Renaissance: le metier du musicien à la
cour des grand Ducs Valois de Bourgogne
GINETTE CARTIER
Lieu
essentielde
lacréationculturelle. . .,mémoire
socialiséedel'ima- ginairepassé. ..,commun aux
villages etaux
cours.. .,"^lemusicien,dans
l'exercicede son
métier, doitcomposer
aveclesdonnées
desa sociétéetde son époque.A
l'aubede
l'èremoderne,
la civilisation occidentale, en- traînéeparlapressionde
courantsnouveaux,
subitune
sériede mutations au sein de ses structuressocio-économiques
et de sa vie politique, reli-gieuseet culturelle.
Ces
mutations engendrent des conditionnementshis- toriqueset artistiquesqui influent surlemétierdu
musicien, compositeurou
instrumentiste,dans
ses conditionsdetravail etde
viematérielle,dans
sa fonctionnalité etses relations avec desemployeurs
issusdes groupes sociaux dominants.Lesclercs savaientdepuis longtempslepouvoirdesartistesets'entendaient, par des oeuvres dontilsinspiraientlesthèmes,àinstruireetconvaincre.
A
leurexemple,princeset villessurent bientôt mettre TartauservicedeleurEtatou deleur politique.^
Aussi, la problématique de cette étude consistera à
comprendre dans
quellemesure
lemécénat
des princes,notamment
celui des grandsducs
Valoisde Bourgogne,
tend à devenirun
agentde transformationdu
métier de musicien etde
l'art musical enEurope
occidentale à l'aube de laRenaissance.
Notre démarche méthodologique
repose surl'utilisationdedocuments
d'archives^ etde sourcesnarratives, littéraires"*eticonographiques.^Leur témoignage
s'avère particulièrement pertinentquant
à lapratique musi- caledu
temps, l'instrumentation, lesgroupements
d'instruments et de voix, ladirectiondes ensembles,lafonctiondelamusique,lesconditions de l'audition musicaleetla situation socialedes musiciens.Dans une approche
pluridisciplinaire, notrecadre conceptuel s'inspire largement,en
premier lieu, desdonnées
fournies depuis près d'undemi-158/ Renaissanceand Reformation
siècleparlarecherchehistoriqueetmusicologique.
Leur
principal apport, à ce chapitre,demeure
la notion deconditionnement
social. Celle-ci sepropose
d'appréhenderles interrelationsdialectiques entrel'artmusicalet le contexte historique. Ellemet en
reliefl'importance exercée parlade-mande
etlerôledu
publicàune époque où
l'artseconçoitsurtouten termes pratiquesetfonctionnels.Aussi,letravaildu
musicienetledéveloppement
de lamusique
restent-ils liés à leur fonctiondans
la société.^ SelonAndré
Schaeffner,Quellesquesoientlesinnovations d'ordres diversquelesmusiciens degénie aientapportées,eux-mêmesn'ontpu ques'adapter àdessituationsdonnées:
chacunse servantdumatérielinstrumentaldese faire entendre.. ., s'expri- mantdanslecadredes formesusuelles...,remplissant parfoisdesfonctions..
quil'obligentà alimenterunrépertoirespécial.'
En deuxième
lieu,lessciencesdelacommunication nous
permettentd'ap- profondirla notionde
musique,code
decommunication
socialecompar-
able au langageverbal. Selon Françoise Escal,...cesmusiquesutilisentdessignaux,lesignalétantunsignequisertd'aver- tissementetdéclenche unecertaine conduite.Ilaeneffet trois caractéristi- ques: au niveau del'intention, ilestvolontaire, contrairementàl'indice; au niveaudelastructure,ilaunsignifiéglobal, indivisible,équivalent àun énoncé linguistiquecomplet;au niveau delafonction,ilestutilitaire,liéàuncontexte situationneletàl'action.Ilne dépasse pasleniveaudelacommunication.Il
doitêtreperçu sansentraînerdes recherches de signification.*
Par
conséquent, le musicien devientun
agent de transmission d'infor-mations
ponctuelles sanctionnées par la réponse concrète etimmédiate
des sujetssociauxauxquelslemessage
s'adresse.Dans
cetteperspective,une
théoriedu
pouvoir exigeraune
théoriedelalocalisationdu
bruit etde samise en forme dans
descodesinfluantdu même coup
lesformesdu
pro- duitmusical etle rôledu
musicien.'Un
milieusocial propice: laCour
desducs de Bourgogne
Lacour deBourgogneajetéauXVe
siècleunexceptionnel éclat Elle avisé manifestementà éclipserlesautrescoursprincières.En
cesiècleoùlecultedela majesté et le souci du luxe semblentavoir l'impérieuse tyrannie d'une religion,l'Etatbourguignon prendà tâche,dirait-on,debattretouslesrecords.
S'agit-ilderacheterparlasomptuositédudécor,parl'étincellementdesfêtes, parla gloiredes pasd'armes,parlaplantureuseabondancedesfestins, l'ab- sence d'une couronneroyaledontonvoudrait insinuerparlàquel'onestdigne puisqu'ondépasse enlargesseceuxquien gardenttropjalousementlemon- opole?
On
lecroirait volontiers. Unemégalomanie politiqueparaîtbiense cacherderrièrecetteobsessionconstantedefairedelaMaisonducalelaplussplendidedetouteslesmaisonsquirégnentdanslachrétienté,desehausserau premier rang desdynasties souveraines,defairepartoutvanterlarichesse,la générosité, legoût de"ceuxde Bourgogne.""*
Voilàquisitue et
résume
lesouvenirlaisséparlaMaison
deBourgogne
à rapogée
desapuissanceau XVe
siècle,plusprécisément souslerègnede Philippe leBon
etde Charles le Téméraire. Cette puissance s'explique d'aborden
raisonde l'accroissementprogressifdes possessionsducales,amorcé
sous lepremier
duc, Philippe le Hardi.Outre
l'apanagede
Bourgogne, cespossessionsincluentlesterritoires lesplus richesdel'Oc- cident, en l'occurence lesPays-Bas
septentrionaux, reconnuspour
leur excellentesituationgéographiqueàl'embouchure du
Rhin,delaMeuse
et del'Escaut,etpour
leurpopulationnombreuse
etindustrieuse.La
réunion politiquepermet
l'établissementd'uneadministration régulière, relative-ment
perfectionnée, et favorise l'essor descommunications. A
cela s'ajouteune
paix relative àl'intérieurdu
pays.La
politiqueducale laisse mouriraux
frontières lesremous
des guerres franco- anglaises, épargant ainsiaux
sujetslesépreuvessubiesparlerestedelamouvance
françaiseet favorisant, par conséquent, ledéveloppement économique. Ces
bases politiques etsocio-économiques
permettent l'ascension d'une classemoyenne
bourgeoisequi,au
seindelasociétéurbaine,domine
lesformes nouvellesd'appropriationdu
temps.^ ^La
richesse, lacompétence
etlesens del'organisationde
cettebourgeoisied'affairespermettentlefastedéployé par lesducs
de Bourgogne. Toutefois, si elles le soutiennent, elles n'en expliquentpas les motivations profondes.Aussi
faut-il les chercher ail- leurs, àun
niveauplussubtil,dans
l'espritdel'époque. L'historienJohan Huizinga
explique:.. .touteexpérienceavaitencorecedegréd'immédiatetd'absolu qu'ontle plaisir etlapeinedansl'espritd'unenfant Chaqueacte,chaqueévénement
étaitentouréde formesfixes etexpressives, élevé àladignitéd'unrituel.. .
