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Texte intégral

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M @n@gement

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© 2009 M@n@gement and the author(s).

Christophe Roquilly 2009

Le cas de l’iPhone en tant qu’illustration du rôle des ressources juridiques et de la capacité juridique dans le management de l’innovation

M@n@gement, 12 (2), 142-175.

accepté par Louis Hébert

M@n@gement est la revue officielle de l’AIMS

M@n@gement is the journal official of AIMS

ISSN: 1286-4892

Editors:

Emmanuel Josserand, HEC, Université de Genève (Editor in Chief) Jean-Luc Arrègle, EDHEC (editor)

Stewart Clegg, University of Technology, Sydney (editor) Esteban Garcia Canal, Universidad de Oviedo (editor) Louis Hébert, HEC Montréal (editor)

Martin Kornberger, University of Technology, Sydney (editor) José Pla-Barber, Universitat de València (editor) Michael Tushman, Harvard Business School (editor) Martin G. Evans, University of Toronto (editor emeritus) Bernard Forgues, EMLyon Business School (editor emeritus)

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Le cas de l’iPhone en tant qu’illustration du rôle des ressources juridiques et de la capacité juridique dans le manage- ment de l’innovation

Christophe Roquilly

Professeur

Directeur du centre de recherche LegalEdhec EDHEC Business School

christophe.roquilly@edhec.edu

L’introduction de l’iPhone sur le marché constitue une illustration intéressante de la manière dont une entreprise peut créer, coordonner et exploiter des res- sources juridiques afin de soutenir une stratégie d’innovation. Ces ressources, développées à partir des données offertes par l’environnement juridique exter- ne, ont pour objectif de protéger et de soutenir la valeur des autres ressources de l’entreprise. L’aptitude de celle-ci – et plus particulièrement de Apple dans le cas qui nous intéresse – à déterminer quelles ressources juridiques sont le plus à même de contribuer à la préservation et à la valorisation des autres ressources peut être qualifiée de capacité juridique de l’entreprise. La mobili- sation des ressources juridiques est elle-même susceptible d’être porteuse de risques au regard de l’environnement juridique externe, que ce soit en termes de conformité réglementaire ou au regard des ressources juridiques détenues par les autres entreprises. Dans cet article, nous nous attachons à mettre en évidence comment Apple a exprimé sa capacité juridique en mettant en place et en coordonnant diverses ressources juridiques, afin de soutenir l’introduc- tion de l’iPhone sur le marché. Nous montrons également pour quelles raisons les ressources juridiques déployées par Apple peuvent tout autant constituer un risque juridique dont l’appréciation renvoie également à la capacité juridi- que de l’entreprise. Nous concluons en proposant de possibles pistes pour de futurs travaux.

mots-clés : droit et stratégie, innovation, management de l’innovation, risques juridi- ques, ressources juridiques, capacité juridique, Apple, iPhone, étude de cas

The introduction of the iPhone onto the market is a perfect illustration of the way in which companies can generate legal resources in order to support their innovation strategies. Such resources, which are developed using elements from the external legal sphere, are designed to protect and increase the value of a firm’s other resources. A firm’s legal capability – in this case that of Apple – is expressed by its ability to determine which legal resources are best adapted to create this value (taking into account the fact that they may present a risk in relation to the legal sphere), whether in respect of regulatory compliance or the legal resources held by other firms.

Key words: law and strategy, innovation, innovation management, legal risks, legal re- sources, legal capability, Apple, iPhone, case study

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INTRODUCTION

En janvier 2007, Steve Jobs, le directeur général d’Apple, annonçait lors de la Macworld Convention la sortie imminente d’un nouveau produit : l’iPhone. Sans présumer du succès de celui-ci, ni de la stratégie dans laquelle il s’inscrit, Apple semble confirmer ici ce que Ketchen Jr. et al.

(2007) qualifient de « disruptive orientation », c’est-à-dire une réelle aptitude à satisfaire les besoins futurs des consommateurs. L’innova- tion a toujours été au cœur de la stratégie d’Apple, si l’on se réfère à la distinction entre innovation et invention opérée par Schumpeter (1934).

Apple répond à un certain nombre de critères de la firme innovante tels qu’énoncés par Lepak et al. (2007) : l’évolution dans un environnement technologique incertain, la gestion par des managers entrepreuna- riaux, le bénéfice de larges réseaux sociaux, et une capacité organisa- tionnelle à transformer de la connaissance en nouvelle connaissance.

L’iPhone se caractérise par l’agrégation de diverses fonctionnalités (téléphonie, Internet, lecture de fichiers musicaux et vidéo, etc.). Cette agrégation est soutenue par un design et un marketing forts, comme Apple l’avait déjà éprouvé avec l’iPod1 ou la sortie de l’iMac en 1998.

Ce dernier produit contenait assez peu de modifications technologi- ques substantielles, mais se différenciait des ordinateurs personnels existants par un design radical (Petkova & Rindova, 2006). L’innovation peut évidemment résider dans l’aspect esthétique du produit, qui capte le consommateur en jouant sur ses réactions sensorielles, cognitives et émotionnelles, et cet esthétisme est susceptible de créer de la va- leur pour le consommateur, voire de la capturer (Bowman & Ambrosini, 2000). Steve Jobs insiste d’ailleurs lui-même plus sur l’importance du marketing que sur la dimension inventive2.

Au-delà de ses caractéristiques propres, l’iPhone s’inscrit dans une sorte d’écosystème, en vue de construire une véritable convergence numérique. L’une des meilleures illustrations de cette convergence est la procédure d’activation de l’iPhone telle que les consommateurs l’ont découverte. Elle passe en effet par la plate-forme iTunes (et même en principe par la création d’un compte sur iTunes), que l’on peut consi- dérer comme étant au cœur de cette convergence. Le caractère d’actif stratégique de la plate-forme iTunes est difficilement contestable. Selon l’étude menée par le NDP Group, iTunes est avec Wall Mart le distribu- teur de musique le plus populaire aux États-Unis. iTunes Store comptait en 2008 plus de 50 millions de clients, 6 millions de chansons en cata- logue, et a vendu plus de 4 milliards de chansons. Tout possesseur d’un iPhone est par conséquent un utilisateur d’iTunes et même un client (ne serait-ce que potentiel) de cette plate-forme. La stratégie d’Apple est fondée sur cette interconnexion des produits et des services, la valeur du réseau augmentant grâce aux demandes des consommateurs pour les produits ou services complémentaires (par exemple iTunes pour un utilisateur de l’iPhone), et inversement (Sharpe & Olufunmilayo, 2007).

L’animation de la communauté des utilisateurs est dans ce contexte déterminante, en particulier pour recueillir leurs avis sur les produits, les possibles améliorations, voire même pour susciter le développement de

1. Voir J. Scanlon, Business Week Online, January 7, 2007, WLNR 341835.

2. Voir interview in “The Seeds of Apple’s In- novation”, Business Week, 12 October 2004.

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nouvelles applications (McAlexander, et al., 2002), comme c’est le cas pour l’iPhone avec le SDK (cf. infra). Quels que soient les objectifs de vente atteints avec l’iPhone (Apple s’est fixé pour objectif 10 millions d’exemplaires d’ici la fin 2008, mais le nombre exact de produits ven- dus à ce jour reste un vaste sujet de controverse3), l’innovation est au cœur de la stratégie d’Apple, comme le montre encore l’annonce par l’entreprise de sa volonté de se développer sur le marché de la vidéo numérique par le biais de iTunes Movie Rentals, en coopération avec des sociétés telles que MGM, Warner Bros, Walt Disney Studios, 20th Century Fox.

