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Introduction : Agir étatique subsidiaire dans les sociétés modernes

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Introduction : Agir étatique subsidiaire dans les sociétés modernes

KISSLING-NÄF, Ingrid, CATTACIN, Sandro

Abstract

Le présent recueil de la Revue suisse de sciences politiques est consacré à la question suivante: que signifie l'agir étatique subsidiaire dans les sociétés modernes?1 Il a été conçu à un séminaire du Groupe de travail "Politiques publiques" de l'Association suisse de sciences politiques. Ce séminaire, dirigé par les éditeurs, a été organisé dans le cadre du Congrès des sciences sociales suisses, qui s'est tenu à Berne du 11 au 14 octobre 1995. En plus des contributions exposées, un certain nombre d'auteurs ont été invités à donner leur point de vue sur le thème proposé. Les articles présentés dans ce volume ont fait l'objet d'une évaluation anonyme, puis ont été retravaillés sur le plan éditorial, conformément à la pratique en usage dans la Revue suisse de sciences politiques.

KISSLING-NÄF, Ingrid, CATTACIN, Sandro. Introduction : Agir étatique subsidiaire dans les sociétés modernes. Schweizerische Zeitschrift fü Politikwissenschaft, 1997, vol. 3, no. 3, p. 19-33

DOI : 10.1002/j.1662-6370.1997.tb00213.x

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:40917

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Introduction:

Agir étatique subsidiaire dans les sociétés modernes

Ingrid KISSLING-NÄF et Sandro CATTACIN

Le présent recueil de la Revue suisse de sciences politiques est consacré à la question suivante: que signifie l'agir étatique subsidiaire dans les sociétés modernes?1 Il a été conçu à un séminaire du Groupe de travail "Politiques publiques" de l'Association suisse de sciences politiques. Ce séminaire, dirigé par les éditeurs, a été organisé dans le cadre du Congrès des sciences sociales suisses, qui s'est tenu à Berne du 11 au 14 octobre 1995. En plus des contributions exposées, un certain nombre d'auteurs ont été invités à donner leur point de vue sur le thème proposé. Les articles présentés dans ce volume ont fait l'objet d'une évaluation anonyme, puis ont été retravaillés sur le plan éditorial, conformément à la pratique en usage dans la Revue suisse de sciences politiques.

Au cours de ces dernières années, un très vaste débat s'est instauré dans le milieu des sciences politiques, autour de la question de la subsidiarité. A quoi vient s'ajouter l'actualité politique quotidienne qui tourne autour de ce concept, tel qu'on peut l'observer à la lumière du Traité qui est à la base de l'Union européenne (Traité de Maastricht). Bien que dans l'acte d'unification européenne, la prise en considération subsidiaire des fonctions publiques ait été fixée par écrit, l'ancrage du principe de subsidiarité dans le contrat de l'Union (préambule, Art. B (2), ainsi que dans les principes du Traité, Art.

3b (2)) a déclenché de larges discussions. L'Art. 3b (2) du Traité décrit le principe de subsidiarité comme suit:

”Dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, la Communauté n'intervient, conformément au principe de subsidiarité, que si et dans la mesure où les objectifs de l'action envisagée ne peuvent pas être réalisés de manière suffisante par les Etats membres et peuvent donc, en raison des dimensions ou des effets de l'action envisagée, être mieux réalisés au niveau communautaire.”

1 Traduit par Véronique Tattini.

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Les textes présentés ici traitent du principe de subsidiarité et de son utilité en tant que catégorie analytique de différentes disciplines comme les sciences politiques, l'économie et l'éthique politique. Le bilan qu'on en fait est plutôt critique. En effet, la subsidiarité ne s'est pas révélée comme étant un concept consensuel, car son utilisation, dans le domaine des sciences sociales, est très controversée, revêt de multiples facettes et se révèle peu uniforme. Ainsi que d'autres concepts et termes à la mode passés dans le langage politique, son appropriation (ou plus exactement sa nouvelle appropriation) par les sciences sociales soulève un certain nombre de problèmes. Ce qui n'est pas clair tout d'abord, c'est la signification exacte du terme de subsidiarité. Car l'utilisation scientifique de termes empruntés au débat politique n'est pas si simple. Les éditeurs et les auteurs – à l'exception de Freiburghaus -, contrairement à d'autres tentatives faites précédemment (Heinze 1986: 31), arrivent néanmoins à la conclusion que le terme de subsidiarité peut être utilisé dans le domaine des sciences sociales. En effet, les concepts théoriques actuels dans la science politique sont devenus plus souples à l'égard des catégories d'analyse qui lient des éléments pratiques et théoriques (analytiques et normatifs). Cela s'explique, entre autres, par le fait qu'une certaine modestie a fait son entrée dans le monde des sciences politiques, qui permet de mieux comprendre les phénomènes qui seraient autrement devenus la proie de catégories globalisantes et non différenciées.

C'est ainsi que des concepts politologiques, comme la discussion autour des réseaux ou encore le débat sur le concept de gouvernance, peuvent utiliser la catégorie "subsidiarité".

Ce bilan ne doit pas être trompeur. Comme le montrent les différents efforts de définition dans ce volume, il convient d'utiliser le terme de

"subsidiarité" – en tant que catégorie appartenant aux sciences sociales – avec beaucoup de prudence. Car le terme de subsidiarité se rattache premièrement à une tradition (la doctrine sociale catholique et la philosophie libérale) et à une certaine politique (des néo-conservateurs dans les années quatre-vingts).

