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E-INCLUSION DES PERSONNES EN SITUATION DE HANDICAP PSYCHIQUE Faire des traces numériques un environnement commun et participatif ?

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SITUATION DE HANDICAP PSYCHIQUE

Faire des traces numériques un environnement commun et participatif ?

HADI SABA AYON

Approché comme environnement, comment le numérique peut-il favoriser l’inclusion de la population en situation de handicap psychique ? Le profilage de l’usage numérique individuel permet aux grandes firmes de l’internet de collecter les empreintes, de leur donner un sens et conséquemment d’utiliser ces traces pour des finalités diverses. Quel serait le cas si la production et la gestion de ces traces numériques (Mille, 2013) s’orientaient vers des usages contributifs dans le but d’en faire des biens communs numériques (Le Crosnier, 2010) ? Notre article questionne les usages numériques d’un groupe de personnes en situation de handicap psychique au Havre en 2013-2014. Notre étude ethnométhodologique et notre observation de leurs activités montrent une utilisation du numérique orientée davantage vers le contact social et le loisir. Les membres du groupe hésitent à participer au montage d’un projet online coopératif, se méfiant de l’intrusion du numérique dans leur vie caractérisée par des troubles de comportements (Zribi, Sarfaty, 2008). Nous appelons donc à une « translittératie » (Merzeau, 2014) pour éduquer au numérique et défier les difficultés à la participation sociale de cette population. Investir les traces numériques dans des travaux collaboratifs communs pourrait ainsi constituer une voie pour la construction d’une société inclusive avec le digital.

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1. Introduction. Le numérique comme apport face au handicap

Le numérique subvertit l’organisation et le fonctionnement de notre vie. Il affecte les structures et les formes de notre vécu. Il agite tumultueusement les modes de production, de travail, la relation à soi-même, la connexion à l’espace et aux autres, le lien avec l’information et la connaissance, l’expression démocratique, les relations sociales et le rôle du pouvoir public. Beaucoup de nos activités s’effectuent de nos jours en ligne. Toutes laissent des traces, produites intentionnellement mais aussi involontairement et automatiquement, et qui demeurent stockées et enregistrées dans des durées variables, puis utilisées pour des finalités diverses. Ces traces permettent d’identifier des données d’usages qui sont échangées, modifiées, revendues et qui se conservent. L’avalanche de données produites dans le numérique pose de grands défis notamment par rapport à leur stockage et leur préservation à long terme, leur gestion et leur analyse en un temps raisonnable et leurs impacts socio-économiques. Ils englobent également les « 5V » qui caractérisent généralement le big data : Volume, Vitesse, Variété, Véracité et Valeur.

Dans l’environnement numérique, diverses pratiques sociales et culturelles se développent offrant des moyens et des habilités pour surmonter différentes situations de handicap et d’exclusion. Or la base de l’internet est l’égalité. Quel que soit l’utilisateur, et indépendamment de son identité, de la plateforme qu’il consulte, le principe de l’internet est de ne jamais juger les qualités et les compétences des individus. Tout le monde a le droit de publier, partager et assister. Dominique Cardon explicite cette idée soulignant que :

L’essence de la Toile, c’est la construction par les internautes eux-mêmes de projets,

‘bottom up’, comme on dit en anglais, c’est-à-dire sans recours à quelque autorité que ce soit, privée ou publique (Cardon, 2012).

Aujourd’hui, la technologie de l’information et de la communication est à portée de toutes les personnes, dont celles qui souffrent de handicap psychique.

Souvent en difficulté dans leurs vies individuelles, sociales et dans l’accessibilité à l’emploi, celles-ci peuvent en réalité se servir de la technologie pour surmonter les obstacles de leur environnement physique. C’est ainsi que certains usages numériques les aident à substituer l’interaction en coprésence – qui produit souvent un lien perturbé entre la personne et son environnement social – par une interaction avec et dans le numérique. Ce dernier facilitera par la suite la gestion d’un lien social.

Les troubles psychiques touchent une partie considérable de la population française. Une étude de Dares Analyses publiée en 2013 estime la population

« handicapée » en France, définie « au sens large », à 9,7 millions d’individus.

Les coûts d’une mauvaise santé mentale pour les individus concernés, les

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employeurs et la société sont énormes. Pour l’Organisation internationale du travail, ces coûts représenteraient 3-4 % du produit intérieur brut (PIB) de l’Union européenne en 2012 (OCED, 2012). La plupart de ces coûts se situent en dehors du secteur de la santé. Certains sont supportés par les personnes en situation de handicap, leurs familles et amis, leurs employeurs, et d’autres par la société.

Penser la problématique de la conversion numérique en relation avec le handicap psychique, va dans une perspective de réadaptation ou de soutien à la participation sociale de la population en situation de handicap psychique.

Aujourd’hui le numérique nous englobe, il est d’une manière ou d’une autre pervasif. Notre approche tente à dépasser la conception instrumentaliste du numérique et sa compréhension comme support ou comme média vers une compréhension écologique environnementale. Dans cet article nous interrogeons l’appréhension du numérique comme environnement à construire et à habiter, et les moyens de le rendre inclusif pour les personnes en situation de handicap psychique. Nous questionnons la place des traces numériques, leur production et leur devenir, dans le projet de construire une société de « vivre ensemble », comme dans la démarche inclusive des populations vulnérables.

Nous étudions la relation d’un groupe de personnes en situation de handicap psychique avec le numérique dans une résidence d’accueil spécialisée au Havre.

Enfin, nous analysons leurs activités numériques et les représentations sociales qu’elles partagent sur l’informatique et ses usages sociaux et culturels.

Questionner la nature de la relation entre la personne en situation de handicap psychique et le numérique nous amène à penser l’individu dans une donnée d’emblée relationnelle, sociale et transindividuelle. À la base, tous les êtres humains sont des corps différents et constituent différemment, les uns des autres, des selfs (Mead, 1963). Leur développement est le résultat d’échanges systématiques diachroniques entre un organisme vivant dans une matrice écologique, physique, culturelle et sa conscience1 (Fougeyrollas, 2010, 4).

L’humain se développe en tant que personne dans cette interaction durable de ces fonctions biologiques, organiques et fonctionnelles avec son environnement. Il est un « Homme-trace » (Galinon-Mélénec, 2011) :

À la fois comme un producteur de traces et comme un construit de traces, l’ensemble constituant un processus continu et systémique d’interactions et de relations.

1. Selon Fougeyrollas, il s’agit d’une structure réflexive qui inclut l’imaginaire, le rêve, l’influence de tout ce qui devient signifiant et qui nourrit la construction de sens de cette différence.

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L’individu et la société ne peuvent donc pas être pensés séparément. D’un point de vue pragmatique, l’humain est toujours social, et les conséquences pratiques de son action sont immergées au sein d’une structure sociale. William James écrit :

L’évolution sociale est la résultante de l’interaction de deux facteurs totalement distincts : l’individu, dont les apports particuliers dérivent du jeu de forces physiologiques et infra sociales, mais qui conserve entre ses mains toute sa puissance d’initiative et de création ; et d’autre part, le milieu social avec son pouvoir d’adopter ou de rejeter l’individu avec ses dons tout à la fois (Le Breton, 2004, 11-12).

Son rapport au self, constitué socialement, est d’abord un rapport extérieur à soi qui passe par les autres individus qui constituent son environnement social.

Mead trace la genèse du self à travers l’expérience sociale de l’individu.

Le self se constitue progressivement. Il n’est pas donné à la naissance, mais il émerge dans le processus de l’expérience sociale et de l’activité sociale. Il se développe chez un individu donné comme résultat de ses relations avec ce processus et avec les individus qui y sont engagés (Mead, 1934, 207).

