts et continue d’ouvrir s’ajoute tout ce qu’elle a enseigné, seule ou avec d’autres courants, sur la manière de conduire des recherches, sur les précautions qu’elle nécessite et sur les postures qu’elle implique ou condamne. Comment faire du terrain quand on ne peut y parvenir sans se soustraire à la peur (Pauline Guinard) ? Comment traiter de sujets aussi délicats que celui de l’organisation des musées de la Shoah (Dominique Chevalier) ? Comment l’inspiration post-coloniale, traitée ici par Judicaëlle Dietrich, donne-t-elle une nouvelle dimension au thème de l’engagement ?

9 Une analyse comparée du rôle de la culture en géographie et dans d’autres sciences sociales s’imposait : elle a été illustrée par Colette Jourdain-Annequin qui nous a fait part de son expérience de l’histoire ancienne et par Hadrien Dubucs à propos des courants migratoires.

10 La place faite aux débats qu’a fait naître, et que continue à faire naître, l’approche culturelle, a été large : on l’a vu dans l’intervention d’André-Frédéric Hoyaux. Les contributions relatives à l’histoire de la pensée géographique, celle de Laura Péaud sur Humboldt et de Federico Ferretti sur la géographie et les imaginaires nationaux au XIXe siècle, renforçaient la dimension épistémologique des communications que l’on a pu entendre ici.

11 Voici brièvement dressée la palette avec laquelle ces quelques journées ont été brossées. Quelques perspectives se dégagent du tableau qu’elles dessinent.

12 1- Un malentendu s’est créé au cours des années 1980 et 1990 entre les géographes qui tentaient de renouveler la géographie humaine en adoptant l’approche culturelle et ceux qui pensaient y parvenir par la géographie sociale. Un procès d’intention qui méconnaissait ce en quoi l’approche culturelle consistait en a résulté. Les mêmes critiques ont été sans cesse répétées, alors même que ceux qui avaient opté pour l’une ou l’autre approche prenaient conscience de la proximité de leurs préoccupations et de leurs démarches. En arrivant ici, certains pensaient que cet épisode n’était pas clos. Le colloque que nous venons de tenir apporte, à mon sens, la preuve de l’inverse. Parler d’approche culturelle, ou d’approche culturelle et sociale, plutôt que de géographie culturelle devrait achever d’éteindre ce feu allumé il y a maintenant trente ans.

13 2- On met souvent la géographie culturelle sur le même plan que la géographie politique, la géographie économique, la géographie urbaine ou la géographie rurale : on la considère comme un chapitre relativement autonome de la géographie humaine.

C’est méconnaître la véritable signification du tournant culturel qu’a connu la discipline et qui est parallèle aux tournants linguistiques et spatiaux qui caractérisent les sciences sociales depuis les années 1970. En quoi consistent-ils ? En une nouvelle façon d’appréhender l’objet même des sciences sociales : il s’agit de renoncer aux

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modèles simplifiés que les disciplines sociales s’étaient construits des individus et des groupes et de leur restituer leurs véritables dimensions : l’homme est un être de culture, donc un être social ; il n’existe pas dans un espace supranaturel, mais dans la concrétude des lieux. Ce que le tournant culturel signifie, c’est que pour bâtir sur une base efficace la géographie – ou les autres sciences sociales –, on doit être ouvert à la sensibilité, aux représentations et à l’imaginaire des gens. Le géographe ne peut ignorer la perspective culturelle, car celle-ci introduit de nouveaux points de vue et insuffle une dimension critique à la discipline. Le tournant culturel est à la base de son renouveau.

14 3- Ce constat se traduit de plusieurs manières. La première, c’est que l’approche culturelle donne au chercheur une liberté qui lui manquait souvent : finies les remarques sans cesse répétées sur « ceci n’est pas de la géographie », et leur effet paralysant sur l’innovation. La curiosité a pu s’étendre au corps, aux différentes formes de la sensibilité et aux constructions sociales que sont les stéréotypes et les imaginaires. Elle a pu s’attacher aux croyances.

15 4- Le second constat, c’est que l’approche culturelle est responsable d’une créativité nouvelle au sein de la discipline, créativité qui se lit dans la mise en œuvre de documents jusque-là négligés, dans l’invention de méthodes inédites, dans la mobilisation de concepts jusque-là ignorés et dans l’élargissement du champ abordé.