Deuxièmement, ce terme réveille donc à la fois des associations politiques et idéologiques, qui résistent obstinément à l'objectivation des sciences sociales.

Troisièmement, le terme de subsidiarité peut aussi signifier une formule de compromis, voire même de dissimulation dans des négociations complexes.

L'essai de Dieter Freiburghaus souligne d'ailleurs cette problématique. Il démontre comment le principe de subsidiarité a trouvé sa place dans le Traité de l'Union et pourquoi ce "mot magique" a réussi à s'imposer après la conclusion de l'accord. L'analyse de cette instrumentalisation montre que l'adoption de ce terme dans le dispositif langagier a servi à calmer les sceptiques de l'intégration et qu'elle a conduit à surestimer le degré d'unité.

Pourtant, la Commission est parvenue à éviter de justesse l'interprétation du

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principe comme limitation de la centralisation – ce qui aurait vidé le principe de son contenu. Quatrièmement, les différentes significations du terme

"subsidiarité" se retrouvent fréquemment dans des synonymes tels que le fédéralisme, la décentralisation, la démocratie, la proximité face aux problèmes des citoyens, la déréglementation et bien d'autres encore.

Cinquièmement, il faut encore relever, pour éviter des malentendus dans le dialogue interdisciplinaire, que les secteurs du droit, de l'économie et des sciences politiques entendent parfois d'autres éléments sous le vocable de

"subsidiarité".

Définition des termes et questions posées par le recueil

Les toutes dernières recherches historiques en matière d'idées ont montré, à propos du concept de subsidiarité, que celui-ci, thématisé dans le cadre de la doctrine sociale catholique au début du XXe siècle, remontait en fait à Aristote et à Althusius et qu'il s'est aussi inspiré de la théorie des droits de l'homme de Locke (pour la reconstruction historique du terme, voir Riklin 1994 et surtout Höffe dans ce recueil). Le concept classique de subsidiarité se retrouve dans l'encyclique sociale Quadragesimo anno de 1931 (no 79):

”On ne peut enlever aux particuliers, pour les transférer à la communauté, les attributions dont ils sont capables de s’acquitter de leur seule initiative et par leur propres moyens, ainsi ce serait commettre une injustice, en même temps que troubler d’une manière très dommageable l’ordre social, que de retirer aux groupements d’ordre inférieur, pour les confier à une collectivité plus vaste et d’un rang plus élevé, les fonctions qu’ils sont en mesure de remplir eux-mêmes. L’objet naturel de toute intervention en matière sociale est d’aider les membres du corps social, et non pas de les détruire ni de les absorber.”

Le concept de subsidiarité, comme principe directeur essentiel de la doctrine sociale catholique, demande que l'Etat ou les instances supérieures ne s'occupent que des tâches qui ne peuvent pas être accomplies par des unités inférieures. Il s'agit, comme l'a clairement montré Höffe, d'une règle limitant les compétences, qui agit à l'encontre de la puissance centralisée.

Le principe de subsidiarité incite toutefois aussi d'aider à s'aider soi- même. Les unités sociales inférieures doivent parfois justement être amenées, avec le soutien de l'Etat, à accomplir les tâches qui leur incombent. La mesure de toute action de l'Etat – qu'il s'agisse d'une offre d'aide dans le sens de l'empowerment ou de l'exécution de certaines tâches centralisées nécessaires – reste le bien-être de la personne. Dans ce sens, la légitimité de l'exécution des tâches par l'Etat découle de l'incapacité des unités sociales

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inférieures à les remplir elles-mêmes. Dans Quadragesimo anno, l'action non-subsidiaire de l'Etat passe pour être injuste.

Cette caractérisation du principe éclaire non seulement l'étendue mais aussi la variabilité, respectivement le manque de précision de la terminologie. Le principe de subsidiarité traditionnel se rapporte – comme principe normatif appelé à être utilisé et interprété – à l'ensemble des relations entre l'individu, respectivement les unités sociales (famille, commune, association, etc.), et l'Etat. Il oriente la répartition adéquate des compétences, d'une part, et l'exercice de celles-ci, d'autre part. Il indique que seul un pouvoir limité de l'Etat est légitime. Dans cette tradition de la doctrine sociale catholique qui prône un droit naturel, la subsidiarité est un concept aussi bien socio-ontologique que normatif, c'est donc une idée qui ne peut pas être simplement reprise par la science politique moderne (Justitia et Pax 1997). En effet, le concept de subsidiarité de cette doctrine est à la base d'une image spécifique de la société. La définition de l'éthicien social allemand Oswald von Nell-Breuning se fonde sur une conception pré-moderne de la société qui ne tient pas compte des différenciations et du pluralisme de la société actuelle. Le but du principe de la subsidiarité n'est que – en raison du totalitarisme contemporain – la limitation du pouvoir de l'Etat, sans qu'on lui oppose la possibilité de l'auto-responsabilité.