Dans ce sens, l’environnement semble un élément capital dans l’élaboration des attitudes de l’individu. Dans son modèle conceptuel de développement humain (MDH), Fougeyrollas explique que le processus de production du handicap (PPH)2, dans une vision anthropologique, ne peut être conçu comme une réalité autonome séparée d’un modèle générique de développement humain. Il décrit le PPH comme processus interactionnel systémique, qui infléchit la vision linéaire, mécaniste et biologique de la production du handicap. Le PPH ne place pas la responsabilité du handicap sur la personne. Il montre que le résultat de l’interaction bidirectionnelle entre les facteurs personnels et environnementaux se traduit par la réalisation des habitudes de vie de la personne, qui regroupent les activités courantes et les rôles sociaux valorisés par la personne elle-même ou son contexte socio-culturel.

Les facteurs environnementaux jouent un rôle important dans la production du handicap. Ils peuvent entraver ou favoriser la réalisation des habitudes de vie de la personne. L’enjeu du numérique devient de constituer un environnement

2. Le PPH est un modèle explicatif des causes et conséquences des maladies, traumatismes et autres atteintes à l’intégrité ou au développement de la personne pouvant causer des déficiences et entraîner des incapacités temporaires ou permanentes de nature stable, progressive ou régressive. Selon ce modèle, une situation de handicap correspond à la non-réalisation ou réalisation partielle des habitudes de vie, c’est-à-dire des activités courantes ou du rôle social valorisé par la personne ou son contexte socioculturel et qui assurent sa survie et son épanouissement.

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inclusif épaulant les activités courantes et les rôles sociaux de la population en situation de handicap et précisément celle en situation de handicap psychique.

La qualité de la participation sociale vécue par la personne en situation de handicap est situationnelle et peut être améliorée ou corrigée par des mesures transformant l’environnement en levier. Comment et dans quelle mesure le numérique pourrait-il transformer l’environnement de la personne en situation de handicap psychique et promouvoir l’exercice de ses droits ?

2. Un environnement inclusif pour une population en situation de handicap psychique

2.1. Handicap. Une variation du développement humain

La conception du handicap a progressé à partir du milieu des années 1960.

Avant, il était considéré comme une caractéristique de la personne. Toute personne ayant une déficience était dite « handicapée ». Cette évolution conceptuelle est le fruit d’un mouvement social international qui a défendu les droits des personnes ayant des incapacités. Toutefois, le modèle individuel du handicap demeure aujourd’hui dans certaines pratiques discriminatoires envers les personnes en situation de handicap. Issu de l’approche biomédicale, le modèle individuel considère le handicap comme une réalité intrinsèque à l’individu. Il le définit comme une « déficience corporelle, physique ou mentale » appartenant au sujet et ayant pour conséquence de limiter sa participation sociale. D’autres modèles se sont développés dont le modèle anthropologique et systémique du handicap auquel nous nous référons. Le modèle de développement humain (MDH), développé par Patrick Fougeyrollas et al. (1998) est systémique. Il illustre la dynamique du processus interactif entre les facteurs personnels (intrinsèques), les facteurs environnementaux (extrinsèques) et la réalisation des habitudes de vie des êtres humains. De ce fait, le processus de production du handicap (process of disablement), ne peut être appréhendé, dans une perspective anthropologique, comme une réalité autonome isolée d’un modèle de développement humain. Il est une variation du développement de l’être humain (Ripph, 2010), c’est-à-dire une différence dans le niveau de réalisation de ses habitudes de vie ou de l’exercice de ses droits. Le MDH aborde le handicap dans une perspective de construction interactive entre les caractéristiques de la personne, ses pratiques et agissements sociaux et son environnement. Il distingue trois grandes composantes :

– les facteurs personnels,

– les facteurs environnementaux, – les habitudes de vie.

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Figure 1. Ce schéma résume le modèle de développement humain et le processus de production du handicap dans sa deuxième version

La première composante comporte trois dimensions (sous-systèmes) intrinsèques à tout être humain : les systèmes organiques (le corps), les aptitudes (la fonctionnalité) et les facteurs identitaires. Le développement de ces facteurs découle de l’interaction diachronique avec un continuum socio-culturel et physique. Ces variables identitaires individuelles doivent être considérées pour ne pas réduire la personne aux manifestations directes de sa pathologie (modèle mécanique-biomédical).

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Les facteurs environnementaux, qui nous intéressent le plus dans notre réflexion sur le numérique, comprennent une dimension sociale et physique qui détermine l’organisation et le contexte d’une société. Le modèle les morcèle en trois dimensions (Fougeyrollas, 2010, 178) : le micro environnement personnel (proximal, domestique) ; le méso environnement communautaire et le macro environnement sociétal. Leurs éléments se répartissent en deux nomenclatures : des facteurs physiques et des facteurs sociaux. L’environnement peut constituer un facilitateur optimal ou un obstacle complet pour la personne.

Quant à l’habitude de vie, elle s’explique comme étant une activité courante ou un rôle social valorisé par la personne ou son contexte socioculturel. Le concept d’habitudes de vie désigne des construits complexes produits par la matrice culturelle de signification et indissociables de celle-ci. L’interaction entre les facteurs personnels et environnementaux détermine les habitudes de vie de la personne, qui correspondent à ce qu’elle fait dans son quotidien.

Ces trois composantes en interaction influencent la participation sociale de l’individu et peuvent créer une situation de handicap. Lorsqu’il y a harmonisation entre elles, il est alors question de pleine participation sociale de l’individu. Par ailleurs, quand le niveau de réalisation des habitudes de vie est faible, il en résulte une situation de handicap.

Quant au handicap psychique, sa cause, secondaire à la maladie psychique, reste inconnue à ce jour. Sa notion est retenue dans la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées en France. Elle n’est pas définie ni développée dans la loi. De manière indirecte, la loi de février 2005 a fait exister une nouvelle catégorie de personnes, qui étaient autrefois associées à la catégorie dite du handicap mental. Pour l’Union nationale des familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (UNAFAM)3 le handicap psychique se caractérise par un déficit relationnel, des difficultés de concentration, une grande variabilité dans la possibilité d’utilisation des capacités alors que la personne garde des facultés intellectuelles normales. Les troubles psychiques peuvent être plus ou moins intenses, ponctuels ou permanents. Selon Gérard Zribi et Jacques Sarfaty (2008), ces troubles entraînent des itinéraires de vie différents selon le degré d’autonomie ou de dépendance des personnes. Ces dernières souffrent d’un dysfonctionnement de personnalité caractérisé par des perturbations du comportement et de l’adaptation sociale (Zribi, Sarfaty, 2008, 9). Le handicap psychique ne touche pas seulement à la vie de la personne mais entrave aussi le quotidien de sa famille et de son entourage dans la mesure où il

3. Unafam (2012). Spécificité du handicap psychique, http://www.unafam.org/Specificite-de-l-handicap.html.

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illustre un lien continuellement perturbé entre la personne et son environnement social et réclame une assistance sociale, médicale, psychiatrique et psychologique de longue durée.

2.2. Environnement numérique. Une culture en mutation rapide

Questionner le numérique c’est penser la nature et la relation entre des composantes d’un écosystème qui englobe la vie dans ses domaines variés. La culture numérique ne cesse de se transformer. Sa pénétration dans les sphères privée et publique remanie les objets et les valeurs préexistants, et donne naissance à une « nouvelle civilité » (Doueihi, 2011) qui affecte à son tour un ensemble de pratiques et de valeurs.

La culture numérique et son environnement toujours changeant sont donc à examiner comme un ensemble de pratiques discursives qui ont leurs propres normes et conventions, qui tendent à fragiliser, à perturber des catégories et valeur établies (…).