Premier exemple, dans le domaine des objets et procédures de recherche : celui de l’image et des méthodes modernes qui permettent de l’analyser et de cerner vraiment ce qu’elle apporte. Pour comprendre une scène, ce que nous apprend Paulo Cesar da Costa Gomes, c’est qu’il convient d’y analyser le point de vue de l’observateur et celui de l’observé, de se pencher sur la composition du décor, et de se demander comment les acteurs s’y mettent en scène et tirent parti du cadre où ils évoluent : l’on découvre ainsi la signification que l’action gagne à se trouver insérée dans un décor utilisé par chacun selon son humeur ou ses besoins.

Deuxième exemple, dans un domaine voisin : celui du cinéma et de la manière dont les réalisateurs choisissent les fonds des scènes qu’ils tournent pour donner un sens à celles-ci, répondre aux attentes du public qu’ils visent, flatter ses préférences et les renforcer du même coup jusqu’au cliché : Bertrand Pleven n’est pas simplement spectateur : il tourne des séquences, ou les fait tourner, pour montrer comment une narration se construit par l’image et comment celle-ci est génératrice de spatialité.

Troisième exemple, dans le domaine des représentations : la prise en compte, dans la démarche interprétative, des diverses formes de narration inventées par les groupes humains, celle du mythe en particulier, à l’exemple de celui d’Héraclès, qui aidait les Grecs à mettre en forme la connaissance qu’ils avaient de contrées lointaines, à les intégrer dans l’œkoumène et à y justifier leur action colonisatrice, comme l’a rappelé Colette Jourdain- Annequin pour la Grèce antique.

Quatrième exemple, dans le domaine des interprétations : la prodigieuse séance où le virtuose qu’est Serge Weber a esquissé une histoire de la musique occidentale et de ses transformations à partir de la fin du XIXe siècle, lorsque l’aventure coloniale et l’accélération – déjà – de la globalisation conduisaient à la découverte d’autres mélodies, d’autres sonorités, d’autres rythmes et faisaient éclater le cadre harmonique où s’était développée la tradition occidentale.

16 Merci de nous avoir fait comprendre, à travers l’exemple de la musique, que l’écriture – ici la notation musicale, dans d’autres domaines le dessin – a longtemps conduit à une

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conception de l’art qui donnait au compositeur et au chef d’orchestre une position centrale et dominante – comme elle la conférait à l’architecte-urbaniste qui dessinait des plans de ville ou à l’aménageur qui essayait de modeler toute la géographie d’un pays. Ce que l’on découvre au tournant du XIXe et du XXe siècles, c’est que cette conception n’est pas la seule possible.

17 À travers son extraordinaire exécution de L’Isle joyeuse de Claude Debussy (et d’autres morceaux), Serge Weber nous a ainsi fait vivre l’éclatement des paysages trop ordonnés de la musique occidentale – de l’Occident tout court.

18 Il faudra du temps pour mesurer l’apport de ce colloque : le temps pour que ce qui y a été glané murisse, le temps pour que les rapprochements esquissés s’accomplissent.

Mais ce qui se dégage déjà, c’est qu’au-delà de l’enrichissement – auquel tous ont été sensibles – des champs couverts, des méthodes mises en œuvre, des interprétations théoriques avancées, c’est à une transformation profonde de la discipline que l’on assiste. Celle-ci connaissait deux écueils : ou bien elle mettait l’accent sur les lieux et s’engluait dans une description indéfinie, ou bien elle s’attachait au jeu de forces économiques, politiques et sociales qui créaient des champs et faisaient de la géographie une discipline un peu abstraite et déshumanisée.

19 Ce que permet l’approche culturelle, c’est la prise en compte d’une gamme plus riche d’échelles, celles du quotidien et du local, celles du public et du privé, celles des mouvements d’opinion, des engouements et des modes à côté de celle des religions ou des idéologies.

20 La géographie cesse d’être une discipline destinée à éclairer les puissants. Elle parle à tout le monde de l’expérience de chacun. Elle est plus adaptée à des sociétés qui se veulent démocratiques.

21 Quel était le but de ce colloque ? Faire le point sur le champ exploré par des chercheurs qui accordent une large place aux réalités culturelles et s’expriment depuis 1992 dans les colonnes de la revue Géographie et cultures. Ces collègues ne constituent pas un groupe fermé, une école. Leurs vues divergent en bien des domaines. Certains voient dans la culture le moteur de la plupart des faits humains ; d’autres ne lui accordent qu’une place plus réduite : les discussions entre ceux que la notion de géographie culturelle satisfait pleinement et ceux dont l’approche se réclame de la géographie socio-culturelle ou de la géographie sociale en témoignent. Le large éventail des vues qu’appelait la nouvelle revue s’est maintenu : c’est un résultat qu’il importe de souligner. L’approche culturelle apparaît davantage comme un carrefour que comme un champ clos. C’était la conviction que nous partagions au début des années 1990.