lesévénementdemoindreimportance,euxaussi...étaientaccompagnésd'un millierdebénédictions,de cérémoniesetdeformules.
On
jouissaitplusavidement delarichesseetdes honneurs, carceux-ci con- trastaientplusencoreque de nosjoursavec lamisère environnante. . . Et toutesleschoses de laviejouissaientd'unepublicité,oupénibleouorgueil- leuse...Chaqueétat,chaquecadre,chaqueprofessionétaitreconnaissableà l'habit...,touts'annonçaitclairementpar descortèges,descris,deslamen- tations etdelamusique. ..Les formes symboliqueset lescontrastesperpétuelsaveclesquelstoutechose se présentaitàl'espritdonnaientàla vie quotidienne uneémotivité qui se manifestaitparces alternativesdedésespoiroudejoie délirante,decruautéou deprofondetendresse, entre lesquellesoscillaitlavieaumoyenàge.'^
La Cour
constitueleterrainlepluspropiceau déploiement
ostentatoirede cet esthétisme.Le
pouvoirde
suggestiondes signes extérieurs renforce la fidélité au prince et assure son prestige au-delàmême
de ses frontières.Selonlechroniqueur
Georges
Chastellain, aprèslagloireguerrière, lefaste delaCour
constituelapremière chosesur laquelleon
portelesyeux.*^Le renforcement du pouvoir de
suggestionque
traduitostensiblement
la magnificencedonton
entourelapersonne du
prince,s'apparente,dans une
certainemesure,àun phénomène
decaractèrehypnotiquepuisqu'ilretient etattirel'attentiondes sujetsparune
sorted'attractionirrésistibleprovo-quée
par desmoyens
artificielsde
concentration sensitive.A propos
de Philippe le Bon, l'historienJoseph Calmette
écrivaitLe duc aimelefaste, lesbijoux,lesbeaux chevauxet saits'en parer, sesentrées solennellesdansles villeséblouissentlesfoules. Ilsurpassedansl'organisa- tiondesfêtes,joutes, tournois, banquets, toutcequi aété fait avantlui. Il
stupéfieseshôtesparl'étalagedesesjoyaux,desestapisseries,desavaisselle, deses coffres pleinsd'or.'''
L'affirmation
du
pouvoirdu
prince et de son entourage se manifeste d'abordau
plande
la réalité sonore.La
considérationdont
ilsjouissent semesure
proportionnellement àleurcapacitéde provoquer du
bruitd'abord quantitativement parles tintements etlescliquetis. Ainsi,une mode
ex-trêmement répandue
auXVe
siècleconsisteà chargerde campanes
etde clochettesnon
seulementleshousses deschevaux
desnoblespersonnagesmais
aussileurs propres vêtements:La Hire porte un manteaurouge tout chargé de clochettes d'argent, sem- blablesàcelles queportentlesvaches.
A
uneentrée,en 1465,lecapitaine Salazarestaccompagnéde vingthommes
d'armes dont les chevauxontlecaparaçon garni de grosses clochettes d'argent . . Charles le Téméraire apparaîtdans un tournoivêtud'unhabitde fêtecousu de florins; desgen- tilshommesanglaisont des vêtements cousus de noblessonnants.
Aux
fêtes nuptialesducomtedeGenèveàChambéryen1434, un groupedeseigneurset dedamesexécutentunedanse;ilssont vêtusde blancrelevé"d'orclinquant":les
hommes
ontdelarges ceinturesgarniesdesonnettes.'^Même
surchargeau
plan visuel: les orfèvres et les tailleurs couvrentexagérément
les vêtements d'orfèvrerie etde
pierreries.^^ Cette fois, au planqualitatifdu
bruit,l'usagefonctionneldelamusique
contribueàl'ac- ceptationde
l'art musicalcomme une
activité nécessairede l'homme
civilisé
incamé
par leprince.La
localisationdu
bruit: Finstrumentation musicale
L'éducationetlesgoûts
musicaux
desprincesjettentquelques lumièressur la classification des instruments demusique
à la cour.D'un
part, les"hauts'' instrumentsse caractérisentpar desvaleur
de
virilité masculineévoquant
les guerreset les manifestations chevaleresques visant à satis- faire l'orgueildeshommes.
D'autrepart, les"bas"
instruments, plusraf- finés, voiredénués
detoute connotationvirile,s'associentaux femmes
etaux
enfants/^Silacloche
évoque
lacommunauté
chrétienne,un
autre soncentripètemarque
le pouvoir, lecommandement,
l'autorité laïque et militaire: latrompe.
En
effet, par saforme
acoustique déterminée parune
courbe logarythmique projettantle sondans
l'infmi sansjamais
revenir surlui-même,
latrompe
etles instruments demusique
de sa famille impliquentune
projectionde l'autorité versl'extérieur.^^Par
la virilitévoire l'agres- sivité de sontimbre, elleexprime
lesbienfaitsdelavictoire, lafélicitédu
devoiraccompli
etlagloiredu
pouvoir.La trompe demeure
l'instrumentdel'éclat, de la puissance et de la domination.