La nouvelle civilité instaurée par la culture numérique a son écosystème (…) elle semble privilégier l’usage, le place au-dessus de tout (Doueihi, 2011a, 26-31).

De nouveaux modes de communication, de production et d’échange de l’information modifient et réorganisent le savoir dans des formes et des formats nouveaux. Ils changent aussi les méthodes pour l’acquérir et le transmettre. De nouvelles formes de savoir-lire et savoir-écrire émergent, exigées par la culture numérique, et accompagnent la migration des objets de toute nature du monde métrique vers un monde en réseaux connectés.

Conditionné par une mutation permanente qui s’effectue dans ses interfaces et corps textuels et discursifs comme dans les usages de ses sujets, le numérique dépasse-il la conception spatiale d’un « lieu pratiqué » (De Certeau, 1994, 184) ? Se présente-il comme un environnement en construction continue qui englobe la vie de tous les jours ? Peut-on parler d’un environnement numérique, d’un espace ou d’un lieu ? Dans son explication sur le rôle de l’environnement dans la production de la situation de handicap, Fougeyrollas emprunte la signification du concept « environnement » de The Person-Environment-Occupation Model, un modèle développé par Mary Law et cinq autres chercheurs en 1996 (Fougeyrollas, 2010, 14). Selon ce modèle, le terme environnement est défini comme contextes et situations qui se produisent à l’extérieur des individus et provoquent des réponses de leur part (Law, 1991). Il comprend l’environnement personnel, social et physique.

Le Modèle de la performance occupationnelle Personne-Environnement-Occupation définit largement l’environnement (Law et al., 1992). Cette large définition accorde

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une égale importance aux considérations culturelles, socio-économiques, institutionnelles, physiques et sociales de l’environnement (Law et al., 1996, 16).

D’après Fougeyrollas, l’environnement se compose, non seulement des caractéristiques physiques comme l’architecture ou des conditions climatiques, mais aussi des dimensions sociales, politiques, économiques institutionnelles et culturelles. Ce sont ces caractéristiques qui désigneront plus tard les facteurs environnementaux dans le MDH-PPH en ses deux versions.

La considération de l’environnement comme condition capitale pour comprendre l’être humain et sa croissance, a constitué une rupture avec la vision cartésienne dans le monde occidental. Avant le XXe siècle, l’être humain était considéré comme une entité séparée de son environnement. Cette évolution théorique basée sur des travaux scientifiques dans différents domaines (physique, mathématique, sciences humaines et sociales...) a affecté évidemment la compréhension du handicap et également de ses modèles.

Conformément à Fougeyrollas, les travaux de deux chercheurs issus des disciplines en sciences humaines et sociales ont marqué fortement et significativement le développement de la conceptualisation systémique des facteurs environnementaux qui influencent aujourd’hui le processus de production du handicap : Urie Bronfenbrenner et Grégory Bateson ont avancé la question du rôle de l’environnement dans le développement humain.

Dans son explication du comportement humain dans une approche cybernétique, Bateson reconnaît l’effet de l’environnement dans l’élaboration du comportement humain. Il évoque divers « aspects » à considérer dans l’étude d’une unité : l’aspect structural de l’unité décrite, les aspects affectifs, l’unité économique, l’unité chronologique et spatiale et enfin l’unité sociologique. Il en déduit une distinction entre deux types de comportement (ou deux différenciations) : symétrique et complémentaire4, les deux basés sur un échange entre deux ou plusieurs individus en interaction. Pour Bateson, l’humain et son environnement constituent un système :

Nous pouvons dire (…) que l’esprit est immanent dans des circuits complets à l’intérieur du système : cerveau plus corps. Ou, finalement, que l’esprit est immanent au système plus vaste : homme plus environnement (Bateson, 1977, 233).

Et selon lui, l’environnement est surtout fait des humains et d’autres espèces avec qui l’individu interagit :

4. Dans les relations symétriques les partenaires s’engagent dans une spirale fondée sur un accroissement de l’ampleur d’un même comportement, tandis que dans les relations complémentaires les partenaires forment ensemble une entité bipolaire.

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Après tout, les éléments les plus importants dans l’environnement d’un organisme individuel sont : d’autres individus de la même espèce, des plantes et des animaux d’autres espèces avec qui l’individu donné se trouve dans une intense relation interactive (Bateson, 1977, 170).

Pour sa part, Urie Bronfonbrenner fonde son modèle écologique de développement humain sur le principe de la réciprocité de l’interaction entre la personne et son environnement. Pour lui le développement de la personne s’insère dans un processus dynamique d’interaction et d’interdépendance entre elle et son environnement.

Puisque l’environnement exerce aussi son influence, nécessitant un processus d’adaptation mutuelle, l’interaction entre la personne et l’environnement est considéré comme bidirectionnelle, et donc, caractérisée par la réciprocité.

(Bronfenbrenner, 1979, 21-22).

Selon lui, tout organisme biologique se développe à l’intérieur d’un système qui favorise ou entrave sa croissance, et il en va de même pour l’être humain.

L’environnement écologique de Bronfenbrenner est conçu comme un ensemble de structures interdépendantes et tout changement d’une structure influence toutes les autres. Il ne se limite pas à une seule structure, mais s’étend plutôt à des structures interconnectées.

Fortement influencé par l’ensemble des forces productives et des rapports sociaux de production dans son espace sociétal, l’individu se développe en interaction avec quatre systèmes : micro, méso, exo et macro (Bronfenbrenner, 1979). Dans son micro environnement, l’individu interagit avec le site de vie immédiat et concret (individual, household). Son méso environnement est constitué des relations mutuelles avec les milieux dans lesquels il évolue activement (household, neighborhood). Ces deux environnements comprennent des caractéristiques physiques mais aussi des rôles prescrits et des activités conduites. Le macro environnement est le plus global de la société réunissant les politiques générales, les structures économiques globales et les valeurs véhiculées et privilégiées dans la société (community, country). Avec l’avènement du numérique, cette hiérarchie des couches environnementales est touchée et recomposée. Introduit dans les différents aspects et domaines de la vie humaine, le numérique comme environnement et pratiques sociales et culturelles diverses, affecte les instruments de la production, la force de travail, ses objets et son organisation, les savoirs et les techniques en vigueur, et enfin la stabilité des espaces dans toute leur diversité. La culture numérique transforme les pratiques courantes et hybride les espaces réinventant le quotidien avec de nouveaux modèles et valeurs de communication. Ainsi,

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comment peut-on définir le numérique ? Pourquoi peut-on le désigner comme environnement et non pas comme espace ou lieu ?

Michel de Certeau distingue l’espace du lieu. D’après lui, un lieu est un endroit dans lequel les choses sont organisées. Quant à l’espace, c’est un croisement de mobiles, un effet produit par les opérations qui l’orientent, le circonstancient, le temporalisent.

Est un lieu l’ordre (quel qu’il soit) selon lequel des éléments sont distribués dans des rapports de coexistence (…) il y a espace dès qu’on prend en considération des vecteurs de direction, des quantités de vitesse et la variable de temps. L’espace est un croisement de mobiles. (…) En somme, l’espace est un lieu pratiqué. Ainsi la rue géométriquement définie par un urbanisme est transformée en espace par des marcheurs. De même, la lecture est l’espace produit par la pratique du lieu que constitue un système de signes- un écrit (De Certeau, 1994, 184).

Pour être un « lieu pratiqué », le numérique doit intérioriser les caractéristiques du lieu. Un lieu, selon De Certeau, est une configuration instantanée de positions. Il implique une indication de stabilité. Cette dernière est fortement interrogée dans le numérique qui est plutôt caractérisé par une dynamique. Doueihi, le définit comme :

Un écosystème dynamique animé par une normativité algorithmique et habité par des identités polyphoniques capables de produire des comportements contestataires (Doueihi, 2013, 22).

