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Conclusions : étendre les concepts ou les multiplier ?

WINIGER, Bénédict

WINIGER, Bénédict. Conclusions : étendre les concepts ou les multiplier ? In: La

responsabilité fondée sur la confiance = Vertrauenshaftung. Zurich : Schulthess, 2001.

p. 193-200

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:42537

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Conclusions: Étendre les concepts ou les multiplier?

Bénédict Winiger*

"Wer fùhlt nicht, dass es hiereiner Schadenersatzklage bedarf?"1 C'est cette phrase de JHERING qui semble unir la doctrine suisse autour de la responsabi- lité fondée sur la confiance. Les juristes sont largement d'avis que les com- portements décrits dans les arrêts phares de la responsabilité fondée sur la confiance sont intolérables et ils saluent le résultat préconisé par le Tribunal fédéral notamment dans les arrêts Swissair et Gross en.

En revanche, ils sont divisés sur les moyens juridiques à employer pour atteindre leur but. Techniquement, le Tribunal fédéral avait le choix entre trois chemins: il pouvait attacher la responsabilité fondée sur la confiance au contrat, au délit ou créer une catégorie juridique sui generis. Les trois cas de figure auraient introduit des modifications dans 1 'ordre juridique, à savoir, notamment, soit une extension des notions de contrat, de délit ou de la bonne foi, soit la création d'une catégorie juridique intennédiaire.

1. Rappel historique

Ce choix entre extension de concepts existants et création de nouveaux con- cepts n'est évidemment pas nouveau. Déjà les juristes romains y étaient con- frontés notamment en matière de responsabilité civile. À la différence des juges du Tribunal fédéral, ils n'avaient pas à choisir entre un rattachement de l'action au domaine contractuel ou délictuel. C'estun problème connexe à celui-ci qui les occupait. Il s'agissait de déterminer pour certains cas limi- tes le moyen procédural applicable. Le texte de la lex Aquilia était fonnulé de manière très restrictive et ne visait que les dommages infligés par tuer, brûler, briser ou rompre. Comment faire alors en cas de dommages qui ne correspondaient au sens littéral d'aucun des quatre verbes? Par exemple, un tiers me bouscule et fait tomber ma bourse dans le Tibre, ou le four de la

Professeur à l'Université de Genève.

1 JHERING, Culpa, p. 5, BH p. 9.

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voisine posé contre un mur mitoyen risque, à l'avenir, de faire flamber ma paroi? Deux tendances se dégagent. Les uns privilégient le moyen tradition- nel, l'actio legis Aquiliae, dont ils étendent le champ d'application pour saisir aussi ces cas exorbitants. Les autres choisissent une action spécifique, par exemple une actio in factum, taillée sur mesure par le juge et fonnulée selon les particularités du cas d'espèce. Chacune des deux solutions a ses avantages et inconvénients. La première pennet de s'en tenir aux moyens procéduraux à disposition, mais elle contraint à une extension conceptuelle qui risque d'assouplir exagérément l'actio legis Aquiliae. La seconde garde intacte le champ d'application de l'actio legis Aquiliae, mais recourt à un moyen extérieur à la lex Aquilia pour atteindre le but visé. Les juristes de- vaient choisir entre deux maux qu'ils craignaient également: étendre ou mul- tiplier les concepts.

II. La cu/pa in contrahendo de

JHERING

Ce même dilemme tracassait aussi RudolfvonJHERING. Je demande à un ami de commander chez mon marchand de tabac 4 boîtes de cigares. Il s'y mé- prend et en commande 40 que je refuse à la livraison. Qui paie les frais de port et d' emballage2? Le contrat n'étant pas conclu, on ne peut, stricto sensu, pas appliquer les règles du contrat. En même temps, il n'y a pas de délit ou quasi-délit, à défaut de dol ou d'un dommage au sens de la lex Aquilia. Pour un rattachement au domaine délictuel /ato sensu, il faudrait admettre que n'importe quelle faute non contractuelle ouvre la voie à des dommages-inté- rêts. Or, une telle extension incontrôlée de la notion de faute effraie les juris- tes depuis des générations.