Pour mener à bien l’introduction et le développement de l’iPhone sur le marché, conformément à un modèle économique sur lequel nous reviendrons plus amplement, Apple doit mobiliser un certain nombre de ressources et de capacités, pour reprendre la terminologie propre à l’approche par les ressources. Celles qui se forment à partir des données juridiques de l’environnement externe présentent en l’espèce une importance toute particulière dans la mesure où elles permettent à Apple de protéger et de développer la valeur de son innovation. Après avoir explicité le cadre conceptuel dans lequel s’inscrit notre étude du cas iPhone, ainsi que la méthodologie utilisée, nous montrons com- ment Apple a construit un portefeuille de ressources juridiques destiné à soutenir sa stratégie, et comment sa capacité juridique s’exprime dans l’adaptation de ses ressources juridiques aux contraintes de l’en- vironnement réglementaire. Nous mettons ensuite en évidence le pa- radoxe des ressources juridiques et de leur déploiement. En effet, les droits de propriété qui en découlent peuvent entrer en conflit avec les droits détenus par d’autres entreprises ou avec les règles de fonction- nement du marché. Apple doit par conséquent gérer ces risques juri- diques en tenant compte de ses propres ressources, de sa stratégie, et des données clés stratégiques de l’environnement extérieur. Nous concluons en proposant quelques pistes pour de futurs travaux.

Cadre conceptuel

Un cadre de référence : l’approche par les ressources

L’importance de la détention d’un portefeuille de ressources pour le développement de la firme a été mise en exergue par Penrose (1959), puis Rubin (1973). Il peut servir de point de départ à la diversification (Wernerfelt, 1984). Hansen et Wernerfelt (1989) montrent que la com- binaison de facteurs internes et externes peut expliquer la performan- ce de la firme. Parmi les facteurs externes, le paramètre juridique est identifié à part entière, et sa contribution aux facteurs stratégiques de l’industrie est reconnue (voir notamment Amit & Schoemaker, 1993).

Les pressions réglementaires constituent un déterminant habituel de la conduite des entreprises (Christmann, 2004) et restreignent le nombre d’options possibles en termes de ressources (Oliver, 1997). Dès lors que la loi s’affirme comme un système de récompenses et de sanc- tions substantives par rapport à des organisations ayant leurs propres

3. Voir http://arstechnica.com/news.ars/

post/20080123-the-truth-about-the-iphones- sales-numbers.html

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objectifs, le risque est présent (Edelman & Suchman, 1997). Toutefois ces facteurs juridiques externes sont tout autant une source d’opportu- nités, et divers auteurs mettent en évidence l’effet incitatif de certaines réglementations pour les entrepreneurs (notamment Lee, et al., 2007;

Maijoor & Van Witteloostuijn, 1996).

Mais les données de l’environnement externe ne sont pas propres à une firme en particulier et ne peuvent expliquer les différences de performance entre firmes concurrentes. Ces différences seraient donc à rechercher au niveau des ressources spécifiques à chaque firme.

L’approche par les ressources s’est attachée à démontrer comment l’enchaînement ressources-capacités-compétences centrales pouvait conduire à la création d’avantages concurrentiels durables. Les res- sources peuvent être définies comme étant un stock de facteurs dispo- nibles qui sont détenus ou contrôlés par une firme (Amit & Schoemaker, 1993; Wernerfelt, 1984). Elles peuvent être classées selon diverses catégories : tangibles, intangibles, organisationnelles, marginales (Mé- tais, 2004), et leur accumulation – ainsi que leur exploitation – est dé- terminante pour la firme (Grant, 1991; Sirmon, et al., 2007). Le rôle et l’importance des ressources juridiques méritent cependant une plus ample formalisation, dans la continuité de travaux tels que ceux de Hall (1992) ou de Argyris et Mayer (2007).

L’identification des ressources juridiques au sein du portefeuille de ressources de l’entreprise

Nous définissons les ressources juridiques comme étant, d’une part, les ressources générant des droits (en particulier des droits de proprié- té) et qui peuvent être considérées comme des ressources « objets » : contrats, structures sociales, droits de propriété intellectuelle, etc. Leur raison d’être est de protéger, de sécuriser ou d’accroître la valeur des autres types de ressources, en s’appuyant sur les éléments provenant de l’environnement juridique externe, que nous appelons la sphère ju- ridique. Cette sécurité est assurée par le fait que la structure légale conférée aux diverses ressources de la firme génère en sa faveur des droits dont la valeur et le respect peuvent être revendiqués en justice.

D’autre part, il existe des ressources juridiques liées aux savoirs et savoir-faire détenus par les experts juridiques, et qui sont utilisés pour identifier les éléments provenant de la sphère juridique et produire des ressources juridiques « objets ». Cette distinction entre deux types de ressources juridiques rejoint la taxinomie élaborée par Miller et Sham- sie (1996), qui distinguent les ressources fondées sur la propriété (pré- sentant une plus grande valeur dans les environnements stables) et celles fondées sur la connaissance (présentant une plus grande valeur dans les environnements incertains). Les ressources juridiques « ob- jets » se caractérisent en général par le fait qu’elles doivent être évo- lutives. En effet, et en dehors même de l’évolution des autres ressour- ces de l’entreprise, les ressources juridiques doivent tenir compte des changements qui affectent la sphère juridique, sous peine de voir leur effet positif réduit ou supprimé, ou même de le transformer en effet né- gatif. Tel est le cas lorsqu’une clause d’un contrat, ou des statuts d’une société, vient à être jugée comme abusive ou illicite. Comme Léonard- Barton (1992) l’a montré de manière générale pour les ressources, les

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Les droits de propriété intellectuelle, des ressources juridiques centrales pour l’innovation

De nombreux auteurs mettent en évidence l’importance des droits de propriété intellectuelle, qui se trouvent parfois au cœur de la stratégie de la firme (Marron & Steel, 2000; Smarzynska, 2002 ; Smith, 2001;

Varsakelis, 2001). Ces droits, tels que les brevets et les marques dépo- sées, sont des ressources juridiques dans la mesure où ils ont néces- sité de la part de l’entreprise une décision et une démarche volontaire en vue de se voir attribuer des droits de propriété. Ils peuvent revêtir un caractère central dès lors qu’ils constituent une ressource pouvant générer un avantage concurrentiel en fournissant un leadership tech- nologique à court terme (Reitzig, 2004). Cet avantage peut même être durable lorsque les droits de propriété intellectuelle contribuent au développement d’un standard industriel (voir Bekkers, et al., 2002, pour le cas de la technologie GSM ; et Grindley & Teece, 1997, pour les secteurs de l’électronique et des semi-conducteurs). Parmi tous les droits de propriété intellectuelle, les brevets ont fait l’objet d’une copieuse littérature. Leur caractère d’actif stratégique dans les indus- tries fortement basées sur la concurrence, et l’aptitude de l’entreprise à en produire régulièrement, peuvent constituer une source importante d’avantages concurrentiels (Somaya, 2003). Plus généralement, les brevets sont perçus comme une mesure de la capacité d’innovation de la firme (Griliches, 1990) et comme une contribution à sa performance globable (Markman, et al., 2004). Le brevet peut aussi avoir une fonc- tion plus offensive, à savoir empêcher des entreprises concurrentes de créer cette ressource juridique qui serait susceptible de constituer une menace pour l’entreprise. Certains chercheurs l’envisagent également comme un moyen de dissuader les concurrents de faire état de leurs propres brevets, le portefeuille de brevets étant alors construit en tant que véritable « contre-menace » (Somaya, 2003).

