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Migrations pendulaires et écologie humaine

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Academic year: 2022

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Migrations pendulaires et écologie humaine

RAFFESTIN, Claude

Abstract

L'auteur définit les migrations pendulaires (en Suisse est migrant pendulaire tout travailleur qui habite dans une commune et travaille dans une autre) et les situe dans leur contexte économique et écologique. II montre en particulier qu'elles peuvent provoquer chez ceux qui y sont soumis une fatigue physiologique accrue dont il serait souhaitable de tenter d'apprécier (par une étude médicale d'ensemble) la nature, les effets et la signification.

RAFFESTIN, Claude. Migrations pendulaires et écologie humaine. Médecine & Hygiène , 1978, vol. 36, no. 1306, p. 12-13

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:4310

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Migrations pendulaires et écologie humaine

par C. Raffestin (Genève)

L'auteur définit les migrations pendulaires (en Suisse est migrant pendulaire tout travailleur qui habite dans une commune et travaille dans une autre) et les situe dans leur contexte économique et écologique. II montre en particulier qu'elles peuvent provoquer chez ceux qui y sont soumis une fatigue physiologique accrue dont il serait souhaitable de tenter d'apprécier (par une étude médicale d'ensemble) la nature, les effets et la signification.

Depuis le XIXe siècle, c'est-à-dire depuis que les effets de la révolution industrielle se font sentir massivement, le territoire a connu de sensibles modifications qui s'expriment essentielle- ment dans les grands pays industriels par la concentration géographique des activités dans quelques nœuds urbains pri- vilégiés. En effet, là où les contextes socio-politique et socio- économique étaient favorables des centres de décision et de production se sont développés, se sont surdéveloppés même pourrait-on dire. Nous expliquerons ultérieurement le sens de ce «surdéveloppé» qui apparaît de prime abord comme un jugement de valeur non fondé.

En premier lieu, il faut essayer de comprendre comment le territoire est produit et, par conséquent, comment il change.

La production du territoire est le fait des acteurs individuels ou collectifs d'une société. L'Etat est un acteur important dans la production du territoire mais assez généralement au niveau des infrastructures: maillages régionaux, nœuds ou centres urbains, réseaux de transport pour les biens et les personnes, réseaux de distribution de l'énergie ou de l'information, etc.

Les acteurs économiques, qui utilisent les infrastructures exis- tantes ou en suscitent par leur présence, agissent de la même manière et produisent du «territoire» au sens propre du terme:

implanter une usine, ouvrir un centre commercial sont des actions qui investissent du travail dans un espace donné et par là même produisent du territoire. Cette production est donc une relation avec un espace donné à partir d'un système tech- nique, d'un système d'instrument et d'un système de codes.

Ces codes étant des principes économiques, sociaux, politi- ques, culturels, des comportements et des habitudes cristalli- sés par le temps dans un groupe social. On peut très simple- ment formuler la production du territoire de la manière sui- vante: ArE A étant l'acteur, r les systèmes technique, ins- trumental et les codes, E étant l'espace donné dans lequel se projette le travail de l'acteur. La résultante de ArE est donc le territoire (ArE —>T). Il est évident que cette formulation simplifie excessivement, outrageusement même, la production du territoire puisqu'elle est en fait la conséquence d'une mul- titude d'actions conjuguées ou non. Néanmoins le mécanisme reste valable.

La production territoriale depuis un siècle a utilisé des codes tels que la concentration et la spécialisation, la grande dimension et l'intégration verticale et/ou horizontale de manière à bénéficier d'économies d'agglomération et d'écono- mies externes. C'est assez dire que la production territoriale, comme n'importe quelle autre d'ailleurs, obéit à des objectifs et à des finalités précises. Il serait pour le moins naïf de penser que le territoire résulte «involontairement» des actions des acteurs. Le territoire est produit consciemment et volontaire- ment et par conséquent il détermine une consommation ou

«territorialité» bien spécifique.

Tout acteur est consommateur, il a donc une territorialité, mais tout acteur n'est pas nécessairement producteur. Dans une ville, nous sommes tous consommateurs des arrange- ments territoriaux même si nous n'avons pas participé directe- ment à leur aménagement, à leur organisation. La territoria- lité exprime les relations vécues entretenues avec le territoire.

D'une manière semblable à la formule servant à rendre la production du territoire, on peut formuler la territorialité:

A' r' (ArE) -^ Te. Dans ce cas, A' est un acteur individuel ou collectif tandis que r' représente essentiellement, sinon exclu- sivement, les comportements et les habitudes.

