ENTRt SQUS Lt N°
„Q J
rFAGULïÉ
DEMÉDECINE
ET DEPHARMACIE
DEBORDEAUX
■A-lxrnsrÉE 1896-97 No 66
L'HYGIÈNE
QUELQUES QUARTIERS D'ALGER
THÈSE POUR LE DOCTORAT EN MEDECINE
présentée
et soutennepubliquement le 19 Février
1897Louis-Joseph-Pierre KOZIELL
Né àMustapha (Algérie),le 25mai 1871.
Examinateurs de la Tlièse
MM. COYNE, professeur.... Président.
LAYET, professeur....
CASSAÊT, agrégé
j
Juges.BRAQUEHAYE, agrégé
Le Candidat répondra aux questions qui lui seront faites sur les diverses parties de l'Enseignement médical.
BORDEAUX
IMPRIMERIE Y. CADORET
17 RUE MONTMÉJAN 17
1897
FACULTÉ DE MEDECINE ET DE PHARMACIE DE BORDEAUX
M. PITRES
D°yen-
PROFESSEURS : MM. MICE.
AZAM
Professeurs
honoraires.
MM.
( PICOT.
Cliniqueinterne
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COMPLÉMENTAIRES
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maladies cutanées et syphilitiques
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DUBREUILH.
POUSSON.
MOURE.
RÉGIS. ,
DENLJCE.
RIVIERE.
DENIGES.
LeSecrétaire delaL'acuité:
LEMAIRE.
Pardélibérationdu5 août1S19, la l'acuitéaarrêtéque
les opinions émises dans les Thèses qui
lui sont présentées doivent être
considérées
comme propresà leurs auteurs, et qu'elle n'entend
leur donnerni approbationni improbation.
ïts*
A ma Cousine et
Bienfaitrice
i.
Mademoiselle Marie-Louise BARBAROUX
Directrice del'Ecole desfilles àMédéah(Algérie).
je dédie ma thèse inaugurale
^
Faible hommage d'éternelle reconnaissance.
M.
E.
3.
qui end
A MES MAITRES
de l'Ecole de Médecine d'Alger
et de la Faculté de Médecine de Bordeaux
A mon Président de thèse
Monsieur le Docteur P. COYNE
Professeur d'Anatomiepathologiqueàla Facultéde Médecinede Bordeaux Officier de l'Instructionpublique
INTRODUCTION
Après avoir habité Alger depuis 1881 et assisté
àla
création de certainsquartiers de cette ville,
nous sommesnéanmoins fort étonné de constateraujourd'hui le
peude progrès qui
yont été
réalisés au
point de
vuede
sonhygiène.
Les
poètes ont chanté la blanche capitale, les écrivains
ont très souvent servi l'ancien cliché de la « carrière de marbre »qui domine la baie toujours bleue de l'Agha, et c'est
àprofusion
que
de
pompeuxéloges ont été décernés
:il
faut avouerqu'il
ya une certaine
part de vrai dans
cetensemble
dedescriptions magnifiques et l'on serait mal
venu deprétendre les contredire;
mais on se voit
obligé de faire bien des
restrictions etde modé¬rer
passablement cet enthousiasme quand
ons'occupe de cette
ville aupoint de
vuede l'hygiène.
Déjà
en1893, M. le Dr Julien, dans
sa thèseinaugurale
surl'hygiène générale d'Alger
soutenuedevant
la Faculté de Bor¬deaux, démontrait
quecette hygiène était loin d'être parfaite.
Notre travail aurapour
but l'hygiène de certains quartiers, le danger qu'il
y ade laisser subsister
dans la ville des établis¬sements
dangereux
pourla santé publique et la nécessité de
reconstruire sur des basesplus sérieuses des quartiers
nou¬veaux.
Mais avant d'aborder le
sujet
que nous avonschoisi, le devoir
nous incombe d'adresser nos remerciements les
plus sincères à
ceux
qui ont veillé
sur notreenfance,
et aux maîtresqui
nous ontguidé dans l'étude si longue et si pénible de la médecine.
C'est
pourquoi, après avoir évoqué le souvenir si cher de
notre— 12 —
père,
nousprésentons à notre mère ce travail comme un faible
hommage de piété filiale.
En dédiant notre
thèse à notre cousine, MUe Barbaroux, direc¬
trice del'école
des filles à Médéah (Algérie), nous avons voulu
donner à notre
bienfaitrice la meilleure marque de notre sym¬
pathique reconnaissance pour la grande amitié qu'elle nous a
sans cesse
témoignée, et les secours si puissants qu'elle a mis à
notre
disposition
en vuede l'achèvement de nos études.
Que
nosmaîtres de l'Ecole de plein exercice de médecine et
de
pharmacie d'Alger reçoivent l'expression sincère des remer¬
ciements de leur élève.
Nous tenons à affirmer particulièrement
àMM. les
professeurs Gros, Moreau, Merz, Planteau, Cochez,
Marini et
Raynaud
quenousn'oublierons pas les bonnes leçons
que nousavons
reçues d'eux et les conseils si bienveillants qu'ils
nous ont
toujours donnés.
Nous
rappelerons enfin à M. le professeur Rey les services
qu'il
nous arendus et nous sommes heureux de lui prouver publiquement notre reconnaissance.
Nos maîtres de la
Faculté de médecine de Bordeaux, eux aussi, ont droit à
nosremerciements : auprès d'eux, en effet, il
nous a été donné
d'entendre de savantes leçons, précieux com¬
plément des notions que nous avions acquises déjà, et qui nous
ontmontré
parfois
sous unjour nouveau des points restés plus
oumoins obscurs
dans
notreesprit.
Que M. le professeur Coyne, auprès de qui nous avons trouvé
un si
sympathique accueil à notre arrivée, qui nous a permis
l'entrée de ses
laboratoires d'anatomie pathologique
avectant d'amabilité, et enfin
nous afait l'honneur d'accepter la prési¬
dence de notre
thèse, veuille bien recevoir l'expression de
nos remerciements et de notreplus profond respect.