L’expression de la capacité juridique à travers l’aptitude à gérer des ressources juridiques

Quant à la capacité, Amit et Schoemaker (1993) la définissent comme étant l’aptitude de l’entreprise à déployer ses ressources, en les ar- ticulant avec des process organisationnels en vue d’atteindre le but recherché. La capacité juridique résiderait alors dans l’aptitude de l’en- treprise à intégrer les données issues de la sphère juridique en vue de développer des ressources juridiques, en les alignant avec les oppor- tunités et les menaces extérieures, afin de préserver ou d’accroître la valeur des autres ressources. Selon nous, la capacité juridique de la firme s’exprime nécessairement de manière dynamique. En effet, pour Teece et al. (1997), la capacité dynamique est l’aptitude à intégrer, construire et reconfigurer les ressources et les compétences internes et externes afin de répondre à des environnements changeant rapide- ment. Lepak et al. (2007) mettent en avant que la littérature relative à la capacité dynamique se concentre sur les facteurs internes de la firme, montrant l’importance de la création de savoir, d’apprentissage et d’entrepreunariat. Étant donné que la sphère juridique est en perpé- tuelle évolution – le droit n’étant pas une donnée figée –, les savoirs des juristes doivent répondre à une mise à jour constante. De plus, la

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transformation des ressources juridiques, si elle est rendue nécessaire par l’évolution de la sphère juridique, doit être opérée en lien avec les autres fonctions de l’entreprise concernées, étant donné qu’elle a un effet sur la protection et la valorisation des autres ressources. Cette capacité juridique dynamique, que Bagley (2008) qualifie de « legal astuteness », nécessite des routines et des process permettant les échanges d’information et les coordinations d’expertises entre juristes et non-juristes, comme le montrent Argyris et Mayer (2007) dans le domaine des contrats. La capacité juridique mobilise deux types d’apti- tude. La première s’exprime dans la gestion de l’environnement régle- mentaire (ce que Beardsley et al. [2005] désignent par « management regulation »), et la seconde se traduit par la qualité des relations au sein de l’entreprise en vue de créer les ressources juridiques les plus à même de soutenir sa stratégie.

La manifestation de la capacité juridique à travers la coordination des droits de propriété intellectuelle entre eux, et avec les autres ressources de l’entreprise

Pisano et Teece (2007) mettent en avant le fait que l’essentiel n’est pas de créer de la valeur à partir de l’innovation, mais de la capturer. Les marques déposées et les brevets apportent une structure juridique à l’innovation commerciale, d’une part, et à l’innovation technologique, d’autre part, à condition qu’il existe au sein de la sphère juridique un fort régime d’appropriation de l’innovation. Le monopole d’exploitation conféré par le droit à la marque et le brevet, ou encore par le droit d’auteur, permet à l’entreprise de capturer, sur une durée parfois exces- sive, la valeur créée par l’innovation. La capacité juridique va s’exprimer dans l’aptitude de l’entreprise à choisir les droits de propriété intellec- tuelle les plus à même de soutenir sa stratégie. Selon Reitzig (2004), l’entreprise doit se poser des questions clés : comment les droits de propriété intellectuelle affectent-ils la structure de l’industrie ? Quelles options créent-ils par rapport aux concurrents ? Comment peuvent-ils générer des barrières à l’entrée ? Peuvent-ils permettre d’acquérir un pouvoir vertical au sein de la chaîne de valeur ? Le brevet, en particu- lier, peut constituer une ressource clé, mais qui présente néanmoins l’inconvénient de rendre public ce qui fait le caractère innovant d’une technologie (d’un procédé ou d’un produit). Les secrets de fabrique peuvent s’avérer plus effectifs pour les produits technologiques ayant un cycle de vie court (Horstmann, et al., 1985), en particulier quand la copie ne nécessite pas de ressources significatives (Arora & Fosfuri, 2003). La nature d’un secteur d’activités va influencer le choix entre le recours au brevet ou au secret de fabrique (Arundel, 2001; Denicolo &

Franzoni, 2004). Le brevet est aussi susceptible d’apporter une protec- tion plus vigoureuse aux programmes d’ordinateur (logiciels), car plus dissuasive, mais qui est en la matière de plus en plus contestée (Lé- vèque & Ménière, 2004, 2006). Il présente donc en l’espèce un certain degré d’incertitude.

Le choix des droits de propriété intellectuelle, et donc des ressources juridiques, les plus aptes à soutenir la création de valeur exige une coordination entre juristes (internes ou externes) et équipes de R & D.

Cette coordination peut même se révéler déterminante (Grindley & Tee-

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ce, 1997; Somaya, et al., 2007). La capacité juridique de l’entreprise se traduit également par l’aptitude à coordonner les ressources juridi- ques, telles que les droits de propriété intellectuelle, avec les ressour- ces technologiques. Ainsi, l’intégrité d’un logiciel peut être préservée à travers le recours au droit d’auteur et/ou au brevet, combiné à des moyens techniques de verrouillage. Mais ces derniers sont toutefois sujets à caution lorsque les effets de réseau sont forts (Conner & Ru- melt, 1991; Shy & Thisse, 1999). Le caractère dynamique de la capaci- té juridique doit s’apprécier à travers l’habileté générale de l’entreprise à régénérer sa base de connaissances juridiques, pour reprendre la formule employée par Iansiti et Clark (1994). Ainsi, les juristes doivent exercer leur veille active afin d’être en mesure d’anticiper – voire de provoquer – les évolutions de l’environnement réglementaire ou les va- riations dans le portefeuille de ressources juridiques des concurrents.

En modifiant régulièrement le déploiement des compétences de ses juristes, l’entreprise tente de répondre aux spécificités de sa stratégie et de créer de la nouvelle valeur.

L’affirmation de la capacité juridique dans la prise en compte des risques découlant des ressources juridiques développées par l’entreprise

La création et le développement des ressources juridiques entraînent une forme de paradoxe. En effet, ces ressources ont notamment pour objet d’apporter de la sécurité juridique à l’entreprise. En lui conférant des droits opposables aux tiers, que ceux-ci soient des concurrents, des partenaires ou des consommateurs, les ressources juridiques « objets » soutiennent la création de valeur et apportent une structure juridique à sa stratégie. Mais, en même temps, ces ressources sont potentiellement génératrices d’insécurité juridique, sachant qu’elles peuvent aussi être porteuses de risques non juridiques (par exem- ple des clauses contractuelles trop contraignantes qui entraînent une perte de clientèle, ou une structure sociale dissuadant l’entrée de nou- veaux investisseurs). Le niveau de risque juridique va croître avec la taille du portefeuille de droits de propriété intellectuelle de l’entreprise.

Plus cette dernière accumule des nouvelles marques déposées et des demandes de brevets, plus elle augmente le risque d’entrer en conflit avec des droits antérieurs (Bhatia & Carey, 2007). Aux États-Unis, la complexité des mécanismes de dépôt de brevet, la lourdeur des procé- dures et les situations de concurrence sur l’innovation ont engendré un environnement propice à des contentieux longs et coûteux. La crainte d’une judiciarisation des litiges conduit bien souvent à une transaction (Jaffe & Lerner, 2004).

Ce paradoxe lié à la création et à l’exploitation des ressources juridi- ques se concrétise aussi dans la possible atteinte aux règles du droit de la concurrence. En se dotant de droits particulièrement forts, qu’ils proviennent du recours à des mécanismes institutionnels conférant des monopoles d’exploitation, ou du recours à des mécanismes contrac- tuels donnant naissance à des droits exclusifs ou préférentiels de dis- tribution d’un produit ou d’un service, l’entreprise recherche la créa- tion d’avantages concurrentiels. L’avantage concurrentiel doit être la

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conséquence de l’aptitude de la firme à faire le meilleur usage possible de ses ressources, notamment juridiques, et non d’une manipulation déloyale du marché (Boscheck, 1994) ou d’une mise en péril des res- sources des concurrents (Elhauge, 2003). La combinaison de diverses ressources, par exemple par le biais de couplage de technologies, est susceptible de créer des barrières à l’entrée (Hylton & Salinger, 2001), surtout quand il existe un fort effet de réseau (Gifford, 2002; Swanson

& Baumol, 2005). Également, certains accords interentreprises dont l’intérêt commun est d’éliminer des concurrents peuvent porter atteinte au marché (Maurer & Scotchmer, 2006). L’anticipation des risques de violation du droit de la concurrence revêt un caractère stratégique pour l’entreprise (Collins & Jeffrey Brown, 1997), d’autant que les autorités de régulation – telles que la Commission européenne ou la Federal Trade Commission aux États-Unis – sont de plus en plus sévères.