L'augmentation de la différenciation des systèmes a eu pour effet – comme l'avance aussi Höffe – que la conception actuelle de la subsidiarité devrait davantage prendre compte de la concurrence et des conflits et qu'elle devrait intégrer l'aspect d'une coordination horizontale égalitaire. Le fait que le terme de subsidiarité suscite de nouvelles interprétations – et les encourage même – est peut-être à mettre au compte de l'étendue du champ qu'il recouvre et du manque de précision de ses éléments. En effet, les analyses présentes dans ce recueil l'élargissent et l'adaptent aux nouveaux problèmes sociaux et conditions-cadres modifiées pour comprendre les innovations politiques actuelles.

Ce recueil est donc dédié à la question de savoir quelle importance donner à la subsidiarité dans le cadre de la nouvelle régulation des affaires de l'Etat. Le principe de la subsidiarité faisant appel à un grand nombre de concepts, et ses nombreuses acceptions ayant des liens avec le fédéralisme, la décentralisation, la démocratie, la légitimation, les éditeurs ont dû choisir un certain nombre de points de repères actuels: l'analyse multiniveaux, la péréquation financière et la conduite de l'Etat, ainsi que la théorie politique.

Dans la première partie, nous nous référons aux formes de régulation étatique et, plus particulièrement, à l'agir étatique subsidiaire ou à l'Etat régulateur. Quant à la péréquation des finances, nous abordons le sujet à l'exemple de la réforme de la péréquation financière actuelle menée en

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Suisse pour expliquer l'importance de la subsidiarité pour la théorie économique. L'analyse multiniveaux s'intéresse aux questions de la centralisation et de la décentralisation ainsi qu'à la répartition des compétences en l'étudiant dans le contexte présent. Dans la dernière partie, une réflexion de théorie politique est présentée au sujet du remaniement de cette maxime de l'action d'un point de vue de l'histoire des idées.

Agir étatique subsidiaire

Il convient de partir du principe que l'agir étatique subsidiaire, dans le contexte de sociétés complexes, ne peut pas se réduire à un principe pré- moderne d'intervention secondaire des "instances supérieures". Il faut plutôt comprendre ce principe, en partant du débat sur la régulation politique et en réaction à la théorie pluraliste, comme une analyse de l'implication des acteurs sociaux et institutionnels dans la phase de formulation d'une politique, comme une incitation à un retrait de l'Etat dans la phase de mise en œuvre, ainsi que comme une ouverture participative au cours de l'évaluation des résultats des politiques. L'agir étatique subsidiaire dans l'Etat moderne décrit donc des mécanismes de régulation complexes dans différents secteurs de la politique conformément à l'ordre d'implication des acteurs sociétaux, en mettant un poids particulier sur l'aspect démocratique de ces arrangements. La subsidiarité devient ainsi une catégorie descriptive de modèles de régulation complexes de l'Etat qui cherche un appui démocratique dans les sphères différenciées de la société. La subsidiarité devient ainsi un terme-clé de l'analyse politique qui aimerait se montrer ouverte à l'égard "du déploiement de styles de vie autonomes" (Olk 1986).

L'interprétation et l'élargissement du concept de subsidiarité devraient toutefois s'appuyer sur une compréhension évolutive de l'intervention étatique (Kaufmann 1991; Kissling-Näf 1997; Linder 1983). Le concept contenu dans la doctrine sociale correspond à la phase de mise en place d'un Etat de droit. Les instruments régulateurs et l'octroi d'un cadre libéral étaient typiques du mode de régulation de l'Etat de droit, allié au respect des droits individuels. Avec l'émergence d'une classe ouvrière revendicatrice, les différentes crises économiques cycliques et la problématique des mutilés de guerres, un tournant a été pris, au plus tard dès les années trente, en faveur de l'Etat social. L'Etat s'est vu dans l'obligation, surtout après la seconde guerre mondiale (mais aussi légitimé comme acteur central de la reconstruction), d'intervenir activement dans les rapports de la société, afin d'assurer des droits sociaux et une qualité de vie minimum à tous les groupes de la population. Depuis les années soixante-dix, des tendances contradictoires comme les déficits dans l'action étatique au niveau de la

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régulation et de l'exécution des affaires se multiplient, au même titre que les problèmes écologiques – symptômes d'une baisse de légitimation et de maîtrise de la complexité sociale par l'administration de l'Etat. Il s'ensuit que le modèle de régulation hiérarchique est remplacé par des éléments discursifs, procéduraux et coopératifs. On voit apparaître une régulation en même temps coopérative et hiérarchique qui remplace l'intervention directe par une régulation-cadre étatique plus efficace. Cette nouvelle forme de régulation est aussi décrite en termes généraux dans la littérature comme Etat régulateur (Kaufmann 1991), Etat négociateur (Weidmer 1993), Etat superviseur (Willke 1997), "Nouvelle subsidiarité" (Heinze 1986) ou Etat incitateur (Bütschi et Cattacin 1994).

Tant la description de l'Etat régulateur que le terme d'action subsidiaire se rapportent directement à cette nouvelle manière de régulation-cadre. Ce faisant, il s'agit – et ceci aussi bien en partie en politique sociale (Gentile dans cet ouvrage) qu'en politique de l'environnement (Benninghoff et Schenkel et al. dans cet ouvrage) – d'un tournant reconnaissable par rapport à l'intervention directe en vue d'une intégration des organisations privées et collectives par l'Etat.