Pourquoi dynamique ? Parce qu’au sein de l’environnement numérique, il existe un mouvement continu des plateformes qui ne cessent de déplacer leur fonctionnement. Et qu’est-ce que la normativité algorithmique ? C’est le fait que l’algorithme est dans une grande partie de sa conception normatif. Mais des algorithmes de certains moteurs de recherche (comme PageRank de Google) deviennent des algorithmes de recommandation, incorporant une première version du social. Et dans ce contexte-ci, Doueihi souligne un passage encore inachevé d’un paradigme qui est celui de la prévision vers un autre implicite, celui de la prescription.

La recommandation implique une transformation de la culture de l’algorithme elle- même car elle effectue le passage ou du moins le mariage de la recherche classique avec l’injonction des repères dits sociaux (Doueihi, 2013, 19).

Enfin dans le numérique, l’identité est multiple et plurielle. La traçabilité construit l’historique et va modeler l’accès à l’information en fonction de cette identité. Ce mouvement dynamique des plateformes et la mutation continue des pratiques socioculturelles des sujets numériques, rendent difficile la définition du numérique comme un lieu ou un espace. Ils tendent à identifier le

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numérique comme un environnement qui nous englobe et nous connecte, un environnement en construction permanente qui affecte le développement de l’humain et influence son comportement.

2.3. E-inclusion. Investir les traces numériques dans des projets de mémoire

Dans cet environnement numérique, toute activité laisse des empreintes.

Déposées intentionnellement ou non, ces empreintes impliquent un codage numérique et une inscription du code dans l’environnement informatique. Une fois observées et interprétées, ces empreintes deviennent des traces. Elles sont détachables, mobilisables, calculables et elles ne sont pas signifiantes en elles- mêmes. Quand elles sont compilées, ces traces peuvent indiquer des tendances, des préférences, des réseaux, des comportements. Le danger se présente quand on cherche à donner un sens à ces traces pour juger une personne, un fait ou une situation. Comme elles se détachent de leurs contextes, ces traces peuvent être associées à plusieurs autres inscriptions dans un ou des environnement(s) numérique(s) divers, et conséquemment à des significations variées. Elles rendent l’identité une simple collecte de traces résumant l’individu à son activité dans le numérique (trace déclarative) mais aussi à ce que les dispositifs numériques produisent de son activité (trace calculée, trace algorithmique).

Dans ce sens, ces traces imposent aux individus et aux groupes une idéologie de personal branding5 assimilant leurs identités à des images de marques.

D’un point de vue informatique, les empreintes sont des éléments laissés dans l’environnement à la suite d’une activité. Elles peuvent être produites volontairement ou pas et considérées comme des traces d’activité́ par des

« observateurs avertis ». Alain Mille donne les définitions suivantes pour distinguer l’empreinte de la trace :

L’empreinte est l’inscription de quelque chose dans l’environnement au temps du processus et la trace est l’observation de cette empreinte dans une temporalité́ qui ne peut pas lui être antérieure (mais peut être la même) (Mille, 2013, 8).

C’est donc l’observation, comme processus cognitif, qui permet de distinguer l’empreinte comme trace pouvant faire sens. Les empreintes, une fois détectées par un observateur, deviennent des traces interprétables et

5. Un terme qui signifie en français « marque personnelle » et qui désigne le fait de créer et de gérer sa propre marque, rattachée à un individu et non à un produit. C’est une conception marchande et publicitaire de l’identité, faisant d’elle l’équivalent d’une marque ou d’une image.

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exploitables. Elles prennent le statut d’inscriptions de connaissance dans le contexte cognitif de l’observateur.

L’observation peut avoir lieu a posteriori ou en temps réel in situ. Une empreinte est toujours empreinte de quelque chose, comme une trace est toujours trace d’une activité́

(Mille, 2013, 112).

Cela montre, d’un point de vue sémiotique, l’existence d’un processus circulaire et continu du signe à la trace et réciproquement. Le signe est le résultat de l’interaction entre l’humain et son environnement. Associée à la trace, la terminologie « signe-trace » (Galinon-Mélénec, 2011) signifie que :

– le processus qui a produit le signe est présent dans le signe ;

– s’interroger sur l’interprétation à donner à un signe implique de repérer qu’il y a un présupposé qui attire l’attention sur un signe plutôt que sur un autre ;

– l’interprétation proprement dite est un signe-trace en ce qu’elle recèle en son sein l’acceptation implicite d’un système interprétatif ;

– il existe un processus circulaire et continu de la trace au signe et du signe à la trace (Galinon-Mélénec, 2011, 193).

Ainsi, le « signe-trace » évoque deux faces de la trace : l’une est tournée vers le passé et l’autre est tournée vers l’interaction actuelle.

(…) ce que l’on nomme signe prend sens dans un entre-deux de traces processuelles6 : il relève à la fois de l’externe (que l’on peut, à ce titre, observer) et de l’interne (sur lequel on ne peut que porter des hypothèses interprétatives)

(Galinon-Mélénec, 2015, 35).

Le passage de l’empreinte à la trace est nécessairement un processus cognitif (l’observation). Quand elle est cherchée, détectée et interprétée par un enquêteur, l’empreinte reçoit un sens et devient une trace. Le fait que la trace soit observée par quelqu’un peut être compris comme un « signe-trace » de l’histoire de la personne. Cette distinction entre un signe et un autre résulte d’un processus cognitif construit par l’histoire de vie de la personne. C’est pourquoi le signe distingué est un « signe-signal » (Galinon-Mélénec, 2013) étant donné qu’il a attiré l’attention de l’observateur. Et c’est dans l’interaction que s’établit cette attention.

6. Ce terme est introduit par Galinon-Mélénec pour indiquer que « la perception de la trace résulte d’un ensemble de phénomènes qui s’enchâssent dans un fonctionnement systémique duratif (étalé dans le temps) et extensif (placé dans un écosystème global) ».

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Le fait que le signe devienne signe-signal est indépendant de son existence : le signe peut devenir signe-signal pour un individu et rester ignoré par un autre. Mais, si l’ouverture à la réception d’un signe transforme celui-ci en signe-signal, qu’est-ce qui produit l’ouverture à la réception ? De notre point de vue, l’ouverture ou la fermeture à la réception relève du même processus que celui décrit par Pierre Bourdieu à propos de l’habitus. Cette influence des dispositions psychiques telles que définies par l’habitus signifie, à notre sens, que le signe-signal est une information qui peut agir sans passer par le conscient (Galinon-Mélénec, 2013).

Quant à la trace numérique, Alain Mille la définit comme suit :

La trace numérique est constituée à partir d’empreintes numériques laissées volontairement (ou non) dans l’environnement informatique à l’occasion de processus informatiques (Mille, 2013, 113).

Les traces numériques ne sont pas des messages. Elles sont des « unités isolables, agençables et calculables » (Roger T. Pédauque, 2006, 186). Elles seront signifiantes quand elles seront combinées et traitées par des algorithmes, ou exploitées et manipulées par un observateur. Ainsi la trace numérique se détache de la personne qu’elle identifie et s’ouvre à d’infinies modulations en fonction des stratégies et des besoins. Dans l’environnement numérique la forme d’écriture est faite d’une association entre l’écriture alphabétique et le langage informatique de balisage. L’usager n’est pas seul à écrire et à lire. Le lecteur n’est pas uniquement un être humain qui lit un document. Les humains et les machines lisent et écrivent simultanément. Différents algorithmes parcourent des bases de données et en extraient des informations à nous proposer. Les bases de données traitent les données stockées dans leurs fichiers et les transforment en informations utilisables en cas de besoin. Prise isolément, une donnée peut avoir très peu de sens. Greg Roza souligne la différence entre la donnée et l’information :

Bien que les termes « donnée » et « information » soient très similaires, ils sont souvent confondus dans le monde de la conception de la base de données. Il est important de rappeler que les données sont « les matières premières » sur laquelle est fondée une base de données, après que la donnée soit traitée elle devient une information. (Roza, 2011, 8).