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Dans le cas présent, nous nous intéresserons surtout aux acteurs individuels qui, dans la relation lieu d'habitat-lieu de travail, sont contraints à des déplacements souvent considéra- bles. Ce sont les migrants pendulaires. Les migrations pendu- laires à gradient de travail sont quotidiennes. Rares, sinon inexistantes, pour la majorité des travailleurs dans la période pré-industrielle, les migrations pendulaires sont le fait de 25 à 40% en moyenne des travailleurs dans la période industrielle.

En Suisse, est considéré comme migrant pendulaire un tra- vailleur qui habite dans une commune et travaille dans une autre. C'est évidemment une définition commode mais qui n'est pas toujours significative pour apprécier la distance géo- graphique et surtout la distance-temps. En fait, c'est cette der- nière qui est surtout importante.

L'espace produit dans les pays industriels a favorisé l'aug- mentation des migrants pendulaires. Qu'est-ce à dire? D'une manière générale, la «consommation» de cet espace par les travailleurs nécessite de leur part une dépense de temps plus ou moins considérable. La territorialité imposée aux travail- leurs est dévoreuse de temps, dévoreuse de leur temps indivi- duel puisque ce temps est pris sur le temps hors-travail. Autre- ment dit, l'espace produit par les divers acteurs politiques et économiques tend à augmenter la dépense de temps pour accéder aux divers lieux de cet espace. Ainsi, la concentration, la spécialisation et la grande dimension qui représentent (ou mieux qui représentaient car on commence à les mettre en question) des avantages pour les acteurs-producteurs sont, en revanche, des désavantages individuels si l'on prend en compte le temps. Dans de nombreux cas, la relation lieu d'ha- bitat-lieu de travail est une relation dissymétrique puisque l'entreprise ne restitue pas le temps de transport que sa locali- sation provoque. Le travailleur fait don de ce temps sans con- trepartie. Si dans un pays comme la Suisse où les activités sont encore relativement dispersées, la dis tance-temps n'atteint pas les chiffres qu'on peut observer en France, en Allemagne ou en Italie, il n'y a pas de doute que les entreprises consomment un temps qu'elles ne paient pas. Il peut sembler mal venu de poser ce problème en période de chômage et pourtant c'est justement en cette période qu'il faut le poser car le risque que les migrations pendulaires augmentent est évidemment plus grand.

Une première conclusion s'impose. L'espace économique produit, en générant des temps de transport accrus, contraint les travailleurs à comprimer leur temps hors travail et par conséquent à appauvrir leur spectre relationnel quotidien.

Leur territorialité est modifiée dans un sens négatif si dans cette hypothèse la dépense supplémentaire de temps dans les transports se traduit par l'amputation de certaines relations sociales, politiques ou culturelles. On se rend compte que dans cette perspective l'autonomie de l'individu est réduite puisque faute de temps les choix se réduisent. C'est bien là un des paradoxes de notre société. En effet, le choix des possibili- tés augmente mais le temps pour choisir manque. L'auto- nomie, qui est sans doute un des objectifs de l'écologie humaine, peut être limitée par les ressources à disposition ou par le temps nécessaire pour consommer ces ressources. Nous sommes dans le deuxième cas, encore que l'allocation de temps puisse être assimilée à une ressource qui est, au départ, la même pour tous.

A cet égard, l'allocation de temps quotidienne donne lieu à un paradoxe dans la mesure où elle est la même pour tous (nous avons tous 24 heures à disposition) mais suivant le lieu où nous sommes, le statut socio-professionnel que nous avons ces 24 heures n'ont pas du tout la même signification. D'une manière générale, on peut dire que plus nous avons d'infor- mation et plus nous avons d'énergie à disposition plus nous pourrons économiser de temps. En effet, l'information permet de choisir plus efficacement et l'énergie permet d'épargner du temps. L'optimalisation du temps donne lieu à une combinai- son d'information et d'énergie.

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La concentration et la spécialisation dans la production du territoire déterminent, pour les consommateurs, des dépenses d'énergie considérables. Les migrations pendulaires dévorent non seulement le temps individuel mais dévorent encore de l'énergie. Il s'agit souvent d'une énergie non renouvelable.

Que l'on songe, un instant, à la consommation d'essence jour- nalière qui se fait dans une agglomération, même de moyenne importance, pour aller du lieu d'habitat au lieu de travail et aux émissions de polluants qui en résultent.

Par ailleurs, cette relation provoque chez ceux qui y sont soumis vraisemblablement une fatigue physiologique accrue.

Curieusement, alors que les migrations pendulaires ont aug- menté en Europe depuis 25 ans, on ne trouve aucune étude médicale d'ensemble pour tenter d'apprécier la nature, les effets et la signification de cette fatigue physiologique. Nous ne sommes pas médecin et il nous est par conséquent impos- sible d'apprécier les difficultés que présenterait une telle recherche. Impossible aussi d'en apprécier les éventuels résul- tats. Toutefois le caractère fondamental d'une telle recherche ne peut échapper à personne.