Dans ce contexte, l'actuelle théorie de l'Etat parle aussi d'une régulation contextuelle décentralisée ou encore d'une régulation procédurale. D'après la première, on entend une intervention politique qui fixe un cadre pour des systèmes qui sont, sinon, auto-référenciels. Elle prend en même temps du recul par rapport à la planification hiérarchique. ìUn renforcement de l'autonomie de sous-secteurs et de l'efficacité régulative semble possible, lorsque le contrôle du contrôle est transféré aux sous-secteurs. Mais il doit se faire sous la forme de systèmes de négociations, dans lesquels les conditions générales de régulation du contexte sont générées” (Willke 1991:

188ff). Avec la régulation procédurale, on met à nouveau l'accent sur le fait que dans des domaines complexes et conflictuels, pour lesquels les solutions matérielles sont difficiles à générer, il faudrait choisir des règles procédurales ordonnant la régulation. Elles contribuent à l'augmentation de la légitimation et de l'acceptation des décisions et sont adéquates, quand la recherche de solutions se montre difficile. On parle souvent de régulation- cadre dans le domaine de la politique sociale en signalant la nouvelle signification accordée au principe de subsidiarité. A savoir qu'aujourd'hui, l'Etat est actif, certes, mais plutôt dans le sens de la régulation active d'un réseau que comme "producteur" d'une politique globale.

Ce changement dans la régulation a des conséquences directes sur la collaboration des acteurs impliqués. C'est ainsi que le rapport hiérarchique entre l'administration et les destinataires de politiques n'est plus un facteur mis au premier plan. Les structures de décision et de mise en œuvre sont

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davantage participatives: le réseau devient une forme de coopération dominante. Scharpf parle dans ce contexte d'auto-coordination horizontale et de systèmes de négociations horizontaux (Scharpf 1992 a: 101). Le succès de la régulation est davantage à mettre au compte de la dé- hiérarchisation des rapports et de l'utilisation de modèles consensuels de formation d'opinion (Kissling-Näf: 8f). C'est ainsi que les barrières entre secteur privé et public tombent progressivement.

Ce type de gouvernance, que nous discutons ici surtout sous l'angle de l'action subsidiaire, peut être explicité à l'exemple de trois secteurs politiques. Martin Benninghoff s'intéresse, dans son article ìModes de légitimation de l'Etat et subsidiarité”, à l'exemple de la politique de protection des sites marécageux en Suisse, à la légitimation de l'intervention de l'Etat et à la résolution des conflits qu'elle implique. Le point de départ de la réflexion, c'est la mise sous la protection de la Confédération d'environ quatre-vingt-dix sites marécageux par l'Office fédéral de l'environnement, des forêts et du paysage, qui s'est heurtée à l'opposition des concernés.

L'article montre que les acteurs étatiques interviennent comme créateurs et diffuseurs de sens – l'élaboration d'un inventaire des sites n'étant pas suffisant – pour appréhender la réalité sur la base d'une opinion partagée avec les groupes et collectivités concernés. Ce qui est d'autant plus nécessaire qu'avec la constitution d'un inventaire par des experts et l'administration, on donne une nouvelle signification aux territoires concernés – une "production sociale" d'une nouvelle réalité. En ce sens, les nouvelles valeurs et normes de la politique de protection de la nature et du patrimoine, ainsi que les interventions de l'Etat central, doivent être légitimées. Pour justifier sa politique, l'Office fédéral compétent utilise la ressource information (séances d'information, négociations, etc.). Les processus de résolution des conflits discursifs sont l'expression du fait que la légitimation démocratique – dans ce cas-là, l'adoption d'un article constitutionnel sur la protection des marais par le peuple – n'est pas suffisante. Il faudra créer d'autres mécanismes – dans ce cas des négociations dans un but d'information – afin d'obtenir une légitimation secondaire. Remarquons dans ce contexte que Benninghoff utilise le terme de subsidiarité réflexive comme étant une intervention étatique qui s'adapte aux besoins de l'environnement social, arrivant ainsi à garantir la légitimité.

Dans son article, ìIntégration des acteurs non-étatiques dans les politiques sociales”, Pierre Gentile aborde le phénomène de l'agir étatique subsidiaire sous la perspective des acteurs. Il démontre comment l'Etat essaie, dans le cadre de la politique sociale au niveau communal, d'intégrer des groupes d'acteurs non-étatiques dans la sphère politique. En effet, l'administration seule n'est plus en mesure de satisfaire les besoins des

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clients. L'auteur se demande donc quelles conditions il faut remplir pour que les acteurs privés soient intégrés dans le processus de programmation et de transposition des politiques et qu'on en arrive à un véritable partenariat entre le secteur public et le secteur privé. Dans deux projets-pilotes – les soins extra-hospitaliers dans la ville de Zurich et la formation continue des adultes dans celle de Lausanne – on a créé, au début, un réseau avec des représentants de l'administration, des experts et des organisations privées.

Vu le manque de ressources et aussi de connaissances, les autorités se sont fixées pour tâche de rassembler les principaux acteurs autour d'une table.