L'HYGIÈNE
DE
QUELQUES QUARTIERS D'ALGER
A
Alger,
commedans beaucoup de villes algériennes
anté¬rieures à,la
conquête, il est aisé de distinguer
encoreaujour¬
d'hui deux
parties bien distinctes: l'une, située
aunord, existait déjà lorsqu'on 1830
nostroupes tirent leur entrée dans El-Djc-
zaïr;
l'autre, située
ausud,
est de constructionbeaucoup plus
récente et constitue la ville
européenne, la ville aristocratique,
à
l'opposé de la première qui
seressent
encoredes habitudes passées et fournira précisément
un vastechamp
auxcritiques
que nous
désirons formuler.
Nous ne
négligerons
pas pourcela les quartiers de construc¬
tion récente et croyons que
c'est
unvéritable devoir
quede signaler certains de leurs
inconvénients.Et tout
d'abord, dans
cettepartie de la ville
que nousappel¬
lerons les vieux
quartiers,
nous aurons àdécrire plusieurs ré¬
gions
que nousappellerons
:la Marine, le quartier de la Pré¬
fecture, la Casbah.
Nous examinerons ensuite dans les
quartiers
nouveauxla
situation mauvaise de certains d'entre eux soit parle voisinage
des
fondouks, soit
parl'incomplet fonctionnement des égouts.
[
LE QUARTIER DE LA MARINE
Lorsqu'on arrive à Alger par voie de mer, on aperçoit sur le
port
unedouble rangée de voûtes supportant le boulevard dit
dela
République;
ceboulevard s'étend d'une extrémité à l'autre
de la ville: des rampes
d'accès le relient au port ainsi que des
escaliers.
Lorsque
cesvoûtes furent construites et que le moment fut
venu de les
utiliser,
onvit qu'elles constitueraient un endroit
excellent pour serrer
les marchandises qui étaient obligées de
séjourner
uncertain temps avant d'être embarquées ou expé¬
diées dans l'intérieur.
C'est pourquoi
ungrand nombre d'entre
elles servent comme
docks, magasins et ateliers.
Mais la
partie des voûtes construite sur le vieux port depuis
le service de 1a.
Santé jusqu'au chemin de l'Amirauté, sert
d'habitations, et c'est là,
croyons-nous, unedestination fâcheuse.
En
effet, qu'on
sereprésente s'ouvrant sur une galerie com¬
mune une série de
longs couloirs parallèles, profonds de 7 à
8 mètres, ne
recevant l'air et la lumière
que parune seule et unique porte. Voilà
cequi va constituer des logements.
Chacune deces
pièces est habitée
parunefamille de pêcheurs,
pour
la plupart Napolitains et toutes excessivement nombreuses;
ces
familles, composées généralement du père, de la mère et de cinq
ousix enfants, sont pauvres; le mobilier dont elles disposent
est réduit au strictnécessaire : une
table, quelques chaises boi¬
teuses,
des grabats
oupaillasses dans
uncoin de la chambre.
Tel est le mobilier.
Inutile de dire que
tout cela est- d'une saleté repoussante;
puis, accrochés
aux murs, desengins de pêche, des fdets, des hameçons, des cordages répandant des odeurs mélangées de peinture et de goudron. Quelquefois des paniers de poissons
laissés dans un coin en attendant le moment de la vente.
La cuisine se
prépare
surle devant
de laporte,
sur unfour¬
neau
primitif, consistant
en une caisse en fer surmontée d'ungrillage et dans laquelle
onallume du
feu : ce fourneauportatif
est aussi
transporté d'un bout
àl'autre
del'appartement répan¬
dant non seulement les gaz
résultant
de la combustiondu char¬bon mais encore les odeurs de la cuisine àl'huile ouà la
graisse plus
oumoins
rancie. Et c'est dans cetteatmosphère composée
de tout ce
qu'il est possible d'imaginer
enfait
deproduits nui¬
sibles que,
la journée terminée, chacun
vient demander ausommeil le repos
dont il
abesoin.
Il y a
ainsi'
àla Marine
une centaine de familles oùtous, hommes, femmes
etenfants, grands
etpetits, vivent
dans laplus intime promiscuité
sans aucun souci de la décence et desrègles de l'hygiène. Les hommes
trouvent encore de l'air purà.
respirer puisqu'ils passent toute leur journée
enpleine
mer àla pêche, mais les
femmes et les enfants sontobligés de subir
les inconvénients de ce confinement dans un milieuqui
manqued'aération.
Les cabinets d'aisance
manquent
oudu
moins sont ennombre insuffisant : ils sont communs et situés à une extrémité de lagalerie générale
;lorsqu'arrive l'époque de la lessive,
on rem¬plit
unbaquet d'eau,
etdans
un coin de lachambre,
on lave lelinge de toute
la famille:l'étendage
sefait soit
dans lachambre,
soit sur la
galerie.
Du
reste,
ons'aperçoit bien du
manqued'air
etdu
besoinqu'éprouvent
ces gensde sortir d'un pareil milieu,
car on les rencontre très souvent en masse sur lapartie du boulevard
située au-dessus de leurs voûtes : mais cela encore n'est-il pos¬
sible que
dans les beaux jours; l'hiver, lorsque souffle le
vent dunord-ouest etqu'il pleut, les galeries
sontbalayées
parles ondées;
on nepeut donc
yséjourner,
etl'été, pendant la
mati¬née, le
soleil chauffe durantcinq à six heures
ceshabitations,
— 16 -
qui emmagasinent ainsi de la chaleur ; or, l'on sait si dans nos
pays
la ventilation est nécessaire à ce moment-là de l'année.
En cet
endroit de notre travail, nous devons prévoir une
objection
quel'on pourrait nous adresser, car l'extrémité des
voûtes,
opposée à celle dont nous venons de parler, et située
au
sud, sert aussi d'habitations; on y loge deux compagnies de
zouaves : nous
répondrons à cela, d'abord qu'ici les conditions
ne sont
plus sensiblement les mêmes, car on a depuis quelques
années,
particulièrement depuis 1892 et 1893, singulièrement
amélioré la
situation des voûtes en question ; les couloirs y ont
été
élargis, les ouvertures également ; la plus grande partie est
réservée aux
magasins d'approvisionnement du corps et les
troupes sont surtout logées dans cette portion dite du bastion XV,
qui ayant des ouvertures sur le nord, sur le sud et sur l'est,
permet d'établir des courants d'air et d'assainir ainsi les cham¬
brées.