Avec le big data, les promesses de pouvoir résoudre les problèmes par les données se multiplient. Pour Danah Boyd, ce qui importe ce n’est pas la qualité des prédictions tirées de la grande quantité de données. La question est de savoir comment faire avec cette grande quantité de données ? Avons-nous la capacité d’en produire du sens ?

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Nous entrons dans un monde de prédiction. Un monde où de plus en plus de gens vont être en mesure de porter des jugements sur les autres sur la base de données. (…) Les données sont le pouvoir. Et de plus en plus, les données sont utilisées pour affirmer le pouvoir de certains sur d’autres. (…) sans contrôle, de nouveaux outils sont toujours utilisés pour renforcer le pouvoir des privilégiés au détriment de ceux qui ne le sont pas (Boyd, 2015)7.

À l’ère de la traçabilité numérique, le développement des aptitudes cognitives et d’un savoir-faire numérique devient primordial pour l’e-inclusion.

Dans le big data, le volume de données à collecter et analyser est considérable et en augmentation constante. Dans ce contexte d’infobésité de données, un défi important sera de maîtriser la production, la recherche et l’usage de la donnée ayant une réelle valeur. Autrement dit, comment faire de la « donnée traitée » une connaissance qui permette d’agir consciemment de façon positive dans la vie personnelle et collective.

Pour être compétente en information, une personne doit être capable de reconnaître quand une information est nécessaire et doit avoir l’habilité de localiser, évaluer et utiliser efficacement l’information. En bref, les gens compétents en information sont ceux qui ont appris à apprendre. Ils savent comment apprendre car ils savent comment la connaissance est organisée, comment trouver l’information et comment l’utiliser afin que d’autres apprennent d’eux (Silva, 2005, 34).

Commençons d’abord par une réflexion sur la notion de l’inclusion. Inclure les personnes ayant une différence fonctionnelle ou psychique dans la société signifie éliminer toute discrimination à leur égard. Dans leur mémoire sur le projet de loi n° 56 en 20048, la Confédération des organismes de personnes handicapées du Québec (COPHAN)9 définit l’inclusion par l’acquisition du gouvernement et de la société (québécoises) des moyens, afin d’assurer l’exercice des droits des personnes en situation de handicap et l’élimination de toute discrimination à leur égard dans les domaines politique, social, culturel et civil. De ce fait, l’inclusion repose sur la participation complète à l’interaction

7. Guillaud H. (2015). L’inquiétant n’est pas le big data, c’est ce qui l’utilise et comment, http://internetactu.blog.lemonde.fr/2015/10/31/linquietant-nest-pas-le-big-data-cest- qui-lutilise-et-comment/.

8. Loi modifiant la Loi assurant l’exercice des droits des personnes handicapées et d’autres dispositions législatives.

9. COPHAN (2004). Mémoire de la Confédération des organismes de personnes handicapées du Québec (COPHAN) présenté à la Commission des affaires sociales sur le projet de loi 56 : loi modifiant la loi assurant l’exercice des droits des personnes handicapées et d’autres propositions législatives, http://catalogue.cdeacf.ca/Record.

htm?idlist= 1& record =19163156124919813389.

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sociale et aux activités favorisant le développement social de tout individu.

Approchant la place de la personne en situation de handicap psychique dans la société et dans le milieu de travail, la question est d’accepter sa différence et d’adapter l’environnement pour assurer son droit à la participation sociale. Une telle démarche devient possible par un changement radical d’attitude de la société à l’égard de la population en situation de handicap psychique.

Une société inclusive représente une société qui module ses modalités de fonctionnement et ses conditions de vie, de façon à inclure ses différentes composantes et à leur permettre de vivre ensemble, en bénéficiant du même corpus de droits (Loubat, 2010).

L’approche inclusive prévoit donc, dès la conception, un environnement physique et social tenant compte de toutes les situations de façon à ce qu’il ne soit pas nécessaire de faire des adaptations pour rendre possible l’inclusion. Et l’approche adaptative est pratiquée afin de transformer un environnement existant, qui n’est pas nécessairement conditionné au départ pour répondre d’une manière convenable aux besoins de la personne. Quant à l’inclusion numérique ou l’e-inclusion, longtemps son concept a été approché dans une vision technologique pure : des personnes qui ont accès à la technologie vs. des personnes privées de cet accès. Ce débat continu néglige pourtant l’importance des conséquences sociales de l’usage de la technologie de l’information et de la communication sur les usagers et se limite à l’interaction homme-machine du premier niveau. Or, l’e-inclusion ne peut pas être réduite à une compréhension de l’accès à la technologie sans penser la « logique de l’usage » (Perriault, 2008), ce que l’usager fait de/avec la technologie. Une nouvelle technologie ne s’installe pas de façon déterministe. C’est par les formes d’usage variées que l’utilisateur d’un appareil ou d’un dispositif technique pourrait développer un modèle de connaissance.

Une raison importante en est que la liberté de la retenir (la technologie), de la modifier ou de la rejeter revient en dernier ressort aux utilisateurs (Perriault, 2010).

De son côté, le Conseil national du numérique en France appelle dans son rapport de 2013 sur l’inclusion dans une société numérique, à lutter contre la fracture numérique et à faire de l’accès à internet et ses ressources essentielles un droit effectif. Il nous invite par ailleurs à nous appuyer sur le numérique pour renforcer le « pouvoir d’agir » de tous les citoyens. Quant aux débouchés, il estime que l’emploi numérique pourrait créer de nombreux postes dans le secteur informatique ou dans les domaines faisant appel à des compétences numériques dans les services et l’industrie. En connectant les personnes entre elles, le numérique interconnecte différents systèmes (couches environ- nementales). Ubiquitaire, il devient présent dans la vie quotidienne des personnes en situation de handicap psychique comme dans celle des

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établissements et personnes accompagnateurs dans les domaines de la santé, la vie sociale, le suivi psychiatrique et à la recherche d’emploi. À notre sens, penser l’inclusion numérique dans un contexte actuel, exige une réflexion sur deux niveaux : le premier concerne les usages socioculturels du numérique qui visent l’établissement d’une société plus égalitaire (inclusive), tandis que le second s’attache à la capacité de fonctionner dans une société de connaissance via une littératie numérique. Dans ce sens, Louise Merzeau (2014) désigne par l’inclusion numérique, la capacité à fonctionner comme un citoyen dans toutes les dimensions d’une société de connaissance, ce qui est une condition d’émergence d’un nouveau « vivre ensemble ».

Investir les usages numériques dans la production collaborative peut répondre à des besoins sociaux spécifiques mais aussi à des besoins collectifs.

Le défi est de braver la logique de la traçabilité numérique qui rend les traces et les identités calculables et produit une information sur mesure. Face à cette personnalisation de l’information, l’enjeu est d’investir ces traces dans des projets participatifs pour en créer une mémoire, d’où l’importance des expériences unifiantes autour d’un récit, d’un souvenir, d’une activité ou d’un dispositif.

Le numérique, repensé comme environnement, peut contribuer à restaurer l’estime de soi, aider à des reconstructions personnelles. Mais surtout, convoqué dans des projets de production collaborative, il peut répondre à des besoins sociaux collectifs, renforcer le sentiment d’appartenance à un monde commun et nourrir une reconfiguration démocratique (Merzeau, 2014).