La capacité juridique de l’entreprise doit par conséquent s’apprécier aussi à travers son aptitude à imaginer la réalité et l’étendue des ris- ques juridiques découlant de ses propres ressources juridiques. Elle doit également amener l’entreprise à déterminer si ces ressources ju- ridiques demeurent une opportunité pour sa stratégie ou s’affirment au contraire comme une menace qu’il convient d’éviter. La crainte des ris- ques pouvant provenir de l’exploitation d’une opportunité – notamment juridique – peut pousser les dirigeants à ne pas la saisir (Chattopad- hyay, et al., 2001).

Méthodologie

Notre propos est d’illustrer deux propositions principales pouvant être déduites du cadre conceptuel précédemment développé. La première proposition peut être résumée de la manière suivante : dans le cadre d’une stratégie d’innovation, la capacité juridique s’exprime d’abord par l’aptitude à créer, à accumuler et à coordonner des ressources juridi- ques. Ces dernières peuvent être d’origine institutionnelle (par exemple les droits de propriété intellectuelle) ou d’origine contractuelle (notam- ment les contrats de partenariat ou de distribution). La capacité juridi- que s’exprime aussi à travers l’articulation de ces ressources juridiques avec les autres ressources contrôlées par l’entreprise. La seconde pro- position découle du paradoxe lié au recours aux ressources juridiques en vue de créer un avantage concurrentiel. Ce recours a non seulement pour but de protéger la valeur créée par l’entreprise, mais également de la capturer sur la durée la plus longue possible. En poursuivant cet objectif, l’entreprise augmente en même temps son niveau de risque juridique. L’attitude de l’entreprise à l’égard de ce risque sera fonction de diverses variables, et en particulier sa taille, les ressources dont elle dispose, le marché sur lequel elle se trouve, sa stratégie.

Le choix du cas de l’iPhone en tant qu’illustration a été dicté par plu- sieurs critères. D’une part, le caractère emblématique de l’entreprise et du produit dans le secteur des technologies de l’information et de la communication. D’autre part, le lien existant entre la double convergen- ce recherchée par Apple (convergence des fonctionnalités au sein de l’iPhone ; convergence de l’iPhone avec les autres produits proposés

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par Apple) et les ressources juridiques devant être déployées. Enfin, le fait qu’il constitue un exemple topique de la manière dont la création et le déploiement de ressources juridiques peuvent soutenir une stratégie d’innovation, tout en constituant potentiellement une source de risque juridique.

Notre revue de littérature s’est portée sur diverses catégories de tra- vaux – dédiés à l’approche par les ressources, à la propriété intellec- tuelle, à l’analyse de l’impact de l’environnement juridique sur la straté- gie d’entreprise, et aux stratégies juridiques – afin de pouvoir mobiliser les concepts et références utiles à l’analyse du cas que nous avons choisi. Bien évidemment, dans un souci de synthèse et de concision, nous avons dû opérer une sélection parmi ces références pour l’éla- boration de la bibliographie propre à notre article. Le cadre conceptuel étant fixé, nous avons collecté le maximum d’informations pertinentes relatives au cas iPhone, et disponibles aussi bien dans la presse que sur des sites Internet, spécialisés ou généralistes. Nous avons égale- ment étudié les bases de données de l’Institut national de la propriété industrielle (INPI), du United States Patent and Trademark Office (US- PTO), et d’autres offices de marques et brevets, ainsi que les données contractuelles disponibles, et avons échangé avec certains acteurs des entreprises concernées qui n’ont toutefois pas souhaité être iden- tifiés dans notre article. À partir de toutes ces informations, nous avons pu formaliser une analyse du cas iPhone permettant d’illustrer l’impor- tance du rôle des ressources et de la capacité juridiques au soutien d’une stratégie d’innovation et de soutenir les deux propositions énon- cées précédemment.

LA CONSTRUCTION DE RESSOURCES JURI- DIQUES POUR PRESERVER ET DEVELOPPER LA VALEUR GENEREE PAR L’IPHONE EN TANT QU’INNOVATION

Dans cette section nous examinons quelles ressources juridiques ont été créées par Apple en tirant parti des opportunités offertes par la sphère juridique, en distinguant d’une part le recours aux droits de propriété intellectuelle, et d’autre part la mise en œuvre d’un schéma contractuel spécifique.

L’accumulation et la coordination des droits de pro- priété intellectuelle : des ressources juridique centra- les pour l’innovation

Pour soutenir sa stratégie d’innovation marquée par l’introduction de l’iPhone sur le marché, Apple a largement recouru aux droits de pro- priété intellectuelle.

La construction d’un portefeuille de marques déposées : une res- source juridique indispensable

Les marques déposées donnent à l’entreprise une structure légale pour l’innovation commerciale. La valeur créée par la distinctivité du signe

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désignant le produit doit être préservée de tout risque d’affaiblissement pouvant être généré par la proximité recherchée par un signe identique ou similaire. En se dotant d’une marque déposée, l’entreprise tire parti de règles de droit qui vont lui conférer un monopole d’exploitation sur le signe distinctif, pour une durée potentiellement illimitée dans la mesure où l’enregistrement est, dans de nombreux pays, renouvelable indéfi- niment. Pour l’entreprise développant une stratégie internationale, la nature même du droit des marques incite à multiplier les ressources juridiques (en l’espèce les marques déposées) étant donné que la pro- tection conférée par le droit des marques n’a en principe qu’une portée territoriale (nationale), exception faite de la marque communautaire.

La préservation de la marque iPhone grâce au droit des marques re- vêt une importance particulière car elle s’inscrit dans une architecture de signes distinctifs construisant l’image de l’entreprise sur la durée (iMac, iBook, iPod, etc.). Ainsi, Apple a enregistré la marque iPhone, et quelques autres déclinaisons de ce signe, dans divers pays. Apple a fait plusieurs demandes d’enregistrement (janvier, mars et décembre 2007) auprès de l’USPTO. De telles demandes sont susceptibles de révéler certaines intentions stratégiques, notamment de diversification.

Il n’est pas forcément opportun pour l’entreprise d’opérer trop en amont la demande d’enregistrement, sachant qu’une telle tactique est de tou- te façon limitée par l’obligation d’exploitation de la marque dans le délai imparti. Cependant, plus l’entreprise attend pour faire enregistrer les marques qu’elle souhaite pouvoir exploiter, plus le risque de voir une autre entreprise prendre l’initiative augmente. C’est pourquoi Apple a commencé à préserver le signe « iPhone » dès septembre 2006, par le biais d’une société qu’elle a constituée dans l’État du Delaware. Celle-ci a formulé la demande d’enregistrement après avoir déposé la marque en mars 2006 à Trinidad-et-Tobago. La stratégie dans laquelle s’inscrit l’introduction de l’iPhone sur le marché étant de dimension internatio- nale (plusieurs marchés nationaux sont visés), Apple a déposé cinq demandes d’enregistrement au titre de la marque communautaire, lui permettant de couvrir trente-quatre classes de produits et de services.