Toutefois,
nousajouterons que, malgré ces perfectionnements,
il est
regrettable
quel'autorité militaire ne puisse loger ailleurs
ces deux
compagnies de zouaves, car le bastioç. XV a été à plu¬
sieurs
reprises le foyer d'épidémies de fièvre typhoïde, notam¬
ment enaoût et en
septembre 1889, à une époque où les eaux
d'Alger paraissaient indemnes de germes typhiques.
Voici comment à propos
de
cesépidémies s'exprimait M. le
Dr Bertherand dans son
rapport du 20 septembre 1889 : « L'épi¬
démie de fièvre
typhoïde signalée dans la garnison par l'auto¬
rité
militaire, sévissait particulièrement dans deux casernes de
la ville situées côte à
côte, la
casernedite des voûtes bab-azoun
(bastion XV) et la caserne Charron. La caserne de gendarmerie,
située dans le
voisinage, n'avait présenté qu'un cas, celui d'un
militaire
qui allait prendre ses repas à la caserne des voûtes ».
Par
conséquent, si même pour la santé des zouaves qui habi¬
tent les voûtes
il
y ades dangers,
quesera-ce pour les Maltais
et les
Napolitains de la marine. 11 n'est pas rare de rencontrer
chez eux des
enfants
etdes femmes chlorotiques et scrofuleux-
tuberculeux.
Il est à redouter
qu'un
casde variole ou de fièvre typhoïde,
— 17 —
par
exemple, venan^à éclater clans
uncle
ceslogements, le
quar¬tier ne devienne un véritable milieu de
propagation dans
lesquartiers voisins, du
restemerveilleusement préparés
pourla chose, ainsi
qne nousle
verrons dans leschapitres suivants.
Certes, il
eût étéintéressant
dedémontrer
au moyende
sta¬tistiques
que cequartier jouissait d'une insalubrité réelle,
maisnous devons dire
qu'il est difficile
de se procurer tous lesren¬seignements
nécessaires à cetteétude, le quartier des
voûtes de la Marine étantcompris dans le quartier de la
Préfecture.Nous croyons
cependant qu'une pareille agglomération
et unsemblable confinement sont contraires aux lois de
l'hygiène
et dans unchapitre spécial de
notre travailnous nous occuperons del'amélioration
àapporter dans l'habitation
de cespêcheurs.
Koziell
11
LE QUARTIER DE LA
PRÉFECTURE
Ainsi nommé à cause
du monument principal qui y est situé,
le
quartier de la préfecture est limité par la place du Gouver¬
nement,
le boulevard de la République, la caserne du Génie, du
Fort-Neuf et la rue
Bab-el-Oued. A part
cesgrandes artères qui
forment les
quatre côtés de ce quadrilatère, il est impossible de
trouver dans le quartier une seule rue, car nous nous refusons
de la
façon la plus absolue à appeler rues des boyaux dont la
largeur
nevarie
pasau-delà de 90 centimètres, 1 mètre et
1 m.
50, surtout quand
cesboyaux séparent des maisons de
quatre et cinq étages. Ce quartier, qui constitue à lui seul le
sixième environ de la
superficie de la ville, va donc manquer
d'une
façon complète d'air et de lumière.
Ici le coup
d'œil change
: onn'a plus des voûtes comme à la
Marine ce sont des
maisons; mais quelles maisons!!! Il est évi¬
dent que nous
n'aurons
pas envue dans ce chapitre les immeu¬
bles
qui bordent les rues Bab-el-Oued et de la Marine, immeu¬
bles de construction récente et
qui à la rigueur échappent à la
critique, mais si le cadre est passable le tableau est bien laid,
etle
quartier de la Préfecture fait tache au milieu de la ville.
Les maisons que
l'on rencontre dans le quartier sont pour la
plupart d'anciennes maisons mauresques bâties avant la con¬
quête
ou peude temps après.
C'est dans une maison mauresque que
le Conseil général du département d'Alger donne ses séances, et c'est également une
maison mauresque
qui
aété attribuée
auservice de la voirie
départementale
pour yinstaller ses bureaux : beaucoup d'au-
— 19 -
très ont été vendues à des
particuliers qui,
comme nous le ver¬rons dans un
instant, les
onttransformées
d'unefaçon
tellequ'elles
sont devenuesinhabitables.
Les constructions
européennes bâties depuis l'occupation fran¬
çaise
ont été élevées sans aucun souci de la salubritépublique.
En
effet, quelle
quesoit la
maison duquartier de
laPréfecture,
dans
laquelle
onpénètre,
on ytrouve d'abord
un étroit couloir oùrègne
uneprofonde obscurité
et une odeur demoisi, d'hu¬
midité,
etquelquefois d'autre
chose.Au fond du
couloir,
un escalier étroit et sombreégalement, qui conduit
surdespaliers donnant
accès à deux ou troisappar¬tements : on arrive ainsi au troisième ou au
quatrième étage et
enfin à la terrasse. C'est seulement là quel'on peut voir
un peu de clarté et recevoir de l'air.Les
logements,
à leurtour,
sontpetits, composés de deux- pièces,
rarement detrois,
avec une sorte de réduit servant de cuisine et de cabinetsd'aisances, quand il
enexiste;les plafonds
sont
bas,
presquetous n'atteignent
pas2m50,
et enfin les fenê¬tres, généralement trop étroites, s'ouvrentsur
les ruelles.Quand
il existe des cabinets d'aisances dans la
maison, ils
sont très souvent destinés à tous les locataires et situés au bas de l'esca¬lier : ils
manquent d'éclairage et de
ventilation ;ils
sont donc constamment trèssales,
caril
est manifeste que,n'osant
pas ypénétrer trop avant, les visiteurs
se contentent dedéposer leurs
ordures sur le seuil ouderrièrelaporte. Les cuisines
ont àpeine
une lucarne
qui donne
un peud'air,
et lesménagères
sont tou¬jours obligées,
àl'heure
de lapréparation des aliments, d'ou¬
vrir la
porte de l'appartement, de
sorte quel'escalier
et le couloir sont envahis parla fumée
et les odeurs decharbon, d'huile,
etc.Beaucoup de
cesmaisons manquent d'eau,
et cellesqui ont le
bonheur d'enposséder ont
une fontaine commune où chacun vientpuiser
cequi est nécessaire
àsa consommationjournalière,
et comme souvent les cuisines n'ont pas
d'éviers,
une cuvette situéeprès de la fontaine reçoit
toutes les eaux duménage !
