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L ’histoire de la célèbre reine des Deux-Siciles tien t à la fois du drame et du roman

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ces deux moitiés finirent par se trouver dans la main de Jeanne de Naples, qui les vendit au Pape.

L ’histoire de la célèbre reine des Deux-Siciles tien t à la fois du drame et du roman ; et les circonstances dans lesquelles elle abandonna au Saint-Siège sa « bonne ville d ’Avignon », — elle y tenait d ’ailleurs assez peu, — sont un des épisodes les plus curieux de ce quatorzièm e siècle, si tourm enté e t si coloré, où la violence de la foi religieuse, l'héroïsm e chevaleresque, toutes les délica­

tesses et tous les raffinements du luxe, des arts et de la poésie se m êlent de la m anière la plus étrange aux m œurs les plus corrom­

pues et aux excès les plus arbitraires. Belle, jeune, ardente, artiste comme un F lorentin de la belle époque, hum aniste à vingt ans comme un vieux docteur de Sorbonne, e t par-dessus tout amou­

reuse effrénée, on la m ariait d ’assez bonne heure à un prince du N ord, A ndré de Hongrie, personnage assez terne, dont elle ne tarda pas à se dégoûter et se débarrasser au bout de deux ans, avec l’obligeant concours de son favori et cousin Louis de T aren te.

Faire légitim er par un nouveau mariage ses relations avec le m eur­

trier n ’était pas sans présenter d ’assez sérieuses difficultés. Il fallait d ’abord obtenir à la fois une reconnaissance solennelle de son innocence, quelques dispenses ecclésiastiques, le désistem ent de Louis, roi de Hongrie et de Pologne, qui, te n a n t à venger le m eurtre de son frère, venait de s ’em parer du royaum e de Naples, accusait publiquem ent sa belle-sœ ur et dem andait q u ’elle fût mise en jugem ent.

L ’affaire fut portée au P ape. La cour pontificale résidait à A vi­

gnon depuis près de q uarante ans; mais elle n ’y possédait en propre que le château et quelques dépendances. La ville et le pays appartenaient à la reine de Naples. Jeanne ne douta pas un instant d ’elle-même. Elle se rendit à Avignon en brillant équi­

page. Son entrée dans ce tte ville, toujours avide de bruit, de plaisir et de spectacles, et dont elle était en somme la légitime suzeraine, fut une véritable fête. T oute la population se porta au- devant de la brillante escorte napolitaine qui rem ontait la vallée du R hône. H uit cardinaux allèrent à sa rencontre, la reçurent

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sous un dais de drap d ’or et l’escortèrent en grand apparat à tra ­ vers les rues de la ville. Puis, devant le conclave assem blé, elle présenta elle-même sa défense en latin. P endant quatre heures elle tin t les cardinaux sous l'em pire de sa beauté et le charme de sa parole. Le Sacré Collège fut aussi facilem ent vaincu que l'aréo­

page d ’A thènes devant P h ry n é, et l'innocence de la jeune reine officiellement reconnue et proclamée.

La négociation avec le P ape présenta encore moins de difficultés.

Clém ent V I tenait su rto u t à agrandir son domaine. Il demanda to u t sim plement à Jeanne de lui vendre la ville. Le m arché fut conclu pour la somme dérisoire de 80,000 florins d ’or e t une abso­

lution solennelle en bonne forme. Q uant au roi de Hongrie, il dut se contenter de 300,000 ducats pour les frais de son expédition en Italie, et rendre toutes ses conquêtes. C’est ainsi q u ’en l'an 1348 A vignon devint ville papale, et le Com tat to u t entier É ta t de l’Église.

Mais la ville était ouverte de tous côtés depuis la destruction des rem parts après le siège de Louis V III. Elle n ’était protégée ni contre le R hône, ni contre les assaillants du dehors. Le fleuve l’envahissait au moindre gonflem ent de ses eaux. La partie vieille de la cité établie sur les pentes du rocher, celle qui avait été dans le principe occupée par les Romains, était seule insubmersible.

T oute la partie basse était bâtie dans des terrains d ’alluvions plus ou moins m arécageux, coupés d'îlots, de mares stagnantes, de bas-fonds. Depuis que les papes avaient établi leur résidence à A vignon, la ville avait pris un accroissem ent énorme. Sa popula­

tion atteignait près de 80,000 âmes, c ’est-à-dire le double de ce qu ’elle est aujourd’hui. Les faubourgs étaient une riche four­

milière de couvents, d ’églises, de chapelles, de palais avec leurs dépendances. La petite cour italienne qui gravitait autour du Souverain Pontife avait attiré avec elle un nombre considérable d ’étrangers de tout rang et de toute condition, gens d ’affaires ou de plaisirs, en grande partie des artistes et des m archands. Les Juifs en particulier, qui étaient les interm édiaires de toutes les relations commerciales, de toutes les affaires équivoques, et qui

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trafiquaient de tout, voire même des ornem ents d ’église e t des objets de sainteté, y vivaient sous un régim e de large tolérance, y jouissaient du droit commun et relevaient sans interm édiaire et directem ent du P ape (1). P ersécutés partout ailleurs, en Espagne, en Allemagne, en France, ils pullulaient à Avignon, où ils for­

m aient une com m unauté que l’em pereur Frédéric, suzerain de la ville, avait placée, par un diplôme de 1178, sous la protec­

tion directe de l’évêque (2). Ils étaient traités comme de véri­

tables citoyens, tanquam veri cives Avinionenses, ainsi que le p ortait une curieuse bulle du pape S ixte IV (3), qui leur confir­

mait l'égalité civile, l ’égalité judiciaire, le droit de cité et tous les privilèges déjà reconnus par ses prédécesseurs sur le siège d ’A vi­

gnon. Le gouvernem ent pontifical m ontra même pour eux, dans certaines circonstances, une telle bienveillance, q u ’on ne craignit pas d ’y voir l’indice de subventions pécuniaires non avouées (4).

Quoi q u ’il en soit, ils usèrent très largem ent de ce tte protection, et avec leurs dispositions traditionnelles pour le négoce, leur pra­

tique de l'usure et de tous les commerces clandestins, ils étaient devenus les rois du courtage, aussi riches, plus puissants quelque­

fois, plus dangereux toujours que les banquiers et les arm ateurs florentins et lombards (5).

Le v a-et-vient continu des princes de to u t rang e t de to u t pays, des artistes italiens, des m archands de to u te la région m éditerranéenne, des pénitents de toutes les couleurs et des reli-

(1) Les povres juifs é ta ie n t ars p a rto u t, excepté dessous les clés du pape.

( Fr o i s s a r t, C hronique.)

(2) A rch, de Vaucluse, C artulaire de VArchevêché.

Pa n t a n i Ca s t r u c c i, Istoria della città d ’A vig n o n e et del Contado Venesmo.

V enetiis, in-40, t. I.

Gallia C h r i s t i a n a , I n s tr u m ., I, 143, col. I.

