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Hallucinations. E. Peyroux, F. Thibaut, N. Franck Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

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37-120-A-10

Hallucinations

E. Peyroux, F. Thibaut, N. Franck

Le terme

«

hallucination

»,

introduit dans le domaine médical par Esquirol en 1838, puis défini par Henri Ey comme

«

une perception sans objet à percevoir

»,

est aujourd’hui encore à l’origine de nom- breuses recherches qui tentent de mieux caractériser les mécanismes sous-jacents à ces phénomènes, de comprendre les bases cérébrales sur lesquelles ces phénomènes reposent mais également de développer de nouvelles méthodes thérapeutiques. Outre les causes psychiatriques, un certain nombre de patho- logies neurologiques ou sensorielles peuvent être à l’origine de phénomènes hallucinatoires. De plus, de nombreuses études récentes mettent en évidence l’existence de ces manifestations dans la popula- tion générale. Néanmoins, les hallucinations les plus complexes, mais aussi les plus perturbatrices, sont décrites par les personnes souffrant de troubles psychotiques. Dans la schizophrénie, les hallucinations acousticoverbales sont les plus fréquentes et, à ce titre, ont fait l’objet de nombreuses recherches scien- tifiques. Les études de neuro-imagerie développée à partir de la fin du

XXe

siècle ont permis de mettre en évidence l’implication des aires de production et de réception du langage, mais également de régions beaucoup plus étendues, et de nombreux chercheurs s’intéressent aujourd’hui à la connectivité céré- brale entre ces différentes régions afin de mieux appréhender les phénomènes hallucinatoires. L’apport de ces technologies a également permis le développement de méthodes thérapeutiques innovantes et efficaces, comme la stimulation magnétique transcrânienne, qui viennent s’ajouter aux prises en charge comportementales et cognitives, afin de soulager les patients aux prises avec ce type de manifestations.

©2013ElsevierMassonSAS.Tousdroitsréservés.

Mots-clés:Hallucinations;Langage;Perception;Neuro-imagerie;Stimulationmagnétiquetranscrânienne

Plan

Introduction 1

Rappelscliniquesetaperc¸uhistorique 1

Cliniquedesphénomèneshallucinatoires 1

Historique 3

Classificationdeshallucinations 5

L’esthésiecommecritèredeclassificationdeshallucinations

(Baillarger) 5

Degrédedésorganisationdelapsychécommecritèrede

classificationdeshallucinations 6

Neurosciencesethallucinations 7

Neurobiologiedeshallucinations 7

Neuroanatomiedeshallucinations 7

Électrophysiologiedeshallucinations 8

Activitésubvocaleethallucinations 8

Neuro-imageriedeshallucinations 8

Modèlesexplicatifsdeshallucinationsdanslesapproches

cognitives 9

Hypothèsed’uneimageriementaletropvive 9 Hypothèsed’untroubledelaplanificationdudiscours 10 Hypothèsed’untroubledelamémoiredelasourcedel’action 10 Hypothèsed’untroubleducontrôledesactions 11 Hypothèsed’untroubledel’attributiondesactions 13 Hypothèsesrécentesetnouveauxmodèlescognitifs

deshallucinations 14

Traitementsdeshallucinations 14

Traitementsneuropharmacologiques 14

Traitementscognitivocomportementaux 15

Traitementparstimulationmagnétiquetranscrânienne 15

Introduction

Les hallucinations sont définies comme des perceptions ou dessensationséprouvéesparunindividuéveilléenl’absencede stimulations internes ou externes appropriées[1]. Elles peuvent toucher l’ensemble des modalités sensorielles et prendre des formes très diverses, allant d’une sensation élémentaire sans contenu symboliquejusqu’à l’audition complètede langage[2]. Leshallucinationspeuventêtreinduitesparlaconsommationde toxiques, le manquede sommeilou la déprivationsensorielle, maissontégalementprovoquéesparcertaines pathologies psy- chiatriquesdontlaschizophrénie,lestroublesdel’humeuroula démence,pardeslésionscérébralesfocaliséesoud’autresmaladies neurologiques.

Rappels cliniques et aperc¸u historique

Clinique des phénomènes hallucinatoires

Danslaschizophrénieetlesautrestroubles psychiatriques

Quandonabordelanotiond’hallucinations,ilestraredenepas évoquerlecasdelaschizophrénie.Ils’avèreeneffetqueprèsde 74%despatientssouffrantdecettepathologieont,àunmoment ou un autre, été confrontés à ce symptôme[3]. Les hallucina- tionsdanslaschizophréniesontleplussouventacousticoverbales même si des hallucinations visuelles peuvent également être observées àun momentou unautre chez50%des patients[4]. Les hallucinations sont un élément central de la sémiologie schizophrénique et, en 1955, Schneider répertoriait l’audition de voix, sous forme depropos ou de répliquesconcernant les

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agissementsdupatient,dansles symptômesdepremierrang,à côtéd’autresmanifestationstellesquelesyndromed’influence,le voloulapublicationdelapensée,etlesperceptionsdélirantes[5]. Aujourd’huiencore,danslesdeuxprincipauxmanuelsdeclassifi- cationdiagnostique,leDSM-5[6](DiagnosticandStatisticalManual ofMentalDisorders,5thEdition)etlaCIM-10[7](Classificationsta- tistique internationale des maladies et desproblèmes desanté connexes,version10),leshallucinationsfigurentparmilessymp- tômesessentielspourposerlediagnosticdeschizophrénie.Leur importance diagnostique a d’ailleursété plutôt renforcée dans leDSM-5[6],parrapport à la versionantérieure du DSM.Dans cetteclassification,les hallucinations fontpartie d’unelistede troissymptômespositifsdontlaprésence(dumoinscelledel’un d’entreeux)estobligatoirepourétablirlediagnostic.D’unautre côté,leurnatureschneidériennen’estpluspriseencompte.

Pourtant,leshallucinationsnesontpaspathognomoniquesde cette pathologie. Elles sont également relativement fréquentes chezles personnessouffrantde troublesbipolaires. SelonKeck etal.(2003)eneffet,environ37%despatientsbipolairesayant dessymptômespsychotiquesprésententdeshallucinations,majo- ritairement auditives[8].Lespersonnes souffrantdetroublesde l’humeur majeurs accompagnés de symptômes psychotiques, ainsiquecertainscasdestresspost-traumatique,rapportentéga- lementdeshallucinationsdenatureauditive[9].Parailleurs,chez lespatients présentantdestroublesaffectifs,deshallucinations auditives,maiségalement visuellesouolfactives, peuventaussi êtreobservées.Danscecas, quelquesoitlesensimpliqué,leur contenuestnégatiflorsdesépisodesdépressifs.

Danslestroublesneurologiquesetsensoriels Leshallucinationsdécritesdanslecontexted’untroubleneu- rologiqueousensorielsontgénéralementneutres,etpeuventêtre incompréhensibles.Danstouslescas,ellesnepossèdentpasles composantespéjorativesoumenac¸antesdecellesobservéesdans laschizophrénieoulesautrestroublespsychiatriques[10].Lapréva- lencedeshallucinationsdanslapopulationsouffrantdetroubles neurologiques demeure inconnue, néanmoins elle semble fré- quentedanscertainesaffections.

