G. K REWERAS
Les décisions collectives
Mathématiques et sciences humaines, tome 2 (1963), p. 25-35
<http://www.numdam.org/item?id=MSH_1963__2__25_0>
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G. KREWERAS
LES DECISIONS COLLECTIVES
La façon dont les collectivités, les assemblées prennent des décisions
ou émettent des opinions es t souvent une ~ cause d’étonnement, voire de scan- dale, pour les esprits "rationnels" : n’arrive-t-il pas fréquemment qu’une
assemblée se déjuge, vote des motions contradictoires ?
Ce caractère d’irrationalité qui semble inhérent aux opinions collecti-
ves peut être lié à la procédure utilisée pour former l’opinion collective à partir des opinions individuelles; et Condorcet qa montré qu’en effet, la précédure majoritaire pouvait
conduire
à des contradictions du type "x préfé-rable, à y, y p.,référable à z, et cependant z préférable à x" dans l’opinion émise par une assemblée.
En fait, le résultat capital démontré par Ku J. Arrow, c’est que souve- raineté (droit d’émettre n’importe quelle opinion) et une certaine forme de cohérence, ou de loyauté, vis à vis des opinions émises sont incompatibles lorsqu’il
s’agit
d’opinions collectives: aucune procédure de vote, aucunerègle
(y compris celle qui consiste à ne pas avoir de règle) ne permet à l’opinion collective de satisfaire simultanément et en toute circonstances à deux exigences.Arrow nous renvoie donc aux opinions individuelles comme étant les seu-
les qui soient susceptibles de "rationalité": mais est-il bien vrai que les opinions
individuelles
soient elles-mêmes exemptes de contradiction ? La question mérite que l’on y regarde de près; aussi M. G. Kreweras, avant denous introduire dans les paradoxes de la logique des opinions collectives
nous fQttrnit-il dans la première partie de son article, des raisons de con-
firmer notre croyance en la rationalité des décisions individuelles en mon-
trant que celle--ci équivaut à des hypothèses très naturelles, et très pauvres, sur le mécanisme des choix.
if. o BARBUT .
1. PREFERENCES INDIVIDUELLES
Les verbes "décider" et "choisir" sont presque synonymes; ils seront regar- dés comme tels dans ce
qui
suit.’
Choisir c’est ne
prendre (ou n’adopter) qu’une artie
de cequi
nous estoffert. C’est
donc,
y si l’on nous offreA ,
y neprendre qu’une partie
de A .Formalisation naturelle: Si A est lui-même une
partie,
nonvide,
d’un en- semble D(A E~(~~ -~0J ,
unerègle
de choix cp consiste à fairecorrespondre
à Aun B incrus dans
A,
B n’étant pas vide nonplus :
’Nous
appellerons
doncrègle
de choix dans Q touteapplication deg(ç2) - 0
dans
lui-même,
y telle que :cp
(A)
pour toutepartie
A et nous demanderons en outrequ’elle
satis-fasse à
l’exigence
suivante :Ceci
signifie
que si l’on nous offrait un"éventail" plus
restreint maiscomprenant
encore unPpartie
au moins de ce que nous avonschoisi,
c’est danscette même
partie
que nous choisirons.En
désignant
par a et b des élémentsde Q ~
écrivons enabrégé aRb
l’hypothèse
que Ir %et montrons que l’on définit ainsi sur D une relation de
prë ordre complet.
Eneffet :
’
1 e)
Larelation
estcom lète,
car cpa, b
nepeut
êtreque {a}
oub
oula, b?;
dans lepremier
cas on aaRb,
dans le secondbRa,
et dans le troisiè-me aRb et bRa à la fois.
2° )
La relation est réflexive(aRa),
car a E ça, a (= cp{a}).
3°)
La relation est transitive. Pour l’établir supposons que l’on ait. r
avec a, b et c
distincts,
et montronsqu’alors
a Eci-
Considérons pour celacp ~a, b, ci
Si l’on avait~p ~a, b, c) =
y onaurait,
en vertu del’exigence I,
cp(b, c - { c ,
contrairement à1 ’hypothèse
que bE y b, ci .
Si1’on avait
cp a, b, e = tb)
ou(b, ci
onaurait, toujours
en vertude I,
cp
la, b} _ ~ b ,
contrairement àl’hypothèse
que a Ecp a, b) »
Doncet par
conséquent,
en vertu deI,
a Ecpta, c .