On notera, enfin, que pour les migrants pendulaires la pro- babilité d'un accident de la circulation est forte, tout au moins pour ceux qui utilisent un véhicule individuel. Elle est évi- demment beaucoup plus faible pour ceux qui utilisent les transports en commun tel que le train, par exemple. Il serait assez facile de vérifier cela, pour une agglomération, en colla- borant avec les entreprises.

Quoi qu'il en soit, la territorialité des migrants pendulaires peut être qualifiée de coûteuse à divers niveaux. Coûteuse en temps et en énergie, en tout cas, cette territorialité est donc en partie dissymétrique puisque les économies externes que font les entreprises par la concentration et la spécialisation territo- riales se traduisent par des déséconomies externes qui rejaillis- sent en grande partie sur les travailleurs.

A bien des égards, ce raisonnement peut paraître étrange et irrecevable même pour un économiste puisque la localisation et la dimension d'une entreprise résultent d'un calcul écono- mique et d'une fonction de production qui ne tiennent pas compte, du moins dans la plupart des cas, des effets sur l'envi- ronnement humain et sur l'environnement physique. Cela n'a rien d'étonnant car le raisonnement que nous avons fait n'est pas économique mais écologique. On peut se demander, dès lors, ce qui distingue un raisonnement économique classique d'un raisonnement écologique.

Le raisonnement économique s'efforce de déterminer la meilleure combinaison de facteurs de production pour parve- nir à la réalisation d'un bien ou d'un service au plus bas prix possible. Ce qui importe dans le raisonnement économique c'est le résultat immédiat, le bien ou le service qui doit être écoulé sur un marché si possible avec succès. A cette concep- tion, il n'y a rien à reprocher ou plutôt il n'y aurait rien à reprocher si les processus déclenchés pour parvenir au résultat étaient «innocents» et n'avaient aucun effet sur ce qui est exté- rieur à l'entreprise. Or, nous savons maintenant qu'il n'en est rien: les processus déclenchés ne sont pas innocents, ils sont

même souvent dangereux. Le raisonnement économique pri- vilégie l'information fonctionnelle c'est-à-dire celle qui per- met d'arriver à un résultat.

Le raisonnement écologique, lui, est moins préoccupé par le résultat que par les processus qui sont déclenchés pour parve- nir au résultat. Il intègre bien évidemment le raisonnement économique qui est premier et essentiel puisqu'il faut faire des combinaisons de facteur de production pour produire un bien qui satisfera un besoin mais en même temps il tiendra compte des effets des processus déclenchés. Le raisonnement écologique introduit la notion d'information régulatrice.

C'est-à-dire qu'au même titre qu'il y a un calcul économique, il y a un calcul écologique qui prend en compte les effets sur ce qui est extérieur à l'entreprise. L'information régulatrice doit s'efforcer de corriger l'aggressivité de l'information fonc- tionnelle par rapport à l'environnement humain et à l'envi- ronnement physique.

La société industrielle a surtout développé l'information fonctionnelle, celle qui permet de produire, d'accumuler; elle n'a que très peu développé l'information régulatrice celle qui permet de préserver, d'empêcher de détruire ou de nuire. Les deux types de raisonnement sont complémentaires et devraient être conduits simultanément. En général, ils sont conduits successivement, le second survenant parfois après un temps assez long lorsque les destructions provoquées par le premier sont évidentes et parfois irrémédiables.

Si l'on ne tient compte que de l'information fonctionnelle on aboutît à une croissance quantitative dont les coûts, on le sait parfaitement aujourd'hui, sont élevés. Tenir compte de l'information régulatrice, qui est en grande partie à élaborer, c'est entrer dans la croissance qualitative. Le développement des migrations pendulaires révèle parfaitement un type de croissance quantitative dans laquelle l'information régulatrice ne joue qu'un rôle faible. Le travail n'est pas un facteur de production comme les autres, n'en déplaise aux économistes, le travail est une énergie informée dont les hommes sont dépositaires et il importe de préserver ceux-ci en cherchant à leur assurer une territorialité aussi symétrique que possible, c'est-à-dire aussi peu coûteuse que possible. Il n'y a pas d'anti- nomie entre le raisonnement économique et le raisonnement écologique sinon sur un point c'est que le premier ne tient souvent compte que du court et du moyen termes alors que le second s'efforce d'introduire le long terme qui a beaucoup de peine à être perçu.

Mais n'est-ce pas pour avoir négligé le temps long que nous découvrons aujourd'hui l'ampleur des problèmes écologiques à résoudre?

Adresse de l'auteur: Centre universitaire d'écologie humaine et des sciences de l'environnement, Université de Genève, 1211 Genève 4.

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