Le second axe de l’e-inclusion est de faire de l’individu un « sujet numérique » capable d’agir et de réaliser une pleine participation sociale dans le numérique.

C’est penser à améliorer la capacité de l’individu à habiter le numérique et à le préserver. L’objectif est de former plutôt que d’informer afin de construire collectivement une connaissance. D’où la nécessité d’une translittératie numérique, une condition impérative pour l’inclusion ou l’adaptation. La translittératie selon Merzeau, est l’amélioration de plusieurs compétences :

– compétences instrumentales (manipulation des équipements et des interfaces) ; – compétences créatives et productives (concevoir, réaliser, modifier, réparer, etc.) ; – compétences d’environnement (trouver et comprendre des informations, analyser une situation ou un processus) ; maîtrise des organisations, des sociétés et des économies numériques ;

– compétences réflexives : les systèmes numériques incorporent des valeurs, leur agencement fait société́ et appelle une capacité d’autoréférence et de regard critique.

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À notre sens, une translittératie pour des personnes en situation de handicap psychique doit prendre en compte leur vulnérabilité et l’importance de leur offrir une éducation au numérique continue et en coprésence. Développer leurs compétences numériques signifie aussi les rendre capables de trouver la bonne information, de l’évaluer, de l’utiliser efficacement pour résoudre des problèmes ou prendre des décisions. La problématique de l’inclusion numérique se situe au cœur des sciences de l’information et de la communication. Ces dernières étudient et interrogent, entre autres, de nouvelles formes de production et de circulation de l’information et de nouveaux aspects de communication, liées au numérique et leurs impacts divers sur le devenir de la société et son individu.

Dans ce sens, la démarche pour une e-inclusion commence par la promotion de l’accès à la technologie, pour ensuite passer par l’information, jusqu’au développement des compétences numériques et à la transformation de l’information en connaissance. Tout ceci a pour but d’améliorer la qualité de vie de la personne.

2.4. Biens communs. Instruments politiques pour rééquilibrer le pouvoir technologique

Face à l’explosion de volume de données numériques produites, accumulées et collectées la question est de savoir comment gérer ces données et les rendre utiles ? Dans cette perspective, le concept des biens communs numériques pose un défi à la compréhension des mécanismes de l’information et le partage proactif de la connaissance. Rappelons que le numérique est un espace de partage, de contribution et de distribution, tout comme la culture. Sans partage il ne peut y avoir de culture. Dans l’environnement numérique le partage devient une valeur et un principe d’efficacité. En même temps, la personnalisation de l’information et les intérêts des industries numériques radicalisent les logiques propriétaires qui limitent le périmètre du partage. Mais le web cache aussi des couches d’une infrastructure construite sur les logiques de contrôle et de centralisation. Selon Valérie Peugeot, chercheuse dans Orange Labs et membre du Conseil national du numérique en France, il nous faut repenser la donnée comme un bien commun. Il nous faut aussi penser les infrastructures du numérique moins centralisées et surtout penser la donnée comme une ressource que nous pouvons mettre en commun. Peugeot distingue entre quatre types de données10 :

10. Guillaud H. (2014). Les biens communs : un outil politique pour repenser notre rapport à la technologie, http://www.internetactu.net/2014/01/22/les-biens-communs-un-outil- politique-pour-repenser-la-technologie/.

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– les données des sources publiques, à l’image de l’open data qui propose de sortir les données pour les mettre en bien commun dans l’espace public ;

– les données produites par les individus qui les placent en biens communs, comme par exemple les données de Wikipédia ;

– les données produites par les entreprises pour leurs propres besoins ou pour participer aux biens communs, comme par exemple les données d’horaires de transport de certaines entreprises de transport ;

– et finalement les données produites par des individus dans le cadre de leurs activités de clients et d’utilisateurs de services en ligne. Ces données sont généralement gérées, valorisées et monétisées par les acteurs qui proposent ces services, comme des banques et des assureurs.

Ainsi les biens communs numériques ne sont pas simplement des ressources ouvertes, profitant du statut économique du bien public de l’information.

Il s’agit avant tout de formes de gouvernance qui organisent la production, la maintenance des logiciels, et ce faisant l’extension continue des communautés participantes. Nous avons là aussi une différence fondamentale avec les communs matériels : la communauté ne prend sens, ne se construit a posteriori qu’en s’élargissant. Il ne s’agit pas d’organiser un partage équitable de l’usage d’une ressource préexistante, mais bien de construire un projet collectif autour de la ressource construite en commun. (Le Crosnier, 2010).

Aujourd’hui il est nécessaire de repenser la technique comme un objet politique, surtout que nous vivons dans une ère où les mêmes outils peuvent mener à différents modèles de société. La culture numérique est un prolongement du monde réel. C’est une sphère dont Francisco Rüdiger révèle les dimensions historiques, pratiques et symboliques :

Cibercultura pourrait bien être définie comme la formation historique, à la fois pratique et symbolique, du caractère de tous les jours qui s’élargit à la base du développement des nouvelles technologies électroniques de communication

(Rüdiger, 2011, 11).

Pour Rüdiger, les réseaux sociotechniques participatifs et interactifs sont à la base de cette nouvelle culture numérique. Ainsi le participatif et le coopératif sont à l’origine du numérique et dans sa dynamique. D’après Hervé Le Crosnier, deux caractéristiques accompagnent les nouvelles formes de productions coopératives :

Elles sont ouvertes pour une rediffusion – le lecteur agit en servant de relais viral pour faire connaître le contenu culturel, informationnel ou de connaissance – et elles sont ouvertes pour une modification permanente – l’adaptation des logiciels libres, les

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licences autorisant le mixage, les ressources éducatives ouvertes, et bien évidemment le modèle encyclopédique de Wikipédia (Le Crosnier, 2010).

Il est essentiel dès le début, de penser de nouvelles formes de cogestion de données dans l’environnement numérique, permettant aux usagers de gérer leurs droits à l’accès. L’internet est engourdi d’intérêts privés, qui partent du terminal d’accès, en passant par le réseau et la box, jusqu’aux serveurs d’information, et dont la majorité est sous l’emprise des entreprises privées.

Mais internet fonctionne en se basant sur un ensemble de règles, de normes et de protocoles. Ces derniers constituent le commun de la Toile. Plusieurs outils développés avec internet permettent une production coopérative. De nouveaux produits culturels ont été créés en dehors du marché dominé par les entreprises géantes des industries culturelles. Construire des communs en produisant des documents, de la connaissance et en faisant de la mémoire permet de penser différemment l’organisation de l’univers du savoir et le partage de l’information, de la culture et des techniques à l’ère du big data. Une telle approche peut constituer une démarche inclusive pour éliminer toute forme d’exclusion de la population en situation de handicap psychique et l’inclure dans « la société de la connaissance » qui se met en place. Se connecter aux autres et participer avec des personnes, des organisations et des communautés à cette dynamique sociale qu’offrent les biens communs numériques, place la population en situation de handicap psychique en dehors du cloisonnement et assure sa participation sociale.

Élaborer un travail numérique commun signifie produire d’une manière ou d’une autre un document. Dans les pratiques, le document est avant tout la communauté de lecteurs autour des textes, des outils qui lui sont donnés (Le Crosnier, 2009). Le document numérique constitue en soi un bien commun. Le danger auquel nous faisons face est l’émergence d’une industrie de contrôle, dont le pouvoir se déplace non seulement avec les acteurs technologiques qui ont le contrôle sur le contenu, mais aussi avec les « portiers » (Gatekeepers) :

– ceux qui dirigent le set-top-box11 ; – ceux qui gèrent la carte SIM ;

– ceux qui contrôlent la boîte de ligne d’abonné numérique asymétrique (ADSL).