Le
préordre complet
ainsi définicorrespond
à cequi
est communémentappelé ordre
depréférence;
le cas oùcp (A) -
Acorrespond
à la notion d’indifférence entreles
éléments deÂ. ("ex-aequo")..
i
Si l’on ne veut pas admettre
lindifférence,
il faut supposer que cp(A)
secompose, y
quel
que soitA,
d’un seul élément deA ;
celapermet
de se contenterd’un énoncé
simplifié
de 1’axiomeI, qui
devientLa relation de
préférence
aRb est alors en outreantisymétrique (aRb
etbRa - a =
b).
On dit aussi dans ce cas que l’ordre depréférence
est un ordrestrict,
et aRbsignifie
"a estpréféré
à b"»Dénombrement.
Si
le cardinal de D. est w, le nombre d’ordres stricts est w ! - 1 x 2 x 3 x . ,:. x w . Le nombre depréordres complets Pw
est naturelle- mentplus
élevé: la suite desPw peut
se former deproche
enproche
par le pro-cédé
suivant, qui
ï fai.t les nombres b ixi om 1 a ux( 11 ) (nombre
dede n déments dans
G ) :
On
peut
montrerqu’une
très bonneapproximation
de sfiobtient en ffil.!l t!-pliant
w’- par la moitié de la(ùo+1)-ième
dulogarithme
binaire dee
(lequel
est voisin de 1442).
Tabl eau 6 :Dans la
suite,
poursimplifier,
il ne serapratiquement plus question
que des ordres stricts.Il. CHOIX MAJORITAIRES : L’EFFET CONDORCET
Soit V un ensemble dlii-idividus
(ou "votants"),
de cardinal v, et soienta et b deux
options (éléments
deD),
que l’on suppose offertes àchaque
va.tant.
La
logique
fnrmolle intéresse essentiellement auxpropositions
telles que les
suivantes (ou
leursriigations) :
( i l
existe au inoins un votantqui. préfère
a àb) (tau;:.;
tes votantspréfèrent
a àb).
La vie sociale
oblige
àprêter
attention aux éventualitésqui permettront
t chdonner un sens à des
propositions
t.elles que "la collectivitépréfère
a >1 cela à dps conditions ivpsqiie 3
mai s moins restrictives queY.
La convention la
pLus
ancienne et laplus
naturelLe consiste à !aproposition
entreguillemets
comme synonymie de y a dans Vplus préférant
a à b que d ’ individuspréférant
b à a".Exemple:
Si les ord
on voit que, au sens convenu, y la collectivité
adopte
l’ordre(strict)
depréfé-
rence
bac,
ypuisque
b estpréféré
à a par 67 contre33,
y a estpréféré
àc par
51
contre49,
y et b estpréféré
à c par 63 contre37..
Condorcet a attiré l t attention sur un fait
d~aspect paradoxal,
à savoir que larègle
demajorité
ne donne pas nécessairement naissance à un ordre depréfé-
rence collectifs Il en donne
l’exemple
suivant :’
,
Ordres de
préférence
individuels:..
La
collectivité,
y dans ce cas, ypréfère
La
préférence
collective définie par lamajorité
n ~ est donc pastoujours transitive,
c’est-à-dire nepermet
pastoujours
le choixcollectif,
du moins sil’on soumet celui-ci aux mêmes
exigences logiques
que le choix individuel.Fréquence.
Laconstatation
de cet effet Condorcet metparfois
certains mal à l’aise vis-à-vis du"principe démocratique".
Uneconsolation pourrait
être re-cherchée dans un dénombrement établissant que l’effet Condorcet est "rare".
Une
description complète
de toutes les"opinions" (c’est-à-dire
des ordresde
préférence)
individuellesexige
laspécification,
pourchaque votant,
de l’or-dre de
préférence qui
est le sien. C’est donc uneapplication
de V dans l’en- semble des w! ordrespossibles,
et il existe(w!)v
tellesapplications.
La"fréquence"
est mesurée par laproportion
d1entre ellesqui produisent
l’effetCondorcet
Si w =
3,
ce dénombrementdonne,
pour lespremières
valeursimpaires
de v(on
a exclu lespaires
pourn’avoir jamais d’ex-aequo) :
et l’on
peut
démontrer que, y si vaugmente indéfiniment,
y lafréquence
nedépasse jamais 8,8 ~~
Ce résultat
peut paraître
rassurant. Malheureusement si l’on laisse au con- traire v fixe et que l’onaugmente
w , non seulement lafréquence
croît nette-ment
plus
vite(elle dépasse déjà 17 %
pour v = 3 et 0 =4)
mais il est aisé demontrer
qu’elle
tend vers 100%.