Pa p e b r o c k, A cta Sanctorum A prilis, t. II.

(3) A rch, m unicip. d 'A vig n o n , boîte 91, D. 2,898.

(4) J u d e o s ... servavit, non sine suspiciotie p ecu n ia ru m . ( J o h a n n i s T r i t n e m i i

A nnales H irsaugienses, t. II, p. 207.)

Ba l u z e, Vita; pap. A ve n ., I, 882.

A rch, m u n icip . d 'A vig n o n , boîte 91, D. 2,898.

(5) R . d e Ma u l d e, Les J u i f s a u moyen âge. Bull, h istor. et archéol. de V au- cluse, 1879.

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gieux du monde entier fit d ’A vignon, pendant le séjour des papes, une ville incom parable. L ’or de la chrétien té y affluait de tous côtés. Le luxe et la fortune des cardinaux étaient ceux de p etits souverains. T ous ces dignitaires de l ’Eglise avaient chacun leur palais, leur maison civile e t ecclésiastique, leur garde, presque leur cour, désignés sous le nom de « livrées », libratæ, dont la nue propriété constituait un domaine inaliénable e t dont les reve­

nus annuels leur p erm ettaient de m ener un train princier. Ces livrées com prenaient non seulem ent de gros immeubles dans Avignon même, mais souvent de l’autre côté du R hône, à Ville- neu v e, de som ptueuses dem eures, dans lesquelles les prélats vivaient, entourés de leurs familiers, dans une patricienne indo­

lence, s’affranchissant des sujétions de la cour pontificale.

Grâce à l ’institution financière appelée la « daterie » et à une série d ’im pôts et de droits ecclésiastiques connus sous les noms d ’« annates », de « réservations », de « provisions », d ’ « expecta­

tives », etc., la fortune personnelle du P ape lui-même était devenue, dès le pontificat de Benoît X II, un riche trésor e t avait a tte in t des proportions inconnues ju sq u ’à ce jour. Les contem porains ne l’éva­

luaient pas à moins de 25 millions en vaisselle, ornem ents sacrés, pierres précieuses, ce qui, au prix actuel de l'argent, équivau­

drait à un milliard et demi de francs (1). D ’après la fortune du P ape, on peut juger de celle de son entourage, de ses fournisseurs et de tous les interm édiaires qui l’exploitaient (2); et il est certain que, pendant to u te la durée du quatorzièm e siècle, Avignon, devenu le centre politique de l’Europe, possédait dans son châ­

teau, dans ses palais, dans ses couvents, dans les ateliers de ses orfèvres et de ses fabricants, dans les comptoirs de ses banquiers e t de ses com merçants, des sommes incalculables en or et argent m onnayé, en pierres fines et orfèvrerie, et une masse énorme d ’objets précieux et de marchandises de toute nature.

(1) D ic itu r J o a n n e s X X I I re liq u isse i n cerario ta n ta n i v iv i a u r i q u a n ta m n u llu s a n te eurn p o n tife x , sc ilice t v i g i l i t i q u in q u e v iillio n u v i e t a v ip liu s. A rchives du chap. 107, f. 43.

( 2 ) G. Ba y l e, H a b itu d e s so v ip tn a ire s des A v ig n o n n a is a u m o yen âge. Bull, hist, et archéol. de V aucluse, 1883-1884.

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On conçoit sans peine l'inquiétude dans laquelle devaient vivre les d étenteurs de pareilles richesses, d ’une capture très facile dans une ville absolum ent ouverte; et ce tte inquiétude était d ’au tan t plus légitime, que la vallée du R hône ne présentait à cette époque aucune sécurité. Déjà, en 1356, le duc de Savoie parcourait et rançonnait la P ro v e n c e , à la tête de 4,000 chevaux, m enaçant Avignon et le C om tat. L 'année suivante, on v it apparaître le fameux archiprêtre A rnauld de Cervolle, l’un de ces capitaines qui se faisaient appeler « l'am i de Dieu et l'ennem i de to u t le m onde», et dont les lieutenants, seigneurs de Gascogne e t parents même du P ape, vinrent, escortés d 'une armée de vagabonds et de m écontents, faire une visite intéressée à leur opulent cousin et lui em portèrent, avec sa bénédiction, 40,000 écus d ’or.

Il y avait su rto u t ce qu ’on appelait les « Grandes Compa­

gnies », bandes indisciplinées de soldats français, anglais et bre­

tons, grossies dé tous les gens sans aveu e t de toutes les femmes perdues du pays, form ant une troupe déguenillée de coupe-jarrets e t de pillards, ravageant les villes et les provinces. C ’étaient en somme de terribles armées commandées par des chefs habiles, sou­

ven t même par des descendants de la vieille chevalerie de P ro­

vence que les e n tr’actes de la guerre de C ent ans laissaient sans ouvrage. Elles portaient les noms e t les sobriquets les plus d iv ers, — R o u tie rs, Com pagnies, T a rd -V e n u s, R etondeurs, Ecorcheurs, M alandrins, T uchins, Feuillards, Lin fards, e t c ., — vivaient à discrétion sur le pays, le rançonnaient sans pitié, et se prom ettaient en général des merveilles du pillage d ’Avignon et du trésor pontifical. Il n ’était pas facile de « traire hors du royaume, comme disait le vieux chroniqueur F roissart, toutes ces manières de gens d ’armes qui le pilloient e t le détruisoient sans miséri­

corde (1) ».

Le roi Jean essaya en vain de faire une croisade contre eux.

U ne ligue du bien public fut organisée en Provence (2) et dans

(1) Fr o i s s a r t, Chronique, t. IV , p. 156.

(2) Une lig n e au quatorzièm e siècle. Épisode d u passage des Grandes Compa­

g n ies en Provence. L. D. Bull, histor. e t archéol. de V aucluse, 1880.

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les provinces voisines ; mais il était bien difficile de s’entendre et de se grouper dans un pays épuisé par la famine, décimé par la peste, ravagé par la guerre contre les Anglais. Duguesclin fut chargé d ’en débarrasser la vallée du R hône e t de les conduire en Espagne. Mais ces ramassis de pillards savaient tous qu ’Avignon était une ville ouverte e t la cour pontificale un riche butin, ils ne voulurent jam ais abandonner le pays sans venir, comme ils le disaient, se faire pardonner leurs péchés. U ne prem ière fois, le pape Innocent VI s ’en était tiré avec 60,000 florins et une bonne absolution. C ette concession les mit en g o û t; e t quelques années après ils revinrent au nombre de 30,000, s’in titu lan t des « pèle­

rins de Dieu ». Ils com m encèrent d'abord par occuper, sur la rive droite du R hône, le fort S aint-A ndré et la grande tour que Philippe le Bel avait fait construire à l'ex trém ité du pont Saint- Bénézet. De là ils m enaçaient A vignon. U rbain V essaya de négocier avec eux et leur envoya un de ses cardinaux pour leur enjoindre de se retirer, sous peine d ’excomm unication. La chro­

nique assez peu connue de Cuvelier, trouvère du quatorzièm e siècle, raconte d ’une m anière naïve la déconvenue du parlem en­

taire e t l’insuccès de sa mission. Le cardinal donnait au P ape des détails fort peu rassurants sur les exploits des R outiers :