C'est à partir de ce problème que JHERING développe sa théorie de la culpa in contrahendo qui fournira au Tribunal fédéral, nous le verrons, la matrice théorique pour la responsabilité fondée sur la confiance. Tous les cas visés par la théorie de JHERING ont un point en commun: la faute a été commise in contrahendo, c'est-à-dire, au cours de négociations en vue d'un contrat. Elle conduit à une responsabilité seulement si elle a été commise lors des tractations et si, extérieurement, le contrat avait été conclu3 . JHERrNG limite le champ d'application de la faute en insistant sur le fait que, en de-

2 JHERJNG, Culpa, p. 5, BH p. 9.

3 " ... die cu/pa (wird) begangen bei Gelegenheit eines intendirten Contractverhiiltnisses,

der eine Theil ist dadurch in Schaden gerathen, dass er einen ihm vom andem proponirten und dem iiusseren Hergang nach zu Stande gekommenen Vertrag ausflihrte", JHERING,

Culpa, p. 8, BH p. Il; cf. aussi JHERJNG, Culpa, p. 26, BH p. 25.

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bors de ce rapport contractuel recherché par les parties, la faute n'a pas de portée juridique. Personne ne répondrait par exemple d'un simple renseigne- ment ou d'une information fournis au cours d'une conversation.

Mais, pourquoi étendre la faute contractuelle en dehors du contrat?

JHERING en donne deux raisons. De manière générale, c'est une question de justice et, peut-être même, d'équité. Plus particulièrement, le fait d'entrer en négociations avec autrui contraint à unediligentia positive4Manquer à celle- ci constitue une faute qui engage la responsabilité5De cette double considé- ration, JHERING tire le noyau de sa théorie:

"Le commandement de la diligentia contractuelle vaut aussi bien pour les rapports contractuels existants que pour ceux qui sont en train de naître. Sa violation fonde ici et là une action contractuelle en domrna- ges-intérêts."6

En d'autres termes, engager des négociations en vue d'un contrat fait naître entre les parties un rapport particulier qui mérite une protection particulière.

Restent essentiellement deux questions de qualification juridique.

D'abord, quelle est la nature du moyen de protection? La réponse est simple.

Les remèdes pour protéger le lésé sont tous empruntés à l'arsenal contrac- tuel. Ensuite, quelle est la nature juridique du lien entre les parties? À cette seconde question, J HERING ne donne pas de réponse claire, pas plus, du reste, que le Tribunal fédéral. Sur deux éléments de réponse, il y a pourtant une certitude. JHERING ne veut pas d'une catégorie intermédiaire entre le contrat et le délit, qualifiée d'irrégularitéjuridique1. Il s'oppose tout aussi ferme- ment, nous l'avons vu, à 1 'idée qu'il pourrait s'agir d'un délit, puisque ni les conditions du dol, ni celles de la loi aquilienne ne sont remplies.

Mais, en absence de contrat, il ne semble pas non plus vouloir envisager un lien contractuel à part entière. Son projet avoué est plutôt de ramener la cu/pa in contrahendo aux règles du contrat, mais sans lui reconnaître plei- nement un statut contractuel. En effet, dit JHERING, nous ne pouvons pas nous cacher que la prétention en dommages-intérêts est délibérément orien- tée vers le contratS.

4 JHERING, Culpa, p. 26, BH p. 25.

5 JHERING, Culpa, p. 41, BH p. 37.

6 JHERING, Culpa, p. 52, BH p. 45 (traduction B. W.).

7 JHERING, Culpa, p. 23, BH p. 23.

8 "Und in der That werden wir uns nicht verhehlen kônnen, dass derselbe (Anspruch, B.W) eine entscbiedene Richtung nach dieser (vertraglichen, B.W.) Seite hat", JHERING, Culpa, p. 26, BH p. 25.

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III.La solution préconisée par le Tribunal fédéral

1. Pour construire la responsabilité fondée sur la confiance, le Tribunal fédéral se ré fere largement à ce modèle de la cu/pa in contrahendo. En pre- mier lieu, il fallait un noyau conceptuel. À la place du rapport pré-contrac- tuel, le Tribunal fédéral mettra comme point central la confiance entre les parties. Au lieu de la faute, il retient une violation du principe de bonne foi.