C’est le cas des auras migraineuses où les hallucinations en modalitévisuelle sontles plusfréquentes,suivies par les auras denaturesensorielle, motriceetaphasique(associéesà desdif- ficultésàs’exprimer,à lireouà comprendrele langage)[11].Les aurassontsouventaccompagnéesdecéphaléesmaispeuventaussi apparaîtreendehorsdetoutautresymptôme.Ellessurviennent communémentavantlesymptômemigraineuxetsedéveloppent demanièregraduelle,pendantuneduréegénéralementinférieure à30minutes.Lesaurasvisuellesdébutenttypiquementparune lignevacillanteetincoloreaucentreduchampvisuel,quis’étend progressivementjusqu’àlapériphérie.Danscertainscas,deshal- lucinationsautoscopiques,oùlesujetalasensationdevoirson proprecorpsenmiroir,peuventêtrerapportées.

Lesphénomèneshallucinatoiressontégalementfréquentsdans lesépilepsiesoùilsconcernentjusqu’à13%descas[12].Leshallu- cinationsépileptiquespeuventimpliquerlaplupartdesmodalités sensorielles(visuelles,auditives,olfactivesougustatives),selonles régionscérébralestouchées.Ellessontsouventdenaturesimple (formescirculairesbrillantesdanslecasd’hallucinationsvisuelles oubruits danslecas d’hallucinationsauditives), leurduréeest relativementbrève,etellesontuncaractèrestéréotypéd’unecrise àl’autre.Onpeutretrouver égalementchezlespatientsépilep- tiquesdesphénomènesautoscopiquespouvantprendreplusieurs formes.

Lestroublessensorielspeuventégalementcausercertainsphé- nomènes hallucinatoires.C’est le cas du syndrome de Charles Bonnet, qui consiste en des hallucinations visuelles souvent complexes(personnagescolorésetdéformés)associéesàundéfi- citvisuelliégénéralementauvieillissement(glaucome,cataracte).

Danscesyndrome,leshallucinationssontcritiquéesparlepatient etnes’accompagnentpasd’altérationdelaconscience.

Chez les personnes atteintes de surdité ou de cécité, les hallucinationsliéesà lamodalitésensorielletouchéessontéga- lementfréquentes.Lesamputationsdesmembrespeuventaussi donner lieu à des expériences somatosensorielles proches des

phénomènes hallucinatoires (sensations de membre fantôme).

Enfin,certainessituationsdeprivationsensorielleoudesommeil peuvents’accompagnerdephénomèneshallucinatoires.

Deshallucinationspeuventaussisemanifesterdanslesphases d’endormissement(hallucinationshypnagogiques) ou deréveil (hallucinationshypnopompiques) chez les sujets normaux. Ce type de phénomène est relativement fréquent chez les sujets souffrant de narcolepsie mais elles sont aussi rapportées dans la populationgénérale, notamment chezles personnes jeunes, mêmesileursmanifestationssontmoinssévères.Leshallucina- tionshypnagogiquesethypnopompiquessontleplussouventde naturevisuelle.

Enfin,leshallucinationssontcommunesdanslestroismala- dies neurodégénératives les plus fréquentes: la maladie de Parkinson, la maladie d’Alzheimer et la démence à corps de Lewy.DanslamaladiedeParkinson,leshallucinationsvisuelles peuventtoucherprès d’un tiersdes patients,alorsque leshal- lucinations auditives sont plus rares[13]. Elles sont souvent de naturecomplexe,stéréotypées,avecunfortcontenuémotionnel.

Danslesdémencesàcorps deLewy, leshallucinationsvisuelles récurrentessontundes attributscentrauxdela maladie. Leurs caractéristiquesphénoménologiquessontprochesdeshallucina- tionsobservées dansla maladiedeParkinson.Lesphénomènes hallucinatoiresqui semanifestentdansla maladied’Alzheimer sontmoinsfréquentsquelesidées délirantes(letauxdepréva- lenceestrespectivementde18etde36%).Danscettepathologie, leshallucinationsn’ont étéquetrèspeuétudiées,néanmoins il semblequ’ellesimpliquentgénéralementlamodalitévisuelleet qu’ellessontcorréléesàlasévéritédesdéficitscognitifs.

Certaineslésionsneurologiquesfocalisées,notammentconsé- cutives à une atteinte des régions pariétotemporales ou occipitales,ouencoredestumeursayantdeslocalisationsspéci- fiques,peuventégalementcauserdeshallucinations.Onpeuten effetnoter,danslecasdetumeurspédonculairesou delésions vasculairesdelasubstancenoire,unsyndromerare,identifiépar Lhermitteen1922:l’hallucinosepédonculaire,oùl’on observe deshallucinationsvisuellessouventtrèscolorées,microscopiques oukaléidoscopiques,parfoisavecuncertaindegréd’obnubilation.

Lepatient demeure,le plussouvent,persuadédeleurcaractère irréel.Danslestumeursdelabaseducrâneimpliquantlebulbe olfactif,onpeutobserverdeshallucinationsgustativesouolfac- tives.

Certains médicaments peuvent également être à l’origine d’hallucinations (surtout visuelles), en particulier les médica- mentsàforte activitéanticholinergique, certainsantihyperten- seurs comme la clonidine, certains agents antiparkinsoniens agonistesdopaminergiques,certainsanalgésiquesmorphiniques (fentanyl),ladigoxine,lesbêtabloquants,lacimétidine,certains antihistaminiquesH2,certainsanesthésiques,etenfindes séda- tifs,telsque lesbenzodiazépines ou les hypnotiques,lorsd’un surdosageouaucontraireenpériodedesevragebrutal.Ceshallu- cinationsvisuellespeuventêtre coloréesenjaune,surtoutavec la digitale (elles auraient pu contribuer, pour certains auteurs, auchoix descouleurs deVanGogh),enrose(avec unantihel- minthique,lesantonin)ouêtredetaillemicroscopique(avecles substancesàforteactivité anticholinergique,engénéral vécues agréablement),ouencoregéantes.

L’abus de certaines substances telles que l’alcool, le méthyl- phénidate, les amphétamines, le chloral, peut s’accompagner d’hallucinationstactilesperc¸uescommedesparasitessedéplac¸ant souslapeauetinduisantparfoisdeslésionsdegrattage.L’efficacité dupimozidedanscetteindicationaétérapportée.Certainssol- vantsvolatilespeuventenfinentraînerdessensationssexuelles.

Enfin,deshallucinationsauditives(voixoumusique,enrela- tionavec certaines fréquences radio) ontété décrites chezdes patientsporteursdepiècesmétalliquesdentairesoudefragments métalliques(blessuresparballes)danslecerveauoudanslaboîte crânienne.