D’autres dépôts ont aussi été réalisés en France, au Royaume-Uni, en Allemagne (pays dans lesquels l’iPhone est distribué officiellement), ainsi que dans des pays où l’iPhone n’est pas encore disponible (au 1er février 2008), tels que le Canada. La difficulté réside ici dans la coordination des diverses démarches d’enregistrement, puis dans la gestion des droits de propriété intellectuelle que l’enregistrement de la marque va conférer à son propriétaire. Les ressources juridiques ainsi créées peuvent s’épuiser et sont limitées territorialement de par la nature même du droit des marques. Cet élément revêt une importan- ce particulière lorsqu’il prend place dans une stratégie internationale, comme c’est le cas pour Apple.

La construction d’un portefeuille de noms de domaine : une res- source juridique complémentaire

Avec le développement d’Internet et de l’économie numérique, le nom de domaine s’est imposé comme un signe d’attractivité de la clientèle complémentaire à la marque. Il constitue une autre ressource juridique possible, car il confère un droit d’usage à celui qui le détient. À la dif-

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férence de la marque enregistrée, le nom de domaine n’est pas limité territorialement (Apple détient le droit d’usage des noms de domaine iphone.com et iphone.org pour le monde entier) ; il n’est pas un droit de propriété intellectuelle et son statut juridique se construit au fil du temps par l’action de la jurisprudence. La multitude des racines de nom de domaine, qu’elles soient génériques ou propres à un pays, augmente considérablement le degré d’incertitude pour l’entreprise. Le nom de domaine iphone.com, détenu par Apple, cohabite aujourd’hui avec les noms de domaine iphone.net, détenu par la société Cisco ; iphone.fr, détenu par une agence de communication française ; ipho- ne.biz, iphone.us et iphone.uk détenus par des tiers mais qui condui- sent à une page Internet vierge. Ils pourraient toutefois être activés et utilisés pour attirer des clients sur d’autres produits ou services que l’iPhone. Le nom de domaine iphone.eu est utilisé par une start-up belge, et iphone.de conduit à une page Internet faisant la promotion du Blackberry, sous la mention « Big Apple » (toutes ces données ont été collectées le 22 avril 2008). Dans ce maquis de ressources potentiel- lement conflictuelles, le droit des marques permet a priori de renforcer le degré de protection du signe distinctif. Le conflit entre, par exemple, iphone.com et iphone.de, serait réglé de manière incertaine par le biais de la jurisprudence sur les conflits entre noms de domaine. Le recours au droit sur la marque iphone dont dispose Apple permet de réduire cette incertitude (Katz Jones, 1999). D’autres centaines de noms de domaine incluent le signe iphone. Il serait vain pour Apple de vouloir recourir à ses ressources juridiques pour éradiquer l’intégralité de ces noms de domaine. Il importe que ces derniers ne soient que margina- lement visibles sur Internet, et Apple peut utiliser ses ressources mar- keting à cet effet (référencement de iphone.com, promotion, marketing viral, etc.). Ressources juridiques et ressources marketing doivent être combinées afin de capturer la valeur du signe « iphone » sur Internet.

La construction d’un portefeuille de brevets : un choix stratégi- que pour Apple

Les brevets sont une ressource juridique pour les mêmes raisons que les marques déposées. Ils font naître des droits au profit de leur titulai- re, correspondant au contenu des revendications, et qui sont opposa- bles aux tiers. La création de cette ressource juridique présente néan- moins l’inconvénient de rendre public ce qui fait le caractère innovant d’une technologie (d’un procédé ou d’un produit). Steve Jobs a déclaré que plus de deux cents demandes de brevets avaient été déposées auprès de l’USPTO afin de protéger les technologies supportant les diverses fonctionnalités de l’iPhone. Apple a préféré mener une tac- tique consistant à déposer le plus de demandes possibles plutôt que de se limiter aux seules innovations clés, pour répondre aux objectifs énoncés ci-dessus, sans présumer néanmoins des secrets de fabri- que existants. En analysant les données disponibles dans la base de l’USPTO, une vingtaine de brevets requis par Apple apparaissent plus déterminants que d’autres. Les demandes ont été déposées entre dé- cembre 2005 et août 2007, suivant un rythme régulier. Il est important de noter que dans certains pays, comme la France, le brevet sur un modèle n’existe pas, et c’est donc le droit des dessins et modèles qui

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offrira la protection recherchée. Une parfaite compréhension des divers mécanismes de préservation de l’innovation, en vigueur dans les diffé- rents territoires cibles de l’entreprise, est indispensable afin d’assurer la meilleure coordination possible des différentes ressources juridiques potentielles. Comme pour la marque déposée, la protection apportée par la détention d’un brevet a un caractère territorial (elle s’applique sur le territoire d’un pays en particulier). Apple a de ce fait déposé de nombreuses demandes de brevets pour l’Union européenne, en tirant parti du droit de priorité offert par la Convention de Paris. Là encore, une identification et une maîtrise de l’articulation entre les diverses pro- cédures sont indispensables dans la création des ressources juridiques et leur coordination. La combinaison des brevets et des marques dépo- sées permet parfois à l’entreprise de continuer à générer d’importants revenus, même après l’expiration du brevet, comme dans le cas de Bayer avec l’aspirine.

Le droit d’auteur : un complément au portefeuille de ressources juridiques bâti autour de la propriété intellectuelle

Le droit d’auteur (ou le copyright dans les pays de Common Law) com- plète le portefeuille de ressources juridiques constitué par les droits de propriété intellectuelle. Il s’agit certes d’une ressource facile à éla- borer dans la mesure où elle est automatique dès lors que la création en cause est une œuvre de l’esprit au sens du Code de la propriété intellectuelle ; aucune demande ou formalité d’enregistrement n’est à réaliser. Les logiciels embarqués sur l’iPhone peuvent bénéficier de la protection donnée par le copyright (Yoches & Levine, 1989), sachant que l’entreprise dispose aux États-Unis de trois options en la matière : secret de fabrique, copyright ou brevet (Oz, 1995). Le droit d’auteur sert aussi à protéger d’autres créations qui contribuent à l’esthétisme de l’iPhone, telles que les icônes originales figurant sur l’écran. En jan- vier 2007, un internaute qui avait reproduit sur son blog une capture d’écran de l’iPhone ainsi qu’un lien hypertexte conduisant vers un site expliquant comment installer l’écran de l’iPhone sur un pocketPC, a reçu de la part d’Apple une mise en garde fondée sur le copyright 4. Aux États-Unis, l’efficacité du copyright comme mécanisme de préservation des verrous technologiques empêchant le fonctionnement des applica- tions provenant d’autres sources que la iTunes Application Store, sera d’ailleurs liée à l’aptitude d’Apple à faire valoir ses arguments devant le Copyright Office. Ce dernier émet en effet des règles d’interprétation du Digital Millenium Copyright Act (DMCA), particulièrement importan- tes dans la fixation des frontières entre les comportements violant les copyrights et les pratiques d’ingénierie inversée destinées à favoriser l’interopérabilité des produits avec des logiciels indépendants. Cette aptitude relève du « management regulation », auquel nous avons fait référence dans la section relative au cadre conceptuel.

L’introduction de l’iPhone sur le marché témoigne de l’importance d’agréger de nombreuses ressources juridiques construites en sai- sissant les opportunités offertes par la sphère juridique en matière de droits de propriété intellectuelle. Le choix des ressources juridiques doit se faire en fonction de ce qu’elles apportent dans la protection et le dé- veloppement de la valeur générée par l’innovation, qu’elle soit de nature

4. Voir http://www.paulobrien.net/node/62

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technologique, commerciale ou esthétique, et être adaptées en fonc- tion des évolutions des données de la sphère juridique. Par exemple, la décision judiciaire rendue dans le cadre de l’affaire Grain Processing Corp. c/ American Maize Products Corp. pourrait avoir pour effet de réduire potentiellement les indemnisations du préjudice économique subi par les titulaires de brevets suite à un comportement contrefaisant (Hausman, et al., 2007). Une telle décision peut influencer l’entreprise dans le choix des modes de protection de ses innovations.