On pourrait dire que le intendiertes Contractverhiiltnis, chez JHERING, le rapport contractuel projeté par les parties, sera remplacé, dans la responsa- bilité fondée sur la confiance, par un intendiertes Vertrauensverhiiltnis, un rapport de confiance visé par les parties. Dans la culpa in contrahendo, les deux parties cherchent à conclure un contrat. Par la faute d'une partie, le contrat ne sera pas valable. Dans la responsabilité· fondée sur la confiance, une des deux parties a eu, ou toléré de la part d'un tiers, un comportement qui a suscité de la confiance. La partie a par la suite déçu cette confiance en violation des règles de la bonne foi.

Le Tribunal fédéral souligne lui-même le lien entre les deux concepts, même s'il en donne deux descriptions différentes. D'une part, il dit de la cu/pa in contrahendo qu'elle n'est qu'un cas d'espèce de la responsabilité fondée sur la confiance9.

D'autre part, et pour démontrer ce rapport entre la culpa in contrahendo et la responsabilité fondée sur la confiance, le Tribunal fédéral construit une analogie entre les deux: la cu/pa in contrahendo est considérée comme une parmi d'autres formes de responsabilité. D'autres normes, qui ne relèvent pas de la culpa in contrahendo, mais qui lui sont comparables - le Tribunal fédéral parle de "wertmâssig vergleichbare Fiille" -, méritent également la protection par les règles de la responsabilité. L'un de ces càs est précisément la responsabilité fondée sur la confiance 10• L'élément commun qui permet

9 "Erwecktes Vertrauen in das Konzernverhalten der Muttergesellscbaft kann jedoch unter Umstanden auch bei Fehlen einer vertraglichen oder deliktischen Haftungsgrundlage haftungsbegründend sein. Das ergibt sicb aus einer Verallgemeinerung der Grundslitze über die Haftung aus culpa in contrahendo", ATF 120 II 331, c. 4 (arrêt Swissair). Voir aussi ATF 121 III 350, c. 6c.

10 "Wird, wie dies der bundesgerichtlichen Praxis ( ... ) sowie herrschender Lehre ( ... ) entspricht, die culpa in contrahendo ais besonderer Haftungstatbestand anerkannt, so darf in wertmâssig vergleichbaren Fâllen der haftpflichtrechtliche Schutz ebenfalls nicht versagt bleiben. Das der Culpa-Haftung zugrundeliegende, bestimmte gegenseitige Treue- pflichten der Partner begründende Vertragsverhandlungsverhliltnis ist ais Erscheinungs- form einer allgemeineren Rechtsfigur aufzufassen. lm Konzemverhâltnis kann das in die Vertrauens- und Kreditwürdigkeit des Konzerns erweckte Vertrauen ebenso schutzwür- dig sein wie dasjenige, das sich die Partner von Vertragsverhandlungen hinsichtlich der

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cette analogie est justement la confiance qui, dans les deux cas de figure, a été suscitée et ensuite déçue contrairement aux règles de la bonne foi.

2. Analysons maintenant les éléments principaux qui composent la res- ponsabilité fondée sur la confiance, ainsi que les techniques utilisées pour les développer. On constate que le Tribunal fédéral a recours à des moyens juri- diques classiques. Premièrement, prenons la notion de confiance. Elle est un concept largement utilisé par la jurisprudence, non seulement en rapport avec 1 'art. 2 CC, mais, de manière plus générale, comme un des éléments fondamentaux de notre ordre juridique.

Un deuxième point concerne la qualification juridique de la responsabi- lité fondée sur la confiance: contrat ou délit? Le Tribunal fédéral, nous 1 'avons dit, ne se prononce ni pour l'un, ni pour l'autre. Selon une critique abon- dante, il créerait ainsi le spectre d'une troisième voie, d'une catégorie sui generis. En cela non plus, le Tribunal fédéral n'emprunte pas de chemin inconnu. Depuis des années, la doctrine a eu le temps de s'accoutumer à une cu/pa in contrahendo qui n'est, apparemment, ni l'un ni l'autre, mais qui serait plutôt orientée vers le contrat.

L'expérience pratique avec la cu/pa in contrahendo montre que la troi- sième voie, entre le contrat et le délit, ne représente pas nécessairement un danger ni pour le contrat, ni pour l'acte illicite, mais permet peut-être, au contraire, de sauvegarder leur cohérence conceptuelle. Sur le plan dogmati- que non plus, le droit suisse ne s'oppose pas formellement à cette catégorie intermédiaire.

