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La sociodidactique : aspects de l’interdiscipline

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LA SOCIODIDACTIQUE : ASPECTS DE L’INTERDISCIPLINE ---

SOCIODIDACTICS: ASPECTS OF INTERDISCIPLINARY

Mohammed LAHLOU FLSH, Université Cadi Ayyad, Maroc

m10lahlou@hotmail.com Résumé :

Cet article réinterroge la sociodidactique comme approche et discipline qui relève des sciences du langage. Il propose de la redéfinir comme une interdiscipline située à la croisée d’autres disciplines. Deux phénomènes scientifiques sont avancés ici comme la manifestation de cette interdisciplinarité organique : la circulation, avec ou sans acclimatation, des notions/concepts et l’emprunt méthodologique.

Mots-clés : sociodidactique ; approche ; interdiscipline ; méthodologie, sciences du langage.

Abstract :

This article examines sociodidactics as an approach and discipline that falls within the language sciences. He proposes to redefine it as an interdisciplinary located at the crossroads of other disciplines. Two scientific phenomena are put forward here as the manifestation of this organic interdisciplinarity: the circulation, with or without acclimatization, of notions / concepts and methodological borrowing.

Keywords: sociodidactic; approach; interdiscipline; methodology, language sciences.

Introduction

La conception labovienne de la linguistique a permis à l’étude sur la langue de se faire restituer sa dimension sociale longtemps neutralisée ou marginalisée par les approches d’inspirations structuralistes et générativistes. Les faits linguistiques sont conséquemment traités au sein de leurs contextes sociaux grâce à une méthodologie fondée sur l’enquête. Les locuteurs sont considérés tout naturellement comme des acteurs sociaux qui interagissent dans la langue et par la langue. Ils sont perçus comme des agents qui modifient la langue, que la langue modifie, loin de l’idéalisme du locuteur naïf et natif et de son fond linguistique préconstruit. La linguistique devint une science de l’observation, de l’enquête, de l’empirisme, du social, de l’homme enfin. Et c’est cette ouverture du fait linguistique sur le contexte social qui fait toute la particularité de la sociolinguistique comme une linguistique tout court. Ce rétablissement scientifique a par conséquent ouvert le champ de la linguistique sur des missions sociales par le traitement de questions relatives à la diversité linguistique, à la description de la covariance entre structure linguistique et structure sociale, au plurilinguisme et à l’enseignement des langues étrangères. Le besoin à cette linguistique de terrain, empirique par définition, émane de la nécessité de comprendre les tensions, les malaises et les crises relatives aux rapports des acteurs sociaux aux langues en présence pour pouvoir comprendre le fonctionnement des pratiques langagières. Le (socio)linguiste est redéfini à son tour : il est un militant scientifique qui étudie pour comprendre, comprend pour proposer à intervenir.

Justement, dans le champ de l’éducation, la sociolinguistique intervient et s’impose comme une science de la compréhension et une autorité de proposition d’intervention. Elle s’implique dans l’étude de questions relatives à l’identité, aux représentations, aux enjeux socioprofessionnels, à la stratification et à l’aménagement des langues pour construire des

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connaissances contextualisées guidant les interventions réformistes. Elle traite le fait didactique d’un point de vue sociolinguistique. Et cette alliance entre la sociolinguistique et la didactique des langues en contextes plurilingues a donné lieu à la constitution d’une interdiscipline nommée grossièrement « sociodidactique » : elle relève des sciences du langage mais garde un regard sur les sciences de l’éducation et se nourrit de la sociologie, de l’ethnologie et de l’anthropologie.

Je me penche dans cet article sur les aspects de ce croisement qui a permis à la sociodidactique de se constituer en champ scientifique interdisciplinaire. Je me limiterai à en traiter deux : la question de la circulation des notions et des concepts et la question de l’emprunt méthodologique. Mais il convient tout d’abord de cerner le champ de la sociodidactique en le distinguant des champs voisins.