Danslapopulationgénérale

Lesmanifestationshallucinatoiressemblentégalementpouvoir apparaître en dehors de toute pathologie mentale, neurolo- giqueousomatique. Cesphénomènessont mentionnésdepuis

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l’Antiquité(parexempleSocrateattribuait lesvoixqu’il enten- daitaudieuApollon),mêmesileurappréciationparlasociétéa évolué.Ilsembleeneffetqueleshallucinationschezlespersonnes nesouffrantd’aucunepathologiediagnostiquéesontperc¸uesde manièreplusfavorabledanslesculturesnonoccidentalesoulors decertainescirconstancespouvantentraînerunstressmajeurou unisolementextrême[14].D’unemanièregénérale,laplupartdes étudesquis’intéressentàlaprévalencedeshallucinationsdansla populationgénéraleestimeque4à 15%desindividusontdéjà faitl’expérienced’entendreunevoixenl’absencedelocuteur[14]. Plusprécisément,uneétudedegrandeampleur,ayantimpli- quéplusde7000personnesauxPays-Bas,amisenévidenceune prévalencedesexpériencespsychotiques(dontleshallucinations verbales)danslapopulationgénéraledel’ordrede4,2%[15].Une étudeplusrécenterapportedesrésultatssimilaires[16].Deplus,sur lavieentière,laprévalencedeshallucinationsauditivesdansla populationgénéraleseraitcompriseentre10et40%[17].

Néanmoins, une méta-analyse récente, prenant en compte 17étudesconduitesauprèsdelapopulationgénérale,soulignedes tauxdeprévalencedesphénomèneshallucinatoiresextrêmement variables, allantde0,6à 84%[18].Cette différenceconsidérable seraittoutd’abordexpliquéeparlesdivergencesdedéfinitionet deméthodologieentrechacunedesétudes.Ilsembleégalement que de vraies disparités peuvent exister, en fonction, notam- ment,dugenre(leshallucinationsseraientainsipluscommunes chezlesfemmes),del’ethnieetducontexted’audition(plusfré- quentedansun contextede traumatismeou dedeuil).D’autre part, les manifestations hallucinatoires débuteraient plus tôt enpopulationgénéralequechez lespersonnessouffrantd’une pathologie psychiatrique, chez qui ce phénomène commence généralementenmême tempsqueles autres symptômesinau- gurantlamaladie[19].Lecaractère plustardifdece phénomène chezlespersonnessouffrantdetroublespsychiatriquespourrait enpartieexpliquerlesdifficultésqu’ontlespatientsàlescontrô- ler.Cesdisparitésdépendentégalementdeladéfinitionutilisée pourletermehallucination:entendreprononcersonnomsans interlocuteuroubienentendreplusieursvoixcommuniquerentre ellesenl’absenced’autrespersonnesconduitàdesrésultatstrès différents.

Fairel’expérienced’unphénomènehallucinatoireestdoncrela- tivementfréquentdanslapopulationgénérale,cequipoussede nombreuxauteursàsoutenirl’hypothèsed’uncontinuumdecer- tainssymptômespsychotiques–notammentlesidéesdéliranteset leshallucinations– entrelessujetsnesouffrantd’aucunepatho- logie, les patients présentant destroubles del’humeur etceux touchésparuntroublepsychotique.

Plusieursrecherchesontmisenévidenced’importantesdiffé- rencesdecontenuhallucinatoireentrelapopulationgénéraleet lespatients souffrantdepathologies psychiatriques.Sommeret al.[20]onteneffetanalysélasémiologiedeshallucinationsaudi- tives de 103individus issus de la population générale et l’ont comparéeà celledespersonnessouffrantd’unepathologie psy- chiatrique[20].Ilsontmisenévidencequesilesvoixentendues parcettepopulationontuneformesimilaireàcellesentendues parles personnesqualifiées de«cliniques»,ellessonttoutefois moinsnégativesetperturbatricespuisque91%desparticipants interrogésontaffirméqu’ellesnebouleversaientpasleurviequo- tidienneet55%sesentaientcapablesdelesstopperlorsqu’elles devenaientperturbatrices.

Historique

Leterme«hallucination»(dulatinhallucinatio:méprise,diva- gation) a été introduit dans la langue franc¸aise au XVIIesiècle.

Sonutilisation danslejargon médicala étépréciséepar Esqui- rolen1838quiadéfiniceconceptcomme«uneperceptionsans objet[21]».Bienavantsonentréedanslechampdelamédecine, onretrouvedesdescriptionsduphénomènedepuisl’Antiquité.

Néanmoins,l’appréciationdeshallucinationsparlasociétéaévo- luétoutau longdel’Histoire, passantdu domainemagique et mystiqueau cadrereligieux puisscientifique[22].Dansla Grèce ancienne, eneffet,les hallucinations étaient vues demanières plutôtpositivesetreflétaientuneouvertured’espritetunegrande

intelligence.Puis,durantleMoyenÂge,lecourantobscurantistea décritleshallucinationscommedesmanifestationsdémoniaques etdenombreuxhallucinésontfinisurlesbûchersdel’Inquisition.

IlafalluattendrelaRenaissancepourquel’appréhensiondesphé- nomèneshallucinatoiresparlasociétécommenceàévolueretque cesmanifestationssoientenfinexpliquéesparuneperturbation ducerveau.Néanmoins,àcetteépoque,aucuntraitementn’était proposéauxpersonneshallucinées.

De plus, la définition du terme hallucination est restée floue jusqu’à la fin du XVIIIesiècle, son emploi couvrant alors aussibienlesanomalies sensoriellesquelesphénomènes men- taux entraînantdes perceptions aberrantes.Ainsi,les concepts d’hallucinationsetd’illusionsétaientsouventconfondus.Lapre- mièredéfinitionscientifiquedeshallucinationsaétéproposéepar Esquirolen1817dansleDictionnairefranc¸aisdessciencesmédicales et, en 1838, l’auteur a caractérisé plus précisément ce phéno- mène de la sorte: «Un homme est en état d’hallucination si il a la conviction intime d’unesensation actuellement perc¸ue alors que nul objet extérieur propre à exciter cette sensation n’est à portée de ses sens.» Au-delà de la description précise du phénomène, le travail d’Esquirol a permis de différencier les hallucinations des états de rêve, du somnambulisme, des extases et des illusions. Pour lui, ce phénomène était un des constituantsdudélire,mêmes’ilpouvaitégalementêtreprésent isolément.Aprèssacontribution,lesensdutermehallucination n’aplussubidechangementmajeuretsonutilisationaétéréser- vée à la caractérisation d’un phénomène précis: la conviction intime d’une sensation en l’absence d’objet extérieur appro- prié.

Quelques années plus tard, en 1846, Baillarger, un élève d’Esquirol,s’estquestionnésurl’implicationdessensationslors desphénomèneshallucinatoires.Sontravailapermisd’introduire une distinction entre deux types d’hallucinations: les halluci- nations psychosensorielles (ou complètes), impliquant à la fois les organes des sens et de l’imagination; et les hallucinations psychiquesdécrites commedes phénomènesdepenséesansélé- ment sensorielouseuls s’exercentles processusdemémoire et d’imagination.Baillargeraégalementproposéunedéfinitiondu phénomèneendécrivantleshallucinationscomme«dessensa- tionsanormalesproduitesparl’actiondel’espritsurlesorganes dessens[23]».

Àlamêmeépoque,unautreélèved’Esquirol,BrierredeBois- mont, a développé une idée différente sur les manifestations hallucinatoires[24]. Contrairement à Bailllarger, il n’admettait aucuneinfluencesensorielledanscesphénomènes.Iladéveloppé l’idéequeleshallucinationsrésulteraientd’imagesmentalestrop intenses. Il a défini le phénomène comme «la perception des signessensiblesdel’idée».Selonsonhypothèse,leshallucinations seraientliéesàlaproductionetàl’excitationd’images(mentales) issuesdelamémoireetdel’imagination.