Troisièmement, la responsabilité fondée sur la confiance a pour particu- larité d'engager quelqu'un qui n'a pas ou pas nécessairement eu de contact avec l'ayant droit. Par exemple, Swissair n'a jamais négocié avec Wibru Holding AG, ni la Fédération suisse de lutte amateur avec Grossen. Ici non plus, le Tribunal fédéral n'invente pas de figures juridiques inconnues. L'art.

8 CO aussi engage le promettant envers le tiers, indépendamment d'un rap- port autre que la promesse publique.

En quatrième lieu et concernant la technique utilisée par le Tribunal fédéral, la généralisation d'un concept juridique et l'analogie sont bien sûr des figures classiques de raisonnement. Le juriste ne sera surpris ni par la

Richtigkeit, der Emsthaftigkeit und der Vollstiindigkeit ihrer gegenseitigen Erklarungen entgegenbringen. Wenn Erklarungen der Konzem-Muttergesellschaft bei Geschaftspart- nem der Tochtergesellscbaft in dieser Weise Vertrauen hervorrufen, so entsteht desha1b eine dem Vertragsverhand1ungsverhâltnis vergleichbare rechtliche Sonderverbindung, aus der sich auf Treu und Glauben beruhende Schutz- und Aufklarungspflichten ergeben."

ATF 120 II 331, c. 5.

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généralisation de la notion de confiance, par laquelle le Tribunal fédéral trouve un fondement commun à la cu/pa in contrahendo et la responsabilité fondée sur la confiance, ni par l'analogie entre les rapports de confiance qui nais- sent entre les parties11

IV. Commentaire

À notre avis, la responsabilité fondée sur la confiance n'est pas un corps étranger dans notre droit. Elle est construite à partir d'éléments largement commentés par la doctrine et testés dans la pratique. Néanmoins, elle nous lance un défi. Il sera notamment difficile de déterminer si le rapport de con- fiance a été suffisamment intense pour qu'une responsabilité naisse. Notons que ce même problème se pose également avec la cu/pa in contrahendo. Les parties ont-elles eu un rapport suffisamment étroit pour admettre une res- ponsabilité pré-contractuelle? La question, du reste, est bien sûr beaucoup plus vieille que la cu/pa in contrahendo elle-même. Grotius12 fait une ana- lyse nuancée des différents degrés de pollicitation et des conséquences juridi- ques y attachées. Une simple allusion à mes projets futurs éventuels, dit-il, ne me lie pas envers un tiers, ni une promesse dite imparfaite qui génère seulement une obligation morale. Seule une promesse parfaite, dans laquelle j'exprime ma volonté ferme de rn' engager, a des conséquences juridiques.

Sans doute, c'est cette évaluation de l'intensité des rapports de con- fiance entre les parties qui posera le plus grand problème au Tribunal fédé- ral. L'arrêtSwissair, qui admet pour la première fois ce type de responsabi- lité, affirme explicitement que les conditions d'application sont sévères13 •

Depuis, le Tribunal fédéral a eu le temps d'élaborer un petit catalogue de critères. Le comportement incriminé doit avoir suscité des attentes fondées qui, par la suite, ont été déçues en violation des règles de la bonne foi; il faut qu'il y ait entre les parties un "rapport spécial de confiance et de fidélité"14

11 Notons en passant que, avec l'analogie qu'il propose, le Tribunal fédéral ouvre une large brèche que la cu/pa in contrahendo ne couvre que partiellement, laissant de la place à d'autres formes d'extension de la responsabilité fondée sur la confiance. En effet, rien n'empêche que, en dehors de la cu/pa in contrahendo, d'autres cas de figure soient des "wertungsmlissig vergleichbare Fâlle" qui justifieraient d'autres formes de responsa- bilité.

12 GROTIUS, 2,11,2-4.

13 "Die Haftung aus erwecktem Konzemvertrauen ist allerdings- wie die Haftung aus culpa in contrahendo- an strenge Voraussetzungen zu knüpfen". ATF 120 II 331, c. 4.