A
cetélément
acoustique s'ajouteun élément
rythmique: letambour.Au même
titreque
latrompe
quinereste,à toutfin utile,qu'unprolongement
sonore delavoixhumaine,
le
tambour
nerythme que
plusfortementlepas puisqueson
battement ne s'éloigne pas de lapulsation cardiaque normale. S'inspirantdes chroni- ques de l'époque, J.Huizinga montre
le rôle significatif de cesdeux
types d'instruments:Pendantla nuitqui précéda Azincourt, les deux armées. Tune en facede l'autre dans l'obscurité, s'excitaientau combatà son de trompettes, et les Françaisse plaignirentden'en avoirpas euassez"poureulx resjouyr", ce qui futcausequeleurcourage futmoinssoutenu. . .
Verslafindu
XVe
siècle,leslansquenetsintroduisirent l'usagedutambour, d'origineorientale. Avec soneffethypnotiqueetinharmonieux, letambour symboliselatransitionentrel'époquedelachevalerieet celledel'artmilitaire moderne; ilestun élément danslamécanisation delaguerre.''Ainsi, les trompettes et le groupe des
"hauts"
instruments avec les per- cussionsoccupent une
fonctiondeglorification,de
symbolisation acous- tique etrythmique du
pouvoir.Par
contre, les"bas"
instruments, à sonoritéplusdouce,telslaharpe, leluth et la vièle,rempHssent une
fonc- tion essentiellementaxée vers le simple divertissement.L'organisation
du bruit
laproduction musicale
Au-delà
del'instrumentation, lamusique
reste lemeilleurdocument
par-manent
capabled'évoquerlessonsdu
passéet,donc,de rendrecompte du paysage
sonore.La
fonctionet ladestination sociale pratique déterminentlaforme du
produit musical.^^Les
mentalitésetlesconsciencesindividuelleset collec- tives utilisent, parlecanal de lamusique,un
vaste appareil symbolique."Exposer
desidées,fortifierdessentiments, susciterdespassions, voilàce que,aux XlVe
etXVe
siècles,on
attendd'unartquin'estjamaisgratuit"^*A
lacour bourguignonne,elledoitsatisfairedes besoinsd'édificationetde divertissement, ajoutant splendeur etpompe aux cérémonies
et autres solennités.Ilne
s'agitdonc
pas d'unemusique de
concertau
sensmoderne du
terme:Religieuseou profanelamusiquesemêleaux activitésjournalières lesplus diversesdelacour,messechantéechaquejourdevantleprinceet lesgrands, cérémoniesetrepasmêlés deconcerts;àlaguerre, en voyage,lesmusiciens suivent leprince. Toutestoccasion de chants, de sonneries et dedanses.
Comme
leducde Bourgogne,lesducsd'Orléans,deSavoie,d'Anjou,de Bour- bonentretiennenttousdes chanteursd'église etdes joueursd'instruments;les princes étrangers,qu'ilssoientde Hollande,deBavière,d'Italie,d'Aragon, de Portugalnesontpasmoinssoucieuxduplus belornementdeleurcour. Ilssaventlaconsidérationqueleurvaudraunrichepersonnel musical.^^
La
composition,l'instrumentationetl'exécutionmusicale exercerontune
influence déterminante sur le processus de différenciation, d'une part, entre les types de musiciens à savoir les compositeursau
rang social supérieur et les simples instrumentistesoccupant une
position sociale inférieure, etd'autre part, surleprocessusdehiérarchisation àl'intérieurmême
decettedernière catégorie à savoirlesménestrelsde hautsetde
bas instruments.Mais
d'abord,ledéploiement du
fastedelaCour,lerenforce-ment du
pouvoir de suggestion des signes extérieursde
la puissancedu
prince, l'environnement acoustique
dont
il s'entoure et les formes musi- cales d'édificationetde divertissementqu'ilexige,amèneront une
séden- tarisationcroissantedu
musiciensetraduisantparun
contratdedomesticité entre lui etle pouvoir, puisque"Qui
dit 'fonction,' ditnécessité; qui dit 'fonction,' ditencore'subordination.' "^^Les compositeurs bourguignons:
leschapelains de
lacour
Dès
leXlIIe
siècle,lemorcellement
verticaldesmétiers,issudel'établis-sement
d'une dernière frontière de l'estime etdu mépris
entre le travailmanuel
etletravail intellectuel,favoriselaformation d'une nouvelle"aris- tocratie"s'appuyant
surlesformes
écrites et visuellesde
transmissiondu
savoir.^"*
Ce nouveau
patriciat secompose
de clercs et d'universitairesparmi
lesquels se trouvent lesthéoriciens de lamusique que
latradition antique considèrecomme
les"vrais" musiciens.Ce
mot,telun
titrehon- orifique,semble
réservé exclusivementaux
initiés, en oppositionaux
praticiens de la musique,non
considéréscomme
musiciens puisque dé- signésparun terme formé du nom
del'instrument leurservantàproduire dessons,parexemple
vielleurs,harpeurs, trompettes. Ainsi s'opposeaux
"vrais"musiciens
un
réservoirénorme
d'exécutants auxquelslespremiersne reconnaissent
que peu
deculture.Le mode
d'apprentissage élargit ladichotomieentre ces derniersetlesinstrumentistes.
