ÉTUDE (A L’AIDE D’UN RADIO-ISOTOPE)
DE LA TROPHALLAXIE CHEZ L’ABEILLE
PENDANT L’ÉTÉ
P. DOUAULT
Station de Recherches sur l’Abeille et les Insectes sociaux. 91 - Bures-sur-Yvette
SOMMAIRE
L’auteur étudie les
échanges
de nourritures entre abeilles ouvrières à l’intérieur d’une rucheexpérimentale
au cours des mois d’avril à août.Ces recherches sont faites avec l’aide d’un radioisotope : l’or 198
((Au 19 8).
Les résultats mettent en évidence l’influence du couvain sur les
échanges
et les modificationsqui
interviennentlorsqu’il
y a absence de couvain, maismalgré
toutprésence
de la reine.INTRODUCTION
Différents auteurs ont
déjà
étudié leséchanges
de nourriture chez l’Abeille à l’intérieur d’une ruche.Nmow et RrssANDS
( 1952 )
ont distribué unsirop
de sucre radioactif à unecolonie et ont pu constater
qu’au
bout de 24 heuresplus
de la moitié de la ruche était contaminée.OkRrF!, et al.
( 1953 )
ont observé leséchanges
entre mâles et ouvrières au moyen d’unradioisotope.
COURTOIS et LECOMTE
( 195 8)
ont constatéqu’après ingestion
d’or19 8,
au boutde
3 6 heures,
100 p. 100 des abeillesappartenant
à une même ruche devenaient radioactives.COURTOIS,
LECOMTE et SAHERON( 19 6 1 )
ont étudié leséchanges
de nourritureentre abeilles
ouvrières,
mais seulementpendant
lapériode hivernale,
au cours des mois de décembre etjanvier.
Pour leurs
recherches,
ces derniers auteurs ont utilisé une rucheexpérimentale
dite « ruche de Chauvin ». Cette ruche
comprenait
un cadreunique
dont les dimen- sions étaient de 140 X 100 cm,logé
dans une armoire chauffée auxparois
vitréesafin que les observations soient
possibles
de l’extérieur.Les résultats de leurs travaux ont mis en évidence le
comportement d’échanges
des ouvrières au sein de « la grappe » hivernale à une
période
où iln’y
a pas de cou- vain.Ils ont utilisé pour le marquage l’Au
i 9 8 ;
et la nourrituremarquée
à base demiel,
était administrée à une dizaine d’abeillesqui
rentraient aussitôtaprès ingestion
de cette nourriture en communication avec le reste de la
population.
Nous
inspirant
de cetravail,
nous avons voulu étudier leséchanges
au coursde la belle saison en
commençant
nosexpériences
au mois d’avril et lespoursuivant jusqu’à
la fin août.Nous avons recherché : 1° l’influence que
pouvait
avoir le nid à couvain surles
échanges
entreabeilles ;
2° l’influence de la reine sur leséchanges.
MATÉRIEL
ETMÉTHODES
i. La ruche.
La ruche
expérimentale
utilisée était du type « ruche de Chauvin » mais avec des dimensionsplus
réduites. Le cadre mesurait 95cm de largeur sur 85cm de hauteur. La feuille de ciregaufrée
était
appliquée
directement sur un panneau opaque defaçon
à ce que les abeilles nepuissent
cons-truire
qu’une
seule face. Le panneau était lui-mêmecompris
entre deuxplaques
dePlexiglas
entouréd’un cadre en bois pour maintenir le tout. L’ensemble se trouvait logé dans une armoire vitrée, for-
mant étuve, chauffée par une résistance, commandée par un thermostat d’ambiance de
précision,
maintenant une
température
constante de30 0 C.
La ruche était en communication avec l’extérieur permettant la libre sortie des abeilles.
2
. La
population.
Les abeilles introduites dans la ruche étaient de race
jaune, d’origine
italienne. La colonie comp- taitenviron
o0o individusrépartis
sur le cadre.3
.