14 ATF 121 III 350, c. 6c.

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qui suscite des attentes concrètes et déterminées15 concernant l'attitude fu- ture du responsable. La responsabilité fondée sur la confiance naît seule- ment en violation d'un devoir fondé sur un rapport de protection uniforme et protégeant, au-delà des parties à un contrat, tous ceux qui se trouvent à proximité. Dans les arrêts Swissair et Grossen, ce devoir était, pour Swissair et pour la société de lutte, de se conformer aux attentes créées auprès de Wibru, respectivement de Grossen. C'est Je fait de ne pas avoir rempli ce devoir qui engageait leur responsabilité. Le Tribunal fédéral s'est aussi ex- primé par rapport aux intentions du responsable. Il considère que l'acte non- conscient aussi peut engager la responsabilité fondée sur la confiance. Il suffit que le comportement soit normativement imputable16.

Outre l'évaluation de l'intensité et de la nature des rapports de con- fiance, qui contraint nos tribunaux à des délicates appréciations in concreto, et qui leur demandera une grande fermeté pour empêcher une épidémie procédurale, la notion de devoir nonnativement imputable exigera aussi toute l'attention de nos juges pour éviter que le devoir ne surgisse partout.

Sur le plan dogmatique, on peut regretter que la jurisprudence, et avec elle une grande partie de la doctrine, réfléchissent en termes de finalité de la loi. Si nous sentons, comme déjà JHERING par rapport à la culpa in contrahendo, qu'il faut intervenir dans les cas décrits, nous nous livrons à un mode de pensée téléologique qui, dans un système codifié, doit rester exceptionnel. Nous apportons de l'extérieur une appréciation et cherchons à construire un fondement légal. Or, la logique du code est précisément in- verse. Une application conforme nous contraindrait de chercher, par induc- tion, si le cas d'espèce tombe sous le coup de la loi, ou de montrer par déduction qu'une certaine norme permet de saisir tel et tel état de fait. Le raisonnement qui conduit à la responsabilité fondée sur la confiance heurte en principe le système codifié, parce que nous nous servons du code comme prétexte pour intervenir contre un état de fait que nous ne voulons pas laisser sans sanction.

En rapport avec ce point, la responsabilité fondée sur la confiance a suscité des réflexions concernant les lacunes de droit. Certains commenta- teurs pensent que les affaires Swissair et Grossen auraient pu être résolues avec les dispositions de la loi, en appliquant notamment l'art. 2 CC et l'art

15 ATF 1241II 297, c. 6a.

16 ATF n. p. du 28 janvier 2000, SJ 2000 549 ss.

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97 CO et, pour certains, l'art. 41 ss C017• D'autres envisagent l'art. 8 CO pour trancher l'affaire Grossen18. Dans sa jurisprudence portant sur la res- ponsabilité fondée sur la confiance, le Tribunal fédéral n'a, à notre connais- sance, pas abordé directement la question. Il pense apparemment que la loi comporte une lacune qui doit être comblée avec du droit prétorien19À dé- faut de lacunes proprement ou improprement dites, il semble considérer qu'il existe un "besoin clair de réglementation" ou une "évidente nécessité de com- pléter la loi"20. Toutefois, à ce jour il n'a pas développé de considérations qui montreraient cette "évidente nécessité".

Conceptuellement cohérente - et même belle - et construite à partir d'éléments et techniques largement éprouvés, la responsabilité fondée sur la confiance, nous semble-t-il, peut s'intégrer dans notre ordre juridique. Ma- niée avec prudence, elle constitue une des réponses possibles à une évolution notamment des structures économiques de notre société. Cependant, aucun des cas jugés aujourd'hui ne permet à nos yeux d'affirmer que la responsabi- lité fondée sur la confiance soit un moyen nécessaire, ni qu'elle soit le meilleur instrument pour atteindre le but désigné.

17 Voir notamment les contributions de Christine CHAPPUIS, Gilles PETITPIERRE et Luc

THÉVENOZ.

18 Voir la contribution de Bruno SCHMIDLIN.

19 Voir la contribution de Hans Peter WALTER, ch. IV.

20 Voir HAUSHBERIJAUN, Rechtsprechung, p. 407, article auquel H.P. WALTER renvoie dans la note 64 de son exposé.

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