Les
théoriciensreçoi- ventune
éducation musicale théorique dispenséedans
lesuniversités, et les praticiensun enseignement
pratique reposant sur l'audition et la manipulation des instruments.Cependant,
à lafm du Moyen Age, une demande
sociale grandissantede lapartdes groupes sociauxdominants
exigeune
nouvelleorientationpédagogique
axéevers la satisfactiondes besoinsque
dispenserontbientôtles maîtrisesdes cathédraleset lescha- pelles princières.^^Le
musicienparfait reste celuiqui saitmais
le savoir auquel ilse réfère correspondà lasciencedes règles delamusique
etde leurapplicationque
constitue l'artdu
contrepoint, etnon
plusla sciencemathématique
des proportionsetdelaconnaissancede
l'univers.Par
con- séquent, le profildu
''vrai" musicien se transforme: l'èredu
théoricienrompu aux
disciplinesdu Quadrivium
seterminealorsque
s'ouvrecelledu
compositeursoumis aux
impératifsde
lacommande
sociale.A
cechapitre, lacoutume oppose
leshommes de
courtels Gilles Binchois etAntoine Busnois aux hommes
d'églisetelsGuillaume Dufay
etJean
Ockeghem.^*^Les hommes
decour
déploient leurs activitésau
sein d'un milieuoù
la recherchedu
plaisirdomine
tout autre quête.Aussi
la composition de piècesprofanesprendra-t-ellelepassurlamusique
sacrée. Toutefois,tout au long de leurrègne, lesducs
deBourgogne
chercheront àaccroître la splendeur deleurmusique
religieuse.Sous
Philippele Hardi, lachapelle ducalefaitl'objetdesoins constants.Nuit
etjour,un nombre
considérable de musicienscélèbrentleservicedivinen son
hôtel.Les
grandes orguesdu duc
àDijonetàGonflans-lès-Parisajoutent àlasolennitédes cérémonies.Son
petit-fils, Philippe leBon,
fonde en1422
eten 1431 deux
grand-messes
quotidiennes àlaSainte-Chapellede
Dijon.Ily
établitune
maîtrise d'enfants dechoeur
ainsi qu'à l'église Saint-Pierre de Lille.En
1424, ilsoutientlaconstructiondes orgueslesplusgrandioses
de
l'époque, celles deNotre-Dame d'Amiens. Chacun de
seschâteaux possède un
orgue appropriéaux dimensions
delachapelle.De même,
neconsidère-t-onpasqu'aucune
chapelle privée n'égale celledu Grand Duc
d'Occident?Les
ducsde Bourgogne
réunirontlesmeilleurscompositeurs, chantreset organistesdeleurépoque.A
l'exempledu
personnelde
lacouretselonlesordonnances
ducales, lepersonnelecclésiastique doitescorterleduc dans
ses déplacements,en temps
de guerrecomme en temps
de paix, afin d'assurer le maintien des services religieux quotidiens.^^De même,
cer-tains
comptes
soulignent leur participationaux
opérationsmilitaires.En-
tre
deux
combats, lesmembres
de la chapelle s'emploientà distraire le duc.'^D'une
part, leurmusique
doit souligner les grandsmoments
de lavie chrétienne.D'
abord,lanaissance d'unhéritierresteun événement que
l'on désiremarquer
d'une empreintetoutesolennelle.Pour
celled'Antoinede
Bourgogne, premier enfant
de
PhilippeleBon
etd'Isabellede
Portugal,néen
1430, le chapelain Gilles Binchoiscompose
lemotet Nove cantum
mélodie, lequel contientd'ailleurstouslesnoms
desmembres de
lacha- pelleducaledu
temps.^^Lors
descérémonies
nuptiales, le rôledes musi- ciens de la chapelle serésume aux
célébrations liturgiques etdans une
participation occasionnelle des chantresaux
entremets des banquets.Enfin,sileservicefunèbre
du
princeexigeàla foisleportde vêtements de deuil etle silence des instruments profane, lamusique
sacrée, véritabledécor
sonorede
circonstance, susciteune
forteimpression, amplifiantdu
même coup
lesentimentde douleursaisissantlesspectateursde
cettesom-
bre représentation esthétique.D'autrepart, la
musique
descompositeursbourguignons
resteliéeaux
manifestationsd'unecertainepsychologiecollective.En
premierlieu, àla façon d'unemode,
l'affirmation des valeurs socio-politiques se traduit,pour
toutmembre de
lahaute aristocratie, par lacréationd'un ordre de chevalerie. Aussi, Philippe leBon
fonde-t-ille sien, l'ordrede
laToison
d'or,
en
1430,lejourde son mariage
avecIsabellede
Portugal.A
lafindu Moyen Age,
l'ordrede
chevalerie ne resteplusqu'une
reproduction sé- culariséedes ordresreligieux issusdes Croisades. Silecaractèrespirituelmoral
s'effacedevant
legoûtdu
prestigeetdu
faste,lerituelchevaleresquedemeure
assezrichepour donner
àcesfêtesun
styleempreint de
vénéra- tionetde
solennité.Par
conséquent,un
produitmusical de circonstanceimprimera
à ces manifestationsun
caractère sacré traduisant au plan sonore la significationde
l'idéalde
chevalerie. D'ailleurs, il existaitun
livre
de
chant"où
sontaucunes messes pour
serviràlamesse de
l'Ordrede laToison
d'or,"pour
lequellecompositeur
reçutrémunération.^°En
deux-ième
lieu,compromis
entrelesanciennestraditionsdelaculturepopulaire et lescroyanceschrétiennes, lesfêtes liturgiquescontribuent àrenforcer les valeurs socio-religieuses.A
la cour deBourgogne,
lescérémonies
Uturgiquesrequièrentle
concours
des musiciensde
lachapelle. Souvent,pour
l'occasion,leduc
inviteprélatsetchapelains àsatable.Notamment,
lecycle pascal,aveclesfêtes
de
Pâques,del'Ascension,de
laPentecôteet delaFête-Dieu,resteleprétexteàde
grandes heuresliturgiques.Ces
fêtes solennelles s'apparententdans
leurforme
à des spectacles mettant en scèneun
trèsgrandnombre de
personnages,clercsetdiacres,paréspour
lacirconstance
de costumes
colorés,etdont
lamusique
sacrée,parlaréson-nance
populaire des chants d'église,permet une
plus étroite et spec- taculaire participation des foules.Outre
leurprésence aux
services religieux, les chantres participentaux
représentations de mystères, véri- tables outilspédagogiques
permettant d'améliorerlacompréhension
des fidèlesen
matièrede
foireligieuse.^*En
troisièmelieu,lesfêtesburlesques, parfois licencieuses,constituentl'undesaspectslesplus caractéristiques del'époque. Essentiellementecclésiastique, cette fêtedesFous, des Sotsou
des Innocentsdu 28 décembre demeure un
simplemoment
liturgique,une cérémonie
d'illustration religieusedont
le but consiste à mettreen
scèneun monde
hors desnormes
habituelles, lerenversement des
hiérarchies, larevanche des ordresmineurs
etdesdiacres surl'évêqueet leschanoines.Les
simplesclercs,maîtresdel'Eglise,célèbrentlesoffices épiscopaux àleurmanière
etprocèdent àl'électiond'unévèque
desFous.Même
Philippe leBon
encourage, subventionne etprotège ces fêtesde
la contestation.^^
Au
plan extra-musical, laformationacadémique
desmembres
de la chapelleetleurappartenance àl'ordre ecclésialleurpermettentd'occuper des charges politiques, ecclésiastiques,domestiques
et diplomatiques.D'abord, ladirection
de
l'OfficedelaChapelle confère à sontitulaire,en
l'occurencele premierchapelain,ladignitéde membre du
conseil ducal.De même,
les autres chapelains exercentlafonctiond'aumôniers auprèsdu duc
etde
sonfils,lecomte de
Charolais.Soulignonsque
leschapelains constituentautantde grands personnagesque
lesprébendes
conféréesparle
duc
deBourgogne
anoblirontetenrichiront-Les nominationsde
cha- noines,de
prévôtsetde
doyens, sous le couvertde récompenses
honori- fiques, s'inscriventdans
lecadreplus largede
l'appuidu
clergéau
pouvoir ducal et, par conséquent, deson
rôledans
l'organisation politique et administrative.La
mentalitéparticulariste et"républicaine" des Etatsdu Nord
pèsecomme une menace
surles clercsetleurs biens.Seul le pouvoir ducal leuroffie
une
sécurité relative. Aussi, le clergé embrasse-t-ilsanshésiterle partidu duc
etluitémoignera,d'unepart,un
appui d'ordre spirituel précieux telsque
les interditsjetés sur lescom- munes
révoltées, lesindulgences manifestées àl'égarddelavieprivéedu duc
etde
son entourageet,d'autrepart,un
appuid'ordre politique qui per- mettraau duc
d'étendreson autoritésur touslesPays-Bas
parlebiaisdu
contrôledes nominations épiscopales.