De tous ces
appartements, les
seulsqui sont habitables
sont- 20 —
ceux du
dernier étage,
aumoins ont-ils un peu plus d'air et
■sont-ils
éclairés.
Les autres sont
absolument dépourvus de lumière et ne pren¬
nent
d'air
quedans les ruelles du quartier, qui, ainsi que nous
allons le
voir, sont loin de remplir de bonnes conditions hygié¬
niques.
Celles-ci sont, nous
l'avons dit au commencement du chapi¬
tre,
d'une exiguité remarquable; de plus, on aurait à leur
reprocher leurs détours nombreux et les coudes qu'elles décri¬
vent,
créant ainsi
unemultitude de coins et de recoins qui favo¬
risent
admirablement le dépôt des ordures de toutes sortes,
depuis les vulgaires ordures ménagères jusqu'aux matières
fécales !
Il est
impossible de se rendre au Conseil général ou aux
bureaux de la
voirie,
enpassant par la rue des Trois-Couleurs
et lesrues
qui
ensortent, sans trouver à chaque angle de maison
ici un tas
d'épluchures de légumes, là un tas de chiffons, plus
loin une
vespasienne à l'air libre et enfin plus loin encore un
véritable chalet
de nécessité où des passants peu scrupuleux des
bonnes mœurs
déposent
en sepromenant le résidu de leur
digeslion. On
nepeut échapper à ces tas d'immondices et, vu
l'exiguité du
passage,éviter l'un d'eux c'est trouver l'autre, fuir
Charybde c'est tomber dans Scylla, et il n'est pas un de nos
honorables
conseillers généraux à qui pareille mésaventure ne
soit arrivée au
sortir de l'une des séances de jour comme de
nuit.
Or, c'est dans
cesruelles mal aérées, infectes, que donnent les
fenêtresdes maisons, et
les plus mal partagés ont encore sous les
yeux
et
sousle nez les immondices que nous venons d'indiquer.
Et l'on
conçoit
quele service de nettoiement soit difficilement
exécuté et
surveillé; les
rues nepouvant permettre le passage
des voitures à
ordures, le service
sefait à l'aide de bourricots et
de
paniers
:mais la quantité d'ordures enlevées chaque fois est
minime
comparativement à celle qui est produite pendant vingt-
quatre heures, non seulement dans les maisons mais encore dans
les ruelles. Il est
vrai de dire
que, pour cequi concerne les
— 2! —
habitations servant debureaux aux
employés de la Voirie
ou de laPréfecture,
ons'est
efforcéd'apporter des
améliorations :mais
malgré les efforts tentés,
onn'a
pastoujours
puobtenir
un résultat bienappréciable
:l'élargissement
defenêtres, la
créa¬tion de cabinets d'aisances ne sauraient
apporter
unelumière plus intense
et un volume d'airplus grand si
les ruelles restent aussi étroites; onn'a
doncpu, vule nombre d'employés toujours croissant, augmenter les
dimensions des bureaux où ils sonttrop souvent
entassés : nous avous vu nous-même à la Préfec¬ture
d'Alger,
unde
nosamis,
unjeune homme
de 25 ans, tra¬vailler dans une
petite salle qui n'avait
pas3 mètres
carrés et dont leplafond atteignait
àpeine 2m50. Et il n'y travaillait
pas
seul,
un autreemployé restait enfermé
avec lui dans cettepièce où la lumière
était rare et où l'air neparvenait
que pardes couloirs et une courintérieure
plus
oumoins
mal ventilée.Or, le jeune homme auquel
nousfaisons
allusion etqu'un
hasard malheureux avait conduit dans ce bureau étroit était tuberculeux! Il était certain que ses
lésions pulmonaires
l'enlè¬veraient à la
vie, mais
il est certain aussiqu'un pareil milieu
n'était pas
fait
pourretarder
sa mort! Nous serionsplutôt
tenté de croirequ'un séjour de plusieurs mois
dans ce local a avancéson dernier
jour.
11 semble
étrange de lire qu'à Alger il existe
encore des mai¬sons où l'air et la lumière
manquent. Et pourtant les
faits sont là! C'est triste àconstater,
mais la chose estpatente; elle
sauteaux yeux
et,
nousle répétons, il
yades
gensqui
sontprivés
de cettelumière que
le ciel d'Algérie
nousjette
àprofusion.
Nous sommes donc convaincu
qu'il
y ade réels inconvénients
à vivre dans de tels
milieux;
et encore,quand il s'agit d'un employé qui,
aumaximum, n'a
quesept à huit heures
parjour
à passer
dans
sonbureau, le danger
estincomplet
:il
ypeut
remédier par une
promenade
àla
sortie et regagnerunapparte¬
ment sain sur les coteaux de
Mustapha.
Mais
quand il s'agit d'ouvriers, le danger devient beaucoup plus grand. Or,
ce sontprécisément des ouvriers, qui habitent
le
quartier de la
Préfecture : les uns travaillent au dehors et— 22 —
n'entrent
chez
eux quepour souper et se coucher; d'autres
travaillent
chez
euxet passent ainsi une partie de leur vie dans
cet air
confiné, n'ayant que rarement l'occasion de sortir dans
la semaine.
Beaucoup d'ouvrières en chambre, couturières, giletières,
culottières
prenant à la tâche la confection de vêtements mili¬
taires,
ont
parconséquent à redouter, avec les inconvénients
signalés plus haut, les dangers de la machine à coudre et de la
couture à
la main.
Beaucoup
d'autres passentleur journée à rouler des cigarettes.
Toutes les
petites industries semblent s'être donné rendez-
vous dans ces parages
: cartonniers, bouchonniers, peaussiers,
magasins de toute espèce occupant femmes et enfants, voilà les
métiers
qu'on
yrencontre et presque partout, quand arrive le
soir,
onmangeet on couche dans la même chambre qui a servi
de
boutique, d'atelier, etc.
Or, peut-on, quand on a vécu ainsi pendant plusieurs mois,
devenir
rhumatisant, lymphatique, anémique, tuberculeux,
rachitique? Nous le croyons.