1.Sociodidactique, sociolinguistique et didactique des langues, quels rapports ?

Le champ de l’enseignement des langues se présente en deux niveaux qu’il faudrait distinguer sans opposer. D’une part, l’action enseignante et sa planification : la didactique ; et d’autre part, la réflexion et la théorisation sur les méthodes et les pratiques : la didactologie selon R. Galisson (1986). Nous posons comme distingués ce qui relève de la pratique enseignante de ce qui relève de la recherche et de la réflexion. C'est-à-dire, ce qui relève du paradigme de la simplification (la didactique) et de ce qui relève de la complexification par la prise en charge des différents paramètres du contexte (la recherche en didactique des langues).

Et comme dans toute recherche en science de l’Homme, cette réflexion didactologique est un champ disciplinaire en communication avec d’autres qui coopèrent : la psychologie, la pédagogie, la linguistique, la sociolinguistique, l’ethnologie et l’anthropologie.

Dans ce cadre bien distingué de la didactique, la sociodidactique s’est constituée comme un domaine de recherche qui pense l’enseignement des langues. Elle est définie par M. Rispail (1998 : 445) comme « Une didactique de la variation, qui prenne en compte les situations linguistiques et sociolinguistiques des enseignants et des élèves, ». Le terme de sociodidactique fait référence ici à une « (sous)discipline affirmée, (socio)linguistique et didactique mêlées, qui se donnerait pour objet d’étude la vie des langues dans et à travers l’école, dans leurs interactions avec leurs autres usages sociaux » (2005, p. 100). De par cette coopération disciplinaire, la sociodidactique est née tout d’abord de ce croisement de regards sociolinguistiques et didactiques.

Et c’est effectivement de cette solidarité disciplinaire entre la didactique des langues et la sociolinguistique qu’émerge l’approche sociodidactique mettant en œuvre une linguistique de terrain où l’empiricité est la seule garante de la construction de compréhensions situées. Une solidarité qui aboutit bien entendu à une complexification de la recherche par l’interrogation des savoirs sociaux, des éléments du contexte, des enjeux socioprofessionnels et des attachements identitaires.

Mais, la question qui s’impose est la suivante : selon quelles modalités faut-il envisager en sociodidactique le croisement et la collaboration entre la didactique et la sociolinguistique ? Sachant bien évidemment que la sociolinguistique est déjà un champ interdisciplinaire.

Nous partons de la conceptualisation suivante de P. Blanchet (2012 : 15) qui précise que :

« L’approche sociodidactique est une théorisation spécifique du didactique comme l’approche sociolinguistique est une théorisation spécifique du linguistique : ce n’est pas une sous partie du champ qui se centrerait sur les aspects sociaux, c’est un point de vue social sur l’ensemble du champ, inscrit dans un projet global scientifique et épistémologique. Cela n’exclut pas d’autres points de vue mais ne s’y

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juxtapose pas : à la rigueur on pourrait parler de « superposition » des points de vue sur la totalité du champ, ou mieux, de tissage interdisciplinaire des points de vue là où c’est possible (car il y a bien sûr des contradictions irréductibles et irréconciliables entre certains points de vue sur le linguistique et/ou sur le didactique). »

Il en ressort, comme l’explicite d’ailleurs le préfixe « socio », la spécificité de cette articulation du didactique et du sociolinguistique et qui donne tout naturellement lieu à une approche relevant du social. Le champ de l’enseignement des langues est pensé d’un point de vue socio-linguistique doublement orienté : analyser les situations d’enseignement/apprentissage des langues et la description des pratiques langagières et des représentations sociales au sein de ces situations. Nous sommes dès lors dans une didactique de terrain dont l’entrée se fait par enquête sociolinguistique et ethnographique et les résultats visent à orienter les interventions didactiques. Le terrain, dans son sens large, est pris comme point de départ et de retour de la recherche donnant lieu à la réflexivité de la recherche sur l’action, d’où sa mission à la fois scientifique et sociale. Les lois sociales sont prises en charge dans la recherche et dans la proposition de pistes d’intervention une fois la didactique elle- même est nourrie de visions sociolinguistiques.

