Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 2 avril 2014 767 Cet homme de 68 ans, ingénieur, ma
rié, père de deux enfants, s’alimente correctement et effectue régulière
ment des marches en montagne ainsi que des voyages de plaisance à l’étranger.
Il reçoit une association de félodipine 5 mg et de métoprolol 50 mg (Logimax) en raison d’une hypertension artérielle (HTA). Il fume vingt cigarettes par jour et avoue quelques excès d’alcool.
En 1999, il a présenté une hémorragie digestive haute sur ulcère duodénal et, en 2005, une pancréatite aiguë.
A la fin de cette même année, il se plaint de lombalgies aiguës, sans notion de trau
matisme. Il est alors hospitalisé et l’on pose le diagnostic de fracture de L1 par tasse
ment. Les examens complémentaires per
mettent d’exclure une néoplasie mais ob
jectivent une ostéoporose avec un T score lombaire à 2,8.
Le patient est mis au bénéfice d’un traite
ment de calcitonine de saumon (Miacalcic) à raison de 200 U par jour, puis d’alendro
nate (Fosamax) 70 mg par semaine asso
cié à une combinaison de vitamine D3 et de calcium (Calcimagon D3) 800 U/1000 mg.
Dès juillet de l’année suivante, l’alendronate PO est remplacé par une injection IV d’aci
de ibandronique (Bonviva) tous les trois mois.
Par la suite, le patient ne consomme pres
que plus d’alcool mais fume toujours vingt cigarettes par jour. Son apport en calcium alimentaire est estimé à 500 mg par jour.
Sur une radiographie lombaire de contrôle
Fractures ostéoporotiques : pas seulement chez les
femmes
court-circuit
G. Abetel S. Ferrari
Dr Gilbert Abetel FMH Médecine interne Place du Marché 6 1350 Orbe Pr Serge Ferrari FMH médecine interne Service des maladies osseuses Département des spécialités de médecine interne
HUG, 1211 Genève 14
Coordination rédactionnelle Dr Pierre-Alain Plan
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1 Propeptide N-terminal du procollagène de type I.
2 Marqueurs du turnover osseux.
effectuée en août 2006, le plateau supé
rieur de L1 apparaît entièrement écrasé et la vertèbre ne mesure plus que 0,5 cm de hauteur, évoquant un tassement secondaire.
Un enfoncement, nouveau, du plateau su
périeur de L5 est de plus découvert lors du CTscan effectué les jours suivants.
Début 2010, les injections trimestrielles de Bonviva (qui ne sont plus reconnues comme traitement de l’ostéoporose chez l’homme) sont remplacées par une injec
tion annuelle de 5 mg d’acide zolédronique (Aclasta). En raison d’une réponse insatisfai
sante au traitement, l’HTA traitée par Exforge HCT (amlodipine 10 mg/valsartan 160 mg/
hydrochlorothiazide 12,5 mg), et des épi
sodes de tachycardie sont contrôlés par 100 mg/jour de métoprolol.
A l’examen clinique, le patient pèse 71,3 kg pour 179 cm (il a perdu trois centimètres en cinq ans). La TAH est à 140/80 mmHg, l’auscultation cardiaque sans particularité et toutes les artères périphériques sont bien pulsatiles. L’auscultation pulmonaire révèle quelques râles et sibilances.
Début novembre de la même année, le patient ressent un craquement, accompagné d’une violente douleur lombaire, alors qu’il soulève une personne inconsciente dans un escalier. Il est alors hospitalisé et l’on diagnostique une fracture par écrasement de L3, qui sera traitée par cimentoplasie et corset.
Le patient est ensuite adressé à la con
sultation spécialisée du CHUV où un traite
ment de tériparatide (Forsteo : analogue de la parathormone) est instauré.
questions au spécialiste Aurait-il été possible d’éviter la secon- de fracture ?
Hormis le traitement initial de calcitonine, dont les effets sur les fractures sont limités, et qui a été récemment retiré du marché pour le traitement de l’ostéoporose en rai
son d’une augmentation possible du risque de cancer, notamment prostatique, tous les autres traitements reçus par ce patient ont montré qu’ils diminuent l’incidence de nou
velles fractures vertébrales de 50 à 70%
chez les femmes ménopausées. Ils augmen
tent la densité minérale osseuse chez l’hom
me dans les mêmes proportions que chez la femme, sauf le Bonviva, qui n’est pas indi
qué pour le traitement de l’ostéoporose mas
culine. De plus, il a été récemment montré que le zolédronate diminue de 67% les frac
tures vertébrales chez l’homme.