En
1893,un sieur G..., employé d'une Compagnie de chemins
defer
algériens et dont la femme remplissait dans la maison
que nous
habitions à Alger les fonctions de concierge, avait, à
la suite d'un
léger héritage et grâce à quelques économies, cru
bien faire en
achetant, dans
unedes ruelles de ce quartier, une
maison pour
la transformer en hôtel meublé. Or, mal lui en prit
et
C...,
que nousavions toujours connu en bonne santé, n'était
pas
depuis un an dans ce nouveau quartier qu'il était pris d'une
tuberculose
généralisée qui, en quelques mois, l'enlevait à sa
femme et à ses
trois enfants. Nous sommes allé voir plusieurs
foisdurant sa
maladie
cebrave homme, mais notre visite n'était
certainement pas sans
provoquer chez nous un mouvement
d'horreur et de
répugnance quand nous entrions dans la mai¬
son. Le
père, la mère et les trois enfants, garçonnets de 5 à
13 ans,
vivaient là dans deux petites pièces étroites, noires, sen¬
tant, avec
la cuisine et les lieux d'aisances, une odeur de linge
sale et de
médicaments.
23
Et la maison était line maison meublée ! Nous n'avons pas eu le courage
d'en visiter
leschambres, mais
nous nous doutons de l'état lamentable danslequel elles devaient
setrouver,
aupoint de
vuede l'hygiène.
Or, beaucoup de garnis
seremarquent dans le quartier de
la Préfecture : les uns déclarés commetels, les
autresplus
ou moinsdéguisés où le propriétaire loge à l'amiable
un locataireau
mois, à la quinzaine,
àla
nuitmême,
comme s'il avaittrop
de
place
pourlui et les
siens!Et
pourtant, il
est certaines villes où desrèglements
existentau
Sujet de l'hygiène des garnis
: cesrèglements existent-ils
àAlger? Nous
ne le savonspas,mais
nous endoutons,
car pour lesappliquer
aupied de la lettre, il faudrait
commencer par détruire les maisons!Après les garnis
etles petites industries
que nous avonsdéjà signalées plus haut, il importe de citer
encore deux industriesqui jouent leur
rôle dans lequartier de la
Préfecture et ne sont pas pourrien dans
son insalubrité: nous voulons dire les débits de boissonsalcooliques et les maisons
deprostitution
clandestine.Beaucoup de petits cafés où
l'on débite de l'absinthe et de l'anisette à deux sous le verre,quelle
consommation d'alcool! Bienplus, s'il arrive
au visiteur de cesquartiers de pénétrer
dans un débit de tabac pour
prendre
uncigare,
on ne manquera pasde lui
offrir une marchandise autre quecelle qu'il désire
etsur
laquelle la régie n'a
pas encoremis d'impôt; c'est
unpetit
commerce
auquel
selivrent beaucoup de débits de tabac;
nous nous sommes assuré du fait unjour
et avons été toutsurpris
de trouver de la
prostitution clandestine
s'exercer d'unefaçon
aussi nette.
Or,
àAlger
commeailleurs, qui dit prostitution
clandestine ditégalement propagation
considérable demaladiesvénériennes,
etles labyrinthes,
souvent difficiles àexplorer, du quartier de la Préfecture, favorisent
on nepeut mieux
ce hon¬teux commerce!
Mais
enfin, c'est
là unpoint de
vuequi
netouche
pasde
trèsprès le sujet
que nous nous sommesproposé d'étudier
et nousn'y insisterons
pasoutre
mesure.— 2i —
Le
quartier de la Préfecture est-il réellement insalubre ? En¬
core un
point qu'il serait intéressant de traiter, mais les docu¬
ments
manquent complètement; nous aurions aimé à le prouver
par
des statistiques.
Nous avons pu
toutefois, grâce à l'obligeance de M. le Dr Ray-
naud, médecin de l'hôpital civil de Mustapha, nous procurer à
la mairie
d'Alger le chiffre des décès causés par des maladies
contagieuses
pararrondissement pour l'année 1895.
Ce
tableau,
que nousreproduirons à la fin de notre travail,
accuse pour
cette année dans le 1er arrondissement (quartier de
la
Préfecture)
:Coqueluche
0
Rougeole
5
Variole 0
Croupet diphtérie
2
Fièvre typhoïde
10
Typhus
1
Total 18
Ce
qu'il
y ade certain, c'est que divers endroits, et en parti¬
culier la rue
des Trois-Couleurs, fournissent un très grand nom¬
bre
d'affections, parmi lesquelles la fièvre typhoïde, et il n'est
pasrare
de voir arriver à l'hôpital civil de Mustapha des gens,
souvent des nouveaux
débarqués, qui ont séjourné depuis leur
arrivée dans
la
ruedes Trois-Couleurs; après deux ou trois
jours d'observation ces malades font une fièvre typhoïde.
On estmême
attiré
par cediagnostic, alors même qu'il n'est
encorepas
faisable à l'aide de signes caractéristiques, mais par
cefait seul que
le malade habite depuis quelque temps les rues
ci-dessus
dénommées.
Nous ne pouvons
donc prouver l'insalubrité de ce quartier,
quoiqu'il soit de notoriété publique que cette agglomération de
maisons
anciennes,
quel'insuffisance des rues, les amas d'ordures,
le confinement
des habitants, leur mauvaise alimentation, consti¬
tuentun
milieu où la mortalité et la morbidité sont très accentuées.
Les gens
qui habitent ce quartier appartiennent à des natio¬
nalités
différentes
: on ytrouve des Français, des Espagnols,
des
Italiens, des Maltais, des Arabes
;beaucoup, lorsqu'ils
sontmalades,
nefont
pasdemander le
médecin et sesoignent à
leurguise; beaucoup
neveulent
pasaller
àl'hôpital, de
sortequ'encore à
cepoint de
vueil
ne saurait être établi de statis¬tique, tant
aupoint de
vuede la
nationalité quedes maladies.
Un denos
professeurs d'Alger, M. le D1' Moreau,
pense commenous que
le quartier de la Préfecture
est un desplus insalubres
de la ville et attribue pour
beaucoup cette insalubrité
à cequ'il appelle le retournement
de la maison arabe.Ecoutons
plutôt
cequ'il dit
à cesujet
:« L'Arabe est
convergent,
comme nousrayonnants
et expan-»
sifs; il vit
pourlui,
nous pourautrui. C'est pourquoi
samai-
» son est faite àson usage
et
à sonimage. Il
yaccède
pardes
» ruelles
sombres, tortueuses, discrètes,
secrètes. Il ne s'éclaire». surces ruelles que par
d'étroites
ouverturesgrillagées, dans
» une
grande muraille
nue.Souvent, il regrette d'avoir fait
ces» ouvertures et il les bouche avec des
couffins, des
torchons.» C'est à l'intérieur de sa maison
qu'il s'éclaire
;là, il
a sonjar-
»
dinet,
safontaine,
sesvérandas,
sesbalcons.
