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Musique et pouvoir à Taube de la

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Texte intégral

(1)

Renaissance: le metier du musicien à la

cour des grand Ducs Valois de Bourgogne

GINETTE CARTIER

Lieu

essentiel

de

lacréationculturelle. . .,

mémoire

socialiséedel'ima- ginairepassé. ..,

commun aux

villages et

aux

cours.. .,"^lemusicien,

dans

l'exercice

de son

métier, doit

composer

avecles

données

desa sociétéetde son époque.

A

l'aube

de

l'ère

moderne,

la civilisation occidentale, en- traînéeparlapression

de

courants

nouveaux,

subit

une

sériede mutations au sein de ses structures

socio-économiques

et de sa vie politique, reli-

gieuseet culturelle.

Ces

mutations engendrent des conditionnementshis- toriqueset artistiquesqui influent surlemétier

du

musicien, compositeur

ou

instrumentiste,

dans

ses conditionsdetravail et

de

viematérielle,

dans

sa fonctionnalité etses relations avec des

employeurs

issusdes groupes sociaux dominants.

Lesclercs savaientdepuis longtempslepouvoirdesartistesets'entendaient, par des oeuvres dontilsinspiraientlesthèmes,àinstruireetconvaincre.

A

leur

exemple,princeset villessurent bientôt mettre TartauservicedeleurEtatou deleur politique.^

Aussi, la problématique de cette étude consistera à

comprendre dans

quelle

mesure

le

mécénat

des princes,

notamment

celui des grands

ducs

Valois

de Bourgogne,

tend à devenir

un

agentde transformation

du

métier de musicien et

de

l'art musical en

Europe

occidentale à l'aube de la

Renaissance.

Notre démarche méthodologique

repose surl'utilisationde

documents

d'archives^ etde sourcesnarratives, littéraires"*eticonographiques.^

Leur témoignage

s'avère particulièrement pertinent

quant

à lapratique musi- cale

du

temps, l'instrumentation, les

groupements

d'instruments et de voix, ladirectiondes ensembles,lafonctiondelamusique,lesconditions de l'audition musicaleetla situation socialedes musiciens.

Dans une approche

pluridisciplinaire, notrecadre conceptuel s'inspire largement,

en

premier lieu, des

données

fournies depuis près d'undemi-

(2)

158/ Renaissanceand Reformation

siècleparlarecherchehistoriqueetmusicologique.

Leur

principal apport, à ce chapitre,

demeure

la notion de

conditionnement

social. Celle-ci se

propose

d'appréhenderles interrelationsdialectiques entrel'artmusicalet le contexte historique. Elle

met en

reliefl'importance exercée parlade-

mande

etlerôle

du

publicà

une époque où

l'artseconçoitsurtouten termes pratiquesetfonctionnels.Aussi,letravail

du

musicienetle

développement

de la

musique

restent-ils liés à leur fonction

dans

la société.^ Selon

André

Schaeffner,

Quellesquesoientlesinnovations d'ordres diversquelesmusiciens degénie aientapportées,eux-mêmesn'ontpu ques'adapter àdessituationsdonnées:

chacunse servantdumatérielinstrumentaldese faire entendre.. ., s'expri- mantdanslecadredes formesusuelles...,remplissant parfoisdesfonctions..

quil'obligentà alimenterunrépertoirespécial.'

En deuxième

lieu,lessciencesdela

communication nous

permettentd'ap- profondirla notion

de

musique,

code

de

communication

sociale

compar-

able au langageverbal. Selon Françoise Escal,

...cesmusiquesutilisentdessignaux,lesignalétantunsignequisertd'aver- tissementetdéclenche unecertaine conduite.Ilaeneffet trois caractéristi- ques: au niveau del'intention, ilestvolontaire, contrairementàl'indice; au niveaudelastructure,ilaunsignifiéglobal, indivisible,équivalent àun énoncé linguistiquecomplet;au niveau delafonction,ilestutilitaire,liéàuncontexte situationneletàl'action.Ilne dépasse pasleniveaudelacommunication.Il

doitêtreperçu sansentraînerdes recherches de signification.*

Par

conséquent, le musicien devient

un

agent de transmission d'infor-

mations

ponctuelles sanctionnées par la réponse concrète et

immédiate

des sujetssociauxauxquelsle

message

s'adresse.

Dans

cetteperspective,

une

théorie

du

pouvoir exigera

une

théoriedelalocalisation

du

bruit etde sa

mise en forme dans

descodesinfluant

du même coup

lesformes

du

pro- duitmusical etle rôle

du

musicien.'

Un

milieusocial propice: la

Cour

des

ducs de Bourgogne

Lacour deBourgogneajetéau

XVe

siècleunexceptionnel éclat Elle avisé manifestementà éclipserlesautrescoursprincières.

En

cesièclelecultede

la majesté et le souci du luxe semblentavoir l'impérieuse tyrannie d'une religion,l'Etatbourguignon prendà tâche,dirait-on,debattretouslesrecords.

S'agit-ilderacheterparlasomptuositédudécor,parl'étincellementdesfêtes, parla gloiredes pasd'armes,parlaplantureuseabondancedesfestins, l'ab- sence d'une couronneroyaledontonvoudrait insinuerparquel'onestdigne puisqu'ondépasse enlargesseceuxquien gardenttropjalousementlemon- opole?

On

lecroirait volontiers. Unemégalomanie politiqueparaîtbiense cacherderrièrecetteobsessionconstantedefairedelaMaisonducalelaplus

(3)

splendidedetouteslesmaisonsquirégnentdanslachrétienté,desehausserau premier rang desdynasties souveraines,defairepartoutvanterlarichesse,la générosité, legoût de"ceuxde Bourgogne.""*

Voilàquisitue et

résume

lesouvenirlaisséparla

Maison

de

Bourgogne

à r

apogée

desapuissance

au XVe

siècle,plusprécisément souslerègnede Philippe le

Bon

etde Charles le Téméraire. Cette puissance s'explique d'abord

en

raisonde l'accroissementprogressifdes possessionsducales,

amorcé

sous le

premier

duc, Philippe le Hardi.

Outre

l'apanage

de

Bourgogne, cespossessionsincluentlesterritoires lesplus richesdel'Oc- cident, en l'occurence les

Pays-Bas

septentrionaux, reconnus

pour

leur excellentesituationgéographiqueà

l'embouchure du

Rhin,dela

Meuse

et del'Escaut,et

pour

leurpopulation

nombreuse

etindustrieuse.

La

réunion politique

permet

l'établissementd'uneadministration régulière, relative-

ment

perfectionnée, et favorise l'essor des

communications. A

cela s'ajoute

une

paix relative àl'intérieur

du

pays.