!!!. LE THEOREME D’ARROW
(forme simplifiée)
Puisque
larègle majoritaire peut
mettre en défaut lalogique
duchoix,
ily a lieu de rechercher si l’on
pourrait
y substituer d’autresrègles, qui lais’
seraient cette
logique
intacte.Kenneth Arrow a
établi,
que, sous des conditionsqui paraissent
aller desoi,
les seulesrègles possibles
sont d’untype
nonplus démocratique
mais dic-tatorial ~
Enoncé. La
règle
recherchée(appelons-la f)
doit fairecorrespondre
à n’im-porte lequel
dessystèmes
d’ordres depréférences
individuels ou "états del’opinion"
l’un des w ! ordres depréférences possibles, qui
sera alors ré-puté
l’ordre collectif : °/ tBv
Notons en
passant qu’il
y a ariori (w! ) (00 ! ) v
règles possibles.
Commenous supposerons
(hypothèse essentielle)
que00 ~3,
et aussi quev > 2 (sans quoi
iln’y
aurait pas de-problème) ,
y il nous faut chercherf,
dans leplus
sim-ple possible
de tous les cas, yparmi 636 règles
concevables(636
= nombre de 29chiffres).
Nous demanderons à la
règle
f de satisfaire aux deuxexigences l’axiomes")
suivantes :
I. -
Souve ra de 1 a col léctivite
£ larègle
ne doit exclure apriori
au-cun ordre de
préférence collectif;
en d’autres termesl’application
cherchée doitêtre
surj
‘II. -
Loyauté Vis-à-vis des individus:
i sile jeu
de larègle
àpartir
d’funcertain état de
l’opinion
conduit à ce que la collectivitépréfère
x à y, et si dans un nouvel état tous ceuxqui
individuellementpréféraient
x à y continuent à faire demême,
y alors lejeu
de larègle
àpartir
de ce nouvel état doit encoreconduire la collectivité à
préférer
x à y »Ce
qu’énonce
lethéorème,
y c’est que les seulesrègles
satisfaisant à cesdeux axiomes sont celles
(il
y en a exactementv) qui
consistent àprivilégier
unindividu
particulier
en définissant lespréférences
collectives comme étantpré-
cisément celles de cet
individu,
y sans tenir aucuncompte
des autres.Démonstration
Nous
utiliserons,
y pourdésigner
enabrégé
les "états del’opinion",
y des let-tres p ,
parfois accentuées,
et nous noteronsE p(xy)
l’ensemble des individusqui,
y dans 1.’étant p del’opinion, préfèrent
x à y. On a évidemment* Note : une
fonction,
ouapplication,
d’un ensemble A à un ensemble B est ditesurjective
sichaque
élément de B estimage
par cette fonction d’au moins unélément de A.
En
effet,
pourchaquè
état p del’opinion,
les votantspeuvent
êtreparta- gés
en deux classes: ceuxqui préfèrent
x à y, et ceuxqui préfèrent
y à x.Les deux axiomes
peuvent
ainsi s’écrire :(La notation
x R ysignifie
que, dans l’ordre depréférence R,
x est avanty ; si R = f
(p), xf(p)y
se lit parconséquent:
dans l’ordre depréférence
col-lectif
correspondant
à l’état p del’opinion,
x est avanty ) .
Appelons "groupement"
toutepartie
non vide deV ;
il y a2v - 1
groupe-ments.
La
règle
f étantsupposée
choisie conformément auxaxiomes,
convenons dedire
qu’un groupement
D est "décisif pour lapréférence xy " si,
pour un p tel queD,
on ax.f(p).y.