L’évolution ne l’a pas remise en cause.

22 La géographie qui naît des curiosités et préoccupations de ceux qui se sont retrouvés ici est plus colorée, plus sensible aux bruits, aux musiques, aux parfums, aux odeurs et à la diversité humaine que celle qui se pratiquait dans les années 1960 ou 1970. Elle n’a pas été mise en place par de purs esprits, comme le supposaient certaines approches théoriques, ou par des adultes de sexe masculin et uniquement soucieux de maximiser leurs revenus ou leurs jouissances matérielles, sur lesquels on insistait naguère. Elle s’intéresse aux bébés, aux jeunes, aux femmes, aux vieillards tout autant qu’aux hommes. Elle les accompagne à tous les moments du jour ou de la nuit, en habit, en costume trois pièces et cravate, en débardeur et jeans, en pyjamas – ou nus. Elle est sensible à l’environnement qu’ils se créent – aux paysages auxquels les géographes sont

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depuis toujours attachés, mais aussi aux espaces domestiques, aux maisons, aux appartements, aux intérieurs, à l’ambiance qui y règne. Elle saisit les moments de fêtes, la part faite aux loisirs, les longues plages consacrées au travail et les moments difficiles, ceux qui naissent de l’âge et de la maladie, comme ceux qui résultent de catastrophes naturelles, de tensions, de conflits sociaux ou de la guerre.

23 La géographie classique souffrait d’un tabou : celui qui touchait tout ce qui se passait dans la tête des gens. Nul ne l’exprimait mieux que Pierre Deffontaines réfléchissant sur la géographie religieuse :

« Le géographe est [...] appelé à conserver à l’égard des faits religieux une attitude de pur observateur, ne cherchant pas à étudier le fondement, l’origine ou l’évolution des systèmes religieux et la valeur respective de ceux-ci. Il se borne à noter les répercussions géographiques des faits de religion sur le paysage, il réduit ainsi le point de vue religieux à des éléments extérieurs et physionomiques, laissant délibérément de côté le domaine majeur de la vie intérieure »1. (Deffontaines, 1966, p. 17-18).

24 La Nouvelle Géographie avait tourné cet interdit en s’inspirant de l’économie : elle supposait que les comportements humains étaient rationnels, si bien qu’il n’était pas nécessaire d’interroger les gens pour comprendre leurs décisions : il suffisait de prendre en compte leur situation pour savoir ce qu’ils pensaient et choisissaient.

25 Ce qu’apporte le tournant culturel que tous les participants ont intégré, c’est l’idée que la géographie se passe tout autant dans la tête des gens, dans leurs sens et dans leurs corps que dans le monde qui les entoure. Cela élargit prodigieusement le champ de la discipline, la rapproche de la littérature, de la peinture, de la musique, du cinéma, de tous les travaux consacrés aux représentations et aux mythes par les historiens, et la conduit à faire une place essentielle aux imaginaires – ces images dont chacun de nous est porteur, qu’il a dans une large mesure reçu des autres, mais que certains contribuent plus que d’autres à façonner, et qui donnent une forme à ses rêves, exprime ses aspirations et oriente son action. Au lieu de se contenter d’analyser des formes linéaires (pour la géographie classique) ou systémiques (pour la Nouvelle Géographie) de causalité, ce que montre ce colloque, c’est l’extraordinaire fécondité de la causalité utopienne (pour reprendre une formule d’Henri Lefebvre2) qui caractérise l’approche culturelle.

NOTES

1. Pierre Deffontaines, 1966, « La marque géographique des religions », dans Pierre Deffontaines et Mariel. J. Brunhes-Delamarre (dir.), Géographie générale, Paris, Gallimard, p. 1717-1725, cf. p. 1717-1718.

2. « Engels en appelle donc au socialisme utopien, c’est-à-dire révolutionnaire, contre l’utopie réformatrice et réactionnaire. Celle-ci, plus ‘utopique’ encore que l’autre, dissimule la problématique au lieu de l’amener au jour » (H. Lefebvre, 1973, Espace et politique, Paris, Anthropos ; cité d’après 2e éd., Paris, 2000, p. 84).

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AUTEUR

PAUL CLAVAL

Université Paris-Sorbonne p.claval@wanadoo.fr

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