La

politiqueducale laisse mourir

aux

frontières les

remous

des guerres franco- anglaises, épargant ainsi

aux

sujetslesépreuvessubiesparlerestedela

mouvance

françaiseet favorisant, par conséquent, le

développement économique. Ces

bases politiques et

socio-économiques

permettent l'ascension d'une classe

moyenne

bourgeoisequi,

au

seindelasociétéurbaine,

domine

lesformes nouvellesd'appropriation

du

temps.^ ^

La

richesse, la

compétence

etlesens del'organisation

de

cettebourgeoisied'affairespermettentlefastedéployé par les

ducs

de Bourgogne. Toutefois, si elles le soutiennent, elles n'en expliquentpas les motivations profondes.

Aussi

faut-il les chercher ail- leurs, à

un

niveauplussubtil,

dans

l'espritdel'époque. L'historien

Johan Huizinga

explique:

.. .touteexpérienceavaitencorecedegréd'immédiatetd'absolu qu'ontle plaisir etlapeinedansl'espritd'unenfant Chaqueacte,chaqueévénement

étaitentouréde formesfixes etexpressives, élevé àladignitéd'unrituel.. .

lesévénementdemoindreimportance,euxaussi...étaientaccompagnésd'un millierdebénédictions,de cérémoniesetdeformules.

On

jouissaitplusavidement delarichesseetdes honneurs, carceux-ci con- trastaientplusencoreque de nosjoursavec lamisère environnante. . . Et toutesleschoses de laviejouissaientd'unepublicité,oupénibleouorgueil- leuse...Chaqueétat,chaquecadre,chaqueprofessionétaitreconnaissableà l'habit...,touts'annonçaitclairementpar descortèges,descris,deslamen- tations etdelamusique. ..

Les formes symboliqueset lescontrastesperpétuelsaveclesquelstoutechose se présentaitàl'espritdonnaientàla vie quotidienne uneémotivité qui se manifestaitparces alternativesdedésespoiroudejoie délirante,decruautéou deprofondetendresse, entre lesquellesoscillaitlavieaumoyenàge.'^

(4)

La Cour

constitueleterrainlepluspropice

au déploiement

ostentatoirede cet esthétisme.

Le

pouvoir

de

suggestiondes signes extérieurs renforce la fidélité au prince et assure son prestige au-delà

même

de ses frontières.

Selonlechroniqueur

Georges

Chastellain, aprèslagloireguerrière, lefaste dela

Cour

constituelapremière chosesur laquelle

on

portelesyeux.*^

Le renforcement du pouvoir de

suggestion

que

traduit

ostensiblement

la magnificencedont

on

entourela

personne du

prince,s'apparente,

dans une

certainemesure,à

un phénomène

decaractèrehypnotiquepuisqu'ilretient etattirel'attentiondes sujetspar

une

sorted'attractionirrésistibleprovo-

quée

par des

moyens

artificiels

de

concentration sensitive.

A propos

de Philippe le Bon, l'historien

Joseph Calmette

écrivait

Le duc aimelefaste, lesbijoux,lesbeaux chevauxet saits'en parer, sesentrées solennellesdansles villeséblouissentlesfoules. Ilsurpassedansl'organisa- tiondesfêtes,joutes, tournois, banquets, toutcequi aété fait avantlui. Il

stupéfieseshôtesparl'étalagedesesjoyaux,desestapisseries,desavaisselle, deses coffres pleinsd'or.'''

L'affirmation

du

pouvoir

du

prince et de son entourage se manifeste d'abord

au

plan

de

la réalité sonore.

La

considération

dont

ilsjouissent se

mesure

proportionnellement àleurcapacité

de provoquer du

bruitd'abord quantitativement parles tintements etlescliquetis. Ainsi,

une mode

ex-

trêmement répandue

au

XVe

siècleconsisteà charger

de campanes

etde clochettes

non

seulementleshousses des

chevaux

desnoblespersonnages

mais

aussileurs propres vêtements:

La Hire porte un manteaurouge tout chargé de clochettes d'argent, sem- blablesàcelles queportentlesvaches.

A

uneentrée,en 1465,lecapitaine Salazarestaccompagnéde vingt

hommes

d'armes dont les chevauxontle

caparaçon garni de grosses clochettes d'argent . . Charles le Téméraire apparaîtdans un tournoivêtud'unhabitde fêtecousu de florins; desgen- tilshommesanglaisont des vêtements cousus de noblessonnants.

Aux

fêtes nuptialesducomtedeGenèveàChambéryen1434, un groupedeseigneurset dedamesexécutentunedanse;ilssont vêtusde blancrelevé"d'orclinquant":

les

hommes

ontdelarges ceinturesgarniesdesonnettes.'^

Même

surcharge

au

plan visuel: les orfèvres et les tailleurs couvrent

exagérément

les vêtements d'orfèvrerie et

de

pierreries.^^ Cette fois, au planqualitatif

du

bruit,l'usagefonctionneldela

musique

contribueàl'ac- ceptation

de

l'art musical

comme une

activité nécessaire

de l'homme

civilisé

incamé

par leprince.

La

localisation

du

bruit: F

instrumentation musicale

L'éducationetlesgoûts

musicaux

desprincesjettentquelques lumièressur la classification des instruments de

musique

à la cour.

D'un

part, les

(5)

"hauts'' instrumentsse caractérisentpar desvaleur

de

virilité masculine

évoquant

les guerreset les manifestations chevaleresques visant à satis- faire l'orgueildes

hommes.

D'autrepart, les

"bas"

instruments, plusraf- finés, voire

dénués

detoute connotationvirile,s'associent

aux femmes

et

aux

enfants/^

Silacloche

évoque

la

communauté

chrétienne,

un

autre soncentripète

marque

le pouvoir, le

commandement,

l'autorité laïque et militaire: la

trompe.

En

effet, par sa

forme

acoustique déterminée par

une

courbe logarythmique projettantle son

dans

l'infmi sans

jamais

revenir surlui-

même,

la

trompe

etles instruments de

musique

de sa famille impliquent

une

projectionde l'autorité versl'extérieur.^^

Par

la virilitévoire l'agres- sivité de sontimbre, elle

exprime

lesbienfaitsdelavictoire, lafélicité

du

devoir

accompli

etlagloire

du

pouvoir.

La trompe demeure

l'instrumentde

l'éclat, de la puissance et de la domination.

A

cet

élément

acoustique s'ajoute

un élément

rythmique: letambour.

Au même

titre

que

la

trompe

quinereste,à toutfin utile,qu'un

prolongement

sonore delavoix

humaine,

le

tambour

ne

rythme que

plusfortementlepas puisque

son

battement ne s'éloigne pas de lapulsation cardiaque normale. S'inspirantdes chroni- ques de l'époque, J.