Les contrats, des ressources juridiques nécessaires pour disséminer l’innovation sur le marché et ajouter de la valeur

Les contrats constituent la deuxième grande catégorie de ressources juridiques, et l’aptitude à les élaborer conformément aux données clefs de la sphère juridique et aux diverses ressources de l’entreprise fait partie intégrante de la capacité juridique (Argyris & Mayer, 2007).

Des ressources juridiques pour assurer la diffusion du produit Pour permettre le développement de l’iPhone sur le marché, Apple a besoin de partenaires, aussi bien pour accéder à un réseau de télé- phonie mobile que pour fournir des contenus aux utilisateurs. Même s’il est difficile de définir exactement ce qu’est l’iPhone en tant que pro- duit, il est notamment un téléphone mobile. Apple ne maîtrisant aucun réseau de téléphonie mobile, il lui fallait nouer une alliance avec un opérateur, sachant qu’une technologie ou un actif spécifique ne peut pas toujours être acquis rapidement, surtout quand le secteur concerné est réglementé – ce qui est le cas des télécommunications (Inkpen &

Ross, 2001). Selon Randall Stephenson, directeur général d’AT&T en 2007, le marché des télécommunications est actuellement bouleversé par divers phénomènes, notamment l’accélération de la transition vers le sans-fil et la place prépondérante occupée par les divertissements.

Les opérateurs ont besoin d’être de plus en plus centrés sur l’innova- tion, et AT&T souhaite créer de la valeur avec du contenu5. Apple peut apporter, dans le cadre de cette alliance avec AT&T, des ressources complémentaires à celles contrôlées par son partenaire, et dévelop- per sa courbe d’apprentissage sur le marché de la téléphonie mobile.

Deux questions se posent : comment permettre à l’iPhone d’offrir une fonctionnalité de téléphonie mobile, d’une part, et comment assurer la distribution du produit, d’autre part ? De plus, ces questions doi- vent être résolues pour d’autres marchés que le marché américain.

Le tableau 1 résume la situation au 1er janvier 2008, pour les pays où l’iPhone est officiellement distribué.

5. Redefining the Industry to Remain Relevant – The Significance of AT&T’s Big Bet on Mobile, http://globalhumancapital.org/

archives/165-ATT-CEO-Unveils-Telecoms- Vision-at-Convergence.html, 3 août, 2007.

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Tableau 1 : Modalités de distribution de l’iPhone dans le réseau officiel

États-Unis France Royaume-Uni Allemagne

Opérateur Exclusivité AT&T

Partenariat 5 ans

Non-exclusivité Orange

Partenariat 5 ans

Exclusivité O2Partenariat 5 ans

Exclusivité T-Mobile Partenariat 5 ans Tarif abonnement * 47 € 2 ans abonnement

138 € de frais de résiliation 49 € 2 ans abonnement

53,5 € 1 an abonnement 46,6 €

18 mois abonnement 49 €

2 ans abonnement Distributeur Boutiques Apple

Site Internet Apple Boutiques AT&T Site Internet AT&T

Boutiques Orange Distributeurs agréés par Apple mais ayant l’obligation de se fournir auprès d’Orange

Boutiques O2 Site Internet O2 Boutiques Carphone Site Internet Carphone Boutiques Apple Site Internet Apple

Boutiques T-Mobile Site Internet T-Mobile

Prix du produit ** 314 € (initialement

472 €) 399 € si forfait Orange

649 € sans forfait +100 € déblocage dans les 6 mois

358,6 € 399 €

Coût total pour

l’acheteur 361 € 448 €649 € + frais abonnement autre opérateur

749 € + frais abon- nement autre opérateur

405 € 448 €

* Il existe différents niveaux de tarif. Nous avons choisi les tarifs offrant des prestations comparables dans chaque pays cible, pour un iPhone 8GB.

** En avril 2008, les prix ont sensiblement baissé. O2 a réduit le prix de l’iPhone 8GB de 127 euros, et T-Mobile l’a diminué de 300 euros. Cela signifie--il que ces opérateurs subventionnent maintenant le produit ? Cela signifie-t-il qu’Apple revoit sa stratégie, ou plus certainement que les produits de la première génération sont « bradés » en attendant la mise sur le marché de la seconde génération d’iPhone ?

Le tableau 1 montre qu’Apple a choisi un modèle de partenariat fondé sur une double exclusivité : l’opérateur partenaire bénéficie d’une ex- clusivité sur le territoire de référence (ainsi AT&T est l’opérateur exclu- sif pour l’iPhone sur le territoire des États-Unis) et il est le distributeur exclusif du produit sur le territoire de référence. Au Royaume-Uni, il y a en fait deux distributeurs, O2 et Carphone, Apple craignant qu’O2 ne puisse assurer une couverture suffisante du territoire. La seule excep- tion au modèle de la « double exclusivité » est la France. Orange est le grossiste exclusif de l’iPhone sur le territoire français, mais pas l’opéra- teur exclusif. Une contrainte externe provenant de la sphère juridique est la cause de cette exception au modèle économique élaboré par Apple. Le Code de la consommation français interdit les ventes liées ou subordonnées, et ce compris la vente liée à une prestation de services.

Le consommateur intéressé par un iPhone doit avoir la possibilité de l’acheter auprès du grossiste exclusif (en l’espèce Orange) ou d’un dis- tributeur agréé par Apple et fourni par Orange, sans avoir à souscrire obligatoirement un abonnement auprès de cet opérateur. Cette pres- sion réglementaire est renforcée par une décision de l’ART (autorité de régulation des télécommunications en France) du 8 décembre 2005, prévoyant que le verrouillage d’un téléphone pour qu’il ne fonctionne que sur le réseau d’un seul opérateur ne peut excéder la durée de six

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mois. Le déverrouillage de l’iPhone avant la fin de ce délai nécessite le versement de 100 euros supplémentaires à Orange. La réponse à la contrainte réglementaire a donc consisté à dissuader le consomma- teur d’acheter l’iPhone hors abonnement, en créant une discrimination par le prix. L’alliance stratégique entre Apple et les opérateurs concer- nés est de nature contractuelle. Le contrat doit contenir des clauses spécifiques, telles que les droits à l’information sur toutes transactions pertinentes, la confidentialité, les restrictions quant à l’utilisation des informations protégées, la résiliation du contrat, etc. (Reuer, et al., 2006). Le contrat passé entre Apple et AT&T prévoit une exclusivité de cinq ans, un reversement par AT&T à Apple d’un pourcentage des re- venus perçus grâce à l’iPhone, la restriction pour Apple de développer une version de l’iPhone compatible avec les réseaux CDMA – utilisés par les concurrents d’AT&T. L’exclusivité est au cœur du contrat. Les contrats de distribution exclusive sont d’ailleurs traditionnellement per- çus par les fabricants comme un moyen de contrôler l’image de leur marque (Scherer, 1999; Collard & Roquilly, 2002; Gavil, 2004), et par les distributeurs comme un levier permettant de réduire les ressources potentiellement disponibles pour les concurrents (Capron & Chatain, 2008) afin, notamment, de récupérer une partie de leur clientèle. En juillet 2007, 40 % des personnes ayant contracté avec AT&T dans le cadre de l’achat de l’iPhone étaient de nouveaux clients. En février 2008, 50 % des clients ayant acheté l’iPhone auprès d’Orange avec l’abonnement étaient précédemment clients d’un autre opérateur.