Si nous disons dans ce cas que D est "décisif" pour la
préférence
xy, c’est parce que, yd’après
l’axiomeII,
y pour toute modification de l’état del’opi-
nion dans
laquelle
les membres dugroupement
D restent unanimes àpréférer
x à y,on aura
toujours
x avant y dans l’ordre depréférence
collectif donné par larègle;
l’accord des membres de D suffit donc àimposer
lapréférence
x y . Nous allons montrer successivement :(A)
que V est ungroupement
décisif pourn’importe quelle préférence;
(B)
que toutgroupement
décisif pour unepréférence particulière quelconque
estdécisif pour
n’importe quelle préférence,
Ctest-à-dire constitue un"noyau dictatorial";
;(C)
que pour toutepartition
de V en deuxgroupements,
l’un de ceux-ci est né- cessairement un noyaudictatorial;
(D)
quepour
toutepartition
d~un noyau dictatorial en deuxgroupements,
y l’un deceux-ci est encore un noyau
dictatorial;
d’où il résultera que tout noyau dictatorialpeut
être amenuiséprogressivement jusqu’à
neplus pouvoir
êtrepartitiarmé en deux,
c’ est-à-dire à être un dictateur individuel.(A)
Si V n’était non-décisif pour une certainepréférence ab,
soit p o un état tel queV ;
on aurait alorsb. f (po ) . a
etEp,(ba) = 0 .
N’ importe quel
état p étant tel queEp(ba) J Epo (ba) ,
1"axiome II entraîneque V p , b.f(p).a ;
mais ceci estincompatible
avec l’axiomeI, qui exige
que toutR,
notamment un R tel queaRb,
soit unf(p).
En d’autrestermes,
l’unanimité esttoujours
décisive. 1(B)
Soit D ungroupement
décisif pour unepréférence particulière
ab.Supposons
D 4
V(sans quoi
laproposition
aainoncée seraitdéjà
contenue dans laproposition
(A) ) ,
et considérons un étatp’
tel queSi
f(p’) = R,
on a aRbpuisque
D est décisif pourab,
et bRxpuisque
l’una-nimité est
toujours
décisive en vertu de(A).
DoncaRx, puisque
R est une rela-tion d’ordre. Mais
Ept(ax) = D,
donc D est décisif pour ax.De "D décisif pour ab" on a déduit "D décisif pour ax
quel
que soit x".Sy- métriquement,
de "D décisif pour ab" onpeut
déduire "D décisif pouryb quel
quesoit
y".
Cela veut dire que, en
représentant
lesw (w-1 ) préférences
binaires conce-vables en un tableau carré
privé
de sadiagonale,
onpeut
conclure d’une caseparticulière quelconque
à toutes les cases de saligne
et de sa
colonne;
lafigure
ci-contre montre commentces conclusions s’enchaînent par
étapes
numérotées àpartir
del’hypothèse
initiale H.D est donc bien un noyau dictatorial.
(C)
V étantpartitionné
d’une manièrequelconque
en deuxgroupements
V’ etVit,
considérons un état p tel queEp(ab) =
Vu etEp(ba) =
V". On a soita.f(p).b,
soitb.f(p).a.
Dans lepremier
cas c’est Vuqui
est décisif pourab,
dans le second c’est V"qui
est décisif pour ba. En vertu de(B),
soitVI soit V" est donc un noyau dictatorial.
(D)
Soit D un noyaudictatorial,
parhypothèse
non réduit à un dictateur indivi- duel. Partitionnons D arbitrairement en deuxgroupements
D’ etD",
et consi-dérons un état p tel que
Si
f(p) = R,
on a aRbpuisque E (ab) =
D et que D est dictatorial. Maispuisque
R est un ordre et queaRb,
y ondoit
nécessairement avoir aRc ou cRb. Dans lepremier
cas D’ est décisif pour ac(puisque Ep(ac) = D’ )
et dans le second D"est décisif pour cb
(puisque Ep(cb) == D"). Donc,
de D’ etD",
l’un est nécessai-rement un noyau
dictatorial;
et l’onconclut ainsi
deproche
enproche
à l’exis-tence d’un dictateur individuel 8, y c’est-à-dire d’un individu tel que tout état p
correspondant
pour cet individu à un ordre individuelR g
donne comme ordre col- lectifprécisément Rg.