Huizinga montre

le rôle significatif de ces

deux

types d'instruments:

Pendantla nuitqui précéda Azincourt, les deux armées. Tune en facede l'autre dans l'obscurité, s'excitaientau combatà son de trompettes, et les Françaisse plaignirentden'en avoirpas euassez"poureulx resjouyr", ce qui futcausequeleurcourage futmoinssoutenu. . .

Verslafindu

XVe

siècle,leslansquenetsintroduisirent l'usagedutambour, d'origineorientale. Avec soneffethypnotiqueetinharmonieux, letambour symboliselatransitionentrel'époquedelachevalerieet celledel'artmilitaire moderne; ilestun élément danslamécanisation delaguerre.''

Ainsi, les trompettes et le groupe des

"hauts"

instruments avec les per- cussions

occupent une

fonctiondeglorification,

de

symbolisation acous- tique et

rythmique du

pouvoir.

Par

contre, les

"bas"

instruments, à sonoritéplusdouce,telslaharpe, leluth et la vièle,

rempHssent une

fonc- tion essentiellementaxée vers le simple divertissement.

L'organisation

du bruit

la

production musicale

Au-delà

del'instrumentation, la

musique

reste lemeilleur

document

par-

manent

capabled'évoquerlessons

du

passéet,donc,de rendre

compte du paysage

sonore.

La

fonctionet ladestination sociale pratique déterminentla

forme du

produit musical.^^

Les

mentalitésetlesconsciencesindividuelleset collec- tives utilisent, parlecanal de lamusique,

un

vaste appareil symbolique.

(6)

"Exposer

desidées,fortifierdessentiments, susciterdespassions, voilàce que,

aux XlVe

et

XVe

siècles,

on

attendd'unartquin'estjamaisgratuit"^*

A

lacour bourguignonne,elledoitsatisfairedes besoinsd'édificationetde divertissement, ajoutant splendeur et

pompe aux cérémonies

et autres solennités.Il

ne

s'agit

donc

pas d'une

musique de

concert

au

sens

moderne du

terme:

Religieuseou profanelamusiquesemêleaux activitésjournalières lesplus diversesdelacour,messechantéechaquejourdevantleprinceet lesgrands, cérémoniesetrepasmêlés deconcerts;àlaguerre, en voyage,lesmusiciens suivent leprince. Toutestoccasion de chants, de sonneries et dedanses.

Comme

leducde Bourgogne,lesducsd'Orléans,deSavoie,d'Anjou,de Bour- bonentretiennenttousdes chanteursd'église etdes joueursd'instruments;les princes étrangers,qu'ilssoientde Hollande,deBavière,d'Italie,d'Aragon, de Portugalnesontpasmoinssoucieuxduplus belornementdeleurcour. Ils

saventlaconsidérationqueleurvaudraunrichepersonnel musical.^^

La

composition,l'instrumentationetl'exécutionmusicale exerceront

une

influence déterminante sur le processus de différenciation, d'une part, entre les types de musiciens à savoir les compositeurs

au

rang social supérieur et les simples instrumentistes

occupant une

position sociale inférieure, etd'autre part, surleprocessusdehiérarchisation àl'intérieur

même

decettedernière catégorie à savoirlesménestrelsde hautset

de

bas instruments.

Mais

d'abord,le

déploiement du

fastedelaCour,lerenforce-

ment du

pouvoir de suggestion des signes extérieurs

de

la puissance

du

prince, l'environnement acoustique

dont

il s'entoure et les formes musi- cales d'édificationetde divertissementqu'ilexige,

amèneront une

séden- tarisationcroissante

du

musiciensetraduisantpar

un

contratdedomesticité entre lui etle pouvoir, puisque

"Qui

dit 'fonction,' ditnécessité; qui dit 'fonction,' ditencore'subordination.' "^^

Les compositeurs bourguignons:

les

chapelains de

la

cour

Dès

le

XlIIe

siècle,le

morcellement

verticaldesmétiers,issudel'établis-

sement

d'une dernière frontière de l'estime et

du mépris

entre le travail

manuel

etletravail intellectuel,favoriselaformation d'une nouvelle"aris- tocratie"s'

appuyant

surles

formes

écrites et visuelles

de

transmission

du

savoir.^"*

Ce nouveau

patriciat se

compose

de clercs et d'universitaires

parmi

lesquels se trouvent lesthéoriciens de la

musique que

latradition antique considère

comme

les"vrais" musiciens.

Ce

mot,tel

un

titrehon- orifique,

semble

réservé exclusivement

aux

initiés, en opposition

aux

praticiens de la musique,

non

considérés

comme

musiciens puisque dé- signéspar

un terme formé du nom

del'instrument leurservantàproduire dessons,par

exemple

vielleurs,harpeurs, trompettes. Ainsi s'oppose

aux

"vrais"musiciens

un

réservoir

énorme

d'exécutants auxquelslespremiers

(7)

ne reconnaissent

que peu

deculture.

Le mode

d'apprentissage élargit la

dichotomieentre ces derniersetlesinstrumentistes.

Les

théoriciensreçoi- vent

une

éducation musicale théorique dispensée

dans

lesuniversités, et les praticiens

un enseignement

pratique reposant sur l'audition et la manipulation des instruments.

Cependant,

à la

fm du Moyen Age, une demande

sociale grandissantede lapartdes groupes sociaux

dominants

exige

une

nouvelleorientation

pédagogique

axéevers la satisfactiondes besoins

que

dispenserontbientôtles maîtrisesdes cathédraleset lescha- pelles princières.^^

Le

musicienparfait reste celuiqui sait

mais

le savoir auquel ilse réfère correspondà lasciencedes règles dela

musique

etde leurapplication

que

constitue l'art

du

contrepoint, et

non

plusla science

mathématique

des proportionsetdelaconnaissance

de

l'univers.

Par

con- séquent, le profil

du

''vrai" musicien se transforme: l'ère

du

théoricien

rompu aux

disciplines

du Quadrivium

seterminealors

que

s'ouvrecelle

du

compositeur

soumis aux

impératifs

de

la

commande

sociale.

A

cechapitre, la

coutume oppose

les

hommes de

courtels Gilles Binchois et

Antoine Busnois aux hommes

d'églisetels

Guillaume Dufay

et

Jean

Ockeghem.^*^

Les hommes

de

cour

déploient leurs activités

au

sein d'un milieu

la recherche

du

plaisir

domine

tout autre quête.

Aussi

la composition de piècesprofanesprendra-t-ellelepassurla

musique

sacrée. Toutefois,tout au long de leurrègne, les

ducs

de

Bourgogne

chercheront àaccroître la splendeur deleur

musique

religieuse.

Sous

Philippele Hardi, lachapelle ducalefaitl'objetdesoins constants.

Nuit

etjour,

un nombre

considérable de musicienscélèbrentleservicedivin

en son

hôtel.

