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Concevoir un urinoir pour femmes, aux frontières de l intimité et de la sécurité

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*Ce texte original a été produit dans le cadre du congrès de la Société d’Ergonomie de Langue Française qui s’est tenu à Paris, les 16, 17 et 18 septembre 2020. Il est permis d’en faire une copie papier ou digitale pour un usage pédagogique ou universitaire, en citant la source exacte du document, qui est la suivante :

Prost, M. & Bourmaud, G. (2020). Concevoir un urinoir pour femmes, aux frontières de l’intimité et de la sécurité. Actes du 55ème Congrès de la SELF, L’activité et ses frontières. Penser et agir sur les transformations de nos sociétés. Paris, 16, 17 et 18 septembre 2020

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Concevoir un urinoir pour femmes, aux frontières de l’intimité et de la sécurité

Magali PROST

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& Gaëtan BOURMAUD

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1

Université de Bretagne Occidentale : magali.prost@univ-brest.fr

2

Université Paris 8 & Chrysalide : gaetan.bourmaud@univ-paris8.fr

Résumé. Concevoir un urinoir pour femmes… certains, et même certaines pourraient s’en trouver

étonné.e.s, amusé.e.s, ou même gêné.e.s par un tel projet. D’autres, au contraire, ont témoigné un intérêt fort pour cette innovation pour les femmes, et le projet a été lancé, testé en plusieurs situations et a beaucoup évolué. Deux ergonomes ont été intégrés dès le début dans l’équipe de conception : une femme et un homme. Dans cette communication, nous présentons le regard des ergonomes sur les phases amont du projet, sur les premières mises en situation et sur les évolutions rapides portées sur l’urinoir pour tâcher de toujours mieux répondre aux attentes des usagères.

Mots-clés : Conception de produits, Conception pour les femmes, Genre, Observations non intrusives.

Designing a urinal for women, bordering on privacy and security

Abstract. Designing a urinal for women... some may be surprised, amused, or even embarrassed by such a project. Others, on the contrary, have expressed a strong interest in this innovation for women, and the project has been launched, tested in several situations and has greatly evolved. Two ergonomists were integrated into the design team from the start: a woman and a man. In this communication, we present the view of ergonomists on the upstream phases of the project, on the first situations and on the rapid changes brought to the urinal to try to always better meet the expectations of users.

Keywords: Product design, Female design, Gender, Unobtrusive observations.

.

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INTRODUCTION

Concevoir un urinoir pour femmes… certains, et même certaines pourraient s’en trouver étonné.e.s, amusé.e.s, ou même gêné.e.s par un tel projet.

D’autres, au contraire, ont témoigné un intérêt fort pour cette innovation pour les femmes, et le projet a été lancé, testé en plusieurs situations et a beaucoup évolué. Deux ergonomes ont été intégrés dès le début à l’équipe de conception : une femme et un homme.

Dans cette communication, nous présentons le regard des ergonomes sur les phases amont du projet, sur les premières mises en situation et sur les évolutions rapides portées sur l’urinoir pour tâcher de toujours mieux répondre aux attentes des usagères.

Il s’agira ainsi d’abord d’exposer le contexte particulier, dans lequel cet urinoir pour femmes – artefact genré s’il en est – a pris place, tout à la fois dans ses dimensions sociétale, culturelle et historique, économique et écologique. L’enjeu d’une telle solution pour les femmes sera aussi posé. Ensuite, nous discuterons de la méthodologie déployée par les ergonomes pour « approcher » l’activité des usagères, activité réelle comme future possible. Nous verrons que la notion de frontières est au centre de la conception, i.e. frontières au sens de territoire tel que définies par Goffman (1973), en lien avec l’intimité et la sécurité d’une part, et au sens géographique d’autre part.

CONTEXTE ET PROBLEMATIQUE

Rapports de domination et intériorisation des rôles

Les rapports de domination de l’homme sur la femme ont été initialement basés sur une différence anatomique. Ce système binaire construit est insidieusement passé des différences biologiques aux différences culturelles. Héritier (2012) explique par la valence différentielle des sexes le fait que "(...) une plus grande valeur accordée à ce qui est censé caractériser le genre masculin et, parallèlement, par un escamotage de la valeur de ce qui est censé caractériser le genre féminin et même par son dénigrement systématique". Ces rapports de domination se sont socialement inscrits dans les routines et rituels privés et collectifs, où les tâches les plus importantes attribuées aux hommes et les femmes relayées dans les places inférieures. La confusion entretenue entre le sexe biologique et le sexe social est illustrée par la notion de genre.