L’observation de ces terrains par le sociolinguiste amène inéluctablement à constater l’hétérogénéité des situations où plusieurs langues en contact entretiennent des rapports de force qui expliquent en tout ou en partie les pratiques langagières des acteurs sociaux. Cette hétérogénéité n’est analysable que par l’opérationnalisation de notions sociolinguistiques comme la notion de variation et de plurilinguisme.

Ce croisement n’est pourtant pas une option exclusive. Le champ de l’enseignement de manière générale a été toujours le réceptacle de disciplines externes telles que la psychologie et l’anthropologie des cultures, la politique, la géographie, l’économie, etc. Or, ces champs sont souvent mis en coopération sur le mode de la juxtaposition dans une vision beaucoup plus pluridisciplinaire qu’interdisciplinaire. Et c’est cette interdisciplinarité, qui définit la sociodidactique, qu’il importe d’élucider et d’en montrer les aspects. Nous nous contenterons de traiter deux aspects de l’interdiscipline : l’opérationnalité des concepts et le transfert méthodologique.

2.L’opérationnalité des concepts en sociodidactique

Ce sont les concepts qui organisent les disciplines et structurent le mode de pensées et de traitement de leurs objets. Le transfert de concepts d’un champ à l’autre est un emprunt symptôme de croisement disciplinaire. Entre la sociolinguistique et la didactique des langues, ce qui pourrait apparaitre comme emprunt des concepts est plutôt une ouverture de la didactique sur la linguistique de terrain car la sociodidactique est fondée sur le socle sociolinguistique en tant que théorie de la langue et approche de terrain pour l’analyse du fait didactique. Ainsi des notions comme « contexte », « plurilinguisme », « variation »,

« interaction », « acteur social »,… sont mobilisées dans l’étude des comportements langagiers au sein de l’école et de son environnement. Penser le fait didactique et le comprendre passe par le traitement sociolinguistique du corpus en étude. Un traitement où les concepts rendent le regard sur le fait linguistique en terrain didactique plus scientifique.

2.1- Bilinguisme

La notion de bilinguisme est centrale dans une recherche en didactiques de l’enseignement des langues étrangères qui suppose ipso facto le contact des langues. Cette

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notion amène à penser le rapport de l’acteur social à la langue de l’autre, à la diversité linguistique. L’opérationnalité de la notion de plurilinguisme a produit dans le champ de la didactique des langues et surtout en didactique des DNL, disciplines dites non linguistiques dispensées en langue étrangère, l’alternance linguistique comme procédé pédagogique qui prend en charge le répertoire langagier en L1 de l’apprenant. L’introduction de cet outil pédagogique est le résultat d’interrogations à la fois sociales et didactiques sur les pratiques langagières spontanées et sur les procédés utilisés par les acteurs pour faciliter ou complexifier l’enseignement des langues et des disciplines. La notion de répertoire langagier est en effet reconsidérée pour tenir en compte la palette linguistique des acteurs sociaux plurilingues.

Les politiques linguistiques ouvrant de plus en plus la scène éducative sur le multilinguisme recourent justement à des études sociolinguistiques sur le contact des langues, l’altérité, les expériences linguistiques individuelles et communautaires pour développer une compétence bi-plurilingue complexe, composite et hétérogène qui serait comme l’attitude à communiquer langagièrement et à interagir culturellement (V. Castelloti, D. Moore, 2014). Et l’un des grands résultats des recherches en sociodidactiques sur la question du plurilinguisme et de ne pas considérer les langues apprises comme une juxtaposition, mais de les faire interagir pour une vraie compétence plurilingue. L’idéal du locuteur monolingue natif et parfait qu’a développé les linguistiques formelles laisse place à celui du locuteur plurilingue non parfait mais évolutif.