Les

grandes orgues

du duc

àDijonetàGonflans-lès-Parisajoutent àlasolennitédes cérémonies.

Son

petit-fils, Philippe le

Bon,

fonde en

1422

et

en 1431 deux

grand-

messes

quotidiennes àlaSainte-Chapelle

de

Dijon.Il

y

établit

une

maîtrise d'enfants de

choeur

ainsi qu'à l'église Saint-Pierre de Lille.

En

1424, il

soutientlaconstructiondes orgueslesplusgrandioses

de

l'époque, celles de

Notre-Dame d'Amiens. Chacun de

ses

châteaux possède un

orgue approprié

aux dimensions

delachapelle.

De même,

neconsidère-t-onpas

qu'aucune

chapelle privée n'égale celle

du Grand Duc

d'Occident?

Les

ducs

de Bourgogne

réunirontlesmeilleurscompositeurs, chantreset organistesdeleurépoque.

A

l'exemple

du

personnel

de

lacouretselonles

ordonnances

ducales, lepersonnelecclésiastique doitescorterle

duc dans

ses déplacements,

en temps

de guerre

comme en temps

de paix, afin d'assurer le maintien des services religieux quotidiens.^^

De même,

cer-

tains

comptes

soulignent leur participation

aux

opérationsmilitaires.

En-

tre

deux

combats, les

membres

de la chapelle s'emploientà distraire le duc.'^

D'une

part, leur

musique

doit souligner les grands

moments

de lavie chrétienne.

D'

abord,lanaissance d'unhéritierreste

un événement que

l'on désire

marquer

d'une empreintetoutesolennelle.

Pour

celled'Antoine

de

(8)

Bourgogne, premier enfant

de

Philippele

Bon

etd'Isabelle

de

Portugal,né

en

1430, le chapelain Gilles Binchois

compose

le

motet Nove cantum

mélodie, lequel contientd'ailleurstousles

noms

des

membres de

lacha- pelleducale

du

temps.^^

Lors

des

cérémonies

nuptiales, le rôledes musi- ciens de la chapelle se

résume aux

célébrations liturgiques et

dans une

participation occasionnelle des chantres

aux

entremets des banquets.

Enfin,sileservicefunèbre

du

princeexigeàla foisleportde vêtements de deuil etle silence des instruments profane, la

musique

sacrée, véritable

décor

sonore

de

circonstance, suscite

une

forteimpression, amplifiant

du

même coup

lesentimentde douleursaisissantlesspectateurs

de

cette

som-

bre représentation esthétique.

D'autrepart, la

musique

descompositeurs

bourguignons

resteliée

aux

manifestationsd'unecertainepsychologiecollective.

En

premierlieu, àla façon d'une

mode,

l'affirmation des valeurs socio-politiques se traduit,

pour

tout

membre de

lahaute aristocratie, par lacréationd'un ordre de chevalerie. Aussi, Philippe le

Bon

fonde-t-ille sien, l'ordre

de

la

Toison

d'or,

en

1430,lejour

de son mariage

avecIsabelle

de

Portugal.

A

lafin

du Moyen Age,

l'ordre

de

chevalerie ne resteplus

qu'une

reproduction sé- culariséedes ordresreligieux issusdes Croisades. Silecaractèrespirituel

moral

s'efface

devant

legoût

du

prestigeet

du

faste,lerituelchevaleresque

demeure

assezriche

pour donner

àcesfêtes

un

style

empreint de

vénéra- tionet

de

solennité.

Par

conséquent,

un

produitmusical de circonstance

imprimera

à ces manifestations

un

caractère sacré traduisant au plan sonore la signification

de

l'idéal

de

chevalerie. D'ailleurs, il existait

un

livre

de

chant

"où

sont

aucunes messes pour

serviràla

messe de

l'Ordrede la

Toison

d'or,"

pour

lequelle

compositeur

reçutrémunération.

En

deux-

ième

lieu,

compromis

entrelesanciennestraditionsdelaculturepopulaire et lescroyanceschrétiennes, lesfêtes liturgiquescontribuent àrenforcer les valeurs socio-religieuses.

A

la cour de

Bourgogne,

les

cérémonies

Uturgiquesrequièrentle

concours

des musiciens

de

lachapelle. Souvent,

pour

l'occasion,le

duc

inviteprélatsetchapelains àsatable.

Notamment,

lecycle pascal,aveclesfêtes

de

Pâques,del'Ascension,

de

laPentecôteet delaFête-Dieu,resteleprétexteà

de

grandes heuresliturgiques.

Ces

fêtes solennelles s'apparentent

dans

leur

forme

à des spectacles mettant en scène

un

trèsgrand

nombre de

personnages,clercsetdiacres,parés

pour

la

circonstance

de costumes

colorés,et

dont

la

musique

sacrée,parlaréson-

nance

populaire des chants d'église,

permet une

plus étroite et spec- taculaire participation des foules.

Outre

leur

présence aux

services religieux, les chantres participent

aux

représentations de mystères, véri- tables outils

pédagogiques

permettant d'améliorerla

compréhension

des fidèles

en

matière

de

foireligieuse.^*

En

troisièmelieu,lesfêtesburlesques, parfois licencieuses,constituentl'undesaspectslesplus caractéristiques del'époque. Essentiellementecclésiastique, cette fêtedesFous, des Sots

(9)

ou

des Innocents

du 28 décembre demeure un

simple

moment

liturgique,

une cérémonie

d'illustration religieuse

dont

le but consiste à mettre

en

scène

un monde

hors des

normes

habituelles, le

renversement des

hiérarchies, larevanche des ordres

mineurs

etdesdiacres surl'évêqueet leschanoines.

Les

simplesclercs,maîtresdel'Eglise,célèbrentlesoffices épiscopaux àleur

manière

etprocèdent àl'électiond'un

évèque

desFous.

Même

Philippe le

Bon

encourage, subventionne etprotège ces fêtes

de

la contestation.^^

Au

plan extra-musical, laformation

académique

des

membres

de la chapelleetleurappartenance àl'ordre ecclésialleurpermettentd'occuper des charges politiques, ecclésiastiques,

domestiques

et diplomatiques.

D'abord, ladirection

de

l'OfficedelaChapelle confère à sontitulaire,

en

l'occurencele premierchapelain,ladignité

de membre du

conseil ducal.

De même,

les autres chapelains exercentlafonctiond'aumôniers auprès

du duc

et

de

sonfils,le

comte de

Charolais.Soulignons

que

leschapelains constituentautantde grands personnages

que

les

prébendes

conféréespar

le

duc

de

Bourgogne

anoblirontetenrichiront-Les nominations

de

cha- noines,

de

prévôtset

de

doyens, sous le couvert

de récompenses

honori- fiques, s'inscrivent

dans

lecadreplus large

de

l'appui

du

clergé

au

pouvoir ducal et, par conséquent, de

son

rôle

dans

l'organisation politique et administrative.