Pour faire face à ces défis, il est important de penser la culture comme un bien commun qui ne devrait pas être commercialisé. L’émergence de l’industrie du contrôle et du monopole est un vrai danger auquel plusieurs mouvements

11. Il désigne de façon générique tout adaptateur transformant un signal externe en un contenu et l’affichant sur l’écran d’un téléviseur.

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sociaux résistent encore de nos jours. Un d’entre eux est le réseau de Free Software (logiciel libre) qui incite à développer de nouveaux modèles de production collective qui sont importants pour libérer l’information et éviter que les ressources techniques ne subissent la mainmise de certains monopoles.

Ce mouvement évolutif enrichit la construction d’un projet collectif réalisé autour de la caractéristique commune et peut constituer un apport à la population en situation de handicap psychique, surtout en termes de protection de la vie privée. Il a plusieurs objectifs :

– conserver l’accès à l’information qui doit être supérieure au droit de la propriété,

– respecter la liberté de la production et de la lecture (la protection de la vie privée),

– respecter le droit d’auteur,

– l’expansion du secteur de l’éducation,

– inclure les personnes exclues dans un projet de société.

La fabrication et la gestion des biens communs numériques peuvent-elles constituer une nouvelle dimension dans la participation sociale des personnes en situation de handicap psychique ? Une telle approche permet l’établissement de la confiance entre l’usager et le numérique, et passe nécessairement par la décentralisation des acteurs numériques pour permettre un partage peer-to-peer et pour assurer l’égalité pour tous. À notre sens, l’importance d’adopter des services et logiciels libres nous interroge sur le modèle du numérique que nous voulons pour notre vie. Dans cette orientation, le travail numérique commun peut se baser sur des services alternatifs de Free Software pour assurer la protection des données et de la vie privée des usagers en situation de handicap psychique.

3. La communication à l’intérieur de la « fleur relationnelle »

Dans une approche méthodologique qualitative, nous avons étudié la communication d’un groupe de huit personnes en situation de handicap psychique, vivant dans un habitat spécialisé dans la ville du Havre. Elles manifestent des troubles psychiques graves et sont toutes bénéficiaires de l’allocation aux adultes handicapés (AAH)12. Et c’est dans une démarche

12. Versée par la Caisse d’allocations familiales (CAF) ou la Mutualité sociale agricole (MSA), l’AAH permet à la personne en situation de handicap de faire face aux dépenses de la vie courante. Pour pouvoir en bénéficier, la personne doit remplir un certain nombre de conditions d’âge, d’incapacité, de résidence et de nationalité ainsi que de

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ethnométhodologique que nous avons réalisé notre étude observant de près la communication du groupe et les usages numériques de ses membres.

L’ethnométhodologie s’intéresse au processus par lequel se construisent les règles qui doivent couvrir des situations d’interaction sociale. Le chercheur analyse les méthodes utilisées par les gens dans la vie quotidienne pour comprendre leurs activités -à la fois pour eux-mêmes et à destination des autres.

Harold Garfinkel écrit :

J’utilise le terme « ethnométhodologie » pour se référer à l’étude des propriétés rationnelles des expressions indicielles et d’autres actions pratiques et concrètes en tant que réalisations en cours des pratiques astucieuses organisées de la vie quotidienne (Garfinkel, 1984, 11).

L’ethnométhodologie nécessite une immersion suffisamment longue dans le milieu étudié pour permettre au chercheur de faire sa place au sein du groupe observé. Sa dynamique principale découle de l’idée que la compréhension partagée de tous les aspects du monde social repose sur un ensemble complexe de méthodes implicites de raisonnement, qui sont socialement partagées et dont le caractère est procédural. Notre enquête s’est focalisée sur la relation entre la personne en situation de handicap psychique et sa « fleur relationnelle » (Léry et Colloc, 2008), surtout son interaction avec le numérique et les effets de ce rapport. La « fleur relationnelle » définit l’entourage du sujet, que ce soit son entourage familier ou professionnel et aussi l’institution soignante toute entière.

La fleur relationnelle permet, en plaçant le sujet au centre, de dessiner le réseau relationnel intime et personnel, la place, la fonction, le rôle de chaque intervenant mais aussi la hiérarchie des rapports que le patient entretient (Léry, Colloc, 2008, 252).

Notre recherche comporte deux parties :

– Dans la première, nous avons étudié les activités quotidiennes du groupe, sa communication et son rapport avec les différentes composantes de sa fleur relationnelle (couches/systèmes de son environnement) en employant un questionnaire (septembre-octobre 2013) et en faisant une observation participante (de septembre à décembre 2013). De plus, nous avons effectué des entretiens semi-directifs avec le même groupe entre le 19 octobre et le 19 novembre 2013 dans le but d’étudier les représentations que ces personnes partagent sur le numérique et le handicap. Les données collectées via le

ressources. Elle doit être aussi atteinte d’un taux d’incapacité permanente : d’au moins 80 % ou compris entre 50 et 79 % et avoir une restriction substantielle et durable d’accès à un emploi du fait de son handicap.

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questionnaire étaient traitées avec le logiciel Sphinx13, et celles des entretiens étaient analysées à l’aide du logiciel Alceste14.

– Dans la seconde partie, nous avons tenté de mettre en place un workshop sur un travail numérique contributif pour étudier l’appropriation des outils et les usages que les sujets auraient choisi. Dans un autre temps, nous avons interviewé de nouveau les sujets (décembre 2013-janvier 2014) pour comprendre les démarches que chacun a administrées et les avantages ou les difficultés auxquels ils se sont confrontés.

4. Représentations et pratiques variées

4.1. Appareils informatiques, réseaux sociaux numériques et jeux vidéo Sans une occupation professionnelle, la personne en situation de handicap psychique consacre plus de temps à des actions issues de ses interactions directes et quotidiennes dans sa résidence. Prêter attention au corps et à ses besoins prend dans ce cas-là une partie importante des activités de jour.

L’environnement personnel (Micro) constitue le cercle relationnel dominant où le sujet interagit directement. Les résultats de notre étude montrent quatre type d’individus en relation avec l’informatique et le numérique :

– Usager de réseau social numérique

Sujet 1 : C’est tout ce que j’en fais, c’est Facebook et puis, euh, mes recherches vite fait sur les sites. Début de mon inscription sur Facebook je jouais beaucoup un jeu, auquel je ne joue plus maintenant (…) Chater, oui ça arrive. Il y a une dizaine de personnes avec qui je suis en contact sur Facebook.

– Usager des jeux sur l’ordinateur ou sur console et des sites de loisirs sur Internet (site d’achat, information commerciale, YouTube)

Sujet 2 : Moi j’utilise l’ordinateur pour regarder des, euh, pour regarder des choses sur le « bon coin »15, j’utilise beaucoup le « bon coin » quand je suis sur Internet pour chercher des choses pour les mettre dans mon appartement.

Sujet 4 : YouTube c’est la plateforme la meilleure pour moi en fait, des fois je vais à Dailymotion (…) j’ai mon casque, on ne m’entend pas, j’ai mon Word, j’écris, oup la

13. Sphinx est un logiciel d’enquête et d’analyse de données. Il permet d’avoir deux niveaux de traitement : le dépouillement des résultats et la phase analyse.

14. Alceste est un logiciel d’analyse du discours. Il établit un classement statistique des subdivisons du corpus (proposition, phrase ou paragraphe) en fonction de la distribution des mots dans ces subdivisions.

15. Un site d’annonces gratuites sur Internet.

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vidéo (…) je ne pourrais jamais quitter la musique, Je m’endors avec, je me réveille avec. Je vais sur laposte.net, pour ma messagerie, Facebook.