Les effets secondaires du choix de modèle économique et contractuel : le développement d’un marché parallèle

Une telle stratégie de double exclusivité (accès au réseau de téléphonie et distribution) a nécessairement deux effets secondaires indésirables, mais pouvant néanmoins être anticipés. Les consommateurs intéres- sés par le produit mais abonnés auprès d’un opérateur différent des partenaires d’Apple vont souhaiter pouvoir utiliser l’iPhone alors même qu’il est verrouillé pour ne fonctionner que sur le réseau de l’opéra- teur partenaire. Un membre du Congrès américain, Edward Markey, a ainsi déclaré en juillet 2007 que « le problème avec l’iPhone est que le couplage iPhone–AT&T est une sorte de service «Hotel California»

: vous pouvez vous enregistrer à tout moment, mais vous ne pouvez jamais quitter ». Par ailleurs, la différence de prix entre les États-Unis et l’Europe, renforcée par le cours du dollar par rapport à l’euro, crée une incitation aux importations parallèles. Des programmes de déver- rouillage de l’iPhone ont été développés et sont aujourd’hui aisément accessibles sur Internet. Le risque de voir de nombreux exemplaires de l’iPhone circuler en dehors de son réseau officiel de distribution et fonctionner sur d’autres réseaux que ceux des opérateurs partenai- res est devenu réalité. Les programmes de déblocage permettent à l’iPhone d’être utilisé dans des pays où aucun partenariat n’a encore été passé avec un opérateur et augmentent donc le nombre de ven- tes réalisées par Apple. Le marché chinois en est une illustration. Ils perturbent néanmoins le modèle économique choisi et portent surtout préjudice aux opérateurs partenaires.

L’expérience montre qu’aucune ressource, contractuelle ou technolo-

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gique, ne peut totalement éviter l’apparition d’un marché parallèle, lors- que les conditions favorables à celui-ci sont réunies. Qu’il soit qualifié de « gray market » (Cespedes, et al., 1988) ou d’importation parallèle (Duhan & Sheffet, 1988), s’est donc développé un marché de l’iPhone débloqué, aussi bien au niveau national qu’international. L’identifica- tion de ce marché par les consommateurs est facilitée par Internet, et en particulier les moteurs de recherche et le référencement. Pour illus- tration, l’utilisation, par un internaute identifié comme étant connecté à partir du territoire français, du mot clef « iphone » sur le moteur de recherche Google, fait apparaître un lien commercial vers le site d’un distributeur parallèle français.

La coordination de ressources technologiques et juridiques : moyen de gestion du risque de développement d’un marché parallèle Les réponses au risque de circulation d’exemplaires de l’iPhone en dehors de son réseau officiel sont à la fois de nature juridique et de nature technique, et portent aussi bien sur la cause du problème (les programmes de déblocage) que sur sa matérialisation (la création d’un marché parallèle). La ressource technologique permet, lors des mi- ses à jour sur iTunes, de rebloquer l’iPhone qui a été débloqué par le biais d’un programme « pirate ». Certes ce dernier est lui-même mis à jour pour débloquer à nouveau le produit, mais le consommateur peut toujours craindre une détérioration de son iPhone ou la perte de certai- nes fonctionnalités. La version « non officielle » de l’iPhone n’intéresse pas le consommateur ayant une aversion pour le risque. La ressource technologique est ici effectivement coordonnée avec une ressource juridique. L’utilisation du « logiciel de l’Apple iPhone » fait l’objet d’un contrat de licence. Le consommateur, bien que propriétaire de son iPhone, n’est pas propriétaire du logiciel, et doit se conformer à la sec- tion 1201 du Digital Millenium Act qui prévoit le caractère illégal du contournement du blocage digital afin d’accéder à un contenu protégé par un droit d’auteur. Mais l’US Copyright Office a élaboré plusieurs exemptions, dont une au bénéfice des consommateurs qui souhaitent débloquer leur téléphone mobile et accéder à un réseau (voir Cleary, 2008 ; Haubenreich, 2008). D’ailleurs, concernant la mise à disposition du public des programmes de déblocage, seule une entreprise britan- nique, UniquePhones, qui prévoyait de vendre un programme permet- tant à des utilisateurs ne résidant pas aux États-Unis de débloquer des iPhone provenant du marché américain, semble avoir fait l’objet d’une menace d’assignation en justice de la part d’Apple, pour atteinte au droit d’auteur et dissémination d’un programme illégal. Apple utilise également la ressource contractuelle pour supprimer la garantie sur l’iPhone dans certaines hypothèses, en particulier pour tout dommage causé par le fonctionnement du produit hors des utilisations permises ou prévues décrites par l’entreprise, ou pour toute intervention effec- tuée par une personne qui n’est pas un représentant d’Apple. Une der- nière mesure contractuelle porte sur le nombre d’iPhone qu’un seul et même consommateur peut acheter (toutes ces remarques relatives aux dispositions contractuelles découlent de notre analyse du contrat de licence de logiciel de l’Apple iPhone et des garanties contractuel-

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les). Apple doit donc coordonner des ressources juridiques contrac- tuelles – les clauses contrôlant la revente de l’iPhone hors réseau ex- clusif et celles relatives aux garanties de l’acheteur –, des ressources juridiques relevant de l’expertise dans les actions en justice en matière de marchés parallèles, et des ressources marketing (connaissance des marchés, des réseaux d’approvisionnement, etc.). À ces ressour- ces viennent s’ajouter les droits que détient Apple sur ses marques, et notamment le signe « iPhone ». En effet, le droit des marques est historiquement l’outil utilisé pour lutter contre les marchés parallèles (Cross, et al., 1990). Le principe d’épuisement des droits de propriété intellectuelle peut varier en fonction des pays – épuisement national, européen, international – (Kobak Jr, 2005; Maskus & Chen, 2004). Le recours aux juges pour sanctionner et faire interdire les importations parallèles peut s’avérer très efficace dans l’Union européenne ou aux États-Unis (Radding, 2006; Sloane, 2004), à condition de l’appuyer sur une politique contractuelle stricte (Antia & Frazier, 2001). La capacité juridique d’Apple se matérialise dans le cas présent par son aptitude à mobiliser diverses ressources, notamment juridiques, pour gérer le risque de voir les marchés parallèles s’épanouir au détriment de son modèle économique initial, et à coordonner ces ressources en fonction du but recherché. Le choix des ressources à mobiliser dépend de deux facteurs, à savoir d’une part le type de risque et d’autre part le mode de gestion du risque, comme l’illustre le tableau 2.

Tableau 2 : Déploiement des ressources selon le type de risque et le mode de gestion choisi

Type de risque pour Apple Mode de

gestion du risque

Risque non juridique Risque juridique

Gestion juridique Risque non juridique : le développement d’un marché parallèle international de l’iPhone officieusement débloqué

Gestion juridique : mise en place d’une politique de con- trat de distribution exclusive, permettant de poursuivre les revendeurs parallèles pour concurrence déloyale et contrefaçon de marque

Risque juridique : une class action basée sur le fait qu’Apple refuse d’honorer la garantie contractuelle si l’iPhone a été officieusement débloqué

Gestion juridique : mise en place d’une politique contrac- tuelle solide et claire, rejetant toute garantie pour un iPhone officieusement débloqué

Gestion non juridique Risque non juridique : le développement d’un marché international de l’iPhone of- ficieusement débloqué Gestion non juridique : utilisation de certaines tech- nologies afin de rebloquer l’iPhone débloqué

Risque juridique : une class action basée sur le fait qu’Apple refuse d’honorer la garantie contractuelle si l’iPhone a été officieusement débloqué

Gestion non juridique : les iP- hone sont également vendus officiellement débloqués, mais avec une discrimination de prix, quel que soit l’opérateur choisi par le consommateur

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Les contrats avec les créateurs de contenus : des ressources juri- diques nécessaires pour ajouter de la valeur

La ressource contractuelle n’est pas seulement importante pour orga- niser juridiquement les relations avec les opérateurs et les consomma- teurs, et agir à l’encontre de ceux qui portent atteinte à l’intégrité du réseau ainsi élaboré. Elle doit aussi être mobilisée en vue d’apporter contenus et applications créant de la valeur au profit des utilisateurs (Pi- sano & Teece, 2007). Les partenariats passés avec Youtube et Google entrent parfaitement dans cette logique. La convergence existant entre l’iPhone et la plate-forme iTunes – qui est la porte d’enregistrement obligatoire du produit – est la clef de l’accès aux contenus musicaux.