J e v o u s v ie n g a p p o r te r la Ior co n fessio n : Ils o n t a rs m a in t m o u s tie r, m a in te b elle m a iso n , O c ciz fa m e s, e n fa n s , à g r a n t d e s tr u c tio n , P u c e lle s v io lées e t d a m e s d e g r a n t n o n ,

R o b é s v a c h e s , c h e v a u x , e t pillé m a in t c h a p p o n , E t b e u v in s a n s p a ie r e t ro b é m a in t m o u to n , E t e m b lé m a in t jo ie l à to r t e t s a n s ra is o n , C a lic e s d e m o u s tie rs , a r g e n t , c u iv re , la ito n ,

D itte m a in te p a ro le p la in e d e m alico n ;

T o u s les m a u tz c ’on p u e t fa ir e p la in s d e m a le fa ç o n , P lu s c ’on n e p o rro it d ire en liv re n ’en c h a n c o n (1 ).

Au dem eurant, les routiers, et Duguesclin en tête, dem an-

( 1 ) Cu v e l i e r, L a v ie d u v a illa n t B e r tr a n d u G uesclin. C h ro n iq u e d u q u a to r­

ziè m e siècle. B u ll. h is t, e t a rc h é o l. d e V a u c lu s e , t . I.

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daient l’absolution et 200,000 florins d ’or. Il fallut s ’ex é cu ter; et le P ape, qui tenait à ne pas payer de sa poche et voulait garder intact son trésor personnel, eut un m om ent l’idée de prélever cette somme sur les bourgeois et le peuple. Il faut lire dans la chronique du quatorzièm e siècle l’indignation de Duguesclin quand il apprit ce misérable expédient.

« H a D ie u x ! se d it B e r tr a n , o r v o i-je c h r e s tie n té P la in e d e c o n v o itis e e t d e d e s lo ia u lté ;

A v a r ic e e t o rg u e il e t to u te v a n ité

D e m e u re en s a in te E g lis e e t to u te c r u a u lté ; C il q u i d o iv e n t g a r d e r s a in te c h r e s tie n té E t d o n n e r d e le u rs b ie n s p o u r D ie u d e m a je s té , C e s o n t c eu lx q u i le t ie n n e n t e n clo s e t e n fe rm é E t p r e n n e n t t o u t p a r to u t e t o n t t o u t d e m a n d é E t n ’o n t n é a n t v a illa n t d e lo r p ro p re h é r ité . P a r la foi q u e je doi la s a in te T r i n i t é ! . . . M a is j à n ’en p r e n d e r a i u n d e n ie r m o n n o ié D e ce q u e p o u re g e n t y a r o n t o rd e n é , S i le p a p e d u sien n e m e l’a d é liv ré ! »

Le chef des routiers n'en voulut pas dém ordre, et U rbain V fut obligé de payer 100,000 florins sur son trésor personnel.

IX

C lém ent V I, au lendemain même de son acquisition d ’Avignon des mains de la reine Jeanne, avait déjà assuré la défense de son palais en construisant une muraille qui le reliait à la berge du fleuve et se term inait près de la porte F erruce, qui correspondait à la porte du R hône actuelle. U n fort châtelet avait été disposé à l'entrée du pont S aint-B énézet. Ce châtelet faisait ainsi pendant à la tour que le roi de F rance avait élevée sur la rive gauche du R hône, et qui était un ouvrage offensif contre la ville pontificale.

Mais toutes les « livrées » des cardinaux, les églises, les couvents, les comptoirs des gens de commerce, les ateliers des fabricants étaient absolum ent à découvert et à la merci d'un coup de main.

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Le P ape chargea le gouverneur de la ville, F ernandez Heredia, com mandeur de M alte, de commencer l'enceinte. D eux impôts nouveaux furent créés, l’un sur le vin (le souquet), l’au tre sur le sel ; e t on se m it à l’œ uvre.

On engloba non seulem ent la ville, mais tous les faubourgs, quelques îlots délaissés par le R hône e t « plusieurs vergers et autres lieux agréables (i) ». On construisit d ’abord la partie de l ’enceinte qui se développe, sur près de trois kilomètres de lon­

gueur, du N ord-E st au S ud-E st, et qui fait face au Midi, depuis la porte S aint-L azare jusqu'au couvent des F rères Prêcheurs, où se trouve aujourd’hui la porte Saint-D om inique. C 'était le côté de la plaine le plus exposé aux invasions. On en trep rit ensuite les deux raccordem ents du N ord avec le rocher, le prem ier de la porte Saint-D om inique à la porte du R hône, où était le châtelet du P o n t; le second, de la porte S aint-L azare au pied de l’escarpe­

m ent N ord de l’éperon du rocher. Ce fu t l’œ uvre des trois papes Clém ent V I, Innocent VI et U rbain V. Elle est dem eurée ju sq u ’à nous presque intacte, et Avignon peut la m ontrer avec orgueil.

Grâce à cette enceinte continue, la ville était désormais protégée contre toutes les surprises du dehors ; et elle l’est encore aujour­

d ’hui contre les débordem ents du R hône.

Comme ouvrage de fortification, ces rem parts paraissent un peu bas et de médiocre résistance ; et, dans les prem ières années de leur construction, qui fut menée p eut-être trop rapidem ent et sous la préoccupation continuelle de nouvelles attaques de rou­

tiers, les inondations successives ou sim ultanées du R hône et de la D urance y causèrent de graves dégâts. Deux ou trois portes furent affouillées, des pans de muraille et quelques tours dislo­

qués e t ébranlés par les eaux ; une forte brèche même se produisit en 1362 à la suite d ’un débordem ent extraordinaire du fleuve qui coïncida avec celui de totis ses affluents. T o u t fut bientôt réparé et renforcé; et, dès le milieu du quatorzièm e siècle, la ville put se croire en sûreté derrière son élégante ceinture.

( 1 ) Ba l u z e, /* v ita Innocenti VI.