Les organismes privés ont été alléchés par les subventions. Lorsque les organismes se faisaient concurrence, il a fallu élaborer, ensemble, des critères d'évaluation de la qualité de l'exécution. Sur la base de ces projets- pilotes, on constate que dans les deux cas, la pression du problème était très importante et qu'elle portait aussi en elle une possibilité d'action. Cet article souligne aussi l'importance des personnalités dans le service public, qui sont chargées – en quelque sorte à titre de gestionnaires du réseau – d'encourager et de dynamiser activement la formation de cette arène, bien que leur influence, au niveau de l'élaboration du contenu de la politique, soit en fait assez limitée. La condition pour cette régulation-cadre réflexive, c'est de fournir assez de ressources (argent, légitimation, etc.) aux gestionnaires de cette politique.

Comme le montre Philippe Warin dans son article, il ne suffit pas que des modèles organisationnels caractérisant des domaines politiques novateurs se légitiment grâce à leur efficacité issue d'une intégration de différents acteurs sociétaux. Dans sa reconstruction de la ìPolitique de la Ville en France”, Warin constate que les acteurs étatiques développent des stratégies de défense à l'égard de l'innovation organisationnelle. La

”Politique de la ville” – qui se distingue par une logique participative orientée en fonction d'un projet et qui s'attache surtout à l'amélioration du climat social dans les agglomérations urbaines – se voit en effet depuis quelques années confrontée à une tendance à la bureaucratisation, qui la dépouille des éléments novateurs de l'orientation coopérative. On pourrait en déduire que l'agir étatique subsidiaire, dans son acception moderne, arrive à s'imposer plus facilement dans des pays qui ont une tradition coopérative comme la Suisse, les Etats-Unis, les Pays-Bas ou l'Allemagne que dans les Etats à tendances unitaires et dirigistes.

A l'encontre de la subsidiarité classique, où l'agir étatique et les activités des organismes privés se déroulent côte à côte, l'Etat régulateur cherche à utiliser pour ces interventions l’agir des acteurs sociétaux. Si nécessaire, l'Etat encourage même la création de nouveaux organismes. L'incorporation directe d'acteurs et de destinataires lui permet de s'approprier leurs

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connaissances et expériences. De plus, l'appui dans la société renforce la légitimation de son action. Il s'agit là d'un renversement de l'idée de l'aide à l'auto-assistance, car les acteurs concernés et les destinataires renforcent le pouvoir des acteurs étatiques grâce à leur vaste savoir et non l'inverse.

L'agir étatique subsidiaire compris comme un mécanisme de régulation et de coordination souligne donc l'aspect de dépendance entre les acteurs de la société et la nécessité d'appuyer une politique sur les acteurs concernés – Benninghoff et Gentile parlent dans ce contexte de "subsidiarité réflexive".

Il s'agit moins, à l'encontre de ce qui se passait dans les décennies précédentes, de la limitation des compétences, mais bien plus d'un transfert des tâches à des spécialistes au cours duquel les activités publiques et privées deviennent complémentaires.

Péréquation financière

Le principe de subsidiarité est important – comme le montre la discussion à propos de la péréquation financière (département des Finances et directeurs des Finances 1996; Frey et col. 1994) en Suisse – non seulement pour la théorie politique contemporaine, mais il trouve aussi son application au niveau de la théorie économique. Comme base normative – et de ce fait comme critère d'optimisation pour l'élaboration du système de transfert -, la subsidiarité est mise sur un pied d'égalité avec le principe d'équivalence au niveau économique (Oates 1972; Olson 1969). Ce dernier exige que ceux qui supportent les frais et les bénéficiaires, ainsi que les décideurs, arrivent à se mettre d'accord sur les prestations publiques. Pour les tâches qui relèvent, par exemple, de l'offre culturelle municipale, de la politique régionale du trafic, on voit apparaître des "spillovers" (effets territoriaux externes) qui sont souvent liés à une mauvaise allocation des ressources publiques. En théorie, on souligne que les structures de décision décentralisées – et surtout la pression de la concurrence entre les différents organismes du territoire – devraient donner lieu à une production étatique efficiente. En effet, le citoyen ou la citoyenne peuvent changer ou non de domicile, selon qu'ils sont en accord ou désaccord avec la palette de prestations de l'Etat et leur prix qui s'expriment par le taux de fiscalité.

L'avantage des structures de décision décentralisées est démontré par le fait qu'elles tiennent davantage compte des besoins spécifiques à la région, que la production est plus avantageuse lorsque les services publics sont décentralisés et enfin que la concurrence entre les entités locales induit des innovations (Oates 1972; Tiebout 1956). On peut en revanche opposer à ces avantages les effets positifs d'une gestion centralisée: des effets d'échelle, une prise en compte des "spillovers" et des différences de puissance

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financière qui limitent les possibilités d'une décentralisation totale. ”Une structure étatique fédéraliste efficiente suit le principe de subsidiarité: seules les tâches qui sont le mieux à même d'être maîtrisées par les organes territoriaux supérieurs doivent leur être confiées. La structure d'Etat fédéraliste est saluée d'un point de vue économique, parce qu'elle permet l'utilisation conjointe des avantages de la décentralisation et de la centralisation des tâches publiques” (Frey et col. 1994: 10f.). Le but d'une péréquation financière efficiente ne consiste pas seulement à mettre à disposition de manière efficiente des services et des biens publics et de confier ainsi cette tâche au secteur politique le plus apte. Il est aussi en vue de diminuer les disparités entre les entités territoriales, de minimiser les inégalités. C'est ainsi que la subsidiarité a été incorporée dans la théorie économique du fédéralisme comme maxime d'action (Oates 1972). Sur cette toile de fond théorique, des recommandations d'experts financiers ont été formulées au sujet de la péréquation financière en Suisse. Cette nouvelle réforme, initiée en 1995, a été déclenchée suite au débat de la crise financière et de la déréglementation.