»
Nous,
au contraire delui,
nous accédons à nos maisons par» de
larges boulevards, droits,
ouverts à tous.Là-dessus,
nos» maisons étalent leurs
façades sculptées, des balcons
ornemen-»
tés, des
fenêtres bienlarges
et, sur nos coursétroites,
sem-» blables à des
puits,
nous mettons nosescaliers,
noscuisines,
» nos lieux d'aisances ».
» Eh bien! dans la maison arabe retournée,
qu'a-t-on fait?
» On a bouché la cour
qu'on
acouverte d'un
vitrailqui
en» fait une serre chaude : on l'a transformée en
atelier,
en maga-»
sin;
on a cesséd'y prendre l'air
etle jour qui
yvenaient lar-
»
gement et
on est allé les demander enélargissant les
meur-» trières en manière de fenêtres à ces ruelles
qui
enmanquent.
» Pour
comble,
on atrop souvent surélevé d'un
ou de deux»
étages la maison
mauresqueet là où l'Arabe abritait cinq
ou» six personnes, on
abrite cinq
ousix ménages, soit
trente à»
quarante
personnes.On comprend
sanspeine le résultat, de
» ce contre bon sens
hygiénique
»,III
LA CASBAH
On
désigne
sousle
nomde casbah, le quartier limité par la
rue
Bab-el-Oued, le Lycée, la
caserned'Orléans, la Rampe des
zouaves,
le boulevard Gambetta et la rue Randon. C'est un vaste quadrilatère dont les maisons s'échelonnent depuis les rues Bab¬
el-Oued et Randon
jusqu'à la
casernedes Zouaves, point culmi¬
nant. Casbah
désignait le fort qu'avaient construit les Turcs
pour se
défendre contre une invasion par la mer : on retrouve
encore
aujourd'hui
commevestiges de la conquête le palais
fameux oùle
Dey eut
avecnotre ambassadeur la discussion qui
devait amener le
débarquement de Sidi-Feruch et la prise
d'Alger
—des débris de murailles sont encore pieusement con¬
servés comme pour
jeter
unenote discordante dans ce quartier
déjà suffisamment disgracieux.
—A côté de ces monuments his¬
toriques beaucoup de constructions anciennes ont subsisté, une grande quantité de maisons mauresques ont été conservées, mais
beaucoup également ont été retournées
pouremployer l'expres¬
sion dont nous nous sommes
servi déjà,
ouconstruites
peude temps après la conquête.
Nous ne rencontrerons pas
dans la Casbah tous les inconvé¬
nients de la ville basse et des vilains
quartiers qui ont fait le sujet du chapitre précédent.
En
effet,
parsuite de
sasituation
sur unflanc de colline, la
Casbah
possède des maisons rangées suivant des plans
super¬posés
parétages
:air et lumière pourront assainir plusieurs
d'entre elles et les dernières
même, celles qui
setrouvent
occu-— 27 —
per
le
sommetde la Casbah, rempliront,
auxdeux points de
vue de l'aération et del'éclairage, des conditions parfaites.
Cette restriction
faite, il importe de dire cependant qu'ici
nous retrouvons de nouveau des ruellesétroites, tortueuses;
mêmesdépôts d'immondices
quedans la ville basse,
mêmes mauvaisesodeurs; le service
du nettoiement se fait encore à l'aide depaniers portés
pardes bourricots; les
ruelles sont malpavées, mais,
parsuite de leur pente rapide, dès qu'un
orageéclate, elles
sonttransforméesenautantde torrents
qui les lavent
etles
assai¬nissent; dans le quartier de la Préfecture,
aucontraire, qui est
absolumentplan, les ordures
etles
eauxpeuvent séjourner
et imbiberplus sûrement le sol.
Quant
auxmaisons, elles
sontbasses;
on yaccède
souvent par unepetite porte
souslaquelle
on seglisse
en se courbant pourarriver dans
une sorte decul-de-sac; beaucoup d'habita¬
tions n'ont ainsi
qu'une
ouverture servant à lafois de «porte,
de fenêtre et de cheminée »,
d'autres représentent
encore letype arabe, suivant lequel elles
ontété
construites avant la con¬quête
:corridor étroit,
cour carréeintérieure, galerie à colon-
nettes de
marbre, mais l'ouverture supérieure, qui laissait arri¬
ver air et
soleil,
a été ferméeentout ou enpartie,
amenant ainsihumidité, obscurité
et confinement de l'airatmosphérique; les propriétaires européens de
ces maisonsont bâti àl'intérieur des cloisons nombreusesaugmentant ainsi
le nombre desapparte¬
ments aux
dépens de la dimension
vaste despièces,
etlà
oùjadis
une famille était à son
aise,
elle est à l'étroitaujourd'hui
et souffre de cette transformationapportée
aulogement. De plus,
très souvent,
malheureusement
les famillesindigènes s'y entas¬
sent au nombre de trois ou
quatre.
Déjà
en1878, M.
le DrBourlier, dans
unnuméro de YAlger Médical, signalait
cemal
et disait à ce propos : «Une
seule»
pièce
composetrop souvent la demeure
: ce serait admissible» si la famille n'excédait pas
deux
outrois
personnes,si
cette» chambre était vaste ;
mais
les enfantspleuvent chez l'artisan
» et ces
logements
ontparfois
uneunique ouverture
servant de»
porte et de fenêtre, quelquefois de cheminée
».LaCasbah est presque
uniquement habitée par des Arabes ;
les
Européens
ysont assez rares, n'y constituent que peu de
ménages et sont surtout logés dans la partie basse de la Casbali,
dans la rue de
la Casbah
oula
rueRandon.