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A l’extérieur des rem parts e t sur to u t leur périm ètre se déve­

loppait un fossé profond de 4 m ètres alim enté par les eaux de la Sorgues et des S orguettes. Des tours carrées ou rondes s ’élevaient à des intervalles assez rapprochés et flanquaient les alignem ents des courtines. Le pied du rem part était ainsi d'un accès assez dif­

ficile. Q uant aux portes, elles étaient protégées par des ouvrages avancés q u ’on appelait des châtelets; et il fallait faire d ’abord le siège en règle d ’un châtelet avant de songer à aborder une porte ou l’enceinte. Chaque entrée de la ville était ainsi très ingénieu­

sem ent défendue. « Les assaillants devaient se présenter à décou­

v e rt sur le flanc du châtelet bâti au devant d ’une porte ; ils devaient ensuite franchir un prem ier pont-levis, traverser diago- nalem ent l’esplanade du châtelet, forcer une barrière, passer sur un second pont-levis, en trer dans un ouvrage avancé fermé par ce pont et défendu par deux échauguettes avec mâchicoulis, se présenter enfin devant la porte, protégée par une ligne de mâchi­

coulis su p érie u rs, par une herse e t par un second mâchicoulis percé devant les vantaux (1). » Les châtelets, qui constituaient ainsi de petites citadelles au devant de chaque porte, étaient d ’ailleu rs, comme tout le m ur d ’enceinte, entourés de fossés pleins d ’eau. A vec les m oyens d ’attaque de l’époque, la forti­

fication d'A vignon présentait, en somme, un ensemble fort res­

pectable; elle donnait une garantie absolue à la ville contre le retour des Grandes Compagnies et de toutes les bandes errantes ; elle pouvait même, à la rigueur, résister aux attaques d ’une armée régulière.

Le m ur d ’enceinte avait, de la base au parapet, une h auteur de 12 m ètres. Son développem ent était de 4,880 m ètres. Il était percé de sept portes flanquées chacune de tours et po rtan t une cloche d ’alarm e :

La « porte de l'Oulle », dont le nom provençal oulles, poterie, m arm ite, brique, rappelle le marché des oulles et de tous les objets grossiers en terre cuite que l’on fabriquait à V illeneuve; elle s'ap-

(1) V oir les m ém oires e t com ptes rendus publiés p ar la Com m ission des archives des m onum ents historiques.

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pelait aussi quelquefois la « porte du P ertuis », à cause du pas­

sage de la S orguette, qui la longe avant de se je te r dans le Rhône, e t la « porte du Limas », à cause des limons que le fleuve y avait déposés tout autour ;

La « porte S ain t-Roch », q u ’on appelait aussi la « porte du Miracle » ou « de Champfleury », et qui s’ouvrait sur la plaine arrosée par la D urance ;

La « porte Saint-M ichel », qui tirait son nom d'une p etite cha­

pelle consacrée à ce saint, et qu ’on appelait aussi quelquefois

« porte des Princes » ;

La « porte H um bert » ou « l’Im bert » ; La « porte S aint-L azare » ;

L a « porte de la Ligne » ou « du Bois », où se trouvait le quai des charpentiers sur le R hône ;

L a « porte du R hône » enfin, la plus fréquentée, qui se trou­

vait à peu près sur l’em placem ent de l’ancienne « porte F erruce » de l’enceinte du moyen âge et de la porta Aquaria de l’enceinte romaine. C ’était celle par laquelle on en tra it lorsqu’on venait du

« R oyaum e » dans le domaine du P ape, en passant sur le pont Saint-B énézet, la véritable porte d'honneur de la ville.

D eux nouvelles portes ont été ouvertes dans le courant du siècle :

La « porte Saint-D om inique », qui traverse le vaste emplace­

m ent, désert aujourd’hui, où se trouvait le magnifique couvent des Dominicains, situé sur la S orguette, et dont la grande tour de Saint-Jean fut un des prem iers ouvrages construits par le pape Innocent V I. T o u r e t couvent ont été rasés à la R évolution ;

L a « porte P étrarque » enfin, qui est aujourd’hui la principale entrée d ’Avignon, depuis que le chemin de fer a déplacé le mou­

vem ent des marchandises et des voyageurs qui avait lieu autrefois sur les quais du R hône, en tre la porte de la Ligne et la porte de l’Oulle.

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X

Il existe un nombre considérable de vieilles estam pes représen­

ta n t Avignon au quinzième, au seizième et au dix-septièm e siècle.

L ’une des plus curieuses est une perspective cavalière de la ville, publiée à Cologne en 1572 par G. Braun e t F r. H ogenberg, sous le nom de « Plan aux Personnages ». Sauf les petits châtelets qui on t disparu en avant des portes et les deux entrées nouvelles (la porte Saint-Dom inique et la porte P é tra rq u e ), l’enceinte que l’on voit aujourd’hui ne diffère en rien de celle du seizième siècle. Les fossés seuls ont été comblés et remplacés par un large chemin de ronde qui sert de boulevard ex térieu r à la ville moderne ; mais les rem parts ont conservé les mêmes lignes; et les mâchicoulis, sup­

portés par de petites consoles d ’un profil ravissant, les créneaux d ’une parfaite régularité, les pierres d ’un poli, d ’une finesse de joint et de taille que nos appareilleurs modernes pourraient pren­

dre pour modèle, sont recouverts çà et là de mousse e t de petites pariétaires qui ont pris avec le tem ps une couleur de feuilles sèches d ’une tonalité exquise. La seule différence sensible du plan ancien avec l’é tat actuel est le nombre beaucoup plus grand des construc­

tions de toute sorte qui rem plissent, presque sans vides, to u t l’es­

pace circonscrit par l'enceinte, tandis q u ’aujourd’hui la ville pré­

sente, à l’intérieur des rem parts, su rto u t du côté du Sud-O uest et du S ud-E st, d ’immenses lacunes, des jardins souvent abandonnés, des terrains vagues et presque déserts. La population a, en effet, dim inué de plus de moitié depuis le départ des papes. Elle est à peine de 40,000 âmes ; et, bien q u ’elle ait une certaine tendance à s’accroître, il est peu probable que ce chiffre soit jamais beau­

coup dépassé.

La description des enceintes successives d ’A vignon, depuis les époques prim itives et sans histoire définie ju sq u ’aux tem ps moder­

nes, les circonstances dans lesquelles elles ont été construites, les considérations qui ont m otivé leur tracé, les destructions partielles

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ou totales q u ’elles ont éprouvées à la suite de sièges, d'invasions, de désordres intérieurs, d'inondations du Rhône e t de la Durance, constituent, en fait, une riche collection de docum ents dont l’in­

terprétation, la continuité et le classem ent méthodique perm et­

traien t de suivre le développem ent de la ville à travers les âges.

L ’histoire d ’Avignon est, en réalité, celle de ses rem parts. Nous ne pouvons que la résum er en.quelques lignes.

Avignon a eu cinq enceintes, ay a n t toutes pour noyau le massif du rocher, son oppidum primitif.