Eric Mottu, dans son article ”Réforme de la péréquation financière et principe de subsidiarité”, présente le projet de réforme "Nouvelle répartition des tâches entre la Confédération et les cantons" en Suisse. Il part de l'augmentation de l'intervention fédérale qui conduit à un enchevêtrement des compétences entre la Confédération, les cantons et les communes. Dans beaucoup de domaines, on trouve ainsi plusieurs niveaux de compétences.

Cette imbrication est toutefois contraire au principe d'équivalence. Pour la classification des tâches, les économistes se réfèrent implicitement au principe de subsidiarité. Ils attribuent une tâche au niveau inférieur qui soit encore compatible avec l'efficacité économique globale. Ce faisant, les propositions en vue d'une nouvelle péréquation financière s'orientent vers le principe de subsidiarité et d'équivalence et se fondent sur quatre piliers.

Premièrement, il faut entreprendre un désenchevêtrement des tâches et des flux financiers, qui détermine clairement les responsabilités des différents niveaux. Ainsi, par exemple, les tâches qui ont un impact national et des buts de redistribution reviennent au domaine de compétences de la Confédération. Deuxièmement, la collaboration inter-cantonale doit être renforcée pour les tâches communes des différents cantons. C'est le cas lorsque des effets d'échelle sont envisageables, ainsi que des "spillovers" à gérer. Troisièmement, il faut identifier les tâches de gestion commune entre les cantons et la Confédération. Quatrièmement, il faut procéder à une péréquation des ressources afin d'éliminer les disparités inter-cantonales. Il convient, à ce propos, de faire une distinction nette, au niveau du transfert, entre les objectifs d'incitation et de distribution.

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Ulrich Klöti et Alfred Meier abordent la question de la direction à prendre et des perspectives de succès du nouveau projet de réformes financières à partir du texte de Mottu. Klöti souligne que le principe de subsidiarité est concrétisé par les "critères d'aide à l'analyse économique"

comme l'équivalence fiscale, les avantages issus d'un effet d'echelle, l'abolition des disparités ou encore la portée spatiale des prestations ainsi que les exigences de la coordination. Il faut toutefois bien voir, souligne Klöti, que la division rationnelle des tâches comme support d'orientation est utile mais qu'elle est affectée de gros problèmes. La théorie économique ne peut pas se prononcer sur l'abolition des disparités. Quant à la portée spatiale des prestations et la taille des fournisseurs de services (les effets d'échelle), ceux-ci peuvent avoir des tendances opposées. Une objection importante avancée est, à notre avis, le manque d'homogénéité des organismes territoriaux, qui donne lieu à des capacités d'actions étatiques par trop différenciées au même niveau territorial. Outre les contradictions économiques immanentes, la transposition de ces concepts rationnels dans la pratique devrait toutefois se faire dans un contexte juridique, social et économique. En effet, au cours de cette réforme, les réseaux politiques existants n'ont pas été pris en considération comme variables structurelles importantes. On n'explique pas non plus les conséquences d'une stratégie de désenchevêtrement radicale pour des domaines politiques toujours plus étroitement imbriqués. En analysant le projet de réforme, Alfred Meier, à son tour, arrive en plus à la conclusion qu'elle n'est pas tant marquée par le suivi du principe subsidiaire que par une "philosophie de décentralisation".

Tout dépend, selon Meier, de la mise en œuvre. Il doute notamment, au vu de la réalité hétérogène, des chances de réalisation de cette représentation théorique, quand bien même on pourrait, à travers cette réforme, donner un coup de pouce à l'aide à l'auto-organisation. Dans ses conclusions, Klöti se demande d'ailleurs si cette réforme n'aurait pas pu se satisfaire du développement de meilleures formes de collaboration. Dans sa réponse à ces objections, Mottu fait valoir que la coopération entre des partenaires responsables n'est pratiquée que lorsqu'il existe une distribution des compétences clairement définie.

Les propos susmentionnés expliquent que contrairement à la théorie de régulation politique, le concept de subsidiarité n'a connu aucun élargissement dans le domaine des finances publiques et donc aucune adaptation aux nouveaux phénomènes sociaux, tels que l'enchevêtrement croissant des politiques et l'augmentation de la pluralisation dans notre société. Reste à savoir dans quelle mesure il est adéquat et judicieux d'adapter la péréquation financière aux concepts théoriques rationnels. Ce qui nous semble important, dans ce contexte, c'est la question qui revient sans cesse

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de savoir dans quelle mesure les structures enchevêtrées ne sont pas finalement plus performantes. Scharpf n'a cessé de se pencher sur ce problème et arrive déjà dans les années soixante-dix à la conclusion que les incongruités, entre la complexité des problèmes et la marge de manœuvre, produites par la spécialisation et la différenciation ne doivent pas être abordées en envisageant la centralisation, qui était la solution préférée à l'époque. Cette position critique à l'égard de la centralisation étatique se fonde sur le grave manque d'informations observé ainsi que sur les lacunes au niveau de la prise en considération des intérêts sociaux. Pour avoir une réaction souple aux conditions d'un environnement en pleine mutation, il faut des structures capables de s'adapter, ce qui parle à nouveau en faveur des réseaux politiques et de l'enchevêtrement (Scharpf et al. 1976; Scharpf 1992a; Benz 1995). Cela dit, reste à savoir si la compréhension inchangée de la subsidiarité dans l'analyse économique n'est pas simplement sous- complexe.