Cette domination des hommes sur les femmes est intériorisée et acceptée par ces dernières qui, pour la plupart, restent passives et s’accommodent de certains avantages sociaux tels que la galanterie, courtoisie, le fait d’être exemptées de travaux pénibles, d’être complimentées, etc. « Les stéréotypes qui en découlent permettent le maintien de l’ordre social pour assurer un vivre ensemble apaisé alors même que l’ordre social est défavorable à l’un des deux groupes – en l’occurrence les femmes –, cela doit sembler juste à toutes et tous (…) Les choix collectifs vont plutôt dans le sens de maintenir cet état confortable et connu plutôt que de risquer les déséquilibres de l’inconnu » (Martinot, 2018, p. 58).

Ces inégalités de droits s’observent dans la manière dont l’espace public est investi par les hommes et les femmes. Dès l’enfance, les garçons ont tendance à sortir du foyer pour s’approprier la cité, tandis que les

filles sont invitées à rester au sein du domicile. Ainsi, les villes sont d’abord pensées par et pour les hommes.

On observe depuis quelques temps une revendication de plus en plus audible des femmes à s’approprier, elles aussi, l’espace public. En témoigne cet article dans le magazine Kaizen (2018, p. 58) présentant l’association A places égales qui revendique d’adapter la ville aux usagères à l’aide d’une démarche d’identification des situations et zones qui posent problèmes (en associant des couleurs) et de résolution par/pour les femmes. Des marches exploratoires sont d’ailleurs organisées dans de nombreuses grandes villes françaises pour identifier les situations problématiques.

De même, on retrouve de telles inégalités dans le domaine du travail, où les femmes sont relayées aux métiers moins qualifiés et moins reconnus socialement comme les métiers de la petite enfance, du soin, etc.

Des auteures tels que Messing & Chatigny (2004, p.

302) estiment d’ailleurs qu’il est nécessaire de faire

« l’examen du genre en rapport avec le travail » et non pas « l’analyse du travail des femmes » afin de ne plus se focaliser sur les caractéristiques sexuelles, aux plans psychiques, physiques, physiologiques mais bien d’étudier le travail réalisé par les unes et celui réalisé par les autres.

L’organisation des toilettes publiques n’échappe pas aux rapports de domination. On constate très tôt une séparation des hommes et des femmes « en ce qui concerne la question des déchets et de leur élimination », et que les femmes doivent bénéficier d’agencements et d’éléments de confort supérieurs : c’est l’instauration d’une identité de genre (Goffman, 2002, p. 157). On retrouve ici les questions d’invisibilité des difficultés et plus généralement de dimension cachée du genre.

Inégalités d’accès aux toilettes publiques

Les femmes ont, nous l’avons dit, des droits restreints à l’usage de l’espace public, traduit par un manque voire une absence d’infrastructures adéquates dont un des exemples notables est l’accès aux toilettes.

On retrouve des racines historiques, par exemple en Angleterre, où une loi datant de 1975 donnait, en termes de toilettes, plus de choix aux hommes qu'aux femmes. Cette problématique est centrale pour de nombreux pays en émergence, ne possédant pas encore de toilettes publiques. Par exemple, Greed (2014) montre que les femmes de certains pays s’auto- excluent de la sphère publique, par exemple l'école, en raison de l'arrivée des menstruations lorsqu’il n’y a pas de sanitaires adéquats.

Il y a ainsi une « genrification » de l’espace public au profit des hommes. Plusieurs études montrent la non- prise en compte des menstruations par les concepteurs et les inégalités en termes de propositions et discriminations pour les femmes. Damon (2009) prône pour un "droit de pisser" pour les femmes et propose un programme d'action GPS : Gratuité, Propreté, Sécurité.

Les urinoirs pour hommes : approche historique et culturelle

On trouve différentes propositions de toilettes faites aux hommes très tôt. Les vespasiennes parisiennes, instaurées en 1840, connaissent une crise de réputation après la 2ème guerre mondiale et sont remplacées en 1980 par les sanisettes (Figure 1).

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Figure 1 : Dimension architecturale d’esthétisme et d’intégration dans la cité.

Les femmes, qui jusqu’alors n’ont pas de possibilités de toilettes publiques, se voient offrir un accès mais payant alors. En effet, les femmes doivent payer pour la propreté et pour être protégées, des regards voire des atteintes physiques (Blidon, 2005).