La prem ière, aux tem ps préhistoriques, a été l’enceinte gros­

sière, presque naturelle, composée de gros blocs informes qui entouraient la plate-forme supérieure du rocher des Doms;

L a deuxième, à l’époque barbare, a réuni à cet oppidum les premières pentes du rocher e t descendait ju sq u ’à la grève du R hône. Ce fut l'enceinte du burg cavare, qui com prenait seule­

m ent le rocher comme citadelle et une grève sur les bords du fleuve;

La troisième a circonscrit toute la partie insubmersible qui s ’étend autour du rocher et est à peu près définie par ce q u ’on appelait autrefois « les sept paroisses ». C 'est l’enceinte gallo- romaine qui a supporté les sièges de Clovis et de Charles- IM artel ;

L a quatrièm e est parfaitem ent déterm inée par le cours de la Sorguette, qui lui servait de fossé extérieur et longeait son mur d ’escarpe. C ’est l’enceinte du moyen âge, celle qui a supporté le siège de Louis V III en 1226 e t a été com plètem ent rasée ;

La cinquième enfin, qui em piète sur le champ d ’inondation du R hône et défend contre ses débordem ents la plus grande partie de la ville et des faubourgs conquis sur le fleuve. C ’est l’enceinte des papes, que l’on adm ire encore aujourd’hui.

T outes ces enceintes ont le rocher des Doms pour point com­

mun de contact ou plutôt de soudure. A peu près circulaires, ou mieux ay an t la forme d ’ellipses allongées, elles peuvent être représentées par une série d ’anneaux aplatis de dimensions gran­

dissantes que l'on tiendrait à la main. Les anneaux figureraient

(13)

les différentes enceintes, la poignée qui les relierait représenterait le massif du rocher, successivem ent berceau et acropole de la ville antique, citadelle de la ville du moyen âge, plate-forme et prome­

nade de la ville moderne (1).

(1) V oir le plan d ’A vignon et de V illeneuve-lez-A vignon, pl. XIII.

(14)

L a tr a v e rs é e du R h ô n e à A v ig n o n . — A b se n c e d e p o n t fixe. — R a re té d e s p o n ts s u r les g r a n d s fleu v es à l ’é p o q u e ro m a in e . — Le p o n t d ’A v ig n o n . — L é g e n d e ' d e s a in t B é n é z e t. — Les te x te s e t le s c h ro n iq u e u rs . — L a C h a rte a v ig n o n - n a ise , a n tiq u a m em bran a.— Le r é c it lé g e n d a ire , h isto ria , e t le p ro c è s-v e rb a l d ’in fo rm a tio n , n o ta tio . — L a C h a rte ly o n n a ise . — C a n o n is a tio n e t office d e s a in t B é n é z e t. — C ritiq u e d e s te x te s e t d e s té m o ig n a g e s . — M e n tio n e rro n é e d e l ’é c lip se t o ta le d e so le il en 1177. — L es F rè re s p o n tife s à A v ig n o n . — L a c h a p e lle e t l ’h o sp ic e . — D e sc rip tio n d u p o n t. — R u in e s e t r e c o n stru c tio n s su c c e ss iv e s. — É ta t a c tu e l.

O rig in e d u c h â te a u d es p a p e s. — In sta lla tio n de Je a n X X II d a n s le p a la is ép i- sc o p a l. — Le p a la is d e B e n o ît X II e t le p a la is d e C lé m e n t V I. — A g ra n d is s e ­ m e n ts su c c e ssifs. — C a ra c tè r e m ilita ire d e la c o n s tru c tio n . — D é c o ra tio n in té r ie u re p a r le s a r tis te s ita lie n s . — F re sq u e s d e S im o n M em m i e t d e son é c o le . — D é g ra d a tio n s m o d e rn e s.

L a v ille e t la c o u r p o n tific a le . — Le lu x e e t les m œ u rs. — C a ra c tè r e ita lie n de la v ille m o d e rn e .

I

La ville d'A vignon, dit un des plus vieux historiens des évê­

ques, archevêques, papes, légats et vice-légats, princes et digni­

taires de l’Église qui s’y sont succédé depuis l’origine des temps apostoliques (i), est « noble pour son antiquitez, agréable pour son assiette, riante pour la fertilité du solage, superbe pour ses murailles, charm ante pour la douceur de ses habitants, magni­

fique pour son palais, belle pour ses grandes ruës, merveilleuse pour la structure de son pont, riche pour son commerce, connuë par toute la terre. Elle a espreuvé la domination de presque tous les plus grands m onarques de la terre ; car des Grecs elle passa aux Romains, et des Romains aux Bourguignons sous Gondebaut

( 1 ) H isto ire chronologique de l'E glise, des E vesques e t A rchevesques d 'A vig n o n , p a r F r a n ç o i s N o v g v i e r , p r. en A v ig n o n , d e l ’im p rim e rie de G e o rg e B ra m e ra r, im p rim e v r d e S a S a in te té , de la V ille e t V n iv e rs ité , M D CLIX .

(15)

Pl. XIII.

U i a r t h c u s c

L 'é t a t an cien e s t en n o ir L ' é t a t a c t u e l e s t e n r o u g e

L o c h e r des Doms Notre-Dame des Doms Chateau d es Papes Petit Palais P lace du Palais P la c e de PHoiioge Hôtel de Ville

Théâtre moderne P éfec tu re E n cein te de l'O p p id u m

E n cein te dallo-g recq u e E nceinte ro m a in e

F ossé d e l enceinte duJÜ I?siècle , .Enceinte des Papes

1? P orta -Aquaria 2 ? Porta Aquaria P orta R om ana Porta Galliara P o rte F errure Porte Aquaria P orte Briancon Porte E vêque

P orte de P ont rom pu (PortoleP idum ) P orte Maçyannen

P ortail P ein t P o rte Afatheron P o rte A u rouge

P o r te de la Ligne (des bois)

- e s S e p t P a r o is s e L a M adeleine

SÌ A g r i c o l S i D id ie r -Noire-Dame la p i

S i Genies S iP ie r r e Si Sym phonien

’oui» P h i l i p p e - l e - B e l '? /r

Bagatelle

■'J- L e ( l i c i t e V c n F k ç f é

F O R V M

P o r t i ^ ^ S Î Dominique

P etite H ô te s s e HPte S i L a za r e

Porte .S. Hoch

Is j S a in ts S i Michel

P o r te L 'I m b c r t

P a i n s . L n p . D u f r c n o v .

(16)
(17)

e t les autres, de ceux-là aux François sous Clovis, de là aux Gots sous Théodoric; après, elle retourna aux François qui la trans­

mirent aux roys d ’Arles, dont elle passa aux em pereurs d ’Alle­

magne, sous lesquels elle se rendit république à l’impériale e t se m aintint telle l’espace de plus de cent ans, iusques aux conuen- tions faites l’an 1251 que renonçant à sa liberté, elle se soumit volontairem ent aux comtes de Prouence et à ceux de Tholose par moitié, laqu’elle s’estant réunie entièrem ent sous les com tes de Prouence fut acquise par le Saint-Siège. Sous la douceur de cet empire, elle a fleury depuis l’an 1348, iusques à ce iourd'huy, ayant tesmoigné en to u te sorte de rencontre la mesme fidélité inesbranlable q u ’elle avoit fait paroistre à tous ses autres souve­

rains. »

Il ne saurait être question ici de faire même un résum é histo­

rique d ’une ville qui a éprouvé de si fréquentes révolutions, qui a changé ta n t de fois de m aîtres et de gouvernem ents et a eu la rare bonne fortune d ’être , pendant soixante-dix ans , la capitale du monde civilisé. Les archives d'A vignon, bien q u ’une partie impor­

tan te de pièces et de docum ents, et notam m ent tous les com ptes des trésoriers apostoliques désignés sous le nom de cameralia, aient suivi les papes à Rome, où ils restent déposés dans VA rchi­

vio secreto d i Vaticano, contiennent encore de véritables trésors.