Le théorème démontré par Arrow
porte
en réalité non sur les ordres stricts mais sur lespréordres complets,
seshypothèses
et ses conclusions sont un peuplus complexes
que cellesindiquées
ci-dessus. Maisl’impression qu’il dégage
estaussi
affligeante:
non seulement la démocratiemajoritaire,
comme l’avait notéCondorcet,
ne conserve pastoujours
lalogique
duchoix,
mais seule la dictatureparaît
la conserver.I V - LE THEOREME DE BLACK
En
appelant !R.,
l’ensemble desopinions
individuellesconcevables,
y Condor- cet et Arrow ont en fait cherché àa li uer
la"puissance
v-ième cartésienne"de ôà, qu’on peut
noter surQ
lui«ême. Condorcet a en fait montré que la démocratiemajoritaire
était uneexigence trop
forte pourcela;
etArrow,
mê-me en affaiblissant cette
exigence,
a établi un résultat irritant.Pour
échapper
aux conclusionsd’Arrow,
il est naturel de chercher à modifier lalogique
même du choixindividuel,
y c’est-à-dire dechanger
la définitionde,,%
Un moyen
simple (encore
que peusatisfaisant)
estd’élargir 14.
Un ordre individuel R
sur Q
=a, b,
c,...) peut
en effet être regar-dé comme un
système
deréponses
par oui ounon.(ou
si l’on veut par + ou-)
à(((2013 ) questions
dutype "pre*férez-vous
b à a"?tipréf
érez-vous c à alt ?00(0);1) questions
dutype "préférez-vous
b àa" ? ,
y"préférez-vous
c àa .,etc..
Nous savons que, y
parmi
les 2.
r
Ystèmés
deréponses possibles, !
t seule-ment constituent des
ordres;
les autressystèmes
deréponses
sont interdits commecontraires à la
logique
usuelle duchoix,
et d’ailleurs lespourcentages
d’inter-diction tendent
rapidement
vers100 % quand
waugmente :
Lever ces interdictions est un moyen radical
d’élargir 0
Plus rien n’in- terdit alors la démocratiemajoritaire (du
moins si v estimpair).,
mais pour obtenir que le verbe "choisir"garde
le même sens pour les individus et pour lacollectivité,
on l’a pour ainsi dire vidé de touteespèce
de sens.Une autre idée est non
plus d’élargir,
mais de rétrécir~,
en excluant apriori
certains ordres depréférence (individuels
oucollectifs)
comme inadmis-sibles.
Supposons qu’au
sein de Q il existequelque
"ordresous-jacent",
reconnucomme tel par tous les
votants,
y etqui
"conditionne" leurspréférences. Pratique-
ment cela
peut
être parexemple
l’ordre croissant pour le montant d’unbudget
àallouer,
y d’un taux àfixer,
ou encore un ordre défini par des notionsplus
vagues de droite ou degauche politiques,
y etc.. Nous conviendronsd’adopter
pour cet or- dresous-jacent
l’ordrealphabétique.
Nous
imposerons
alors aux ordres depréférence (individuels
oucollectifs) l’unique
conditionsuivante;
enappelant
parexemple
h l’élémentde Q placé
en tête de l’ordre de
préférence,
de deux élémentsquelconques
situés du même côté de hdans
l’ordrealphabétique,
leplus éloigné de
h dansl’alphabet
de-vra aussi être le
plus éloigné
de h dans l’ordre depréférence (c’est-à-dire
le"moins bien
classé"). Appelons
cette condition "la condition de Black".Les ordres de
préférence
"blackiens" sont aisés à dénombrer par reconstitu- tion àpartir
de la queue:l’option
la moins bien classée est nécessairement oua ou z
(si 0
estl’alphabet entier);
immédiatement avantelle,
se classe dans lepremier
cas ou b ou z, dans le second ou a ou y ; et ainsi de suite enremontant,
par dichotomie entre lapremière
et la dernière(dans
l’ordre sous-jacent)
desoptions
non encore classées~Quand
on a classé ainsioptions,
il ne reste
plus
que "lapréférée";
on a donc2w-1 manières
de définir un ordreblackien«
La restriction devient
rapidement
sévèrequand augmente:
Mais le résultat en est de restituer une de ses
dignités
auprincipe
démo-cratique :
parcomposition majoritaire
de v ordres blackiens(v
étantimpair),
yon trouve bien un
ordre,
et cet ordre estégalement
blackien.Pour en voir la raison
(sans
formalisercomplètement
ladémonstration,
onpeut imaginer chaque
individu de V on poseles (J) ~2013- questions
relativesà ses
préférences
binaires à l’aide d’unegrille triangulaire
telle que la sui-vante,
où ladisposition
desquestions
tientcompte
de l’ordresous-jacent (alpha- bétique ; figure
pour w =7).