Technique
de marquage.L’isotope
utilisé était l’or 198(Au 19 8)
préparé par le C. E. A.(Saclay)
etprésenté
sous laforme d’or colloïdal. Ce radio-élément a été choisi à cause de sa facilité de détection, son émission y étant de o,41 M!V, et également de sa
période
courte d’une durée de 2,7jours.4
.
illarquage
des abeilles.A
chaque expérience,
une seule abeille étaitmarquée.
L’abeille destinée à faire lespremiers échanges
étaitprélevée
au trou de vol ; nous avions ainsi toutes les chances de choisir une butineuse et de nous mettre leplus près possible
des conditions naturelles.L’abeille était nourrie seule dans une cagette, avec une nourriture miellée contenant le radio-
isotope,
contrôlée avecl’appareil
de détection et aussitôtaprès déposée
à l’orifice d’envol afin de lui permettre de rentrer dans la ruche.5
. ?l2éthode de détection.
L’appareil
que nous avons utilisé était un détecteurportatif
à scintillation S. R. A. T., S. P. P. 2à lecture directe.
La surface vitrée de la ruche était divisée en r56 carrés de 6 cm de côté. La surface de
chaque
carré était couverte par l’élément sensible du scintillateur et la détection se trouvait faite d’une manière
particulièrement
efficace.R)!SUI,TATS
Nous avons
procédé
à des essaispendant
deux années consécutives etcomparé
les résultats.
Le
premier
essai a été effectué au mois dejuin 19 6 5
alors que le nid à couvainoccupait
tout le centre de la ruche(fig.
ia). Aussitôt, après
avoir été nourrie au mielmarqué,
l’abeille donneuse s’estdirigée,
àpartir
du trou devol,
en direction dunid à couvain et dans sa
partie supérieure ;
laligne pointillée
montre latrajectoire
deséchanges
avant leur concentration sur une certaine aire. Commel’indique
lafigure,
la distribution entre les abeilles s’est effectuée sur toute la surface du couvain
operculé
et s’est accumulée à la base de celui-ci en s’étendant sur une aire contenant des cellules
occupées
par des larves en coursd’élevage.
Moins de 30 minutes
après
l’introduction de l’abeille donneuse dans laruche,
leséchanges
s’effectuaient sur le nid à couvain et enl’espace
d’une heure s’étendaient à toute sa surface.Après
s’être concentrés sur le couvain ouvert, leséchanges
devaients’y
effectuerjusqu’à
la fin del’expérience,
celle-ci ayant débutée le matin à 9 h 30,se
poursuivait jusqu’au
soir. Lelendemain,
au cours d’uncontrôle,
nous remar-quions
que la radioactivité étaittoujours
concentrée sur la même surface que la veille.Un essai effectué le 3 août
19 6 5 ,
nous aapporté
des résultatsanalogues.
Lecouvain à cette
époque
se trouvait dans une autrepartie
de la ruche et le « nid n étaitdisposé parallèlement
à un des montants du cadre(fig
ib)
et divisé en deuxplaques.
L’abeille
donneuse, après
son introduction dans lacolonie,
s’estdirigée
immé-diatement vers la
partie supérieure
du nid pour commencer seséchanges.
Les communications entre abeilles se sont fortement intensifiées dans une zone
séparant
les deuxplaques
de couvain et se sont étendues à une autrepartie
du nid.Les
échanges
ont été constatéspendant
toute la durée del’expérience.
Le 10 août
19 6 5 ,
nous avonsprocédé
à un autreessai,
alors que le couvain.occupait
sensiblement la mêmeplace
quependant
laprécédente expérience (fig. 1 c),
Une fois introduite dans la
ruche,
l’abeilleporteuse
de la radioactivité a com-mencé ses
premiers échanges
sur lapartie supérieure
du nid à couvain où ils sesont
poursuivis
et 30 minutes environaprès
le début del’expérience,
la surfacetotale du couvain était radioactive. Dans tous les cas
énumérés,
la radioactivité détectée sur les surfaceséloignées
du couvain était infime ouquasi
inexistante.L’année
suivante,
afin de ne pas utiliser la même colonied’abeilles,
nous avonsprocédé
à unnettoyage
de laruche, changé
la cire etapporté
unepopulation
nouvelle.Cette
population comptait
un nombre d’abeilles à peuprès équivalent
auprécédent.