La

mentalitéparticulariste et"républicaine" des Etats

du Nord

pèse

comme une menace

surles clercsetleurs biens.

Seul le pouvoir ducal leuroffie

une

sécurité relative. Aussi, le clergé embrasse-t-ilsanshésiterle parti

du duc

etluitémoignera,d'unepart,

un

appui d'ordre spirituel précieux tels

que

les interditsjetés sur les

com- munes

révoltées, lesindulgences manifestées àl'égarddelavieprivée

du duc

et

de

son entourageet,d'autrepart,

un

appuid'ordre politique qui per- mettra

au duc

d'étendreson autoritésur tousles

Pays-Bas

parlebiais

du

contrôledes nominations épiscopales.

De

plus, cecontrôle s'avérera

une méthode de

maintien

de zones

d'influencescontrela

France

etd'imposi- tiond'unprotectorat

bourguignon du

côté

de

l'empire. Aussi, revèt-ildes aspects

économiques

importants.

En

fait,le

duc

dispose

lui-même du

soin d'étabUr le

nombre de

dignités ecclésiastiques, se servant d'elles

pour rémunérer un

personnel fortementmultiplié parle

développement de

la couretdes institutionscentrales

bourguignonnes."

En

dernierlieu, lesclercs

de

lachapelle, plus modestes,

occupent

leur fonction

de

valets

de chambre. Pour

eux,cettechargeresteavanttout

une

occupationtemporaire.

Leur

formation

académique

leur

permet

d'aspirer etd'accéder

au

postedesecrétaireset,plustard,

de

gravirleséchelons

de

la hiérarchie cléricale et politique. D'autres, cependant, indifférents

aux

positions élevées,

peuvent

choisir

un

tout autre état

de

vie tel

que

le

mariage,

évidemment

permis

pour

lesclercs

de

chapelle qui

ne

désirent

pas

la prêtrise.

(10)

Ces

véritables fonctionnaires cléricaux se voient parfois confier cer- tainesmissions diplomatiquesetsecrètes.

Leur

éducationlesprédisposeà exercer ce type d'activité

au

profit

de

l'autorité religieuse

ou

profane à laquelleilsse

soumettent

IInes'agitpas d'uneprofession

ou

d'unecarrière

mais

seulement d'untravailoccasionnel,d'une missiontemporaire.D'aut-

res, soucieux d'enrichir la bibliothèque ducale, agissent à titre d'inter- médiaires négociantlesacquisitionsetlesréparationsdeslivres. Certains

composent

etnotentleurs

messes

et"passions," écriventdesoeuvres lit-

téraires, didactiques etdes nouvellesd'une moralité douteuse.

Au

chapitredel'administration interne, lachapelleducale

possède un gouvernement autonome

dirigé par le premier chapelain.

Deux

facteurs conditionnent sa nomination: le prestige

que

procurent

de

richesprében- desetdesqualitésreconnuesd'administrateur.

Chaque

année,ilreçoit

une

somme

globale afin

de

pourvoir à la rémunération, à l'entretien et

aux

fraisdivers. Selonlaconjoncture,le

nombre

de chapelainsvariedetreizeà dix-neuf,lesclercs

de

chapelle

de deux

àsix et les

sommeliers

de

un

àsept.

En

ce qui

concerne

leursconditions

de

viematérielle, lesmusiciensdela chapelle reçoivent, selon leuroffice,

une

pension quotidienneetannuelle, des valets

pour

leur service, des

chevaux pour

leurs fréquents déplace-

ments

etdes subventionsdiverses

pour

leurs

bons

services, leursétudes, l'acquisition

de prébendes ou simplement

subvenir àleursbesoins

en

cas de maladie.

A

ces gages, s'ajoutentlesrémunérationsqui se rattachent

aux

autres charges

dont

ils s'acquittentauprès

du

duc. Aussi, à l'exemple

du

personnel

domestique

del'hôtel ducal, ilsdoivent se soumettre

aux

con- ventions vestimentairesqu'exigel'appartenance àla

personne du

prince.

De même,

des écussons à ses

armes

sont

apposées

sur leursvêtements.

D'ailleurs,àl'occasiondesfêtes etdes

cérémonies

religieusesetprofanes, lesmusiciensrevêtentdes tenuesetportentdes couleurs

que commandent

les circonstancesetlanature des sentiments.

Au

planpédagogique,lesfondations

de

maîtrises d'enfants

de choeur au

seindescathédralesetdeschapelles princièrespermettentlaconstitution d'un

bon

réservoirde chantresetd'organistes.

Sous

l'autoritéd'un maître recrutéparleduc, lesenfantsrecevront

une

éducationlatine, religieuse et musicaleet,

dans

cederniercas théoriqueetpratique,inspirée

de

Paris.

Au

chapitredeleurprovenance, selon les élémentsdisponibles, lesanalyses

onomastiques

et

toponymiques

révèlent

que

sous le règne de Philippe le

Hardi

etde

Jean Sans

Peur, lescompositeurs proviennent desrégions

du nord

de la France,

notamment

de la région parisienne. Toutefois, sous Philippele

Bon

etCharlesleTéméraire,ilsproviennent

en majeure

partie desrégions artésiennesetflamandes.

Peu de

détails

nous

parviennentde leurmilieufamilial.

Cependant,

le typed'éducation reçulaisse supposer

que

les compositeurs

émergent

de familles aisées.

Mais

fondamentalement, ces chapelains, compositeurs etfournisseurs

(11)

de

musique demeurent

des

hommes de

leur siècle,

hommes

d'Eglise et

hommes

decour.

Hormnes

deleursiècle, ilspartagentlavie etl'angoisse deleurscontemporains, vieteintéeparlasupersitition etparlalibéralité des moeurs, angoisse

que

tented'évacuerlafêtedes

Fous

qui,àl'exemple des danses macabres,

masque

laprécarité de lacondition

humaine

et la fragilitédetoute positionsociale.

Hommes

d'Egliseetsurtoutd'uneEglise complice de l'accroissement de la puissance bourguignonne, les cha- pelains

pourvus

de prébendes canoniales conférées parleduc,devrontser- vir les intérêts

de

leur maître

au

sein des chapitres et des assemblées auxquelles ilsparticipent

Hommes

de cour, lescompositeurs seprésen- tent

comme

desfournisseursde

musique

de circonstance

répondant

à

une demande

sociale précise.

Par

conséquent, leur oeuvre, se développant

dans une

grandeuniformité

de

style,n'offreriendenovateur. Elle

demeure

essentiellement profane, inspiréeparles

thèmes

del'idéalcourtois.