À la fin du XIXesiècle, les avancées dans le domaine de l’anatomie cérébrale, et notamment la découverted’aires céré- brales impliquées dansla compréhension et la production du langage,ontpermisdegénérerd’autreshypothèsessurles hal- lucinations, notamment celle d’une production anormale de langage, dont sont issus de nombreux travaux réalisés actuel- lement. En1861, eneffet, Brocadécouvre qu’une lésion dela troisième circonvolution frontale gauche (zone identifiée plus tardcommeles aires44et45dela classificationdeBrodmann) peut altérer,voireabolir,la productionlangagière.Unedizaine d’annéesplustard,en1874,Wernicke metenévidence larela- tionentrela section postérieure de la première circonvolution temporalegauche(aire22deBrodmann)etlacompréhensiondu langage.

Àlasuitedecesdeuxdécouvertesmajeures,desauteursontéta- blil’analogiesuivante:siunedestructiondecesairescérébrales provoqueuneaphasie,c’est-à-direuneabsencedelangage,alors leuractivitéexcessivepourraitavoiruneffetinverse,c’est-à-dire causer un excès de langage, à l’origine du phénomène hallu- cinatoire. Cette hypothèse est basée surl’idée que l’excitation de zones cérébrales produirait un effet contraire à celui causé parleurdestruction.Selonlesdéfenseursdecettehypothèse,ce processuspourraitêtregénéraliséauxautrescentrescorticauxet

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1973-Ey Conception organodynamique des hallucinations

1922-Jasper

1892-Séglas

1887-Kraepelin

1861-Broca

1845-Brierre de Boismont

1793-Pinel

500-1500-Moyen Âge

Antiquité Hypothèses magiques et religieuses

Hypothèses scientifiques Hippocrate-300 av. J.-C.

Galien-160 ap. J.-C.

Renaissance/siècle des lumières-1500-1790 EsquiroI-1138 BaiIlarger-1846 Wemicke -1874 Tamburini-1890 BIeuler-1911 Schneider-1955 Hallucinations : symptômes de

premier rang (pathognomoniques

de la schizophrénie) Différenciation des vraies

hallucinations et des pseudohallucinations

Attribution des hallucinations à une excitation pathologique des centres sensoriels dans le cerveau Caractérisation de la dementia praecox

Troisième circonvolution frontale gauche = production du langage Hypothèse d'une image mentale trop intense

Libère des chaînes les aliénés = début de la psychothérapie

Hallucinations : manifestations démoniaques

Traitement : considérés comme des sorciers et brûlés

Hallucinations : possessions, punitions Traitement : sacrifice et prières Hallucinations : symptômes

accessoires de la schizophrénie Première théorie motrice des hallucinations

Section postérieure de la première circonvolution temporale gauche = compréhension du langage Première théorie perceptive des hallucinations

Première caractérisation et classification des hallucinations Hallucinations : causées par une perturbation du cerveau Traitement : institutionnalisation (= prison)

Folie : déséquilibre des quatre humeurs

La pensée est localisée dans le cerveau

Figure1. Compréhensiondeshallucinationsàtraversletemps:del’explicationmagiqueauxavancéesmédicales[22]. produireainsidestypesd’hallucinationsspécifiques(hallucina-

tionsvisuellesdans lecas d’uneexcitation des centresvisuels, hallucinations motrices si ce sont les aires motrices qui sont excitées).

Cettedissociationentreproductionetcompréhensiondulan- gageaégalementpermisdeproduiredeuxhypothèsesconcernant l’origineduphénomènehallucinatoire:l’hypothèsesensorielleoù leshallucinationssontconsidéréescommedesperceptionssans objetcauséesparuneanomaliedesairesauditivesetl’hypothèse motricequiexpliquelesmanifestationshallucinatoiresparunlan- gageintérieurprovoquéparundéficitdesairesdeproductiondu langage.

C’est Tamburiniqui, en1881,adéveloppé la premièrethéo- rie motricedes hallucinations enappliquant la doctrine de la localisationcérébraleauxhallucinations[25].Selon cetauteur,le phénomèneseraitdépendantdel’excitationdescentresperceptifs oupsychosensorielsdanslecortex.Cescentrescérébrauxseraient excités avant chaque acte moteur afin de produire d’une part l’imagesensorielledumouvementetd’autrepartsacommande motrice.Ainsi,une excitationpathologiquedecertainscentres, parexemplelangagiers,pourraitdonnerauxpatientsl’impression qu’onparleeneux.Cettethéoried’unehyperexcitationdecer- tainesrégionscérébralespourraitégalementexpliquerpourquoi certainspatients produisentparfoisdulangagealorsqu’ilsn’en ontpasl’intention.

EnFrance,quelquesannéesaprèslespropositionsdeTamburini, Séglasarepriscettethéorieetl’aadaptéeaumodèlepluscomplexe deCharcot.Séglas(1892)considéraitl’hallucinationcomme«une excitationpathologiquedescentressensorielsducortex,analogue àcequidanslescentresmoteursprovoquel’épilepsied’origine corticale[26]».IlestalléplusloinqueTamburinidansl’analogie entreaphasieethallucinationendistinguantleshallucinationsver- balespsychomotrices deshallucinationsauditivespsychosensorielles.

Séglas a assimilé les premières aux hallucinations psychiques deBaillarger et les a associées à l’excitationde l’airede Broca.

Selon lui, ce typed’hallucinations serait la conséquence d’une utilisationinappropriéedusentimentd’innervation–lesentiment d’innervation étant une représentation du mouvement pou- vantêtredissocié del’acte moteurproprement dit.Ainsi,si ce sentimentestproduitdemanièretropintense,lesujetpourrait

avoirl’impressionquedesparolessonteffectivementprononcées.

Surlabasedecesimagesmotrices,Séglasaclasséleshallucinations verbalesmotricesentroiscatégoriesenfonctiondel’intensitéde cetteimage:

• leshallucinationsverbaleskinesthésiquesquisontuneforme d’hallucinationverbalesanslangage;

• leshallucinationsverbalesmotricescomplètes,oùapparaîtun mouvementd’articulationmaissansquelelangagenesoitpro- duit;

• les impulsions verbales, définies comme des hallucinations accompagnéesd’uneproductiondelangage.Séglasadistingué leshallucinationsverbalespsychomotricesdeshallucinations auditives psychosensorielles qu’il a liées à l’excitation de la régiondeWernicke.

Enfin,en1973,Eyaréunil’ensembledesdonnéesdelalittéra- turescientifiqueconcernantleshallucinationsetaprésentéson travaildansunlivreintituléTraitédeshallucinations[27].Ilacontri- buéàrestaurerlapositioncentraledusujetdanslesphénomènes hallucinatoires.Iladéveloppéuneconceptionorganodynamique des phénomènes hallucinatoires et a proposé une théorie qui neréduisaitl’hallucinationni àuneexcitation descentresner- veux (modèlemécaniste), nià une simple projection dedésirs inconscients (modèle psychanalytique ou psychodynamique).

Il a consécutivement complété la définition des hallucina- tions enindiquant qu’elles sont«des perceptionssans objet à percevoir».