La notion de plurilinguisme engage également une vision sociologique par une prise de conscience du poids du capital culturel familial et communautaire dans l’acquisition des langues étrangères et dans la construction de représentations mélioratives ou péjoratives à l’égard des langues. Cette vision est porteuse de compréhension quant à la manière dont les acteurs sociaux agissent par la langue au sein de la société, d’où le recours en sociodidactique à des méthodes qui relèvent de l’ethnographie. L’apport de la sociologie, quant à lui, est bien apparent. La notion bourdieusienne de marché linguistique, à titre d’illustration, implique l’étude des rapports de domination, d’inégalités et de discrimination que provoquent les rapports des individus aux langues au sein de la société et de l’espace scolaire considéré comme une microsociété.

2.2- Contexte

Et c’est dans ce tissage fait de regards social, linguistique et didactique que la notion de contexte prend forme et requiert toute sa centralité dans une recherche en sociodidactique. Elle est justifiée par la nécessité de mettre en relation les résultats de la recherche avec le milieu socio-éducatif qui l’abrite. C’est d’ailleurs la centralité de la contextualisation dans la démarche sociodidactique qui donne légitimité à ses ambitions interventionnistes par la mise en place d’une « didactique articulée à la variété des contextes. » (C. Cortier, 2007). L’appropriation de cette notion par la sociodidactique mérite d’être analysée car la notion s’y installée par acclimatation dans la mesure où elle s’est adaptée à l’environnement disciplinaire et est devenue productive.

Dans son acception linguistique, la notion de contexte désigne l’entourage textuel qui abrite une unité donnée, l’ « Ensemble des unités d'un niveau d'analyse déterminé (phonème, monème ou morphème, unité lexicale, syntagme, phrase...) constituant l'entourage temporel (parole) ou spatial (écriture) d'une unité, d'un segment de discours dégagé par une analyse de même niveau. » CNRTL. Jean Dubois la définit comme « l’ensemble du texte dans lequel se situe une unité déterminée, c’est-a dire les éléments qui précédent ou qui suivent cette unité, son environnement. » et comme contexte situationnel, c’est-à-dire « l’ensemble des conditions naturelles sociales et culturelles dans lesquelles se situe un énonce, un discours. » (2002 : 116).

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La définition générale met l’accent sur l’aspect d’environnement et d’entourage énonciatifs comme élément principal définissant le contexte. L. Messaoudi remarque à ce sujet que

« Si le terme de situation ne prête pas à confusion puisqu’il renvoie généralement à l’environnement extralinguistique, il n’en est pas de même pour le terme de contexte, qui peut référer aussi bien à l’environnement linguistique syntagmatique i.e. les unités linguistiques précédant et suivant l’unité en question (dans le cadre de l’énoncé, la phrase ou le texte) – qu’à l’environnement non linguistique c’est-à-dire à la situation.» (2005 :01)

Cette l’élasticité sémantique de la notion de contexte dans le domaine linguistique en couvrant aussi bien la situation linguistique que l’environnement extralinguistique auquel s’intéresse particulièrement la pragmatique rend son usage propice à une exploitation plus étendue. C’est notamment avec les travaux d’Émile Benveniste sur les déictiques et de Paul Grice sur la théorie de la signification que la notion de contexte est réinvestie de manière plus ample.