Au mois d’avril
19 66,
la nouvelle colonie avait entièrement construit la cire et le nid à couvain étantsuffisant,
nous avonsrepris
nosexpériences (fig. z d).
Un essai le 24 avril nous a
permis
de constater les mêmesphénomènes qu’en 19
6 5
.
L’abeilledonneuse,
dès son entrée dans laruche,
a fait unerapide exploration
de la
partie supérieure
du cadre enprocédant
à de rareséchanges
et s’estdirigée rapidement
vers le nid àcouvain,
oit lesrapports
entre abeilles se sont intensifiés de tellefaçon
que 3heuresaprès
le début del’expérience,
le nid à couvain se trouvaittotalement
englobé
dans une zone radioactive.Tenant
compte
de tous cesrésultats,
nous avons tout de suitepensé
à l’influence de la reine sur leséchanges.
La reine se tienttoujours
àproximité
du couvain et même se trouvegénéralement
au milieu du nid lors de la formation de la grappe hivernale.Profitant d’une
période
où la reine avaitinterrompu
saponte
et où tout lecouvain était
né,
nous avonsprocédé
à deux essais.Le
premier,
réalisé le 5mai,
nous apermis
de constater que leséchanges
ne s’effectuaient pas vers la reine ou dans sonvoisinage.
L’abeille donneuseaprès
unecourte
exploration accompagnée
dequelques échanges
a intensifié sesrapports
avec ses
congénères
dans une zone trèséloignée
de la reine. Celle-ci se tenait sur sonancien lieu de
ponte
entourée de sa « cour » habituelle(fig. z e).
Tout aulong
de l’ex-périence
nous n’avonsjamais remarqué d’échanges
en direction de la reine.Un deuxième essai réalisé le 12
mai,
la ruche se trouvant dans des conditionssemblables,
nous aapporté
les mêmes résultats(fig.
if).
Encore unefois,
leséchanges
se sont effectués dans une autre
partie
de la ruche et dans un lieuéloigné
de la reinesans
jamais
serapprocher
d’elle.Un peu
plus tard,
nous avonsremplacé
à nouveau la cire et la colonie et attendu que la reine commence saponte.
Une fois le couvainoperculé
nous avons fait deux essais au mois d’août19 66.
Ces deux essais
(fig.
i g eth)
nous ont donné les mêmes résultats que ceux enre-gistrés
l’annéeprécédente.
Dans les deux cas l’abeille donneuse a
procédé
àquelques échanges
en directiondu couvain et très
rapidement
les communications entre abeilless’opéraient
sur lenid et dans son étroit
voisinage.
CONCLUSION
Cette série
d’expériences,
conduitependant
deux années consécutives nous aapporté,
pensons-nous, desrenseignements
intéressants sur le déterminisme de cer-tains
phénomènes
sociaux chez l’Abeille.Il nous est
permis
de penser que le couvainjoue
un rôleimportant
dans lecomportement
des abeilles et que leséchanges trophallactiques
s’en trouvent in-fluencés d’une
façon
certaine.La
présence
de la reine ne semble pasagir
directement sur les communications entre lesinsectes,
tout au moinspendant
cettepériode
de l’année où la colonie setrouve
beaucoup plus dispersée
quependant
la saison hivernale.Reçu pour
publicatio l l
en décembre 1966.SUMMARY
RADIOISOTOPE STUDY OF TROPHALLAXI’ BETWEEN I3EES IV SUMMER
Food
exchanges
between worker bees were studied in anexperimental
hive fromApril
to August.In all the cases enumerated the radioactive zone coincided with the broodcomb nest, the
radioactivity
detected on the remote surfaces of the brood being minute or almost non-existent. It was shown
by experiments
that theexchanges
are not made towards the queen or near her.RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
COURTOIS G., LECOnt1’E J., 1958. Sur un procédé de marquage des abeilles butineuses au moven d’un
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COURTOIS G., LECOMTE J., SALLE
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O E
&
2E
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