Dans ce
quartier, comme dans celui de la Préfecture, beau¬
coup
de petites industries occupent des artisans : soieries, cou¬
vertures
arabes, lainages,
armesde pacotille, objets de cuivre,
vêtements
arabes, brodeurs
sursoie et argent, etc.; ensuite vien¬
nentles maisons
basses où logent à vil prix les malheureux
indigènes portefaix, travailleurs au port, déchargeurs de char¬
bon,
individus dont nous aurons à nous occuper plus particu¬
lièrement
quand
nousnous occuperons des fondouks et des
cafés maures.
Enfin la Casbali est
le quartier où sont cantonnées les mai¬
sons
publiques de toutes nationalités; chacune a sa spécialité
derace : ici les
Françaises, là les Espagnoles, plus loin les indi¬
gènes, offrent
auxpassants leurs grâces et leurs corps. Une
quantité considérable de ces endroits sombres, véritables
repaires de chacals, qui ne sauraient mériter le nom de cham¬
bres, cachent les prostituées libres, cartées ou clandestines.
Or,
àquelque catégorie qu'appartiennent les maisons publi¬
ques,
reconnues ou cachées, l'hygiène en est des plus déplo¬
rables;
cesmaisons sont
presquetoutes d'anciennes maisons
arabes retournées que
le cloisonnement des chambres et la
fermeture
hermétique des fenêtres ont transformées en prisons
et en
cellules, la
courintérieure est devenue une salle de café
où s'entassentles
odeurs de mauvaises boissons, de fumée, de
cuisine oude
tabac,
unefabrique d'air confiné et malsain sur laquelle s'ouvrent chacune des cliambrettes des pensionnaires
dela maison : ces
cliambrettes à leur tour n'ont
pasde fenêtres, quelquefois
on ydistingue une lucarne, une étroite meurtrière
grillagée d'où l'œil perçoit un coin du ciel ou l'angle du toit
voisin.
Ces maisons
publiques possèdent des cabinets fort heureuse¬
ment et,
grâce
ausystème du tout à l'égout dont dispose Alger,
les ordures ne
séjournent
paslongtemps dans les appartements,
— 29 —
mais combien d'autres locaux n'en ont pas encore
et déversent
leurs eaux
ménagères et leurs
ordures au milieu de la ruelle! Bien que cesmaisons
nepuissent contenir qu'un nombre
déterminé de
pensionnaires,
nous nous demandons si pouréta¬
blir ce chiffre les
règlements
ont été basés sur les lois del'hygiène et si l'on
a considéré les maisonspubliques
comme desgarnis où le locataire
a droit à un volume d'air suffisant et à unéclairage direct de
sachambre;
nous nele
croyons pas, carces conditions ne sont
jamais remplies.
Heureusement, la ville indigène possède des égouts qui
se déversent dansl'égout collecteur
traversantAlger dans toute
salongueur.
M. le D1' Julien en a donné la
description dans
sathèse' de
doctorat et nous ne luiemprunterons
quele
passagesuivant
:« Les
égouts de la ville indigène, construits
avant laconquête,
» ont été
conservés; ils
sontentrès mauvaisemaçonnerie
etd'un» entretien onéreux, leur section est carrée et varie de 30 centi-
» mètres à60 centimètres de côté ;
grâce à leur pente, 6 à 12
cen-» timètres par
mètre, les matières
neséjournent
paset s'écoulent
» très
rapidement
».Nous avons cité les taudis
qui abritent la nuit
les ouvriers arabes duport
oules portefaix,
nousn'insisterons
pas surles
habitations des artisans de la casbah;leurs
conditionshygiéniques
sont aussi
déplorables
quechez les ouvriers
en chambre duquartier de la Préfecture.
Nous dirons seulement deux mots des Arabes aisésqui habitent la
casbah.Parmiles rares maisons
indigènes qui n'ont
pasété complète¬
ment transformées à
l'européenne, qui n'ont
pasété
retournées, il enestqui appartiennent
àdes
commerçantsdont
lesmagasins
se trouvent en ville : mais ils ont élu domicile àla Casbali et c'est dans ces maisons mauresques que
demeurent continuelle¬
mentleurs femmesetleurs enfants. Nous disons
continuellement,
car cesindividus ont conservéles coutumes anciennes
et, suivant
les vieilles
traditions, interdisent
à leurs femmes et à leurs enfants de sortiretdesemontrer,
parconséquent point de porte
ouverte,point de fenêtres
;trois
ouquatre fois l'an,
une prome-— 30 -
nade en
compagnie du mari est permise à toute la smala, à
l'occasion des
fêtes du Ramadan par exemple. Le vendredi,
deux fois par
mois, une sortie pour aller aux bains sous la con¬
duite devieilles
négresses, sortes de mégères remplissant plu¬
tôt le rôle de
chiens de garde et d'espions que de servantes. Par
conséquent toute la vie des femmes arabes et des jeunes garçons
jusqu'à l'âge de 12 ou 14 ans se passe intra muros, pas d'exer¬
cice, respiration d'un air plus ou moins renouvelé.
Beaucoup d'Arabes sont pâles, anémiques, tuberculeux, ils
succombenten
grand nombre à cette affection ainsi que l'indique
dans sa thèse
M. le Dr Julien. A la Casbah, nous ne trouvons
plus de locaux employés par les administrations, comme dans
le
quartier précédent, mais nous y rencontrons un dispensaire,
encore une
maison
mauresquequi, nous dit M. Julien « devrait
» contenir 100
malades si le service des
mœursse faisait bien
» et
qui, lorsqu'il
y aseulement 30 femmes, voit ses lits séparés
» par un espace
de 15 centimètres; le résultat fréquent d'un
»
pareil contact est le suivant : une femme entrée pour une affec-
» tion
légère
ensort syphilitique et les malades disposent à
»
peine de 5 mètres cubes d'air, alors que les règlements exigent
» pour
les
gensqui habitent un garni 14 mètres cubes ».
Il est
déplorable enfin de constater l'existence d'un dépôt
d'immondices entre
les premières maisons de la Casbah et la
prison civile, création nouvelle remontant à quelques années à
peine, véritable marche en arrière et progrès à rebours de l'hy¬
giène dans
cequartier! Ce dépôt d'ordures est situé sur la seule
route
qui permette d'aller de Bab-el-Oued ou de Saint-Eugène
au Sahel en
passant
parla Casbah : les promeneurs en sont
incommodés et bien
plus qu'eux les gens qui n'habitent pas à plus de vingt mètres.