Leur dépouillem ent et leur com m entaire seraient l’œ uvre de plu­

sieurs années; et une histoire complète de la ville, appuyée sur d’aussi nom breux et précieux d o cu m en ts, serait un travail de Bénédictin. N otre intention beaucoup plus modeste est d'esquisser seulem ent en quelques traits la physionomie originale de la ville et surtout les rapports qu ’elle a eus avec le grand fleuve qui lui a donné la vie et la richesse, et qui fait toujours son charme en même tem ps que son orgueil. Nous avons déjà décrit les enceintes successives qui l’ont séparée du R hône dans la série des tem ps historiques, e t la dernière de ces enceintes dem eurée intacte qui lui sert à la fois de digue, de défense e t d ’ornem ent. Il nous reste à parler du vieux pont légendaire qui traverse les deux bras du fleuve, e t du château-forteresse qui les domine de toute la h auteur de sa

(18)

masse architecturale que les siècles e t les hommes ont à peine pu ébranler.

I I

On se rappelle q u ’une des quatre grandes voies militaires, — et la plus im portante certainem ent, — construites ou restaurées par A grippa au prem ier siècle de notre ère, et qui rayonnaient autour de Lyon, descendait la rive gauche du R hône et traversait successivem ent Vienne, Valence, Avignon et A rles. Là, elle se soudait à la fois à la voie A urélienne, qui conduisait en Italie par le littoral et les Alpes M aritim es, e t à la voie Dom itienne, qui conduisait en Espagne par Nîmes, N arbonne et les P yrénées. En face d ’Avignon, sur la rive droite du R hône, une route secondaire gravissait les coteaux qui bordent le fleuve, passait au P uy Andaon ( i ) , au pied duquel s'éleva plus tard Villeneuve-lez-Avi- gnon, à P u ja u t, Podium A ltu m (2), dont elle contournait l’étang, et se retournait ensuite pour retom ber dans la vallée du G ardon.

Elle traversait cette rivière à Rem oulins au moyen d'un pont en maçonnerie, dont on voit encore la culée d ’appui sur la rive droite (3), à trois kilomètres environ en aval du célèbre aqueduc

( 1 ) M o n a sieriiim S a n c ti A n d r e a , in cacu m in e m o n tis q u i n u n c u p a tu r A n d a o n i, su p er f lu v iu m R liodan i.

H is t, de L anguedoc, II, p r. c. 156 e t 3 25.

C a r t, de S a in t-V ic to r de M arseille, c h . 533.

Chap, de N îm es, A rc h , d é p a r t., 1175.

C a r t, de Villeneuve, A rc h , d u d é p . d u G a rd .

(2) C a stru m P o d ii- A ltiM ons A l t u sP o d iu m A ltu m . C a r t, de S a in t-A n d r é de V illeneuve, 1175.

Me n., I, p r. p . 7 0 , c h . 1, 1226.

M s s . d 'A u b a is, B ib l. d e N îm e s, 13, 8 8 5 , 1316.

D òn. de la Sênéch., 1384.

(3) L a tr a v e rs é e d u G a rd o n a v a it lie u , d a n s le p rin c ip e , p a r le g u é p e rm a n e n t q u i su b s iste to u jo u rs . C e tte tra v e rs é e f u t a m é lio ré e , so u s l ’o c c u p a tio n ro m a in e , p a r l ’é ta b lis s e m e n t d ’un p o n t fixe en m a ç o n n e rie d o n t les v e s tig e s e x is te n t e n c o re s u r la riv e d r o ite , à 55 m è tr e s en a m o n t du p o n t su sp e n d u de R e m o u lin s.

L e p o n t ro m a in a é té d é tr u it d a n s la p re m iè re m o itié du h u itiè m e siè c le ; le p a s­

s a g e p a r le g u é f u t re p ris p e n d a n t to u t le m o y e n â g e , c o n c u rre m m e n t a v e c un

(19)

qui conduisait à Nîm es les eaux de la F ontaine d ’E ure, Ura, située au pied même de la falaise d ’U zès. Elle suivait de R em ou­

lins à Nîmes à peu près le même tracé que la route moderne actuelle et se raccordait à Nîmes à la voie Domitienne.

Il est donc à peu près certain que les voyageurs, qui avaient à se rendre par terre d ’Avignon à Nîmes et de là à N arbonne e t en Espagne, ne prenaient pas la peine de descendre sur la rive droite jusqu’à Arles pour trav erser le R hône. Ils le traversaient directe­

ment à Avignon ; mais il est aussi très probable que le passage à travers les bras du fleuve, les « lônes » plus ou moins atterries et les îlots vagues qui les encom braient, n ’avait pas lieu au moyen d'un pont en maçonnerie ni même d ’un pont fixe en charpente.

Les Romains, d ’ailleurs, qui nous ont laissé, sur la terre ferme, des m onum ents dont les proportions grandioses et la puissance de résistance sont encore pour nous un su jet d ’adm iration, étaient, au dem eurant, d ’assez médiocres constructeurs hydrauliques. Leurs jetées à la mer, leurs murs de quai, leurs fondations dans les te r­

rains vaseux et su rto u t au-dessous de l'eau étaient absolum ent rudim entaires et n ’ont pas duré plus de deux ou trois siècles. Le fameux pont construit par T r a ja n , sur le D a n u b e , lors de son expédition contre les D aces, n ’é ta it, comme le pont du R h in , bâti par César pour faciliter les incursions des armées romaines en Germanie, qu'un grand ouvrage en charpente. Si l’on en croit les bas-reliefs de la colonne T rajan e (1) qui s’accordent avec la gra­

vure d ’une médaille conservée à la Bibliothèque N ationale (2) , chaque ouverture ou travée devait se composer essentiellem ent de trois arceaux concentriques, formant la partie agissante d'une ferme, dont les grandes pièces étaient des poutres artificielles faites de p etits madriers assemblés, suivant le systèm e décrit par

bac é ta b li à L a fo u x , e t q u i a fo n c tio n n é ju s q u ’en 1832, é p o q u e d e la c o n s tru c tio n du p o n t su sp e n d u a c tu e l.

(G. C h a r v e t , Les voies rom ain es chez les Volkes A rêkom ikes. A la is, 1874.) ( 1 ) F r o e h n e r , L a colonne T rajan e, te x te e t p la n c h e s.