L’ensembledecesconsidérationshistoriquesmetenévidence l’évolutiondesthéoriesexplicativesconcernantlesphénomènes hallucinatoires durant les XIXe et XXesiècles (Fig. 1). En effet, les hallucinations sont d’abord décrites comme des sensations anormalesproduites parl’actionde l’esprit surles organesdes sens (hypothèse perceptive de Baillarger), puisconceptualisées commedesimagesmentaleshyperréactives(théoriedéveloppée par Brierre de Boismont). Enfin la découverte des aires céré- brales impliquées dans la production et la compréhension du langage a lié les hallucinations à une production anormalede langage(Tamburini,Séglas).L’analysedecesévolutionsdepen- sée permet de comprendre l’origine des théories qui ont été plustardtestéesempiriquementlorsquelesmoyens techniques l’ontpermis.

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Classification des hallucinations

Lescritèresdeclassificationdesdifférentesmanifestationshal- lucinatoiresmettentenévidencelescontributionssuccessivesdes auteurs,présentéesdansleparagrapheprécédent,quionttenté decaractérisercephénomèneaucoursdesdernierssiècles.Nous décrironsici,avantdedévelopperlesrechercheseffectuéesàl’aide destechniquesd’imageriecérébraleetd’électrophysiologiedepuis les années1990,les classificationsde deuxauteurs majeursdes

XIXeetXXesiècles.

Nousprésenteronsd’abordlaclassificationproposéeparBaillar- ger,danslaquellelaquestionducaractèresensorieldel’expérience estcentrale,puislaclassificationselonladimensiondedésorga- nisation de la psyché, introduiteun peu plustardpar Ey. Ces deux critères sontencore aujourd’huicentraux pourdécrire la complexitéduphénomènedansuncadreclinique.

L’esthésie comme critère de classification des hallucinations (Baillarger

[23]

)

L’implicationdel’esthésie,c’est-à-diredelacapacitéàpercevoir unesensationdanslesphénomèneshallucinatoiresestquestion- néedepuislesapportsdeBaillarger.Sontravailaeneffetpermis dedifférencierdeuxtypesd’hallucinations:cellesquipossèdent desattributsperceptifsetsensibles(hallucinationspsychosenso- rielles)decellesn’endétenantpas(hallucinationspsychiques).

Hallucinationspsychosensorielles

Troiscritèresfondamentauxpermettentdecaractériserceshal- lucinations:leurcaractèresensorielbienentendu,leurspatialité (l’objethallucinéétantdanscecassituéàl’extérieuretàdistance du sujet), et la convictioninébranlable qu’a la personne dela réalitéobjectivedesonexpérience.Leshallucinationspsychosen- soriellespeuventêtresimples,oubiencomplexesetélaborées,et sontclasséesselonlesensincriminé.

Hallucinationsauditives

Ils’agitdesonsplusoumoinsintenses(cloches,sifflets)pou- vantavoirunetonalitémélodiqueoupluscomplexe(bruitdepas) maisprenantleplussouventuneformeacousticoverbale(voix).

Leshallucinations acousticoverbales sontles plus fréquentes dans la schizophrénie mais apparaissent également chez un nombre significatif d’individus atteints d’un autre trouble psychiatrique(dépressions,troublesbipolaires,personnalitésbor- derline)[4].Lesvoixpeuventêtreprochesdusujetouaucontraire lointaines,maisdanstouslescasellessontclairementlocalisables.

Ellespeuventêtreentenduesparuneoreilleouparlesdeux,être clairesouconfuses,bruyantesoudiscrètes.Leurtonalitépeutpar- foisêtrebienveillantemaisellessontleplussouventdésagréables, hostiles,menac¸antesouinjurieusesdanslecasdelaschizophré- nie[28].

Les hallucinations acousticoverbales peuvent se limiter à l’expression de mots isolésou au contraire correspondre à des phrases entières. Elles peuvent s’adresser au sujet en lui don- nant des ordres ou en commentantses pensées et sesactes, à ladeuxièmeou àlatroisièmepersonne–leshallucinationsàla deuxièmepersonnesontlesplusfréquentesdanslaschizophré- nie–oumêmeconverserentreelles.

Certainesréactionscomportementalessontcaractéristiquesdes hallucinations auditives, comme le fait d’avoir une attitude d’écoute, ou au contraire une distractibilité, de se boucher les oreillesoudemettreenplacedesmoyens deprotection(écou- teursdiffusantenpermanencedela musique),deproduiredes réponsesbrèves(dialoguehallucinatoire).Lesujetpeutégalement avoirdesréactionsaffectivesvariablesfaceàcephénomène,allant del’indifférenceàl’indignation.

Hallucinationsvisuelles

Ellessonttraditionnellement diviséesentrephénomènes élé- mentaires(lumières,tâchescolorées,flashs)etphénomènesplus complexes(objets,personnages,animaux,scènesplusoumoins animées).

Touslestypesd’hallucinationsvisuellespeuventsurvenirdans unlargespectredetroublespsychiatriquesouneurologiquesmais aussiendehorsdetoutepathologie.Dansla schizophrénie,les hallucinationsvisuellessontexpérimentéespar50%despatients àunmomentouunautredeleurvieetpeuventmêmeêtreletype d’hallucination dominant, notamment dans certaines cultures asiatiquesouafricaines[4].

La dimension des hallucinations visuelles est extrêmement variable,pouvantallerd’unetailleminuscule(hallucinationslilli- putiennesoumicropsies)àunetaillegigantesque(hallucinations

«gullivériennes»oumacropsies).

Hallucinationssomatosensorielles

Onregroupesousletermed’hallucinationssomatosensorielles lesphénomènestactiles,somatiques,cénesthésiquesousexuels.

Cestypesd’hallucinationspeuventégalementêtretrèssimplesou aucontraireélaborés.

Leshallucinationstactilesprovoquentdessensationsexternes tandisqueleshallucinationssomatiquestouchentl’intérieurdu corps.Ellesengendrentdesimpressionsdebrûlures,depiqûres, depincementsoudefourmillements,dedémangeaisonsvoirede grouillements. Lessujetsqui subissentce typed’hallucinations peuventtenterdelestoucheroudelesélimineretcesréactions peuventmener àdes lésionsmultiples, soitpar grattage,soità causedetentativesdedésinfectionàl’aidedeproduitsdécapants.

Néanmoins, cesphénomènes sontplutôt raresdans la schizo- phrénieetsontgénéralementdécritsdanslecasd’intoxicationsà certainessubstances(cocaïne,alcool,amphétamines)oudansle syndromed’Ekbom,quiestuntroubledélirantnonschizophré- nique,centrésurlaconvictiondéliranted’êtreinfestédeparasites corporels.

Leshallucinationscénesthésiquesquitouchentàlasensibilité internesontplusfréquentesdansla schizophréniepuisqu’elles peuventtoucherjusqu’à18%desindividusporteursdecediag- nostic. Ellessont caractériséespar des impressions généralisées detransformationsducorps,pouvantmeneràunsyndromede dépersonnalisation(évidement,électrisation,éclatement)ouàun vécudepossessionanimaleoudiabolique.Ellespeuventaussiêtre localiséesàunepartieducorps,commelasphèredigestive(sensa- tiond’intestinsbouchésoudepourriture)oulesorganesgénitaux (sensationsd’attouchementsouderapportssexuelsimposés).