Il serait donc
important de faire disparaître
cetas d'ordures
que
les tombereaux municipaux restent quelquefois plusieurs
heures à
déblayer.
Avant de
terminer
cechapitre,
nous avonsquelques mots à ajouter touchant le quartier inférieur de la Casbah; nous voulons
dire la rue de la
Lyre et les petites ruelles qui
ydébouchent.
— 31 —
Vaste
pâté d'immeubles
où se rencontrent tous les inconvé¬nients cités
jusqu'à présent clans
notretravail,
cettepartie
estpresque exclusivement habitée
pardes juifs qui
yfont le
com¬merce des
laines, des soies, du tabac; entrepôt d'épicerie, de
peaux, etc.;
magasins d'orfèvrerie, d'ameublements, le
tout exhalant une odeurmélangée de
musc,de
peaude mouton, de tabac, de safran,
etc.Mêmes réflexions au
sujet de la
rueRandon, du
moins pourla partie de la
ruequi avoisine le
marché de laLyre,
cardepuis le
percementde
lapartie nord l'aération
a transformé à sonavan¬tage le quartier.
Confinement
des gens,cuisine
très souventmalsaine, alimen¬
tation
insuffisante, malpropreté corporelle, tels
sont les facteursqui contribuent
à rendre lesjuifs de
cesquartiers anémiques et
scrofuleux. La mortalité est trèsgrande
chez euxégalement.
M. Julien donne comme chiffre « 3i décès pour
1,000 habitants,
» coefficient
supérieur de
11 pour1,000
à celui de la mortalité»
française,
et ce n'est que grâce àleur
excessivefécondité, qui
» atteint le chiffre de 52 naissances par
1,000 habitants, qu'est
»
sauvegardée la
race endécadence; leur
forte mortalité tient» surtout à leur
hygiène déplorable
».Pour l'année
1895,
nous trouvons comme chiffre de décès par maladiescontagieuses dans
lequartier de la Casbah
:Coqueluche Rougeole Variole
Croup et diphtérie Fièvretyphoïde..
Typhus
10 7 1 3 12 1
Total 34
IV
LES FONDOUKS
Il existe à
Alger des établissements d'un ordre tout particu¬
lier et d'une
importance capitale au point de vue de l'insalu¬
brité
publique : ce sont les fondouks.
Une
description de ces établissements est nécessaire, et,
comme
type,
nouschoisirons celui de la rue d'Isly, une des
plus jolies de la ville.
Qu'on s'imagine
unevaste cour entourée de quatre murs et au
milieude cet espace une
construction en manière de balle don¬
nant accès sur
la
courintérieure par une ou plusieurs ouvertu¬
res. Tout autour
de l'enceinte
setrouvent situés des hangars. On
pourrait croire que les hangars vont loger des animaux, et le
bâtiment
intérieur des
gens;c'est là une erreur. Effectivement,
le
fondouk,
quel'on pourrait à juste titre nommer « hôtel pour
Arabes etbêtes
de
somme »,voit s'entasser dans ses murs gens,
bêtes et
marchandises.
Les nombreux
Kabyles défroqués, sales, répandant à vingt
pas
à la ronde l'odeur de l'huile qui imprègne leurs hideux
vêtements,
lorsqu'ils arrivent de Tizi-Onzou, de Fort-National,
de
Rovigo, après quatre, six, huit jours de marche, ne trouvent
à
Alger d'autre asile que le fondouk; les charbonniers arabes
descendus des
pentes duDjurjura, les marchands de volaille de
la
plaine de la Mitidja et les chameliers qui, de Boghar et
Boghari viennent échanger à Alger contre du savon, du café,
des
bougies, du
sucre,des étoffes, leurs figues, leur miel et les
dattes des
régions du Sud algérien, trouvent un gîte qui leur
ouvre ses
portes, le fondouk.
— 33 —
Par
conséquent, Jorsqu'après plusieurs jours de marche,
cesindividus pleins de poussière, de
sueur,portant
sur leursépau¬
les des vêtements
qui le plus
souvent sont transmis sans êtrepassés
àla
lessiveà deux ou troisgénérations,
arriventàAlger,
c'estvers le fondouk
qu'ils
sedirigent
: tous entrentpêle-mêle;
gens et bêtes se casent dans un
coin, partout
où il y ade la place; les premiers
arrivésoccupant les premières
et les meil¬leures
places
;quelquefois les bêtes
et les marchandises sont mises àpart; les
gens selogent
un peuplus loin. Mais
si les caravanes soiitnombreuses,
et celaa lieu leplus souvent,
on serre les rangs,et
comme le vol est considéré par cespeuples
comme une chose tout à fait
ordinaire, chacun
tient à resterauprès de
ses mulets et de ses marchandises. C'estpourquoi, si guidé
par unsentiment
decuriosité,
on hasarde un paset
un œil dans lefondouk, voici
lejoli spectacle qui s'offre
au visi¬teur :
Dans le
fondouk,
se trouve unépouvantable
fouillis de gens, d'animaux tels quechameaux, chevaux, mulets, ânes; de
mar¬chandises telles que
paniers de figues, de dattes, paquets de
volailles ficelées par
les pattes,
outresremplies d'huile,
sacs decharbon, caisses, etc., le
toutrépandant les
odeurs lesplus désagréables, parmi lesquelles prédomine
surtout celle del'huile;
eneffet, les Kabyles
en sont sursaturés(l'expression
n'est
point trop forte),
carleur épiderme
en est recouvert d'une coucheépaisse
etluisante
etsaupoudrée de la poussière des
routes
qu'ils
ontpiétinées, le
tout formant unmagmaindéfinis¬
sable.
Au milieu de cette confusion de marchandises et d'animaux
qui déposent leurs
ordures au milieu de la cour,les
gens vontet
viennent, soulevant
despoussières pendant
toute lajournée.
Enfin, lorsqu'arrive la nuit,
tout rentre dans lecalme,
mais gens et bêtes couchent les unsauprès des autres,
parterre,
aumilieudes détritus de toute
nature,
ramassantdans leur costumepaille, poussière
et excrémentsd'animaux!
De
plus, il n'existe
pas,dans
cesfondouks, de
cabinets d'ai¬sance.IvoziellA
quoi cela tient-il?Le propriétaire a-t-il
été asseznégli-
3