De
plus, cecontrôle s'avéreraune méthode de
maintiende zones
d'influencescontrelaFrance
etd'imposi- tiond'unprotectoratbourguignon du
côtéde
l'empire. Aussi, revèt-ildes aspectséconomiques
importants.En
fait,leduc
disposelui-même du
soin d'étabUr lenombre de
dignités ecclésiastiques, se servant d'ellespour rémunérer un
personnel fortementmultiplié parledéveloppement de
la couretdes institutionscentralesbourguignonnes."
En
dernierlieu, lesclercsde
lachapelle, plus modestes,occupent
leur fonctionde
valetsde chambre. Pour
eux,cettechargeresteavanttoutune
occupationtemporaire.Leur
formationacadémique
leurpermet
d'aspirer etd'accéderau
postedesecrétaireset,plustard,de
gravirleséchelonsde
la hiérarchie cléricale et politique. D'autres, cependant, indifférentsaux
positions élevées,peuvent
choisirun
tout autre étatde
vie telque
lemariage,
évidemment
permispour
lesclercsde
chapelle quine
désirentpas
la prêtrise.
Ces
véritables fonctionnaires cléricaux se voient parfois confier cer- tainesmissions diplomatiquesetsecrètes.Leur
éducationlesprédisposeà exercer ce type d'activitéau
profitde
l'autorité religieuseou
profane à laquelleilssesoumettent
IInes'agitpas d'uneprofessionou
d'unecarrièremais
seulement d'untravailoccasionnel,d'une missiontemporaire.D'aut-res, soucieux d'enrichir la bibliothèque ducale, agissent à titre d'inter- médiaires négociantlesacquisitionsetlesréparationsdeslivres. Certains
composent
etnotentleursmesses
et"passions," écriventdesoeuvres lit-téraires, didactiques etdes nouvellesd'une moralité douteuse.
Au
chapitredel'administration interne, lachapelleducalepossède un gouvernement autonome
dirigé par le premier chapelain.Deux
facteurs conditionnent sa nomination: le prestigeque
procurentde
richesprében- desetdesqualitésreconnuesd'administrateur.Chaque
année,ilreçoitune
somme
globale afinde
pourvoir à la rémunération, à l'entretien etaux
fraisdivers. Selonlaconjoncture,le
nombre
de chapelainsvariedetreizeà dix-neuf,lesclercsde
chapellede deux
àsix et lessommeliers
deun
àsept.En
ce quiconcerne
leursconditionsde
viematérielle, lesmusiciensdela chapelle reçoivent, selon leuroffice,une
pension quotidienneetannuelle, des valetspour
leur service, deschevaux pour
leurs fréquents déplace-ments
etdes subventionsdiversespour
leursbons
services, leursétudes, l'acquisitionde prébendes ou simplement
subvenir àleursbesoinsen
cas de maladie.A
ces gages, s'ajoutentlesrémunérationsqui se rattachentaux
autres chargesdont
ils s'acquittentauprèsdu
duc. Aussi, à l'exempledu
personneldomestique
del'hôtel ducal, ilsdoivent se soumettreaux
con- ventions vestimentairesqu'exigel'appartenance àlapersonne du
prince.De même,
des écussons à sesarmes
sontapposées
sur leursvêtements.D'ailleurs,àl'occasiondesfêtes etdes
cérémonies
religieusesetprofanes, lesmusiciensrevêtentdes tenuesetportentdes couleursque commandent
les circonstancesetlanature des sentiments.