Hallucinationsolfactivesetgustatives

Les hallucinations olfactiveset gustatives sontgénéralement désagréables(odeursd’ammoniaque,depétrole,goûtépicé,amer, pourri)oususpectes(poisons).Contrairementauxhallucinations visuellesetauditives,leurcaractèrespatialestbeaucoupplusflou.

Ellessontsouventdifficilesàidentifierdufaitdeleurapparition (parboufféesouencontinu)etdeleurcaractèretransitoire.

Ces manifestations hallucinatoires sont retrouvées dansune variété importante de troubles psychiatriques, dans certaines pathologiesneurologiquesdelarégionorbitalepréfrontale,mais égalementenl’absencedetoutepathologie.

Hallucinationspsychiques

Les hallucinations psychiques se caractérisent par l’absence de l’intervention de l’appareil sensoriel dans la perception de l’hallucination et sont donc dues à l’exercice involontaire de la mémoire et de l’imagination. Ce sont des représentations mentalesquis’imposentàlapensée,sansobjectivationpossible dans l’espace. De ce fait, elles apparaissent comme des phé- nomènesintrapsychiques étrangersausujet.Ellessont décrites généralementcommedesvoixintérieuresetlepatientasouvent l’impressiond’êtresoumisàdesphénomènesdetransmissionde pensées,detélépathie,devoloudedivulgationdelapensée.Il éprouvecesphénomènescommel’intrusiond’un autreausein desonespritetal’impressionquecequ’ilpenseetressentnelui appartientplus.

Bien queleshallucinationspsychiquesappartiennentmajori- tairementau registreverbal,ondécritégalementdeshallucina- tionspsychiquesvisuelles,auditivesetgustatives.

Les hallucinations psychiques sont prévalentes dans le syn- drome d’influence et le syndrome d’automatisme mental, que nousavonschoisidedécrirebrièvement.

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Syndromed’influence

Cesyndromeestdécritcommeuneprisedecontrôledesactes etdelapensée.Lesujetadonclesentimentd’êtredépossédéde savieintérieure,quesespenséessontimposéesetqu’onledirige del’extérieur(comportementsimposés).

Syndromed’automatismemental

Ce syndrome, décrit par de Clérambault (1920), est défini commel’échappementhorsdu contrôlede lavolonté du sujet d’unepartiedesapensée,quilerendalorspassifàsonégard[29]. Cesyndromeestretrouvédanslespsychoseshallucinatoireschro- niques–deClérambaultfaitd’ailleursdel’automatismementalun élémentfondateurdecettepathologie–etdanscertainesformes deschizophrénie.

LathéoriedéveloppéepardeClérambaultestissuedestravaux de Jackson, au début du siècle, qui avait formulé l’hypothèse suivante: lorsque l’influence inhibitrice des centres corticaux supérieursestinterrompue,les centresinférieurs(enparticulier les ganglions de la base) deviennent hyperactifs, ce qui peut entraînerlaproductiond’hallucinations.Dansleclimatdesidées jacksoniennes,pour de Clérambault, l’essentiel de la psychose consistaitenl’émergencedanslaconscienced’unmodedepen- séeinférieuretpathologiquecoexistantaveclapenséenormale maissouvent endésaccord avec elle, que le maladene recon- naît pas comme le produit naturel de son propre psychisme.

L’automatismementalestdoncprimitifetl’élaborationdélirante estsecondaire.Cettedernièreconsisteenuntravailderegroupe- mentetd’explicationdecesphénomènes,élaboréàpartirdela partiesainedupsychisme.Àceuxquivoulaienttoujoursvoirdans ledélirel’aboutissementdel’histoired’unepersonnalitéhumaine empêchéededéployerlibrementsesinstinctsdanslaviesociale, deClérambaultaopposélaréalitédescausestoxiques,infectieuses ouautres qui atteignentprimitivementle cerveau etindirecte- mentlapersonnalité.

L’apparition du syndrome clinique d’automatisme mental débutepardesmanifestationsnonsensoriellesoùlapenséeest devancée,videouarrêtée,lesactesénoncés.Onnoteégalement des impulsions verbales et des phénomènes de fausses recon- naissances. L’association de ces symptômes est appelée «petit automatisme mental» ou «syndrome de passivité», afin de le différencierdu «grand automatismemental».Eneffet,celui-ci est caractérisé par un phénomène detriple automatisme:sen- soriels,idéoverbalouidéique,etmoteur.L’automatismesensitif comprenddes phénomènesanidéiques, dontleshallucinations danstouteslesmodalitéssensorielles.L’automatismeidéoverbal comprend,d’unepart,desélémentspositifsouintrusions:phé- nomènespsittaciques(comprenantlesjeuxverbauxparcellaires, les non-sens, les scies verbales, les mots jaculatoires fortuits), lementisme(dévidementincoercibledelapensée),l’idéorrhée, les hypermnésies diverses (dévidage muet des souvenirs), les phénomènes d’étrangeté (des gens et des choses), les fausses reconnaissances,lesphénomènesdedédoublementmécaniquede lapensée(échodelapensée,delalecture,oudesactes,énoncia- tiondesgestesoudesintentions,voletdevinementdelapensée, commentairedes actes) et, d’autre part, des processusnégatifs ouinhibitions:disparitiondespensées,oublis,perplexité,doute, videdelapensée,aprosexie,fatigue,substitutiondepensée,etc.

L’automatismemoteurcomprenddesimpressionskinesthésiques danslesorganesdelaphonationou dansla musculaturedela face,ducououdesmembres.Ils’agitdemouvementsimposés, d’articulationsverbalesforcées(hallucinationsverbales).

Hallucinationspsychomotrices

Ces hallucinationspeuvent êtredécrites isolément,bien que Ey les rapproche des hallucinations psychosensorielles. Les hallucinations psychomotrices verbales, décrites par Séglas, se caractérisentpardesmouvementsdel’appareilphonatoireetpar laproductiondeparolesàvoixhaute(bienquelesarticulations soientparfoisàpeineperceptibles).Lesujetsesenticiobligéde produiredesmotsoudesphrasesqu’ilnereconnaîtpascomme lui appartenant. Ces manifestations ont des caractéristiques variables, tant au niveau de l’intensité sonore que du timbre.

Ainsi, certains patients peuvent proférer leurs hallucinations

psychomotricesavecunevoixtoutàfaitdifférentedeleurvoix ordinaire.Onobserveaussiparfoislamiseenplaced’undialogue entrele patientetseshallucinations.Biensouvent,les halluci- nationssontgrossièresetobscènes,etdénotentaveclediscours habitueldusujet.Afindecontrerlephénomène,certainspatients onttendanceàserrerlesmâchoirespourévitercecomportement.

Certaineshallucinations psychomotrices impliquent d’autres centresmoteurs et le sujet peut alors avoirl’impression qu’on l’obligeàbougerouàsedéplacer.

Degré de désorganisation de la psyché comme critère de classification

des hallucinations

[27]

Eydénoncelaclassificationdeshallucinationsdépendantedu degréd’esthésie et,dansunedémarcheorganodynamique,pro- poseun classement«structural» de l’hallucination enrapport avec le fonctionnement psychique et le degré de désorganisa- tiondelapsyché[30].Pourcetauteur,l’hallucinationesttoujours un acte inconscient, par lequel le sujet désorganisé dans son corpspsychiqueestduped’une«perceptionsansobjetàperce- voir».Ainsi, il divise les phénomènes hallucinatoires endeux grandescatégories,enprenantencompte,d’unepart,leshallu- cinations«compatibles avec la raison»,qualifiée d’éidolies,et, d’autre part, les véritables hallucinations, intégrées à l’activité délirante;ilreconnaîtnéanmoinsquecesdeuxtypesdemani- festationspeuvents’entrecroiser.