Lancé au printemps 2003, iTunes Music Store (iTMS) a permis à Apple de devenir, en janvier 2008, le premier vendeur de musique aux États- Unis, avec 19 % de part de marché. Pour structurer le partenariat avec les cinq labels musicaux majeurs, le contrat a constitué une ressource sensible, qui a notamment permis à Apple d’être maître de sa politique de prix. La combinaison des ressources technologiques et juridiques se trouve à nouveau au cœur de la problématique car l’industrie musi- cale a fait d’un système de gestion des droits digitaux (« digital rights management », DRM) efficace la condition préalable à tout contrat de licence en vue de distribuer en ligne de la musique (Palfrey, 2005). Les conditions d’utilisation des contenus accessibles sur l’iPhone se retrou- vent dans les conditions générales iPhone – notamment pour l’accès à Google Maps et Youtube – et les droits du consommateur quant aux fichiers musicaux accessibles via iTunes sont déterminés par les condi- tions générales du service de la iTunes Store.

À partir du moment où des iPhone non officiellement débloqués ont commencé à circuler, de nombreux développeurs ont créé des appli- cations. L’effet de réseau a été très fort, et il était paradoxal qu’un uti- lisateur de cette version bénéficie de plus de création de valeur qu’un utilisateur d’une version officielle. Après avoir observé l’évolution de ces développements dans un cadre non contractuel, Apple a mis en place une structure contractuelle et une plate-forme technologique (appelée iPhone Dev Center). Le contrat iPhone SDK prévoit notam- ment que les développeurs concernés bénéficient d’une licence limitée, non exclusive, personnelle, révocable, non transférable et non sous- licenciable. Les applications développées ne pourront être installées sur l’iPhone que si elles ont été préalablement approuvées, signées et testées, dans le cadre d’un contrat de licence de développement de programme iPhone. Apple se réserve le droit d’accepter ou de refuser ces applications. Elles devront également se conformer à certaines dis- positions, telles que ne pas contenir de codes exécutables. La capacité juridique s’exprime ici dans l’aptitude à élaborer un cadre contractuel favorable à la création de valeur grâce à de nombreuses applications, tout en préservant l’intégrité de la technologie et l’image de marque de l’entreprise.

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L’introduction de l’iPhone sur le marché, une illustration de l’apti- tude à construire un réseau de ressources juridiques

Comme nous venons de le voir, les ressources juridiques mobilisées par Apple pour soutenir l’introduction et le développement de l’iPhone sur le marché, qu’il s’agisse des droits de propriété intellectuelle, des contrats, ou encore de l’expertise juridique, servent bien à préserver et à accroître la valeur des autres ressources, notamment technolo- giques et marketing. Elles sont construites à partir des données de la sphère juridique et des opportunités qu’elles offrent pour élaborer un cadre juridique pouvant être revendiqué devant un juge. Elles illustrent totalement la première proposition avancée dans la section relative à la méthodologie, et selon laquelle la capacité juridique s’exprime en premier lieu par l’aptitude à créer, à accumuler et à coordonner des ressources juridiques (en l’espèce des marques déposées, des de- mandes de brevets, des droits d’auteur, des contrats de partenariat et de distribution). Cette capacité juridique est nécessairement dynami- que. Ainsi, de nouvelles ressources juridiques vont être créées selon les évolutions de l’environnement, ce que nous avons pu vérifier à tra- vers la contractualisation des applications pour l’iPhone. De la même manière, l’émergence de nouvelles menaces telles que l’explosion d’un marché parallèle, nécessite des ajustements permanents entre les res- sources juridiques (droits de propriété intellectuelle et contrats) et les ressources technologiques et marketing (techniques de verrouillage du produit, identification des sources d’approvisionnement parallèle). Au cœur de la stratégie d’innovation, la capacité juridique se matérialise en l’espèce par la construction d’un réseau de ressources juridiques, à vocation défensive et offensive, comme le montre le schéma 1.

Schéma 1 : Ressources Juridiques et Convergence Digitale

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Ce réseau structuré à base de droits de propriété, détenus en propre par Apple ou exploités grâce à des contrats passés avec les titulaires de ces droits (éditeurs, développeurs de contenus et d’applications), soutient la convergence entre les fonctionnalités au sein de l’iPhone, et entre les divers produits, services et contenus créés par l’entreprise ou apportés par ses partenaires : iMac, iBook, iPod, iPodTouch, iPhone, Apple TV, iTunes, Safari, contenus édités par Disney Corp. et EMI, etc..

Ils doivent tous concourir à la construction d’un nouveau style de vie numérique. Produits, accessoires, systèmes, plates-formes, contenus s’ajoutent réciproquement de la valeur.

Dans cette logique de convergence digitale, les diverses ressources mobilisées par Apple, qu’elles soient juridiques, technologiques ou marketing, se complètent et se renforcent mutuellement. Pour preuve la manière dont Apple gère le risque de voir proliférer des versions

« officieusement débloquées » de l’iPhone, susceptibles d’affaiblir le contrôle qu’Apple souhaite exercer sur son produit et les technologies afférentes. Des ressources juridiques d’origine institutionnelle ont pour objectif de protéger l’intégrité de ces technologies. Des ressources juri- diques d’origine contractuelle donnent à Apple la possibilité de structurer un réseau d’opérateurs et de distributeurs partenaires, en vue d’amé- liorer sa connaissance d’un marché nouveau pour l’entreprise (celui de la téléphonie mobile). Les contrats passés avec les développeurs d’applications présentent l’intérêt d’ajouter de la valeur supplémentaire à l’iPhone, dans un cadre maîtrisé par Apple. Sachant qu’un réseau de distribution fermé peut être perméable, la ressource technologique (en particulier la procédure de mise à jour des programmes par le biais de la plate-forme iTunes) peut en renforcer la solidité. Quant à la res- source marketing, et en particulier la notoriété de la marque iPhone (elle-même soutenue par une politique active de dépôt de marques), elle sera utilisée pour appuyer la visibilité du modèle contractuel choisi par Apple et marginaliser les offres parallèles disponibles sur Internet.

LES RESSOURCES JURIDIQUES, SOURCE DE CONFLIT AVEC LES DONNEES DE LA SPHERE JURIDIQUE : UN RISQUE POUR APPLE

Dans cette section, nous montrons comment les ressources juridiques peuvent elles-mêmes représenter une source de risque juridique pour Apple, soit parce qu’elles sont susceptibles de se heurter à des res- sources juridiques détenues par d’autres entreprises, soit parce qu’el- les portent potentiellement atteinte aux règles du droit de la concur- rence. L’aptitude de l’entreprise à intégrer dans ses choix stratégiques cette prise en compte des risques juridiques découlant de ses propres décisions juridiques contribue aussi à forger son niveau de capacité ju- ridique, conformément à la seconde proposition formulée dans le cadre de la section dédiée à la méthodologie.

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