Au
planpédagogique,lesfondationsde
maîtrises d'enfantsde choeur au
seindescathédralesetdeschapelles princièrespermettentlaconstitution d'unbon
réservoirde chantresetd'organistes.Sous
l'autoritéd'un maître recrutéparleduc, lesenfantsrecevrontune
éducationlatine, religieuse et musicaleet,dans
cederniercas théoriqueetpratique,inspiréede
Paris.Au
chapitredeleurprovenance, selon les élémentsdisponibles, lesanalyses
onomastiques
ettoponymiques
révèlentque
sous le règne de Philippe leHardi
etdeJean Sans
Peur, lescompositeurs proviennent desrégionsdu nord
de la France,notamment
de la région parisienne. Toutefois, sous PhilippeleBon
etCharlesleTéméraire,ilsproviennenten majeure
partie desrégions artésiennesetflamandes.Peu de
détailsnous
parviennentde leurmilieufamilial.Cependant,
le typed'éducation reçulaisse supposerque
les compositeursémergent
de familles aisées.Mais
fondamentalement, ces chapelains, compositeurs etfournisseursde
musique demeurent
deshommes de
leur siècle,hommes
d'Eglise ethommes
decour.Hormnes
deleursiècle, ilspartagentlavie etl'angoisse deleurscontemporains, vieteintéeparlasupersitition etparlalibéralité des moeurs, angoisseque
tented'évacuerlafêtedesFous
qui,àl'exemple des danses macabres,masque
laprécarité de laconditionhumaine
et la fragilitédetoute positionsociale.Hommes
d'Egliseetsurtoutd'uneEglise complice de l'accroissement de la puissance bourguignonne, les cha- pelainspourvus
de prébendes canoniales conférées parleduc,devrontser- vir les intérêtsde
leur maîtreau
sein des chapitres et des assemblées auxquelles ilsparticipentHommes
de cour, lescompositeurs seprésen- tentcomme
desfournisseursdemusique
de circonstancerépondant
àune demande
sociale précise.Par
conséquent, leur oeuvre, se développantdans une
grandeuniformitéde
style,n'offreriendenovateur. Elledemeure
essentiellement profane, inspiréeparles
thèmes
del'idéalcourtois.Secon-
daire, la
musique
sacrée ne proposeaucune
oeuvre véritablement pro- fonde. D'ailleurs,cescompositeurs,même
lesplus célèbres,n'obtiennent jamaislahautedignitéde premier chapelainetdeconseillerducal.Aussi,ceux-cine laisseront-ils
aucune
trace àtitre de compositeurs.Les
praticiensde
lamusique:
les ménestrelsde
lacour
A
la findu XlVe
siècle,lajonglerie,industriecomplexe
florissantau
cours desdeux
derniers siècles, se fragmenteen une
sériede
spécialités dis- tinctes et isolées.La
misère sévissantà l'aubedu XVe
siècle nepermet
plus au jongleur de vivre de ses activitésde
divertissements auprès des stratesmoyennes
etinférieuresdes milieux urbainet rural.Le
seulmarché
potentiellement valable
au
planéconomique
reste celui des cours seig- neurialeset princières. Aussi,y
afïlueront-ils,pour
s'attirerlafaveurdes mécènes. S'il ne peut décrocherun
posteau
seinde
ces domesticités, l'association,leregroupement
confraternelet,plustard,corporatifluiper- mettrad'espérerune
situation plussûreau
planfinancieretd'améliorer,en
général, ses conditionsdevie matérielle.Engagé
suiteà desauditionsaup- rèsdu
duc,lemusicienreçoit alorsle titrede "ménestrel."Du
latin"minis- terialis"signifiantsubordonné, serviteur,domestique,lemot
"ménestrel"nepossède
donc
d'abordaucune
connotationavecle musicien.Le
terme servait à propos des gens de maison, de bas officiers.Les
ménestrels se classeront selonun
ordrehiérarchiquedéterminé parlesattributsmoraux
etsociaux des instrumentssur lesquelsilss'exécutentet,par conséquent, selon les gens auxquels ils se
subordonnent
Ainsi, à la cour bourgui- gnonne,lesménestrelsde hauts instruments, etparmi
eux, lestrompettes deguerre, restent-ilsassociésà leurmaîtreleduc, et lesménestrelsde bas instruments, plus particulièrementlesharpistesetlesvielleurs, àladuch- esseetau comte
deCharolais.Le
processusde fragmentation del'exécu- tion musicale qui sépare de plus en plus nettement l'élément poético-littéraire
de
l'exécutioninstrumentaletendraàaccentuerchezleménestrel sasimplefonction d'instrumentiste.Ces
modifications setraduirontdans
laterminologie:sile
mot
"ménestrel" resteencorede mise au XVe
siècle,dèsledébut
du
sièclesuivant,on
neparleraplusque
des "ménétriers"etde plusen
plusde
"joueurs d'instruments."Les
étatsjournaliersde
ladépense
de l'hôtel ducal rendent possible l'étudede quelquesaspectsde
laviequotidienneetdomiciliairedesducs
et offrentde nombreuses
précisionsquant au
personnel des divers offices.Cette domesticité
nombreuse
secompose
d'un personnelstable,liéau duc
parun
rapportde
subordinationimmédiat
etquotidien.Dans un
essaipat-ronymique
surladomesticitéde
l'hôtelde
Philippe leBon, Henri David remarque une
tendance toute naturelle àpréciser l'individu parson rôledans
l'économie domestique. Ainsi, le type le plus courant et le plusrépandu de
cesdénominations
secompose de deux
termes:lepremier bap- tismal,lesecond
selonle rôle."L'intéresséseprécisedonc
toutensemble
sous l'angle chrétien et sous l'angle utilitaire."^'*En
premier lieu, lesanalyses
onomastiques
ettoponymiques
laissentclairementapparaîtrelecosmopolitisme des musiciens
au début du XVe
siècle, derniersouffledu nomadisme
desjongleursmédiévaux. De
lamême
façonindiquent-ellesle déclin de ce cosmopolitisme et, par conséquent, les traces de la séden- tarisation puisque,de
plusen
plus, lesducs de Bourgogne, notamment
Philippe le
Bon
etCharles le Téméraire, recruterontlepersonnel de leurmaison au
seinmême de
leurs territoires surtoutceux du
Nord.^^De même, un
projection des officesde
l'hôtel se manifeste sur lesdénomi-
nationsde
personnel.Par
conséquent, l'énoncédu
rôledel'individudans
lafamiliarité
domestique
peuts'avérerun
traitcaractéristiquede
lasubor- dination.Quelques
instrumentistesprennentlenom de
leursinstruments, l'objetprécisantl'homme
etgagnant, encela, vertud'emblème.
^^L'appareilsonore des
ducs
secompose, en majeure
partie, desménes-
trels
de
hautsinstruments.Leur
fonctionsocio-musicale, et particulière-ment
celledes trompettesde
guerre,consisteàtraduireaux
planssonoreet visuel la dignité, la magnificence et la forcedu
prince. Ils ponctuent lesmanoeuvres
militaires,proclament
son entréedans
sesbonnes
villes,annoncent
lesprincipalesétapesde
sa journée, publientlesdécretsetles arrêtés, s'exécutentdans
lesfanfares etrythment
lesdiversesphases des joutes et tournois.Les
sons qu'ils projettent exercentune
fonction de signal.L'importancede
laprojectionde
l'autoritépar des signaux sonores transforme ces hauts instrumentistesen
agents de transmission d'infor- mationsponctuellesexigeantune
réponsepréciseetimmédiate ou
attirant l'attentionsurles gestesdu
duc. Ilsassument
leurfonction àlaguerreoù
l'onutilise lebruitd'abord à des fins stratégiques. L'attaque d'une ville
ou
d'unearmée ennemie commence
parle bruitdélibérémentéclatant voire violent des trompettes et des claironsmenant
lamarche
suivis par lesautreshautsinstrumentistes.