Par ailleurs, le nombre de toilettes pour les hommes est plus important que celui pour les femmes. Une exception est faite dans des universités nord- américaines dans lesquelles des étudiantes ont fait pression et ont imposé un standard de ratio deux pour un entre toilettes féminines et masculines.

Enfin, la conception des urinoirs est basée en référence au genre masculin, selon ses codes, critères, valeurs, ou supposés comme tels. Les propositions faites aux femmes le sont ainsi en référence aux hommes et à la possibilité de « pisser debout » comme le nom de l’objet l’indique explicitement (Figure 2).

Figure 2 : Photographies présentant la solution du

« pisse-debout » pour femmes.

Manifeste pour un urinoir pour femmes : réduire les files d’attente aux toilettes

Pourquoi la file d’attente aux toilettes des femmes est-elle toujours si longue ? Non parce que les femmes mettent plus de temps, mais parce que les femmes n’ont pas de toilettes “service rapide” comme les hommes ! L’urinoir permet de servir 7 fois plus d’usagers qu’une toilette fermée, le gain de temps d’un urinoir est de 3 fois celui d’une toilette fermée*.De même, les urinoirs permettent un gain d’espace notable : 40% de plus d’urinoirs dans un même espace*. Ainsi, les femmes qui n’ont pas les mêmes alternatives de toilettes que les hommes, subissent des durées d’attentes en moyenne 34 fois supérieures à celle des hommes*.

La solution des urinoires pour femmes de madamePee, tient au souhait de permettre aux femmes de disposer des mêmes droits que les hommes, en ce qui concerne les besoins fondamentaux.

Cela s’inscrit plus largement dans un souhait d’émancipation des femmes et d’une proposition écologique. Il doit constituer tout à la fois :

● une solution supplémentaire et alternative aux propositions actuelles faites aux femmes en termes de toilettes ;

● uniquement « pour faire pipi » ;

*Source : Ghent University, Loo.co.uk, madamePee simulator.

● une solution de masse, pour de forts volumes ;

● une position proche de la position naturelle et habituelle « pour faire pipi » ;

● sans consommation d'eau ;

● une gestion spécifique de l'urine ;

● et une gestion différenciée du déchet papier.

METHODOLOGIE

Intégration de deux ergonomes au projet

Dès le début du projet, nous - deux ergonomes - avons été associés à la réflexion sur cette solution.

La première étape a consisté à faire un état de l’art historique, sociologique et technique des toilettes.

Nous avons ensuite mené une étude exploratoire auprès de femmes usagères-cibles, afin de comprendre les enjeux sous-jacents. Puis, nous avons contribué à des tests de différentes solutions proposées par une équipe de designers. Le prototype retenu a été testé “grandeur nature” lors de différents événements sportifs, festifs et professionnels et nous avons accompagné son évolution (Figure 3).

Figure 3 : Illustrations des urinoires de madamePee, dans sa version finale.

Les premières phases de l’intervention que nous avons menée ont consisté à nous imprégner de la problématique, de la solution en elle-même et à construire des outils d’analyse des situations d’usage.

Appui sur la situation de référence « urinoirs pour hommes »

Les urinoirs masculins constituent une solution comparable, offerte exclusivement aux hommes, autour de la fonction « pour faire pipi » seulement.

Sans développer davantage ce point, nous nous sommes ainsi attachés à discuter l’usage de cet artefact, pour mieux se saisir de l’usage futur d’un urinoir par les femmes.

Construction d’une grille d’observation

Une grille d'observation a été conçue, mettant l'accent sur des points spécifiques à différentes échelles :

- l’infrastructure : implantation des urinoires dans l’enceinte globale de la manifestation ; - l’implantation des urinoires au sein de

l’enceinte toilettes ;

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Pour ces 2 premiers points, il s’agissait de cartographier le territoire et d’y observer l’activité des usager.es en termes de circulation, parcours et cheminements.

- l’activité des usagères des urinoires madamePee.

Pour ce faire, des enchaînements d’actions avaient été préalablement déterminées lors des premières phases du projet (observations et entretiens de l’utilisation des urinoires par des testeuses volontaires).