En didactique des langues, le contexte est pris comme tout ce qui interagit avec l’apprenant. « L’objet-langue à enseigner n’est pas donné mais à construire en fonction de critères culturels/contextuels et de descriptions de référence situées en amont des programmes et autres orientations. » (J-C Beacco, 2014 :54). Il est conçu sous forme d’éléments textuels (programmes et orientations), et contextuels (critères culturels). Il est aussi la situation de communication dans laquelle les formes linguistiques prennent sens. Selon J. P. Cuq, « la notion de contexte désigne généralement l’ensemble des déterminations extralinguistiques des situations de communication où les productions verbales (ou non) prennent place… » (2003 : 54). Il y a ici référence à tous les facteurs qui sont en dehors de l’aspect linguistique et qui exercent un effet sur les productions langagières des acteurs de l’enseignement-apprentissage.

Il s’agit bien entendu de facteurs socioculturels, institutionnels, économiques ou politiques ce qui pourrait marquer une évolution de la notion telle qu’elle est investie dans le champ de la didactique.

En sociodidactique, la notion de contexte s’est acclimatée et est devenue productive.

Dans ce sens, P. Blanchet et A. Rahal (2009 :12) précisent que l’analyse de l’acception de contexte dans les domaines de la didactique et de la sociodidactique

« conduit à la reconfiguration de la notion, déjà classique, de situation en didactique des langues puisqu’elle constitue soit l’unité de référence issue de la première sociolinguistique dans une approche communicative (situation de communication) soit l’unité de référence de l’analyse didactique (situation d’apprentissage ou de classe), vers la notion de contexte, qui élargit la problématique au-delà de l’espace didactique et pédagogique (la méthode, la séance ou séquence d’apprentissage, la relation enseignant-enseigné, la classe, l’institution éducative…) vers l’environnement sociolinguistique, culturel, social voire économique ou politique, tout en incluant les paramètres plus étroitement didactiques dès lors indissociablement intriqués dans l’ensemble du contexte global »

Il apparaît que la notion en question opère en dépassement par rapport à la notion classique de situation didactique. Cette dernière désigne les paramètres de la situation de communication circonscrivant généralement un acte de langage ou un échange dans la classe de langue. La notion de situation dans son acception pragmatique et communicationnelle

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limitée à l’entourage scolaire et éducatif se voit en effet élargie à d’autres paramètres extralinguistiques. Partant, la « langue à enseigner » devient un objet qui se construit suivant les données contextuelles en interaction. De là surgit la nécessité d’une étude globale et multidimensionnelle de l’environnement qui couvre tout enseignement/apprentissage.

L’institutionnel, l’économique et le culturel sont également des paramètres contextuels à considérer bien que l’approche soit souvent orientée uniquement vers le didactique proprement dit.

En somme, la didactique de l’enseignement-apprentissage d’une langue serait commandée par les différents paramètres qui gravitent autour des pratiques et qui conditionnent les représentations et les choix éducatifs. P. Blanchet et R. Asselah proposent un essai d’énumération de cette pluralité de paramètres :

« Les parents y ont leur place, comme les décideurs institutionnels, les formateurs et inspecteurs, les concepteurs de manuels ou les auteurs de manuels. C’est tout un tissu contextuel qui est visé, aux interactions riches et complexes, aux dynamiques à expliciter et aux tensions évidentes, qui vont bien sûr toucher aux politiques linguistiques et donc aux environnements politiques et idéologiques dans lesquels elles prennent place. » (2008 : 66)

Par ailleurs, le contexte n’est pourtant pas une situation figée, mais plutôt un recadrage qui se régule au fur et à mesure que la recherche avance. Autrement dit, la notion renvoie en sociodidactique à une réalité dynamique, co-construite et non pas à un état figé. Elle couvre tout l’environnement dans lequel se tissent les interactions entre les réalisations langagières et tout élément extralinguistique de la large situation sociale reliée à l’école. La notion revêt à cet effet des aspects macro-sociaux linguistiques et extralinguistiques qui impliquent le croisement disciplinaire dans la construction des significations par la mise en réseau d’éléments et de phénomènes sociaux et linguistiques relevant du champ immédiat de la recherche et d’autres éléments inscrits plus loin mais communiquant d’une manière ou d’une autre avec le phénomène étudié. La productivité de cette notion a donné lieu à une autre notion indiquant plutôt le processus de sa mise en œuvre et qui est la contextualisation.