Cela dit, étant donné l’aggravation de la première fracture chez ce patient, on aurait pu introduire le Forsteo plus tôt, puisqu’à l’époque, le remboursement du traitement suite à des fractures vertébrales survenues après un traitement d’au moins six mois par inhibiteurs de la résorption osseuse avait déjà été obtenu.
Quelle est l’importance des mar- queurs biologiques et du remodela ge osseux (vitamine D, P1NP,1 bêta-cross- laps2) pour le suivi de tels patients ? Lesquels faut-il mesurer, à quel in- tervalle, et dans quelles conditions doivent s’effectuer les prélèvements pour assurer des résultats valides ? Les résultats des dosages des mar- queurs du turnover osseux sont-ils comparables et reproductibles d’un laboratoire à l’autre ?
Le dosage de la 25OHvitamine D est utile chez des personnes à haut risque d’hypovitaminose D sévère, telles que les patients âgés, en mauvaise santé ou obèses, ainsi que ceux présentant une fracture de fragilité, afin d’adapter la posologie d’admi
nistration de la vitamine D.
La valeur pronostique des marqueurs du remodelage osseux (P1NP ; crosslaps) sur le risque de fracture chez l’homme reste dis
cutée. En revanche, lors d’un traitement par inhibiteurs de la résorption osseuse, tels que les bisphosphonates, un dosage après trois mois d’administration permet d’évaluer la compliance et l’efficacité pharmacologi
que. Dans ce cas, il faut toujours effectuer le prélèvement sanguin le matin et à jeun.
En cas de dosages répétés, il est important de les envoyer au même laboratoire afin de minimiser la variabilité des résultats.
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Bibliographie
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• Rizzoli R, Kraenzlin M, Krieg MA, et al. Indications to teriparatide treatment in patients with osteopo- rosis. Swiss Med Wkly 2011;141:w13297.
Soumettez un cas
Interrogez le spécialiste de votre choix. Posezlui des questions directement en lien avec un problème de médecine de premier recours auquel vous avez été confronté.
Des informations complémentaires concernant la rubrique sont disponibles sur le site de la Revue Médicale Suisse (http://rms.medhyg.ch/courtcircuit.pdf) Envoi des textes à : redac@revmed.ch (avec mention «rubrique courtcircuit»)
Comité de lecture : Dr Gilbert Abetel, Orbe ; Dr Patrick Bovier, Lausanne ; Dr Vincent Guggi, Payerne ; Dr Philippe Hungerbühler, YverdonlesBains ; Dr Ivan Nemitz, EstavayerleLac ; Dr PierreAlain Plan, Grandson
Que peut-on espérer du tériparatide et quelles sont les précautions à prendre pour prévenir de nouvelles fractures ?
Le tériparatide étant un traitement stimu
lant la formation osseuse, il est vrai que ses effets tant sur la densité minérale osseuse que sur l’amélioration de la résistance ver
tébrale aux fractures sont supérieurs à n’importe quel inhibiteur de la résorption osseuse. Mais la durée de ce traitement est limitée à deux ans, et même ainsi, il reste bien difficile de «guérir» une ostéoporose sévère. Il faut donc également recommander aux patients d’éviter de soumettre leur co
lonne vertébrale à de trop fortes pressions, par exemple en soulevant des poids et, bien entendu, prévenir les chutes.
Les anticorps anti-rank-ligand au- raient-ils une place dans cette situa- tion ? Si non, quelle est leur indica- tion ?
S’il s’agissait d’une femme ménopausée ou d’un homme présentant un hypogona
disme suite au traitement d’un cancer de la prostate, l’indication à ce type de traitement serait clairement posée. Néanmoins, contrai
rement à la situation qui prévaut aux Etats
Unis, le dénosumab (Prolia) n’est pas en
core approuvé en Suisse pour le traitement de l’ostéoporose masculine.
Globalement, il n’y a pas d’évidence que l’efficacité des traitements de l’ostéoporose soit différente entre les sexes, mais des li
mitations d’emploi, telles que mentionnées cidessus, existent pour certains médica
ments.
Quelle est la différence d’incidence de l’ostéoporose chez l’homme et la femme ? Les causes sont-elles diffé- rentes ? L’efficacité des médicaments varie-t-elle selon le sexe ?
Le risque de fractures ostéoporotiques chez l’homme est d’environ la moitié de ce
lui observé chez la femme (soit 25% vs 50%
après l’âge de 50 ans), ce qui reste subs
tantiel.
La principale différence entre les deux sexes tient à la déprivation estrogénique qui, chez la femme ménopausée, est le méca
nisme majeur de la perte osseuse accélé
rée, mécanisme que l’on n’observe pas chez l’homme. Toutefois, l’incidence des fractu res, notamment au niveau des vertèbres et des hanches, augmente elle aussi exponentiel
lement chez l’homme âgé.
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