Secon-

daire, la

musique

sacrée ne propose

aucune

oeuvre véritablement pro- fonde. D'ailleurs,cescompositeurs,

même

lesplus célèbres,n'obtiennent jamaislahautedignitéde premier chapelainetdeconseillerducal.Aussi,

ceux-cine laisseront-ils

aucune

trace àtitre de compositeurs.

Les

praticiens

de

la

musique:

les ménestrels

de

la

cour

A

la fin

du XlVe

siècle,lajonglerie,industrie

complexe

florissant

au

cours des

deux

derniers siècles, se fragmente

en une

série

de

spécialités dis- tinctes et isolées.

La

misère sévissantà l'aube

du XVe

siècle ne

permet

plus au jongleur de vivre de ses activités

de

divertissements auprès des strates

moyennes

etinférieuresdes milieux urbainet rural.

Le

seul

marché

potentiellement valable

au

plan

économique

reste celui des cours seig- neurialeset princières. Aussi,

y

afïlueront-ils,

pour

s'attirerlafaveurdes mécènes. S'il ne peut décrocher

un

poste

au

sein

de

ces domesticités, l'association,le

regroupement

confraternelet,plustard,corporatifluiper- mettrad'espérer

une

situation plussûre

au

planfinancieretd'améliorer,

en

général, ses conditionsdevie matérielle.

Engagé

suiteà desauditionsaup- rès

du

duc,lemusicienreçoit alorsle titrede "ménestrel."

Du

latin"minis- terialis"signifiantsubordonné, serviteur,domestique,le

mot

"ménestrel"

nepossède

donc

d'abord

aucune

connotationavecle musicien.

Le

terme servait à propos des gens de maison, de bas officiers.

Les

ménestrels se classeront selon

un

ordrehiérarchiquedéterminé parlesattributs

moraux

etsociaux des instrumentssur lesquelsilss'exécutentet,par conséquent, selon les gens auxquels ils se

subordonnent

Ainsi, à la cour bourgui- gnonne,lesménestrelsde hauts instruments, et

parmi

eux, lestrompettes deguerre, restent-ilsassociésà leurmaîtreleduc, et lesménestrelsde bas instruments, plus particulièrementlesharpistesetlesvielleurs, àladuch- esseet

au comte

deCharolais.

Le

processusde fragmentation del'exécu- tion musicale qui sépare de plus en plus nettement l'élément poético-

(12)

littéraire

de

l'exécutioninstrumentaletendraàaccentuerchezleménestrel sasimplefonction d'instrumentiste.

Ces

modifications setraduiront

dans

laterminologie:sile

mot

"ménestrel" resteencore

de mise au XVe

siècle,

dèsledébut

du

sièclesuivant,

on

neparleraplus

que

des "ménétriers"etde plus

en

plus

de

"joueurs d'instruments."

Les

étatsjournaliers

de

la

dépense

de l'hôtel ducal rendent possible l'étudede quelquesaspects

de

laviequotidienneetdomiciliairedes

ducs

et offrent

de nombreuses

précisions

quant au

personnel des divers offices.

Cette domesticité

nombreuse

se

compose

d'un personnelstable,lié

au duc

par

un

rapport

de

subordination

immédiat

etquotidien.

Dans un

essaipat-

ronymique

surladomesticité

de

l'hôtel

de

Philippe le

Bon, Henri David remarque une

tendance toute naturelle àpréciser l'individu parson rôle

dans

l'économie domestique. Ainsi, le type le plus courant et le plus

répandu de

ces

dénominations

se

compose de deux

termes:lepremier bap- tismal,le

second

selonle rôle."L'intéresséseprécise

donc

tout

ensemble

sous l'angle chrétien et sous l'angle utilitaire."^'*

En

premier lieu, les

analyses

onomastiques

et

toponymiques

laissentclairementapparaîtrele

cosmopolitisme des musiciens

au début du XVe

siècle, derniersouffle

du nomadisme

desjongleurs

médiévaux. De

la

même

façonindiquent-ellesle déclin de ce cosmopolitisme et, par conséquent, les traces de la séden- tarisation puisque,

de

plus

en

plus, les

ducs de Bourgogne, notamment

Philippe le

Bon

etCharles le Téméraire, recruterontlepersonnel de leur

maison au

sein

même de

leurs territoires surtout

ceux du

Nord.^^

De même, un

projection des offices

de

l'hôtel se manifeste sur les

dénomi-

nations

de

personnel.

Par

conséquent, l'énoncé

du

rôledel'individu

dans

lafamiliarité

domestique

peuts'avérer

un

traitcaractéristique

de

lasubor- dination.

Quelques

instrumentistesprennentle

nom de

leursinstruments, l'objetprécisant

l'homme

etgagnant, encela, vertu

d'emblème.

^^

L'appareilsonore des

ducs

se

compose, en majeure

partie, des

ménes-

trels

de

hautsinstruments.

Leur

fonctionsocio-musicale, et particulière-

ment

celledes trompettes

de

guerre,consisteàtraduire

aux

planssonoreet visuel la dignité, la magnificence et la force

du

prince. Ils ponctuent les

manoeuvres

militaires,

proclament

son entrée

dans

ses

bonnes

villes,

annoncent

lesprincipalesétapes

de

sa journée, publientlesdécretsetles arrêtés, s'exécutent

dans

lesfanfares et

rythment

lesdiversesphases des joutes et tournois.

Les

sons qu'ils projettent exercent

une

fonction de signal.L'importance

de

laprojection

de

l'autoritépar des signaux sonores transforme ces hauts instrumentistes

en

agents de transmission d'infor- mationsponctuellesexigeant

une

réponsepréciseet

immédiate ou

attirant l'attentionsurles gestes

du

duc. Ils

assument

leurfonction àlaguerre

l'onutilise lebruitd'abord à des fins stratégiques. L'attaque d'une ville

ou

d'une

armée ennemie commence

parle bruitdélibérémentéclatant voire violent des trompettes et des clairons

menant

la

marche

suivis par les

(13)

autreshautsinstrumentistes.

Les

chroniqueurs

demeurent

sensiblesàl'in- tensité

du

bruit,

de

la"noise"

provoquée

parleshauts instruments.

De

la

même

manière, laprisede possession d'unevillesemanifested'abord par l'entréedes trompettes

du

vainqueur

dans

la villeconquise.Plusspécifique- ment,lestrompettesdeguerre remplissent

une

fonctionpsychologique,ser- vantàla foisàraviver l'ardeur guerrièredes troupesetàintimider l'ennemi.

Outre les

campagnes

militaires, les hauts instrumentistesdoivent

accom-

pagner le

duc au

cours de ses

voyages

officiels. Si l'escorte sonore varie selon l'importance des déplacements, restent toujours présents les trom- pettes de guerre et les autres ménestrels de hauts instruments.