Sujet 6 : Sur internet je regarde mes mails, je regarde YouTube, musique, vidéo, oui.

Des clips oui. De la musique classique aussi. Un peu Google. Au début Skype oui, au début oui. Oui pour les jeux vidéo, on se branchait puis on pouvait parler à plusieurs quoi. Pour les jeux vidéo sur console ou ordinateur mais pas en ligne.

– Usager de jeux vidéo en ligne

Sujet 3 : J’utilise tout, Office, logiciel express, Word, Excel. Avec l’ordinateur je fais plein de choses, j’écoute de la musique, je regarde des films, euh je vais sur des sites Internet genre YouTube, je fais plein de choses, et je fais un truc surtout qui dure beaucoup longtemps, je fais des jeux vidéo en ligne. Le plus c’est le jeu vidéo.

Sujet 5 : Je ne suis ni un geek ni un informaticien, je suis un (…) gamer, donc je joue seulement à des jeux multi-joueurs en compétitif avec mes propres équipes. Je check mes deux boîtes mails, euh, je check mon Facebook, maintenant je check mon compte Rockstar de GTA5, (…) je check mon call of duty aussi (…), euh, YouTube, je suis abonné à plusieurs chaînes donc euh, que des trucs comiques en général (…), beaucoup de musique, énormément de musique.

– Sujet analphabète informatiquement

Sujet 8 : Je n’ai jamais utilisé un ordinateur, jamais de la vie. Bah ce n’était pas mon truc, ce n’était pas euh, comme les vidéos, les pc jeunes, ce n’est pas euh, ce n’est pas mon truc quoi, euh, je n’aime pas. Des trucs, des machins qui brillent tout ça, ce n’est pas, pouf, je n’aime pas.

Sujet 7 : Moi quand je suis chez mes parents je vais à l’ordinateur de mon frère, mon petit frère me fait montrer comment on fait. Nous observons une logique d’usage qui varie d’un sujet à un autre.

Selon Jacques Perriault (2008), dans toute logique technique, trois éléments sont importants : le projet d’utilisation, l’instrument retenu et la fonction qui lui est attribuée. Nous constatons d’une part un usage de l’outil informatique déconnecté comme s’il était une console de jeu et/ou un espace de sauvegarde de mémoire, et de l’autre un usage numérique lié à la construction du lien social et aux loisirs.

Sujet 1 : Internet, déjà il faut être relationnel avec l’ordinateur. L’ordinateur est important dans ma vie. Moi je ne parlais que sur Internet. Quand j’étais chez mes parents je passais mes nuits sur Internet et je dormais à l’aube.

Le dépassement de l’informatique vers le numérique, du computing vers le digital (Doueihi, 2011) passe obligatoirement par la familiarité de l’usage de l’outil informatique et l’introduction de la technologie non pas comme objet

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mais comme un prolongement des fonctions communicationnelles de l’être humain. Rappelons la distinction entre informatique et numérique.

L’informatique c’est la dimension technique, c’est le code, c’est l’infrastructure, alors que le numérique c’est la dimension socioculturelle qui s’est mise en place avec les pratiques, qu’elles soient sociales ou autres (Doueihi, 2013).

Ce passage vers la dimension sociale et culturelle des usages est observé chez les sujets ayant un parcours éducationnel et des connaissances en informatique. Nous observons deux groupes d’âge : le premier usager de l’informatique et du numérique (24-35 ans) et le second se caractérise par un analphabétisme informatique et numérique (35-45 ans). Les usagers d’Internet sont des sujets avec un niveau d’études de bac et universitaire. Les sujets qui n’ont pas de connaissance dans l’informatique sont plutôt des personnes qui n’ont pas réussi à avancer dans leur parcours éducationnel.

Sujet 1 : J’ai appris l’informatique à la maison avec mon père. (…) quand la première édition de SIMS est sortie je suis resté accro dans l’ordinateur faire pousser mon petit bonhomme.

Le sujet numérique est attaché à l’outil informatique via lequel il produit ses activités en se libérant de sa situation de handicap. Pour certains, cet outil perd de la valeur quand il n’est pas connecté à Internet.

Sujet 3 : Moi, un ordinateur sans Internet je ne pourrais… ça me bloque je ne peux pas. En fait, un ordinateur sans Internet pour moi, c’est deux choses différentes. C’est impossible d’avoir un ordinateur sans Internet. Pour moi c’est ça.

Tim Bray (2010), développeur de logiciels à Google, recommande d’éviter l’utilisation des termes « usagers » ou « l’usager » pour désigner les humains qui utilisent les programmes et logiciels fonctionnant sur des appareils et dispositifs techniques. Pour Doueihi, nous ne sommes pas des humains qui utilisons les nouvelles technologies ; mais l’humain est aussi constitué par la présence de la technique numérique. Sommes-nous tous des « humains numériques » ?

4.2. Représentations, pratiques individuelles et amitiés numériques sur Facebook

En observant les activités des quatre sujets numériques possédant des profils sur Facebook sur une période d’un mois, entre le 19 septembre 2013 et le 19 octobre 2014, nous constatons que les sujets évoquent très rarement ou pas du tout le thème du handicap et celui de l’emploi dans leurs espaces de partage. Deux d’entre eux sont très actifs avec des publications quasi

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quotidiennes, le troisième est moins actif et le quatrième a été inactif tout au long de la période d’observation.

Sujet 1 : sur Facebook quand je rencontre quelqu’un qui a de problèmes et qui parle de handicap psy, et qu’on est concernés tous les deux, j’aime bien garder contact pour le (silence), pour partager l’expérience qu’on a.

Ce dépassement vers le numérique modifie la sociabilité des sujets en situation de handicap psychique. Le sujet 1 qui a cultivé un nouveau modèle de sociabilité via Facebook et qui se sert de son ordinateur personnel mais aussi de son téléphone mobile pour s’y connecter, semble avoir développé des liens sociaux à l’extérieur de la résidence d’accueil, mais aussi en dehors des relations sociales physiques.

Sujet 1 : Sur smartphone, bah j’ai Facebook, j’ai YouTube. Je vais juste sur mon compte Facebook avec mon téléphone. En contact avec des amis ? C’est plus virtuel.

(…) Sur Facebook je gère des connaissances déjà existantes et je fais de nouvelles.

De nouvelles formes d’échange et de partage caractérisent cette « amitié numérique » (Doueihi, 2011) développée dans l’environnement numérique. Le sujet s’éloigne de ses préoccupations quotidiennes dans la résidence et va à la recherche d’une nouvelle communication qui lui donne un sentiment de présence et qui se précise par une variété d’activités comme l’expression, le partage, la publication, le like, enfin l’échange sur des thèmes divers.

Sujet 1 : Je communique oui. Pour avoir une présence euh, bah, échanger au minimum quoi. (…) En ce moment j’échange beaucoup à cause de …, là il y a l’affaire Dieudonné, ça a beaucoup chauffé sur Internet, là le gouvernement… et puis François Hollande avec sa copine là, des sujets comme ça oui.

Le numérique avec sa composante informatique se présente sous forme d’une médiation sociotechnique, or son usage est au premier abord technique, mais la médiation est évidemment sociale car elle infléchit l’aspect social de l’usage par le sujet.

La médiation est en effet à la fois technique car l'outil utilisé structure la pratique mais la médiation est aussi sociale car les mobiles, les formes d'usage et le sens accordé à la pratique se ressourcent dans le corps social. (Jouët, 2000, 497).

Ce nouvel environnement numérique englobant les trois nomenclatures des facteurs environnementaux (micro, méso et macro), constitue pour le sujet un lieu de convergence entre information, communication, savoir et sociabilité. Il trouve dans le numérique un facilitateur pour sa vie.

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