2.3- Variation

La notion de variation présente également un exemple éloquent de cette acclimatation fertilisante des notions et des concepts et qui illustrent, dans le contexte le plus large de cet article, de la productivité scientifique émanant du croisement de la didactique et de la linguistique. La notion constitue même « un fondement sur lequel est construit tout l’édifice » (P. Blanchet, 2012). Elle est indispensable à comprendre des phénomènes relatifs aux comportements langagiers.

La variation, qui stipule que les locuteurs appartenant à une même communauté linguistique n’ont pas forcément les mêmes usages linguistiques, amène à prêter une attention au contexte plurilingue et aux situations hétérogènes pour mesurer les faits et les enjeux des contacts des langues qui sous-tendent les pratiques enseignantes et les pratiques langagières au sein de l’école et de son environnement. La notion de variation permet une analyse des pratiques linguistiques fondée sur les pratiques sociales et implique par conséquent la recherche d’une compréhension de ces faits dans les différents éléments du contexte en faisant le lien entre phénomènes langagiers et faits sociaux. L’étude de ces variantes linguistiques apporte une compréhension dudit contexte défini comme un tissage où les pratiques langagières ont une substance sociale extralinguistique.

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Ce concept donne lieu à ce qui est appelé maintenant une didactique variationniste ou une didactique de la variation langagière qui aspire à suppléer les approches normées s’inspirant de la linguistique interne. L’analyse des comportements langagiers scolaires et extrascolaires et des représentations des individus conduit la didactique à considérer les apprenants comme des acteurs sociaux marqués par leur environnement et par le rapport que leurs langues premières ou maternelles tissent avec les langues étrangères, d’où également la nécessité d’aborder dans le cadre de cette notion l’éducation à l’altérité comme faisant partie de l’éducation plurilingue.

Le concept de variation a pu donc forger une perspective variationniste de la didactique des langues par la proposition de croisement de variétés linguistiques dans le champ didactique.

La définition même de la sociodidactique est une :

« didactique articulée à la variété des contextes dans leurs aspects politiques, institutionnels, socioculturels et sociolinguistique d’une part, mais aussi à la variété et à la variation langagière, linguistique et sociale, interlectale et interdialectale, d’autre part, et pour laquelle sociolinguistique scolaire et didactique du plurilinguisme sont deux champs qu’il est absolument nécessaire de convoquer concomitamment, pour l’élaboration de politiques linguistiques et éducatives cohérentes. » C. Cortier, (2007).

3.L’emprunt méthodologique

Les sciences du langage en tant que sciences humaines ont au centre de leurs études le langage humain. Il est évident que cet objet d’étude, qui est l’homme complexe en fin de compte, l’homme irréductible, motive une connexion entre les disciplines qui le traitent. Cette connexion impose au chercheur d’emprunter des voies nouvelles, d’adopter des points de vue externes à la linguistique et de faire concilier des approches diverses. Cet emprunt des méthodes est d’ailleurs la marque de la coopération des disciplines et est le symptôme de l’éclatement scientifique. Par ailleurs, s’il y a coopération c’est parce qu’il y a terrain d’entente et intérêt commun.

Les chercheurs en sociolinguistique, en sociologie, en sociodidactique, en ethnosociolinguistique, en anthropologie, adoptent effectivement des appareillages méthodologiques qui sont le plus souvent identiques, empruntés avec ajustement ou hybridation tout en se référant au terrain. Cet empirisme est un fondement qui est à la fois théorique et méthodologique en sociodidactique du moment où l’enquête de terrain y est centrale car « tout le champ sociodidactique est structuré par l’enquête, la volonté d’enquête, l’esprit d’enquête : savoir, comprendre, emmagasiner des informations, les mettre en relation, interroger l’apparence sociale. » (M. Rispail, 2012 : 86).