7 séquences d’actions avaient ainsi été identifiées lors de ces essais, et retenues pour les observations :

- le choix des alternatives de toilettes (S1), par exemple toilettes ordinaires (dans une cabine), toilettes turques, toilettes sèches, etc. ;

- les attitudes dans la file d'attente aux urinoires (S2), et principalement la prise d’informations à distance sur les uinoires ; - la sélection de l'un des différents urinoires

proposés (S3) ;

- le choix de la position pour la miction (S4) ; - la position lors de la miction (S5) ;

- de la fin de la miction au rhabillage (S6) ; - la sortie de l'urinoire et dégagement de la

zone toilettes (S7).

Construction d’un guide d’entretien

Afin de compléter la grille d’observation, des entretiens “à la volée” ont été conduits avec les usagères.

Les questionnements étaient liés aux séquences observées, aux critères de satisfaction, à l’expérience des urinoires et aux raisons du refus d’utilisation lorsque c’était le cas. Des dizaines de femmes ont donc été interrogées lors de chaque manifestation.

Observations et répartition des rôles selon le genre des ergonomes

Nos observations et entretiens ont pu se faire lors de différents tests en situations, au cours, tour à tour :

- d’une course à pieds organisée au bois de Boulogne à Paris ;

- d’un salon professionnel : Vivatec (Parc des expositions-Paris) ;

- de la coupe du monde de Football féminin (USA/Angleterre) dans la fan zone des Halles à Paris ;

- de ParisPlage, sur le canal près de la Villette (Paris) ;

- de plusieurs festivals de musique : Solidays (Boulogne), welovegreen (Vincennes) et helfest (Nantes).

L’activité de chacun.e aux toilettes étant hautement intime et socialement cachée, aussi analyser ce qui se passe en son sein est un défi méthodologique. La part de l’observation des séquences S4 à 27 - celles réalisées dans l’enceinte même des urinoires - ne pouvait être réalisée directement. Aussi, différents indicateurs ont permis “d’observer sans voir”, tels que la position des pieds, l’orientation du regard et de la tête des usagères, etc.

De plus, la répartition des séquences, observations et questionnements aux usagères, a été faite entre nous – ergonome femme et ergonome homme - en fonction de la proximité socialement acceptable aux urinoires, et du degré d’intimité des questions :

- Séquences S1, S2, S3, S7 : Ergonome Homme ; - Séquences S4, S5, S6 : Ergonome Femme.

Les données étaient ainsi consignées de 2 manières : par écrit sur un carnet et par oral sur un dictaphone juste après l’échange, afin de ne pas oublier les expressions exactes des usagères interrogées.

PRINCIPAUX RESULTATS ET PRECONISATIONS

Tension entre intimité, sécurité et surveillance

Les entretiens mettent en évidence que les femmes usagères de toilettes extérieures cherchent avant tout à assurer leur sécurité et intimité. Cela se traduit par le fait de ne pas se faire voir par les hommes mais aussi, dans une moindre mesure, mais tout de même, par les femmes, afin de protéger leur intimité. Aussi, l’intimité au sein de la cabine doit être préservée. Afin d’assurer leur propre sécurité, les femmes cherchent à être en position de surveillance de l’environnement, extérieur principalement, le regard face à la porte.

Toutefois, ce souhait d’intimité est relatif, car les femmes expriment un besoin de proximité avec les autres femmes afin d’être sous leur attention pour garantir leur sécurité. Une donnée intéressante est que cette “surveillance” est implicite et partagée : les femmes sont vigilantes entre elles, notamment pour se protéger d’agressions (masculines). Afin de garantir cette attention, il devient nécessaire qu’une partie de leur corps - parties non intimes - soit visible.

Ces deux résultats - besoin d’intimité et de sécurité - nécessitent une infrastructure sécurisante couplée à une présence humaine également sécurisante.

Accompagner les usagères dans l’utilisation de la solution

Un premier travail a été de comprendre quelles étaient les situations de référence des femmes en matière de toilettes. En effet, cette compréhension est nécessaire pour bien appréhender le rapport des femmes aux urinoires.

Le terme “urinoir” apparaît renvoyer systématiquement à la solution proposée aux seuls hommes, et ainsi à une position debout. Une fois l'ambiguïté levée et lorsque les femmes comprennent que la position est sensiblement la même que d’habitude, la situation de référence la plus souvent convoquée par les participantes est l’utilisation des toilettes turques, en raison d’une part de la position squat et d’autre part de l’absence de toucher des matériaux. Le "pisse-debout" (urinoir de poche pour femmes, Figure 2) est évoqué mais n’a rarement été testé par les usagères rencontrées. Les toilettes sèches sont considérées comme une solution alternative, rudimentaire, low tech (Bihouix, 2014).