( 2 ) Exergue : s . p . q . R . o p t i m o . p r i n c i p i

A u -d esso u s : u n e a rc h e en c h a r p e n te fo rm é e d ’un tr ip le c o u rs d e p iè c e s c in ­ trées e t é q u id is ta n te s (g ra n d b ro n z e , Co h e n, n° 4 1 9 ).

(20)

Apollodore (i) ; or, c'est Apollodore précisém ent q u ’on croit être l’architecte du pont de T rajan (2). Les arches de rive étaient solidement encastrées dans de fortes culées en pierre; quant aux arches en riv iè re , elles avaient à peu près toutes la même ouver­

tu r e ,— une quarantaine de m ètres, — et reposaient sur vingt piliers en maçonnerie, p eu t-être même sim plem ent sur des pilotis. L ’en­

semble, qui constituait en somme un systèm e assez fragile, devait nécessiter un entretien continu et des réparations incessantes, et être plus ou moins disloqué par les grandes crues du fleuve et les débâcles de glace. Le pont ne résista pas d ’ailleurs aux invasions des Barbares. Il n ’existait pour ainsi dire plus, moins d ’un siècle après T rajan (3).

Il est très vraisem blable qu ’il n ’y avait sur le R hône, entre Lyon et la m er, que deux grands ponts fixes, l’un à Vienne, l’autre à Arles. A Lyon, la communication entre les deux rives avait lieu au moyen de bateaux jointifs ou même sim plem ent d ’un bac qui se trouvait à peu près à l’em placem ent où on a établi depuis avec ta n t de peine le pont de la Guillotière. Le pont sur la Saône qui reliait la ville romaine, établie sur les pentes de la colline de Fourvières, au quartier m archand et cosmopolite du confluent, n ’était q u ’un pont de bateaux, to u t au plus un pont en charpente.

Le pont de Vienne, qui faisait com m uniquer en tre elles les deux parties de l’ancienne m étropole des Allobroges, paraît, au contraire, avoir été un véritable pont en pierre et a subsisté jusque vers le milieu du dix-septièm e siècle. La légende p lutôt que l’histoire en attrib u e la construction au proconsul Tibérius Gracchus condui­

sant, dans les premiers tem ps de la conquête, — 175 ans avant

(1) P o lio rcétiq u e des Grecs, é d it. W e r c h e r , p . 139, 1. V e t su iv . Au g. Ch o i s y, L ’a r t de b â tir chez les R o m a in s. P a r i s , 1 8 7 3 . (2) Pr o c o p. , D e œ dific., lib . IV , c a p . V I .

( 3 ) L ’o u v e r tu re des tr a v é e s du p o n t é t a i t d e 3 6 m è tre s en m o y e n n e ; les p iles m a ç o n n é e s é ta ie n t d is ta n te s e n v iro n d e 5 4 m è tre s d ’a x e e n a x e . L ’o u v e rtu re to ta le d u p o n t, v id e s e t p le in s c o m p ris, p a r a ît a v o ir é té de 1 , 1 3 4 m è tre s. D ’a p rè s D ion C a ssiu s ^LX V III, 1 3 ), la la r g e u r du fleu v e é ta it, en c e t e n d ro it, de 3 , 5 7 0 p ied s g r e c s , so it 1 , 1 0 0 m è tre s. V o ir à ce s u je t le r a p p o rt d e M . La l a n n e, p ré s id e n t d e la c o m m issio n te c h n iq u e e u ro p é e n n e p o u r la c o n s tru c tio n d ’un p o n t su r le D a n u b e , d é c e m b re 1 8 7 9 .

(21)

J.-C ., — son armée en Espagne. Mais comme l’établissem ent d ’un pont en pierre n ’e st pas l’œ uvre de quelques semaines, on peut regarder comme certain que le passage de l’arm ée romaine eut lieu sim plement sur un pont provisoire de bateaux jointifs ou recouverts par des pièces de bois, comme dans tous les tem ps les généraux en ont jeté sur les cours d ’eau pour le passage rapide de leurs troupes et de leurs convois ; et il est très probable que le pont romain de V ien n e, qui a é té , pendant sa longue vie, l'objet de la vénération et de la sollicitude des populations rive­

raines, date du règne de l ’em pereur T rajan, qui fut peu t-être le plus grand constructeur de l’empire.

On sait le rôle im portant q u ’il a joué dans l’histoire de la ville et avec quel soin les vieux chroniqueurs ont tenu ses annales (i).

On le considérait comme une merveille. P endant tout le moyen âge il résista ta n t bien que mal aux crues du R hône. On le réparait sans cesse. T a n tô t on reconstruisait quelques arches écroulées, tan tô t on les remplaçait par des travées en bois ou des platelages établis sur pilotis. Ce fu t pendant plusieurs siècles un chantier perm anent. Les papes accordaient des indulgences, les rois de F rance, les dauphins du Viennois, les em pereurs d ’A l­

lemagne eux-mêm es concédaient des privilèges à tous ceux qui contribuaient de leur argent ou de leurs bras à ces réparations successives, ju sq u ’au jour où, com plètem ent enlevé par les eaux, on fut obligé de l’abandonner e t de le rem placer d'abord par un simple bac, puis par le pont suspendu que nous voyons aujour­

d ’hui.

La construction d ’un pont en pierre à V ienne n ’offrait pas d ’ailleurs de très grandes difficultés, à cause du peu de largeur du fleuve, qui présente, en cet endroit de son cours, un fond assez stable et un lit parfaitem ent déterm iné. Mais il n ’en était pas de

( i ) Ch o r i e r, A n tiq u ité s de V ienne. L y o n , 1 6 5 9 . Me r m e t, H isto ir e de V ienne. P a r is , 1 8 2 8-33.

Ro c h i e r, H isto ire d u V iv a ra is.

A . Sa g n i e r, L es p o n ts ro m a in s s u r le R h ô n e. A v ig n o n , 1 8 7 9 .

Br u g u i e r- Ro u r e, L es c o n s tru c te u r s de p o n ts a u m o yen âge. R éc its lég en d a ires ou h isto riq u e s. P a r is , 1875.

(22)

même à Arles ; et les géographes classiques rapportent d'une manière très précise que le grand pont qui reliait la ville constan- tinienne à son faubourg populeux de T rinquetaille n ’était qu ’un pont de bois appuyé sur chaque rive contre deux culées en maçonnerie. Les vestiges en sont encore très apparents (i).

D e Lyon à A rles, les itinéraires ne m entionnent aucun pont fixe sur le fleuve. Il n 'y avait pas de comm unication régulière en tre la colonie de Valence et le pays des H elviens situé en face, sur la rive droite ; et la traversée du R hône devait s’y effectuer soit au moyen d ’un bac, soit en em pruntant le secours d ’une de ces nom breuses corporations de bateliers ou d'utriculaires qui étaient installées sur les deux rives du fleuve. On se rappelle q u ’une des plus im portantes de ces associations de bateliers qui étaient de véritables « passeurs d'eau » avait son siège à Cavaillon, où elle assurait à la fois la traversée de la basse D urance e t les communications dans toute la banlieue d'A vignon presque entiè­

rem ent formée de lagunes et de marais.