Lepoint communde cesdeuxtypes d’hallucinations repose doncsurlefaitd’être uneperception faussemaisdont levécu peutounonêtrerattachéàlaréalité.

Éidolieshallucinosiques

Ey défini les éidoliescomme«unphénomène faisantl’objet d’un simple jugement d’assertion et constituant la perception d’uneimageencadréedansletempsoul’espaceduchamppercep- tif».Ils’agitdoncdephénomèneshallucinatoiresnondélirants.

Lecontenudecesexpériencesestreconnucommenonobjectivé, noncompatibleaveclaréalité,mêmes’ilimpliqueunesensoria- litécertaine.

Leséidoliespeuventsemanifesterdanslaplupartdesmodalités sensorielles:auditives,visuellesoucorporelles.Ellessontnettes, viveset potentiellement d’unegrande qualité. Lepatient peut ainsiestimerqu’ilperc¸oitclairementlaprésencedel’objet,mais ilnelesconfondpasavecuneréelleperception.Ilestcapablede lescritiquer,lesdéfinitlui-mêmecommeincongruesetreconnaît êtreleseulàlespercevoir.

Ces manifestations s’observent de manière générale chez les patients souffrant de troubles neurologiques touchant la perception(désafférentationssensorielles,affectionsneurodégé- nératives).

Eyprécisecephénomèneenclassantleséidoliesendeuxsous- groupes–lesprotéidoliesetlesphantéidolies–enfonctiondela complexitéetdescaractéristiquesdeces«faussesperceptions».

Protéidolies

Ey défini les protéidolies comme des hallucinations élé- mentaires, fulguranteset unisensorielles. Au niveau visuel, les protéidoliessontsouventdes figuresgéométriquessimples,des déformationsspatiales, des étincellesou deszigzags;quand la modalitéengagée est auditive, on retrouve des sonorités ryth- miquesetrépétitives,desvariationsdelahauteurdessons.

Phantéidolies

Ces phénomènes sont moins vifs que les protéidolies mais sont composés d’images scéniques ayant une ébauche d’enchaînements. Les phantéidolies sont plurisensorielles et engagentuneparticipationonirique.Leshallucinationshypna- gogiques,présentéesplushaut,ensontd’ailleursleprototype.

Hallucinationsdélirantes

Cesontles«vraieshallucinations»auregarddeEy.Ellessont appréhendéespar lespatients commedevéritables perceptions

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et sont donc une expression de leur fonctionnement délirant qui met en évidence la désorganisation de l’appareil psy- chique.Eydistinguedeuxtypesd’hallucinationsdélirantes:celles vécues dans le cadre d’expériences délirantes aiguës, qui pro- viennent d’unedéstructuration dela conscience, qu’il nomme

«expériencesdélirantes»;etcellesliéesaucontraireàunerecons- truction liée à la désorganisation de l’être conscient[30], qui apparaissent dans le cadre d’un processus idéoverbal halluci- natoire etdonc d’unepathologie mentale chronique,qui sont qualifiéesd’hallucinationsnoéticoaffectives.

Point important

LaclassificationdeshallucinationsselonBaillarger(1846) estlasuivante:

• leshallucinationspsychosensoriellesquipossèdentdes attributs perceptifset sensoriels,classéesenfonction du sensincriminédanslephénomènehallucinatoire;

• les hallucinations psychiques: absence d’intervention del’appareilsensorieldanslaperceptionduphénomène, représentations mentales qui s’imposent à la pensée, majoritairementverbales,prévalentes,danslessyndromes d’influenceetd’automatismemental.

La classement des hallucinations selon Ey (1973) est la suivante:

• leséidolieshallucinosiques:hallucinationscompatibles aveclaraison,nettementperc¸uesmaiscritiquées;

• leshallucinationsdélirantes:enlienaveclefonctionne- mentdélirant,mettantenévidenceladésorganisationde l’appareilpsychique.

Neurosciences et hallucinations

LadeuxièmemoitiéduXXesiècleaétéunepériodedeprogrès considérablesdanslacompréhensiondesphénomènescérébraux enjeudansles pathologies psychiatriques,grâce, d’unepart,à l’essor des recherches en biologie cérébrale et, d’autre part, à l’évolutiondestechniquesd’imagerie.

Danslespartiessuivantes,nousnousfocaliseronssurl’étude deshallucinationsauditivesenlienaveclaschizophrénieetnous présenteronslesapportsoriginelsetlesavancéesrécentesdesdif- férentschampsderechercheenneurosciences.

Neurobiologie des hallucinations

Àl’heureactuelle, plusieursmodèlesdela mécaniqueneuro- biologiqueà l’œuvredansles phénomèneshallucinatoiressont proposés.L’ensembledecesmodèlesestapparudansladeuxième moitiéduXXesiècle,àlasuitedeladécouvertedemoléculesphar- macologiquespouvantprovoquercertainstypesd’hallucinations, maisaussigrâceaudéveloppementdemédicamentspermettant delimitercesphénomènes.

En1938,eneffet,Hoffmanasynthétisél’undesconstituants del’alcaloïdedel’ergotdeseigle,l’acidelysergiquediéthylamide (LSD),dontilpenseavoirdécouvertlespropriétésanaleptiques.

Enexpérimentantlui-mêmeceproduit,iladécrit«unesuiteinin- terrompue etkaléidoscopique d’imagesfantastiques» ainsique la perception de stimuli par des canaux sensoriels inhabituels (parexemple:visiondevoixouencoreperceptiond’imagesen mouvement tel un stromboscope). Dans certains cas, des hal- lucinations visuellesdu même typepeuvent survenirplusieurs moisouannéesaprèslaconsommationdeLSD(ils’agit«d’un retour d’acide»). Parfois,les sujets sousLSDpeuvent présenter deshallucinationsditessynesthésiques(hallucinationsvisuelles coloréesaprèsavoirentendu unbruitintenseouinversement).

Ces phénomènes seraient dusà une hypersensibilité corticale.

D’autresmolécules,tellesquelaphéncyclidine (PCP),lepeyotl (cactéeduMexique),lamescaline(alcaloïdedupeyotl),lapsilo- cybine(extraited’unchampignonhallucinogèneduMexique)ou plusrarementletétrahydrocannabinolet,plusrécemment,la3,4- méthylène-dioxy-métamphétamine(Ecstasy)peuventinduiredes visionsbizarresoucoloréesdontuncertainnombred’artistes,tels Artaud,Baudelaire,Rimbaudontpus’inspirer,ouquel’aliéniste MoreaudeToursaexpérimentéeslui-mêmeàtraversleseffetsdu haschich.Cependant,l’effetdesdroguesesttrèsvariableselonla doseutiliséeetl’individu.