Analyse multiniveaux

Il est incontestable que les structures de décision horizontales et verticales, et ce faisant l'action combinée de différentes structures de régulation (governance institutions), continuent à se différencier. Par la suite, nous nous pencherons donc moins sur la coordination politique horizontale, que nous avons discutée auparavant sous le label "de péréquation financière" ou encore davantage de "réseau", que sur la différenciation verticale du système politique. Avec la question de l'interdépendance de plusieurs niveaux de politique et d'administration, la répartition des compétences devient un problème central des systèmes multiniveaux. Le problème de la répartition des compétences est une composante centrale du principe de subsidiarité dans les textes de ce recueil qui se penchent sur la question de l'imbrication de différents niveaux de gestion, à savoir l'exemple du fédéralisme américain dans l'essai de Kristine Kern, de l'Union européenne dans l'article de Dieter Freiburghaus et de la protection de l'air dans la contribution de Walter Schenkel, Stephan Kux et Daniel Marek.

Le fédéralisme constitue une forme de réalisation essentielle du principe de subsidiarité. Dans le cas de l'Union européenne, il appartient plutôt au domaine du désir que de la réalité. C'est ainsi que Willke (1997: 340) constate sèchement que: ”les doutes, quant à la fonction de modèle de l'UE, proviennent sans doute du fait que pendant des décennies elle a démontré de manière éclatante son incapacité à apprendre et qu'elle a célébré les reliques de sa foi dans l'Etat de manière tellement ostentatoire, que l'on ne souhaite à aucune société de suivre ce modèle”. Cependant, et en dépit des doutes de

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Freiburghaus, l'UE a réussi ìavec la signature du Traité de Maastricht, l'abolition du principe de l'unanimité et en relevant les défis lancés par la société d'information à faire les pas qu'il fallait dans la bonne direction, démarche susceptible d'en faire un modèle d'avenir” (Willke 1997: 341).

Les Etats-Unis se fondent, quant à eux, sur une expérience concrète.

Dans son article, Kristine Kern s'attache au ìdéveloppement du fédéralisme aux Etats-Unis”, avec la rétrocession des compétences fédérales aux différents Etats. Elle montre comment la réglementation d'aujourd'hui à plusieurs niveaux – c'est-à-dire la réglementation de l'Etat fédéral et de l'Etat individuel simultanément (niveaux de décision interdépendants) – est née au fil du temps. Le fonctionnement du système fédéral à plusieurs niveaux peut s'expliquer par la répartition des tâches et des pouvoirs entre les niveaux politiques ainsi que l'intégration politique horizontale et verticale. Phénomènes qui, à leur tour, se sont développés en plusieurs variantes au sein du fédéralisme américain. Au cours d'une phase de dualité qui a duré jusqu'en 1930 environ, les domaines de compétence de l'Etat fédéral et des différents Etats étaient clairement délimités – Kern parle de deux sphères de pouvoir séparées – et traités sur un pied d'égalité. Au cours des trente années qui suivirent, on vit apparaître la coopération des différents niveaux au sein d'un fédéralisme coopératif et un mélange des fonctions. Suit une phase de centralisation, de 1960 à 1980, au cours de laquelle on voit surgir, entre autres, du fait de la réglementation intergouvernementale, un rapport de subordination entre les niveaux qui porte en lui les germes d'une perte possible de fonctions pour les différents Etats individuels, du fait que ce niveau était surtout chargé de transposer les éléments centralisateurs dans les faits. Avec l'ère du président Reagan, on a vu s'instaurer une phase de décentralisation. En effet, la régulation hiérarchique directe des différents Etats par l'Etat fédéral – et donc la limitation de l'espace de manœuvre des différents Etats – ne fut plus acceptée. Les attaques dirigistes des décennies passées ont entraîné le développement de capacités d'action décentralisées. Elles ont, par exemple, forcé l'institutionnalisation de la politique de protection de l'environnement. Kern attire d'ailleurs l'attention sur le fait que la réglementation américaine à plusieurs niveaux est liée à un potentiel de résolution des problèmes plus élevé.