Chaque voyage

offrel'occasion au

duc

de montrersa magnificenceet

de

déployer toutlefaste

que

son pouvoir

permet

Ainsi,sapuissances'affirme,

dans une

certainemesure,selonlaquantitédes instruments

employés

afinde dégager tout l'effet qu'il exige

pour

se faire annoncer.

La

présence des hauts in- strumentistes s'avère particulièrement nécessaire

quant

à l'animationdes

fêtes, àla solennité des cérémonies, desjoutesetdes tournois.

En

ce qui concerne lescérémonies de la

Toison

d'or,ilsdoiventtraduire ostensible-

ment au

plan sonore àla fois l'ordonnanceet la dignité

de

la

cérémonie

et des banquets. Selon 1' "Espitre

pour

tenir et célébrer la noble feste

du Thoisond'or"

del'historiographe Olivier

de La Marche,

lesinstrumentistes interviennentau

moment du

dîner, plusprécisément

pour

la présentation des

mets

devantlesconvives.^^

En

ce qui atrait

aux

joutesettournois,ces divertissements favorisdelanoblesse exigent

un

déploiement sonore con-

forme

àlamentalitéet

aux

idéauxquis'yprojettent

Aussi

restent-ilsl'af- faire presque exclusive des trompettes de guerre et des autres hauts in- strumentistes.^^

Les

chroniqueurs

mentionnent

régulièrement

dans

leurs textes legrandbruit

que

suscitentces exhibitions et insistentsur l'impor- tance

du

cortège sonore glorifiantlehérosde ces manifestationsvirileset guerrières.

Au

chapitredes danses, l'importance

du

spectacletend às'ef- facerdevantleplaisirsocialnaissantdelaparticipationà

un

divertissement

lespectateurauditeurdevientacteur. L'exécutiondesdansesexige

une bonne

diffusiondessons.

Les

musiciens prennent

donc

place sur

un

échaf- faud

aménagé

à ceteffet^^

Les

circonstancessemblent décider

du

choix des instruments utilisés: les caroles et les

moresques demandent

des hauts instruments alors

que

les basses dansesrequièrentdesbas instruments.

Au

chapitre

de

l'activitédiplomatique,

deux

facteurs interviennent

dans

l'organisation d'une

ambassade

temporaire ordinaire

au XVe

siècle: la qualitédes

ambassadeurs

etl'apparatmatérielsuivantleprincipe

du nom-

bre, et ce,

dans

lebutd'attirer l'attention auditiveet visuelle.

La

cour de

Bourgogne

éclipse touteslesautres parl'éclatetle luxedéployéslorsdes entrevues, alliantleplus largeapparat àlastricte

observance du

droitdes gensetdel'étiquette.

Lors

del'entréedes

ambassadeurs dans

lesvilles, le cortège pénètre au bruit des

canons

et des trompettes.

Au

plan extra-

(14)

musical, l'immunité nécessitant la production

de

pouvoirs réguliers est assurée

aux ambassadeurs

résidents

ou

temporaires,

aux ambassadeurs

d'apparat,

aux

hérautsettrompettes

en

missionet

aux ambassades

sec- rètes régulièrement accréditées. Souvent, des

ambassadeurs envoyés

en missionpartentavecleurs

homologues

étrangers

dans un

butdesûretéet de

commodité.

Ainsi,en

temps de

guerre,

une bonne

précaution, usuelleet facile

pour

traverserleslignes

ennemies

et faire reconnaîtredesenvoyés, consisteà prendre

un

héraut

ou un

trompette

comme

escorte."*^

De même,

lesrelationsentrelescours s'apparentent à des

échanges

de

bons

procédés se

maintenant

souvent parl'entremise

de

leursmusiciens

eux-mêmes. Les

missions extra-diplomatiques se

composent de

certains agentsjouant

un

rôle particulier: les roisd'armes,leshérauts,lespoursuivants d'armes, les huissiersd'armes,lessergents

d'armes

et lestrompettes deguerre.

Ceux-

ci,parleprestige

de

leurfonction, jouissent, detout

temps

etuniverselle-

ment, du

droit absolu

de

circuler librement

en

tout

pays

à titre

de

parlementaire,et ce,

même en temps

deguerre, surlasimplejustification d'un ordre

émanant

des autorités militaires de leurpays.

A

ce titre, ils

amorcent

des négociationsentrelesantagonistes.

Les

trompettes deguerre

occupent

plus

fréquemment

lerôle d'agents

du duc

lors de missions sec- rètes dont "il ne veult aultre declaracion estre faicte," de porteurs de dépêches, d'envoyers secretsvoired'espions militaires."^^

Loin

desusciterl'ardeurvirileet guerrière, lerôledes ménestrelsde bas instruments,lesharpeurs,luthistes et vielleurs,reste tributaire

de

celui

que

lasociété

du temps

accorde àlamusique.

Par

conséquent, ces basinstru- mentistes ne se verrontutilisés

que pour agrémenter

les banquets et les

danseslorsdesfêtes,solennités,joutesettournois.

Mais

avanttoutechose, les chroniqueursrestenttrès imprécis

dans

l'identification

de

ces instru- mentistes. L'utiUsation

de

certainsverbes,

comme "sonner" ou

"corner"

pour

les hauts instruments et "jouer"

pour

les bas, et de certaines ex- pressionstelles

que

"autres divers instrumens," laisse

présumer

desdif- férenciationspermettantdelesidentifierquelquepeu.

D'abord, l'armée se servira

du

talentdecesménestrels à des finspsy- chologiques, leur

musique

servantàdivertirleschevaliers entre

deux com-

bats, età des fins stratégiques, leurs

chansons aux propos

diffamatoires cherchant àintimider l'ennemi.

De même,

puisquelesbasinstrumentistes

composent une

partiedes effectifs d'une

ambassade

temporaire, ilspeu- vent,

en donnant

des concerts, remplir leurs missions sans éveiller de méfiance. Ilsseprêtent àdes actions secrètes

beaucoup

plushasardeuses et

compromettantes que

cellesrempliesparlestrompettesdeguerresetles autreshautsinstrumentistes,et ce,

même

s'ilsnejouissentpas des

mêmes

immunités

etavantages. Ilsagissentàtitred'espionsetpeuvent,

dans

cer- tains cas, se charger d'un attentat."*^ Toujours sous le couvert d'exhiber leur talent, les bas instrumentistes agissent aussi à titre de porteurs de

(15)

dépèches

et

de

missives.

Les

ménestrelsde basinstruments, surtoutlesharpeurs,

employés

àtitre

de

valets

de chambre

par le

duc

n'exerceront

aucun

travail

proprement

musical avant1430, sauf

pour

1'"esbattement" etl'éducationmusicaledes jeunesenfants. D'ailleurs,s'

appuyant

sur l'iconographie. R.