La condition de
Black,
comme il est aisé de s’en rendrecompte,
y revient àdire que toute
réponse
+(oui)
dans une case doit entraîner uneréponse
+dans sa voisine de
droite,
y et que touteréponse - (non)
dans une case doit en-tratner une
réponse -
dans sa voisine dudessus; moyennant quoi
il existe néces- sairement uneligne-frontière,
dutype
de cellereprésentée
en gras, y en haut et àgauche
delaquelle
iln’y
aura que desréponses
-, et en bas et à droite de la-quelle
iln’y
aura que desréponses
+.(Dans l’exemple
de lafigure l’ordre
despréférences est edfcbga).
Mais il suffitd’ imaginer
que tous les individus de V inscrivent leursréponses
dans la mêmegrille
pour voir que lesmajorités
de +vont elles aussi avoir des
majorités
+ pour voisines dedroite,
y et que les ma-jorités
de - vont elles aussi avoir desmajorités
de - pour voisines du des- sus ; cequi
conduira à un ordre blackien pour lesmajorités
V.
REMARQUE
SUR LES PROCEDURESUn
inconvénient, quelquefois porté
aucompte
de l’effetCondorcet,
consisteen ce
qu’il permet, lorsque
lesopinions
individuelles sont distribuées de ma-nière à le
produire,
y de mettre le résultat final sous ladépendance
de celuiqui
est maître de la
procédure,.
Ainsi,
y supposons que le"président",
yqui
fixe "l’ordre dujour",
sache(ou suppute) qu’il
y aura desmajorités
pourpréférer
a àb, b à c,
et c à a.Si son propre désir est de faire élire le candidat a, il lui suffit de ne pas poser la
question "préférez-vous
c à a ?(cRa ?)",
mais seulement les ques- tions "bRc?", puis
"aRb ?tt,En
réalité,
même la certitude que toutes lespréférences
individuelles sont blackiennes(par rapport
à un même ordresous-jacent) n’apporte
aucunegarantie
contre le
pouvoir
insidieux de laprocédure.
En
effet,
siéquitable qu’apparaisse
la méthoded’interrogation
directe surles ordres de
préférence individuels,
cette méthode est d’une mise en oeuvre dif- ficile et très rarementpratiquée:
on estime habituellementplus expédient
de nedemander à
chaque
votant qued’indiquer
son"option
detête",
y au besoin en intro-duisant diverses modalités de scrutin à
plusieurs
tours.Mais la
dépendance
du résultat àl’égard
de laprocédure peut
alors se ma-nifester dans des
exemples
trèssimples~
Ainsi reprenonsl’exemple
citéplus
hautau §
II(v == 100, ~ = 3) :
Il est aisé de vérifier que les ordres de
préférence
individuels sont blac- kiens parrapport
à l’ordre(alphabétique) abc,
et l’on a vu en effetau §
II quel’ordre
(également blackien)
bacpouvait
êtreadopté
pour ordre depréférence
dela
majorité (bRa
par67 %,
aRc par 51%,
bRc par 63%)~
S’ ils’agit
d’élire uncandidat, c’est
bqui
est élu»Mais
imaginons
quechaque
votantn’indique
que son"option
detête",
etqu’il n’y
aitqu’un
seultour,
Sélection étantacquise
à la"majorité
relative": alorsciest
cqui est élu (par 37 %
desvoix,
contre33 %
à a et30 %
àb)~
Enfin supposons que la
procédure
soit à deuxtours,
mais avec maintien aitsecond tour
permis
seulement aux deux candidats arrivés en tête aupremier tour:
alors c ’est b
qui
est éliminé par lepremier tou.r,
et au secondc est
aest élu
(contre
c, par 51%)*
Bien que les
"querelles
deprocédure"
aient souvent mauvaiseréputation, l’exemple
ci-dessus est de nature à illustrerl’importance ,pratique quelles
peu-vent avoir et le soin
méthodique
aveclequel
il convientd’y
réfléchir.BIBLIOGRAPHIE
CONDORCET : Essai
d’Application
del’Analyse
à la Probabilité des Décisions rendues à lapluralité
des voix(Paris, 1785).
K.J. ARROW : Social Choice and Individual Values
(Wiley).
R.D. LUCE et H. RAIFFA : Games and Decision
(Wiley, 1957).
G.Th. GUILBAUD: Les Théories de l’Intérêt
général (Economie Appliquée,
n°4, 1952).
BLACKE : On the Rational of