L'article de Walter Schenkel, Stephan Kux et Daniel Marek, ”Subsidiarité et protection contre la pollution de l'air en Suisse – vues d'une perspective internationale, nationale et locale”, aborde, à titre d'exemple, la transposition concrète du principe de subsidiarité dans le domaine de la protection contre la pollution de l'air en Suisse. Les auteurs montrent comment la coordination politique verticale arrive à ses limites. Plus le cas

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du problème de la "protection contre la pollution de l'air" est réglementé de manière hiérarchique, moins les décisions se prennent aisément et les acteurs participent à leur exécution. L'autonomie de décision nationale durement acquise en Suisse, et l'espace de manœuvre qui en découle, au moins au plan juridique, se révèlent comme étant autant de barrières promptes à être critiquées. A leur place, au plus tard dans les années quatre- vingt-dix, on verra apparaître des structures de décision et d'exécution horizontales et coopératives. Le fonctionnement (et les limites) du principe traditionnel de subsidiarité – le transfert des tâches au niveau plus élevé et le fait de déconnecter les responsabilités – est en quelque sorte mis sans dessus dessous du fait que les niveaux supérieurs recherchent l'aide des niveaux inférieurs pour prendre des décisions efficientes (mais surtout légitimes) et pour pouvoir ensuite les mettre en œuvre, mais aussi pour garantir la prise en charge de responsabilités à tous les niveaux. Les auteurs, mais aussi la théorie systémique de l'Etat, soulignent à ce propos qu'il continue à s'agir de subsidiarité, lorsqu'ils parlent de subsidiarité horizontale: ”Si le principe de subsidiarité verticale exige qu'une unité hiérarchique supérieure [...] n'usurpe pas les tâches que l'unité subordonnée est en mesure de remplir elle-même, le principe de subsidiarité horizontale exige que la politique – comme système de fonctionnement mis sur un pied d'égalité hiérarchique – n'usurpe pas les fonctions capables d'être remplies par un système spécialisé compétent” (Willke 1997: 308). Il faudrait ajouter qu'il ne s'agit pas seulement de prestations au niveau des fonctions, mais aussi de prestations qui touchent à la légitimation.

La complexité sociétale comme défi de la régulation étatique Les tentatives d'interprétation du concept de subsidiarité présentées ici peuvent se diviser en deux types distincts: des essais qui s'attachent surtout à la répartition des compétences (la péréquation financière et, en partie, le problème de la régulation multiniveaux) et d'autres qui traitent avant tout du fonctionnement de nouvelles formes d'action étatique (l’agir étatique subsidiaire). La subsidiarité, dans le sens d'un débat sur la régulation, devient un instrument d'aide à l'auto-assistance pour l'Etat, les organisations privées permettant à l'administration de remplir ses obligations. Il s'ensuit que les réseaux gagnent en importance comme plates-formes pour une résolution plus souple des problèmes (la rigidité institutionnelle disparaît en partie), mais on voit aussi apparaître un déplacement de la légitimation primaire dans les réseaux pluralistes. L'arène démocratique se diffuse ainsi dans la société – dans ces "domaines sub-politiques" (Beck 1993), qui sont

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devenus incontournables et qui exigent une nouvelle définition de ce qui est politique dans une société pluralisée et différenciée.

La subsidiarité, comme critère de répartition des compétences, tente, en revanche, dans une réflexion économique, d'appliquer de manière normative une division des tâches par rapport au principe d'équivalence. La science politique utilise la même dimension pour poser ce genre de question (d'après Kern) mais en cherchant à décrire la réglementation à plusieurs niveaux. Il convient de souligner une fois de plus ici que, d'un point de vue historique, au moins aux Etats-Unis, la centralisation dans l'Etat social a constitué la base de la phase de décentralisation qui a suivi.

Les explications résumées sous le titre de subsidiarité montrent qu'elle reflète la complexité croissante de la société entraînée par le processus de modernisation. Et pourtant, en dépit des avantages évidents de l'accouplage des compétences en matière de gouvernement et de savoir spécifique, respectivement de légitimité, l'agir étatique subsidiaire ne s'impose pas de lui- même pour régler les situations complexes. Millol-Delsol (1992) souligne à juste titre que la subsidiarité – qu'elle soit horizontale ou verticale – ne peut pas être introduite par décret. L'agir étatique subsidiaire se dévoile bien plus, comme le montrent les différents exemples de ce volume, à la suite d'un long processus d'apprentissage au sein de l'Etat et de la société. C'est ainsi que les acteurs étatiques doivent relativiser la position centrale qu'ils sont supposés exercer dans le processus de décision et que les acteurs de la société doivent se défaire de la méfiance qu'ils éprouvent à l'égard des acteurs étatiques qui ont la disposition notoire d'instrumentaliser la société civile. Il faut donc comprendre les modèles d'action coopératifs comme des arrangements labiles qui ne peuvent pas se référer à une tradition. Si la subsidiarité signifie l'engrenage de mécanismes de gouvernement comme la négociation et la hiérarchie, le contrôle de l'Etat devient labile, car il s'agit de "partager ce contrôle" (Schneider et Kenis 1996) au service d'une meilleure réalisation politique. Un régulation-cadre avec la mise en service d'organisations privées signifie aussi que l'Etat et l'administration devront continuer à "penser démocratiquement" (Habermas 1992), même après que des décisions politiques et parlementaires aient été prises, ce qui remet en question la compréhension classique de la légitimation politique dans les démocraties de masse.

Cette nouvelle appréhension de la politique permet d'utiliser le concept de subsidiarité comme catégorie analytique et de le considérer sous l'angle de la théorie de l'agir et de la théorie de la démocratie. Ce concept souligne la transformation de l'agir étatique qui s'éloigne des mécanismes bureaucratiques pour se rapprocher de la régulation sociale. Les acteurs étatiques jouent plutôt le rôle de modérateurs (dans le double sens

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d'harmonisation et de modération des demandes de la société et de l'omnipotence de l'Etat), que celui de précepteur.

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