Wangermée

souligne

que pour

lesnobles''la

musique

étaitsouvent associée

à

l'amour, tout

en

lui attribuant

une

grande importance

dans

leurs divertissements, peut-être la méprisaient-ils

un

peu."'*^

Donc,

avant 1430, les harpeurs

occupent

le poste de valets

de chambre du duc

et

de

la duchesse.

Sous

PhilippeleHardi,obtenircettecharge

domestique

constitue

pour

leshar- peurs

un honneur

auquel ils n'aspirent

que

très tard.

Cependant,

sous Philippe le Bon,

Jeanne Marix remarque

avecjustesse

que "Le

titre

de

valetde

chambre

n'estpas

pour

Philippele

Bon un honneur

qu'il accorde

aux

harpistes,

mais

lafonction

de

harpisteestplutôt

une

distractionqu'il tolèredeses valetsde

chambre.

'"*"*

Aussi,nesemblent-ilsengagés qu'à des

fins

purement domestiques pendant

les premières années

du

règne de Philippe. Toutefois, après 1430, laprésence àlacourd'Isabellede Por- tugal s'avérera bénéfique

pour

eux: désormais tout

en

exerçant leurs charges

domestiques

auprès

du duc

etde laduchesse, ils pourrontfaire valoirleur talentde musicien auprès de celle-ci.

Au

chapitredesconditions

de

viematérielle, des ménestrels

de

lacour ducale,les détails

abondent en

cequi

concerne

leshautsinstrumentistes.

De

loin le groupe le plus

nombreux, au moins douze bon an mal

an, ils

bénéficientde pensions quotidienneset annuelles.

A

ces gages réguliers s'additionnent, àl'occasiondesfêtesreligieuses etprofanes, des

voyages

et des missions spéciales, des gratifications particulières.

Les

diverses solennitésoffertes à la

cour

ducale constituent

de bonnes

occasions

pour

les instrumentistes à l'affût

de

bénéfices supplémentaires degarnirleurs bourses. Propriétaires

de

biens

meubles

et

immeubles,

le

duc

leuraccorde desgages supplémentairesafin qu'ilspuissentàl'occasionretourner

dans

leurs familles.

Les femmes de

ménestrels participent,

dans une

certaine mesure,

au

statut

de

leurs

époux en

bénéficiantdeslargessesdeladuchesse.

Les

ménestrels de hauts instruments doiventse

conformer aux

exigences vestimentaires de leurprotecteur. D'abord, les trompettes

de

guerre ar-

borentlescouleursducalessurleursvêtementsetsurlesbannières

de

leurs instruments.

Ces

vêtements adoptentleplussouventlacouleurvermeille, brodés

aux armes du

prince.

Ces

exigencesvestimentairesprennenttoute leurimportanceetleursignification lorsdecironstances qui

demandent un

déploiement

de

couleursappropriées.

De même,

ilsreçoiventàleurentrée dans ladomesticité ducale,

un

''émail" et

un

blason

aux armes

ducales.

Par

contre, les ménestrels de bas instruments constituentle

groupe

le

moins nombreux. Avant

1430,Philippele

Bon

n'enpossède qu'unseulde façon permanente,

occupant

le poste de valet

de chambre. Après

son

(16)

mariage

avecIsabelle

de

Portugal,le

nombre de

basinstrumentistes sefix- era àquatre.

A

l'exemple de leurs confrères, ils bénéficientde pensions quotidiennesetannuelles,dediversesgratifications et rentes.

Cependant,

les

comptes

dePhilippele

Bon

et

de

Charlesle

Téméraire demeurent

très imprécis surleurs costumes. Toutefois, selonl'état

de

ladomesticité

du

derniergrand

duc de Bourgogne,

ilsdoiventporter sesarmes, à l'exemple des gens de samaison.

A

l'amorce

du

processus

de

sédentarisation des musiciens

dans

les cours, àla fin

du XlVe

et

au début du XVe

siècle, leprincipalcritère de sélection réside

dans

l'habiletéexceptionnelle

de

l'instrumentiste,

engagé

après

une

auditionauprès

du duc

lui-même.

Après

laformation d'un

noyau

de

bons

ménestrels,le

duc

s'attacheradetrèsjeunes gens auxquelsilscon- fieral'éducationà des musicienséprouvés,s'inspirant

en

celades

méthodes

d'apprentissage

de

l'organisationdesmétiers. L'apprentireçoitle titrede petit ménestrel et reste parfois de langues

années

à suivre les enseigne-

ments de

sonaîné.

De

la

même

manière,celui-citransmettra

son

art et

son

métier àsa progéniture.

A

l'encontredes ménestrelsde hautsinstruments, les bas instrumentistes participent

aux

écoles

de

ménestrels, réunions périodiquessetenant

dans une

villefixéeàl'avance

au temps du

carême,

quand

la

musique

et lesautresmanifestations

de

divertissement

demeurent

interdites. Il s'agitde congrès

les ménestrels

de

différents pays, obte-

nant

des

sommes

d'argent

de

leurs protecteurs, se rencontrent afin d'échanger, écouter etapprendre

de

nouvelles

chansons

leurpermettant d'étendre leur répertoire. J.

Marix

constate

que

les

mentions

d'écoles s'avèrent

nombreuses

à la fin

du XlVe

siècle sous Philippe le Hardi."*^

Cependant, sousPhilippeleBon,

aucun compte

n'indiquel'envoide

ménes-

trels

ducaux

àcesécoles.D'abord,Philippe n'attacheguèred'importance à l'engagement

de

ménestrels

de

bas instruments, préférant gratifier les ménestrels

de

passage

ou ceux

des villes lors

de

ses voyages. Plus

nom- breux

depuisl'arrivéedela

duchesse

Isabelle,ils

semblent

évoluer

en

vase clos,encadrés parlacouretrenouvellantleurrépertoirelorsdela

venue

de musiciensitinérants qu'ilsdoiventalorsécouter. Toutefois,desconditions d'ordreartistiqueimposeront,

dans

la

deuxième

moitié

du XVe

siècle,

aux

ménestrels

de

profonds

changements

d'organisationetd'esthétiquerési-

dant

au

seind'uneplus large parcellisation

ou

fragmentationdel'exécution musicale.

Dans un

premier temps, la

musique

vocalesepassera

d'accom- pagnement

instrumental. D'autrepart, lesinstrumentistes seconfineront

au

jeu

de

leurs instruments et se serviront

de

plus

en

plus des pratiques d'apprentissage

de

l'organisationdesmétiers.

Le

ménestrel, musicien et poète

du

siècleprécédent,devient

un

ménétrier,

un

simple exécutantquise

préoccupe de moins

en

moins de

l'élémentlittéraire

pour

se spécialiser

dans

la

musique

instrumentale. Ainsi, la spécialisation, desinstrumentis- tes, la sédentarisation, le

mode

d'apprentissage etle renouvellement

du

Références

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