Les
chroniqueursdemeurent
sensiblesàl'in- tensitédu
bruit,de
la"noise"provoquée
parleshauts instruments.De
lamême
manière, laprisede possession d'unevillesemanifested'abord par l'entréedes trompettesdu
vainqueurdans
la villeconquise.Plusspécifique- ment,lestrompettesdeguerre remplissentune
fonctionpsychologique,ser- vantàla foisàraviver l'ardeur guerrièredes troupesetàintimider l'ennemi.Outre les
campagnes
militaires, les hauts instrumentistesdoiventaccom-
pagner leduc au
cours de sesvoyages
officiels. Si l'escorte sonore varie selon l'importance des déplacements, restent toujours présents les trom- pettes de guerre et les autres ménestrels de hauts instruments.Chaque voyage
offrel'occasion auduc
de montrersa magnificenceetde
déployer toutlefasteque
son pouvoirpermet
Ainsi,sapuissances'affirme,dans une
certainemesure,selonlaquantitédes instrumentsemployés
afinde dégager tout l'effet qu'il exigepour
se faire annoncer.La
présence des hauts in- strumentistes s'avère particulièrement nécessairequant
à l'animationdesfêtes, àla solennité des cérémonies, desjoutesetdes tournois.
En
ce qui concerne lescérémonies de laToison
d'or,ilsdoiventtraduire ostensible-ment au
plan sonore àla fois l'ordonnanceet la dignitéde
lacérémonie
et des banquets. Selon 1' "Espitrepour
tenir et célébrer la noble festedu Thoisond'or"
del'historiographe Olivierde La Marche,
lesinstrumentistes interviennentaumoment du
dîner, plusprécisémentpour
la présentation desmets
devantlesconvives.^^En
ce qui atraitaux
joutesettournois,ces divertissements favorisdelanoblesse exigentun
déploiement sonore con-forme
àlamentalitéetaux
idéauxquis'yprojettentAussi
restent-ilsl'af- faire presque exclusive des trompettes de guerre et des autres hauts in- strumentistes.^^Les
chroniqueursmentionnent
régulièrementdans
leurs textes legrandbruitque
suscitentces exhibitions et insistentsur l'impor- tancedu
cortège sonore glorifiantlehérosde ces manifestationsvirileset guerrières.Au
chapitredes danses, l'importancedu
spectacletend às'ef- facerdevantleplaisirsocialnaissantdelaparticipationàun
divertissementoù
lespectateurauditeurdevientacteur. L'exécutiondesdansesexigeune bonne
diffusiondessons.Les
musiciens prennentdonc
place surun
échaf- faudaménagé
à ceteffet^^Les
circonstancessemblent déciderdu
choix des instruments utilisés: les caroles et lesmoresques demandent
des hauts instruments alorsque
les basses dansesrequièrentdesbas instruments.Au
chapitrede
l'activitédiplomatique,deux
facteurs interviennentdans
l'organisation d'uneambassade
temporaire ordinaireau XVe
siècle: la qualitédesambassadeurs
etl'apparatmatérielsuivantleprincipedu nom-
bre, et ce,
dans
lebutd'attirer l'attention auditiveet visuelle.La
cour deBourgogne
éclipse touteslesautres parl'éclatetle luxedéployéslorsdes entrevues, alliantleplus largeapparat àlastricteobservance du
droitdes gensetdel'étiquette.Lors
del'entréedesambassadeurs dans
lesvilles, le cortège pénètre au bruit descanons
et des trompettes.Au
plan extra-musical, l'immunité nécessitant la production
de
pouvoirs réguliers est assuréeaux ambassadeurs
résidentsou
temporaires,aux ambassadeurs
d'apparat,aux
hérautsettrompettesen
missionetaux ambassades
sec- rètes régulièrement accréditées. Souvent, desambassadeurs envoyés
en missionpartentavecleurshomologues
étrangersdans un
butdesûretéet decommodité.
Ainsi,entemps de
guerre,une bonne
précaution, usuelleet facilepour
traverserleslignesennemies
et faire reconnaîtredesenvoyés, consisteà prendreun
hérautou un
trompettecomme
escorte."*^De même,
lesrelationsentrelescours s'apparentent à des
échanges
debons
procédés semaintenant
souvent parl'entremisede
leursmusicienseux-mêmes. Les
missions extra-diplomatiques secomposent de
certains agentsjouantun
rôle particulier: les roisd'armes,leshérauts,lespoursuivants d'armes, les huissiersd'armes,lessergents
d'armes
et lestrompettes deguerre.Ceux-
ci,parleprestige
de
leurfonction, jouissent, detouttemps
etuniverselle-ment, du
droit absolude
circuler librementen
toutpays
à titrede
parlementaire,et ce,même en temps
deguerre, surlasimplejustification d'un ordreémanant
des autorités militaires de leurpays.A
ce titre, ilsamorcent
des négociationsentrelesantagonistes.Les
trompettes deguerreoccupent
plusfréquemment
lerôle d'agentsdu duc
lors de missions sec- rètes dont "il ne veult aultre declaracion estre faicte," de porteurs de dépêches, d'envoyers secretsvoired'espions militaires."^^Loin
desusciterl'ardeurvirileet guerrière, lerôledes ménestrelsde bas instruments,lesharpeurs,luthistes et vielleurs,reste tributairede
celuique
lasociété
du temps
accorde àlamusique.Par
conséquent, ces basinstru- mentistes ne se verrontutilisésque pour agrémenter
les banquets et lesdanseslorsdesfêtes,solennités,joutesettournois.