Toutefois, il importe de faire remarquer que les configurations méthodologiques de l’enquête propres à ce champ varient. Elles peuvent relever de ce qui est classique : une recherche académique s’investissant dans le terrain qu’elle explore en vue de répondre à une question de recherche et de proposer des perspectives d’intervention didactique ou glottopolitique; comme elles peuvent s’inscrire dans une sorte de recherche d’équipe où les membres collaborent, le cas d’une recherche-action ou d’une recherche-intervention.

Mais dans les deux configurations, la sociodidactique a recours à des méthodes de terrain d’ordre pluridisciplinaire, empruntées à des domaines divers. On note notamment :

- Les méthodes sociolinguistiques (enquêtes directives et semi-directives, questionnaires et entretiens) qui adoptent une posture explicite et formelle. Elles sont exploitées surtout quand le chercheur est intéressé par la collecte de données

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et par la construction d’un corpus relativement large. Elles permettent de traiter un terrain vaste ou éparpillé.

- Les méthodes ethnographiques (observation participante, participation observante, observation directe) employées dans les observations de cours de langues, de pratiques enseignantes, de conversations entre acteurs de l’éducation.

Elles se réalisent par une implication du chercheur dans le terrain de sa recherche d’où un regard de l’intérieur.

- L’analyse de contenu. Cette technique a un soubassement en pragmatique (Austin 1962, Searle 1969). Elle consiste à catégoriser, encoder et classer en unités le contenu d’un corpus en vue d’analyser les échanges (Bales 1950). Transposé dans un cadre didactique, l’analyse porte sur les interactions entre acteurs de la scène didactique comme processus de communication.

- L’analyse du discours dans ses dimensions linguistiques (Charaudeau et Maingueneau, 2002, Kerbrat-Orecchioni, 2004). Le sociodidacticien étudie le discours en interaction pour en analyser la structure, ou l’analyser dans ses dimensions sociologiques (Goffman, 1974)

- La méthode biographique et les récits de vie relevant de l’anthropologie et de la sociologie (École de Chicago). Cette méthode est investie surtout pour expliciter les mécanismes d’apprentissage comme émanant d’un parcours de vie et de formation.

- Des méthodes relevant des sciences de l’éducation sont tout naturellement exploitées par une recherche en didactique des langues et du plurilinguisme. Nous citons surtout les dispositifs d’accompagnement comme les portfolios et l’autobiographie réflexive, la biographie éducative et le journal de bord.

L’emprunt de toutes ces méthodes illustre de ce croisement de la didactique des langues avec d’autres champs disciplinaires. Il témoigne au même titre des modalités de la coopération interdisciplinaire dans le cadre de l’interdisciplinarité. Mais emprunter n’est pas synonyme de renfermement méthodologique. Le chercheur pourrait manœuvrer au sein de ce dispositif pour constituer sa stratégie d’enquête qu’il justifie.

Conclusion

Au terme de cet article, et eu égard à la nature du champ de la sociodidactique constitué de regards, de notions et d’approches empruntés et acclimatés, un champ dont les frontières restent ouvertes à l’importation de concepts et de méthodes susceptibles d’éclairer des questions relatives aux pratiques langagières sur la large scène didactique, nous proposons la dénomination d’interdiscipline pour le désigner. Le désigner dans sa formation hétéroclite sans nier sa souveraineté interne. Il est un territoire où coopèrent et s’adaptent des regards hétérogènes croisés, et non pas juxtaposés, dans l’unicité et la cohérence de l’approche empirique.

Et c’est d’ailleurs cette propriété d’être interdisciplinaire qui fait de la sociodidactique une approche à ambition interventionniste du moment où la complexité de la pensée qui traite son objet d’étude émane de la nécessité de rendre compte d’une réalité sociale, linguistique et didactique qui ne peut être que complexe.

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