Le texte explicatif de la démarche et le schéma situés dans les versions finales de l’urinoire - sur les portes, côté extérieur - permettent aux femmes de comprendre depuis l’extérieur leurs principes :

“uniquement pipi” et “sans eau”.

Autres critères importants dans le choix de la proposition de toilettes par les femmes

Les observations et entretiens ont permis de mettre en évidence une série de critères importants dans le choix de la proposition de toilettes pour femmes.

Le critère le plus important est sans conteste le besoin de se sentir en sécurité, ce qui se traduit par une

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préférence pour les toilettes ordinaires, aux parois totalement fermées lorsque l’affluence est faible, notamment la nuit. Ceci ne s’observe pas lorsqu’il y a une forte affluence dans la zone toilettes car les femmes se sentent sous la surveillance des autres usagères. Ainsi, lorsqu’il y a du monde, le choix des toilettes se fait de manière indifférente (toilettes classiques fermées ou urinoirs ouverts) ; « pas de problème car il y a du monde autour, sinon j’irai dans les WC fermés ».

Il a également été intéressant de constater que le critère d’intimité est apparu comme plus important que celui de propreté, quand il n’y a pas d’affluence.

Un recueil de données a été réalisé lors de l’épisode de canicule de l’été 2019 et dans ce cas précis, la chaleur est un critère qui surplombe celui de l’intimité (en journée). Autrement dit, les femmes préféraient les urinoirs aux toilettes classiques fermés en raison de l’air qui pouvait y circuler.

Lorsqu’il y a une forte affluence, le critère qui devient prédominant est celui de la rapidité. Dans ces circonstances, le choix est orienté en premier vers les urinoirs, car le temps passé est bien moins important que dans une toilette classique (des mesures de temps passé avaient par ailleurs montré l’efficacité des urinoirs en termes de rapidité).

Importance de l’agencement de la zone toilettes

Il convient d’ajouter que le choix de la proposition toilettes est également lié à l’agencement de la zone toilettes. Les résultats montrent qu’il est important de tenir compte de l’organisation du “territoire” toilettes et à l’agencement des différents espaces et systèmes proposés.

Les lieux des manifestations (sportives, festives, professionnelles, etc.) avaient été organisés de différentes manières :

1. les zones toilettes femmes et hommes séparées, mais avec une relative proximité ; 2. les zones toilettes femmes et hommes

séparées, mais éloignées ;

3. les zones toilettes femmes et hommes mélangées.

Dans le dernier cas, même en cas d’affluence les femmes peuvent être gênées de la proximité des hommes et préférer les toilettes fermées.

L’organisation spatiale qui convient le mieux comme la plus adaptée aux usages semble être la première : une enceinte dédiée aux femmes mais avec une relative proximité avec celle des hommes, ce qui facilite les allers et venues collectives aux toilettes.

Donner des informations sur la manière d’utiliser les toilettes

Un autre type de préconisations concerne la manière d’utiliser les urinoirs. En effet, le terme “urinoir” est très connoté et renvoie pour la quasi-totalité des personnes interrogées à une position debout “comme les hommes” et non au fait d’avoir l’unique possibilité d’uriner. Nombreuses sont les femmes qui se sont approchées des urinoires, ont hésité un instant et se sont orientées vers des toilettes “classiques” en

* http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/2010/DDP_Rabardel.aspx

expliquant ne pas vouloir être dans une position inconnue et inconfortable.

Ainsi, il apparaît nécessaire de désamorcer ces incompréhensions et donner suffisamment d’informations pour que les femmes comprennent que la position dans les urinoires est sensiblement la même que dans une toilette classique. Le choix de proposer des pictogrammes visait à offrir une information qui dépasse les différences culturelles, linguistiques notamment.

DISCUSSION

On le sait tous, les propositions diverses et variées de toilettes – toilettes ordinaires, turques, sèches, urinoirs, etc. et bien sûr aussi celles réservées aux personnes handicapées – remplissent une multitude de fonctions (Bourmaud & Rétaux, à paraître), les urinoirs quant à eux visent seulement la fonction « faire pipi ». Nous identifions ainsi ici un principe de redondance de la fonction – « faire pipi » – à travers les multiples artefacts toilettes mis à notre disposition, envisagés comme des instruments et plus particulièrement comme un système de ressources (Bourmaud, 2007 ; Rabardel et Bourmaud, 2005) ; artefacts :

● aux caractéristiques variées : cuvettes plus ou moins hautes, lunettes de toilettes disparates, urinoirs de formes diverses, etc. ;

● favorables ou non à la fonction attendue : attente perçue, propreté, odeur, etc. ;

● certains genrés, comme nous l’avons discuté ici, et d’autres non.