Mais
avanttoutechose, les chroniqueursrestenttrès imprécisdans
l'identificationde
ces instru- mentistes. L'utiUsationde
certainsverbes,comme "sonner" ou
"corner"pour
les hauts instruments et "jouer"pour
les bas, et de certaines ex- pressionstellesque
"autres divers instrumens," laisseprésumer
desdif- férenciationspermettantdelesidentifierquelquepeu.D'abord, l'armée se servira
du
talentdecesménestrels à des finspsy- chologiques, leurmusique
servantàdivertirleschevaliers entredeux com-
bats, età des fins stratégiques, leurs
chansons aux propos
diffamatoires cherchant àintimider l'ennemi.De même,
puisquelesbasinstrumentistescomposent une
partiedes effectifs d'uneambassade
temporaire, ilspeu- vent,en donnant
des concerts, remplir leurs missions sans éveiller de méfiance. Ilsseprêtent àdes actions secrètesbeaucoup
plushasardeuses etcompromettantes que
cellesrempliesparlestrompettesdeguerresetles autreshautsinstrumentistes,et ce,même
s'ilsnejouissentpas desmêmes
immunités
etavantages. Ilsagissentàtitred'espionsetpeuvent,dans
cer- tains cas, se charger d'un attentat."*^ Toujours sous le couvert d'exhiber leur talent, les bas instrumentistes agissent aussi à titre de porteurs dedépèches
etde
missives.Les
ménestrelsde basinstruments, surtoutlesharpeurs,employés
àtitrede
valetsde chambre
par leduc
n'exercerontaucun
travailproprement
musical avant1430, saufpour
1'"esbattement" etl'éducationmusicaledes jeunesenfants. D'ailleurs,s'appuyant
sur l'iconographie. R.Wangermée
souligne
que pour
lesnobles''lamusique
étaitsouvent associéeà
l'amour, touten
lui attribuantune
grande importancedans
leurs divertissements, peut-être la méprisaient-ilsun
peu."'*^Donc,
avant 1430, les harpeursoccupent
le poste de valetsde chambre du duc
etde
la duchesse.Sous
PhilippeleHardi,obtenircettechargedomestique
constituepour
leshar- peursun honneur
auquel ils n'aspirentque
très tard.Cependant,
sous Philippe le Bon,Jeanne Marix remarque
avecjustesseque "Le
titrede
valetdechambre
n'estpaspour
PhilippeleBon un honneur
qu'il accordeaux
harpistes,mais
lafonctionde
harpisteestplutôtune
distractionqu'il tolèredeses valetsdechambre.
'"*"*Aussi,nesemblent-ilsengagés qu'à des
fins
purement domestiques pendant
les premières annéesdu
règne de Philippe. Toutefois, après 1430, laprésence àlacourd'Isabellede Por- tugal s'avérera bénéfiquepour
eux: désormais touten
exerçant leurs chargesdomestiques
auprèsdu duc
etde laduchesse, ils pourrontfaire valoirleur talentde musicien auprès de celle-ci.Au
chapitredesconditionsde
viematérielle, des ménestrelsde
lacour ducale,les détailsabondent en
cequiconcerne
leshautsinstrumentistes.De
loin le groupe le plusnombreux, au moins douze bon an mal
an, ilsbénéficientde pensions quotidienneset annuelles.
A
ces gages réguliers s'additionnent, àl'occasiondesfêtesreligieuses etprofanes, desvoyages
et des missions spéciales, des gratifications particulières.
Les
diverses solennitésoffertes à lacour
ducale constituentde bonnes
occasionspour
les instrumentistes à l'affût
de
bénéfices supplémentaires degarnirleurs bourses. Propriétairesde
biensmeubles
etimmeubles,
leduc
leuraccorde desgages supplémentairesafin qu'ilspuissentàl'occasionretournerdans
leurs familles.
Les femmes de
ménestrels participent,dans une
certaine mesure,au
statutde
leursépoux en
bénéficiantdeslargessesdeladuchesse.Les
ménestrels de hauts instruments doiventseconformer aux
exigences vestimentaires de leurprotecteur. D'abord, les trompettesde
guerre ar-borentlescouleursducalessurleursvêtementsetsurlesbannières
de
leurs instruments.Ces
vêtements adoptentleplussouventlacouleurvermeille, brodésaux armes du
prince.Ces
exigencesvestimentairesprennenttoute leurimportanceetleursignification lorsdecironstances quidemandent un
déploiementde
couleursappropriées.De même,
ilsreçoiventàleurentrée dans ladomesticité ducale,un
''émail" etun
blasonaux armes
ducales.Par
contre, les ménestrels de bas instruments constituentlegroupe
lemoins nombreux. Avant
1430,PhilippeleBon
n'enpossède qu'unseulde façon permanente,occupant
le poste de valetde chambre. Après
sonmariage
avecIsabellede
Portugal,lenombre de
basinstrumentistes sefix- era àquatre.A
l'exemple de leurs confrères, ils bénéficientde pensions quotidiennesetannuelles,dediversesgratifications et rentes.Cependant,
les
comptes
dePhilippeleBon
etde
CharlesleTéméraire demeurent
très imprécis surleurs costumes. Toutefois, selonl'étatde
ladomesticitédu
derniergrand
duc de Bourgogne,
ilsdoiventporter sesarmes, à l'exemple des gens de samaison.A
l'amorcedu
processusde
sédentarisation des musiciensdans
les cours, àla findu XlVe
etau début du XVe
siècle, leprincipalcritère de sélection résidedans
l'habiletéexceptionnellede
l'instrumentiste,engagé
aprèsune
auditionauprèsdu duc
lui-même.Après
laformation d'unnoyau
debons
ménestrels,leduc
s'attacheradetrèsjeunes gens auxquelsilscon- fieral'éducationà des musicienséprouvés,s'inspiranten
celadesméthodes
d'apprentissagede
l'organisationdesmétiers. L'apprentireçoitle titrede petit ménestrel et reste parfois de languesannées
à suivre les enseigne-ments de
sonaîné.De
lamême
manière,celui-citransmettrason
art etson
métier àsa progéniture.A
l'encontredes ménestrelsde hautsinstruments, les bas instrumentistes participentaux
écolesde
ménestrels, réunions périodiquessetenantdans une
villefixéeàl'avanceau temps du
carême,quand
lamusique
et lesautresmanifestationsde
divertissementdemeurent
interdites. Il s'agitde congrès
où
les ménestrelsde
différents pays, obte-nant
dessommes
d'argentde
leurs protecteurs, se rencontrent afin d'échanger, écouter etapprendrede
nouvelleschansons
leurpermettant d'étendre leur répertoire. J.Marix
constateque
lesmentions
d'écoles s'avèrentnombreuses
à la findu XlVe
siècle sous Philippe le Hardi."*^Cependant, sousPhilippeleBon,
aucun compte
n'indiquel'envoideménes-
trels
ducaux
àcesécoles.D'abord,Philippe n'attacheguèred'importance à l'engagementde
ménestrelsde
bas instruments, préférant gratifier les ménestrelsde
passageou ceux
des villes lorsde
ses voyages. Plusnom- breux
depuisl'arrivéedeladuchesse
Isabelle,ilssemblent
évolueren
vase clos,encadrés parlacouretrenouvellantleurrépertoirelorsdelavenue
de musiciensitinérants qu'ilsdoiventalorsécouter. Toutefois,desconditions d'ordreartistiqueimposeront,dans
ladeuxième
moitiédu XVe
siècle,aux
ménestrelsde
profondschangements
d'organisationetd'esthétiquerési-dant