U ne au tre existait sur le R hône, à Aram on, à quatre kilomè­

tres environ en aval d ’Avignon (2) ; et une route secondaire par­

tait d ’Aramon m êm e, se dirigeant sur le Gardon et de là vers Nîmes.

Bien que Tarascon et Beaucaire fussent l'un e t l'au tre situés sur la voie Dom itienne, aucun pont fixe ne reliait ces deux villes, peu im portantes d ’ailleurs par elles-mêmes à l'époque romaine, mais qui étaient cependant des étapes obligatoires sur la grande route de l’Italie en Espagne. On trav e rsait le R hône à Beaucaire

( 1 ) U t m e d ia v i fa c ia s n a v a li p o n te p la te a m . ( Au s o n. , D e cla r. u rb .) P rœ c ip ite m R h o d a n u m m o lli quce p o n te su b e g it E t j u n x i t g e m in a s connexo tr a m ite rip a s.

(S. Pa u l i n d e No v e s, C a r m in a .)

A re la te est c iv ita s quce ta b u la tim i p o n te m p e r f i u m i n i s dorsa t r a n s m i t t i t.

( C a s s i o d o r e , 1. VIII, lett. 10.)

(2 ) VTRIC . ARAM

SABINIANVS . OB REVER ENTIAM

U tric (u la r iis ) A r a m (o n e n sib u s ). S a b in ia n u s ob re v e re n tia m . Sabinianus aux utriculaires d ’Aramon, hommage respectueux.

(Proc.-verb. de l'Acad. du Gard, 1872.)

(23)

en bateau, peu t-être avec un ou deux bacs qui reliaient aux deux rives l’île de Gemica, située au milieu du fleuve; mais très cer­

tainem ent il n ’existait pas de pont perm anent de bateaux comme à A rles, encore moins un pont en charpente dont les itinéraires et les géographes classiques n ’eussent pas m anqué de faire m en­

tion (1).

C ette rareté des ponts qui ressort si nettem en t du silence des itinéraires e t qui s ’explique assez naturellem ent par l’im péritie réelle des Rom ains pour les grandes constructions hydrauliques, n ’avait d ’ailleurs aucun inconvénient sérieux aux premiers siècles de notre ère. Le R hône m oderne e st aujourd'hui traversé de Lyon à A rles par une vingtaine de ponts ou viaducs qui nous sem blent avec raison absolum ent indispensables pour nos échanges et nos tran sp o rts. Mais il y a deux cents ans à peine, sous le règne de Louis X IV e t le m inistère de Colbert, e t à la fin même du siècle dernier, pendant la sage e t féconde adm inistration de T u r­

g o t, on com ptait à peine cinq ou six ponts perm anents sur le fleuve : celui de la Guillotière à Lyon, celui de V ienne, le pont S aint-E sprit, le pont S aint-B énézet à Avignon et les deux ponts de bateaux de Beaucaire e t d ’Arles. Encore ce nombre fut-il réduit souvent à quatre par suite de la ru pture des ponts de Vienne et de S aint-B énézet qui étaient remplacés par de simples bacs.

On s ’accommodait très bien de cet é tat de choses. Les routes de terre présentaient des inconvénients et des dangers de toute sorte : insécurité com plète, lacunes nom breuses, extrêm e lenteur des voyages, arrêts indéfinis par suite de l’absence à peu près totale d ’entretien régulier, mauvaises conditions su rto u t de l’ou-

(1) Le p a ssa g e d u R h ô n e à B e a u c a ire s ’a p p e la it tr c ije c tu s R h o d a n i . (V o ir le 4e v ase A p o llin a ire .) C e tte d é s ig n a tio n de t r a je c tu s a u lieu d e p o n s in d iq u e b ien q u 'il n ’y a v a it q u ’un p a ssa g e d ’e a u , un b a c , e t non un v é r ita b le p o n t.

C f. E . De s j a r d i n s, C o m m e n t, d e la c a r te d e P e u t i n g e r , a u x m o ts A r e l a te e t U g e rn o .

A. A u rÈ s , S u r 'l e tr a c é d e la v o ie D o m iti e n n e e n t r e N î m e s e t le R h ô n e . (M ém . d e l ’A cad . d u G a rd , 1864.)

L. R o C H E T IN , É t u d e s u r la v i a b ili té r o m a in e d a n s le d é p a r te m e n t d e V a u c lu s e , 1883.

(24)

tillage des transports. Le roulage n ’existait pas. On ne connais­

sait pas les voitures suspendues. On se servait de mauvais chars à petites roues et le plus souvent de bêtes de somme. La circula­

tion sur les voies de terre n ’était guère possible que pour les grands seigneurs, les courriers et les hommes d ’arm es. La véri­

table route de la vallée du Rhône était le fleuve lui-m êm e; et, lorsqu’on avait besoin de passer d ’une rive à l’autre, on le tra­

versait en bateau. Q uelques bacs ou des équipes de nautoniers assuraient ce service d ’une m anière plus ou moins régulière.

Telle était la situation il y a deux siècles à peine, à plus forte raison à l’époque gallo-romaine. Les docum ents antiques ne font mention, à la vérité, d ’aucun bac à traille; mais l’appareil est si simple, si élém entaire, q u ’il est impossible qu'il n ’ait pas été connu de to u t tem ps. De nom breux bas-reliefs, e t notam m ent celui de M arc-A urèle e t de F austine qui orne l’escalier du C apitole, donnent le dessin très exact de pontons en charpente destinés à l ’em barquem ent sur la rive d ’un fleuve, assez semblables à ceux que nous employons aujourd’hui. Q uant à la traille proprem ent dite, qui consiste dans une poulie roulante engagée sur une corde, troclilæa, Tpo%i),ov, tendue à chaque rive sur deux pylônes en maçonnerie, ou plus sim plement attachée à deux grands m âts ver­

ticaux m aintenus par des haubans, elle était incontestablem ent fort en usage chez les anciens; et les gens de rivière l’ont de to u t tem ps connue e t pratiquée.

Il est à rem arquer enfin q u ’indépendam m ent des difficultés de sa construction, un pont sur une grande rivière à courant rapide e st toujours une gêne sérieuse pour la navigation. En fait, presque tous les ponts romains ont été construits sur des rivières à faible courant e t d ’une largeur m oyenne, — le T ibre en am ont de Rome, le Pô à Rimini, le P e tit R hône à F ourques, — et le plus souvent sur des rivières qui n ’étaient guère navigables. T els sont les magnifiques ponts d ’A lcantara et de Mérida en Espagne; et, dans la région de la N arbonnaise, les ponts de Sommières et d ’A tn- brussum sur le Vidourle, le pont du Gard, le pont Jullien sur le Coulon (Vaucluse), le pont de Vaison sur l’Ouvèze, le pont Fia-

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