Mais l’activité s’avère toujours située (Suchman, 1987) : les artefacts sont mobilisés selon des objets de l’activité « poussés par des motifs et tirés par des buts » comme le déclare Rabardel*, d’une part, mais aussi et pour beaucoup selon des valeurs et des critères, formant eux-mêmes systèmes, propres à chacun et spécifiques à chaque situation d’autre part.

Ainsi, il apparait très clairement ici (Figure 4) que les caractéristiques de l’urinoire ne suffisent pas à justifier le choix de son usage. C’est bien relativement aux autres solutions – formant un système de ressources – et, comme avancé par Bourmaud et al. (2019), selon :

● les conditions de la situation, définies comme les circonstances extérieures, faits, contexte dont l'existence est nécessaire pour que quelque chose ait lieu, se produise, se fasse : ici l’affluence, les jeux de proximité avec les autres toilettes hommes et femmes tels que discutés avant, la propreté, etc. ;

● les critères de chacune, posés comme les principes, éléments de référence qui permettent de définir quelque chose : ici sécurité, rapidité, hygiène, etc. ;

● et leurs valeurs, entendues comme ce qui est posé comme vrai, beau, bien, d'un point de vue personnel ou au sein d'une communauté et qui est donné comme un idéal à atteindre, comme quelque chose à défendre : ici l’urinoire alors perçue comme permettant réellement – ou non ! – de « faire pipi ».

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Figure 4 : Système de toilettes et fonctions redondante et complémentaire versus concurrente entre solutions.

que l’urinoire sera utilisé. Des effets alternatifs surviennent ainsi pour la fonction « faire pipi » :

● selon un principe de complémentarité : l’urinoire perçue comme une solution s’ajoutant à celles existantes, et qui pourra être privilégiée ;

● et/ou selon un principe de concurrence : urinoire également perçue comme une solution s’ajoutant à celles existantes, mais non privilégiée.

L’importance d’une prise en compte du système global de toilettes, et non seulement de la seule urinoire, apparait indispensable, obligeant ainsi une approche bien plus systémique pour la conception.

DES URINOIRS POUR LES FEMMES : DES FRONTIERES FERMES MAIS POREUSES

Interroger l’usage d’un urinoir pour les femmes met au jour des tensions nombreuses. Il s’agit tout à la fois :

● de ne pas se faire voir (par les hommes principalement, mais également par les autres femmes) pour protéger son intimité ;

● tout en attendant malgré tout une certaine proximité avec les autres (des femmes principalement, mais pas seulement), pour être sous leur attention/surveillance ;

● par la mise en visibilité d'une partie du corps, parties non intimes il s’entend ;

● en assurant sa propre sécurité, par une surveillance de l’environnement extérieur : position favorable pour regarder face aux portes, écoute, etc. ;

● garantie par une infrastructure sécurisante, couplée à une présence humaine également sécurisante ;

● dans un cadre non pas absolu où seul l’urinoir n’est considéré mais bien de façon relative, considérant l’ensemble des solutions.

Frontières infranchissables, parfois antagonistes, mais bien plus poreuses qu’il n’y parait, il s’agit pour les femmes de voir et de ne pas être vues, d’être à distance et tout à la fois proches des autres, etc. ; c’est ainsi la garantie de leur intimité et de leur sécurité.

BIBLIOGRAPHIE

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Blidon, M. (2005). La dernière tasse. Association Espaces Temps.net

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SUCHMAN L. (1987). Plans and Situated Actions: the problem of human-machine interaction. Cambridge, Cambridge University Press.

Variété de solutions de toilettes

Il y a redondancede la fonction pour « faire pipi »

Usage privilégié l’urinoirede

Il y a complémentarité versusconcurrencedes solutions pour « faire pipi »

document confidentiel - madamePee 2018 Affluence

Conditions de la

situation Critères Valeurs

Propreté

Rapidité Proximité

Hygiène

Urinoire permettant de

« faire pipi » Sécurité

Urinoire ne pouvant être envisqgée pour« faire pipi »

Usage non privilégié l’urinoirede

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