Historiquement, cesrecherchessontimportantespuisqu’elles sontàl’originedesthéoriesbiologiquesdelaschizophrénie.Ainsi, danscettepathologie,unconsensusexistesurlefaitqu’undés- équilibredusystèmedopaminergiquecortico-sous-corticalserait un des facteurs en lien avec la maladie[31]. C’est donc par l’intermédiairedesobservationscliniquesdepatientsprésentant une amélioration symptomatique à la suite de l’introduction de traitements neuroleptiques dont l’activité antagoniste des récepteurs dopaminergiques de typeD2 a été démontrée que l’hypothèsed’uneimplicationdela voiedopaminergique dans lagenèsedeshallucinationsaétéproposée[32,33].

Néanmoins, et même si nous ne développerons pas plus précisément les avancées des recherches dans le domaine de la neurobiologie étant donné leur complexité, il faut tout de mêmenoterquelesystèmedopaminergiquen’estpasleseulen causedanslaschizophrénie.Denombreusesrecherchesactuelles s’intéressent à l’implication d’autres neuromédiateurs, notam- ment la sérotonine et le glutamate, qui semblent également jouer un rôle dans les phénomènes hallucinatoires comme en témoignent les hallucinations produites par certaines drogues commeleLSDoulaphéncyclidine.

Neuroanatomie des hallucinations

Au niveauanatomique,desdifférencesstatistiquementsigni- ficatives entreles cerveaux des personnes souffrantde schizo- phrénieetceuxdespersonnessainesontétémisesenévidence.

D’unemanièregénérale,levolumecérébralgénéraletlatailledes ventriculesseraientdiminuéschezlespatientscomparésauxindi- viduscontrôles.D’autrepart,d’autresanomaliesplusspécifiques caractérisentenmoyennelecerveaudespatientssouffrantdeschi- zophrénie:legyrustemporalsupérieurgaucheetlelobetemporal médiangaucheontunvolumemoinsimportant[34];ilenvade mêmepourl’amygdale,dontlataillesembleimpacterl’asymétrie hémisphérique,plusimportantechezlespersonnessouffrantde schizophréniequechezlesindividussains[35].

Concernantplusspécifiquementleshallucinationsauditives,le lienavecl’architecturedesstructurescérébralesaétéétudiédepuis ledébutduXXesiècle,parSouthard,notamment,quiaanalysédes photographiesdecerveauxdepatientssouffrantdedémencepré- coce(dementiapraecox)[36].Àcetteépoque,unlienavaitdéjàété proposéentreleshallucinationsauditivesetl’anatomiedu lobe temporal.Unsiècleplustard,ledéveloppementdesméthodesàla foisd’acquisitionetdemesuresapermisdepréciserlevolumeet l’anatomiedesstructures cérébralespotentiellementimpliquées dansleshallucinations.

Unedespremièresétudesquiamisenévidenceunlienentre levolumed’unerégioncérébraleetleshallucinationsauditivo- verbales est celle réalisée au début des années1990 par Barta et al.,qui ontrapporté une corrélation négativeentre la sévé- ritédeshallucinationsetlevolumedugyrustemporalsupérieur gauche[37].Cerésultata plusieursfoisété répliqué, mêmesila localisationanatomiqueprécisedecetterégionvariequelquepeu selon lesétudes.Ainsi,certainsauteurs soulignentunecorréla- tionentrelasévéritédeshallucinationsetlaréductionduvolume de la partie antérieuredu gyrus temporalsupérieurgauche[38], alorsqued’autresnotentuneaugmentationduvolumedulobe temporal[39].

Plusrécemment,d’autresauteurssesontintéressésàcetteques- tionàl’aided’unautretypedematériel:lamorphométriebasée surlevoxel(ouvoxel-basedmorphometry[VBM]).Cettetechnique permetdedétecterdesdifférencesstructuralessubtilessansavoirà

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déterminerpréalablementdesrégionsd’intérêt.Uneméta-analyse récentesurles étudesréalisées à l’aidede cematériela mis en évidenceuneréductionconstantedematièregriseauniveaudu gyrustemporalsupérieurgaucheetdroit, incluantnotamment legyrusdeHelsch,etcelaenlienaveclasévéritédeshallucina- tions[40].Néanmoins,d’autresstructuressemblentégalementêtre corréléesauxphénomèneshallucinatoiresetdesétudesmettent aussienévidencedesanomaliesdeplusieursstructurescérébrales appartenantàtoutleréseaulangagier[41].

Lesaltérationsstructuralesenlienavecleshallucinationsacous- ticoverbalessontdoncdiscordantesettrèscomplexesàobjectiver.

Onpeutdoncconclurequebienqu’ilsembleexisterunetendance entrelaréductionduvolumedugyrustemporalsupérieurgauche etlasévéritédeshallucinations,aucuneanomaliemorphologique spécifiquen’estsystématiquementassociéeauxhallucinations.

Électrophysiologie des hallucinations

LescélèbresétudesdePenfieldetPerot(1963)ontpermisde montrerquelastimulationélectriquedediversesportionsducer- veau,notammentlasurfacelatéraleetsupérieuredelapremière circonvolutiontemporaledroiteetgauche,l’aireangulaireanté- rieureetl’amygdale,pouvaitprovoquerl’auditiondesonsplusou moinscomplexes,deshallucinationsmusicales,voiredeshallu- cinationsacousticoverbales[42].

Néanmoins, les phénomènes produits par les stimulations cérébraleslocaliséessontpeuélaborésettrèsdifférentsdeshal- lucinationsverbalesexpérimentéesparlespersonnessouffrantde schizophrénie,quidécrivententendredesphrasestrèsdistinctes avecun message élaboré et dont ellesnese reconnaissentpas commeétantàleurorigine.

Selon certaines hypothèses d’irritation cérébrale, dont on retrouvelesoriginesdanslesnotionsd’éréthismeducentresen- sorimoteurdeTamburinietdecentremoteurd’articulationdécrit par Séglas, les hallucinations pourraient être liées, au moins en partie, à une modification très ponctuelle et complexe de l’excitabilitécorticale.Lesétudeseffectuéesàpartirdelamesure despotentielsévoquésauditifsdanslaschizophrénie–enregistrés à l’aide d’un électroencéphalogramme (EEG) ou d’un magné- toencéphalogramme(MEG)– mettent eneffet enévidence des modificationsetdesanomaliesdel’activitéélectriqueducerveau.

Danscecadre,deuxcomposantessontgénéralementétudiées:la composanteauditiveN100etlaP300.

LacomposanteauditiveN100estlaplusexploréedanslaschi- zophrénie[43].Elleaétémiseenévidencedansungrandnombre deprocédures auditiveset peut mêmeapparaîtreendehorsde toutetâcheexplicite.Sonamplitudeestdépendantedenombreux facteurs,notammentattentionnels,maisc’estsonoriginetempo- rale,mettant enjeumajoritairement lescortexauditifs,qui en faitunecomposantedechoixàétudierpourcomprendrelespro- cessusenjeudansleshallucinationsauditives.Il s’avèrequela composanteN100est un marqueur important des capacitésde self-monitoringetquesonamplitudechezlespatientshallucinés souffrantdeschizophréniea ététrèssouventétudiéeafindela compareràcelledesindividuscontrôlesoudespatientsnonhal- lucinés(unerevueplusdétailléedecesétudesseraproposéeinfra aupoint«Théorieduself-monitoringdefect»duprésentarticle).

La seconde composante auditive qui a été très étudiée dans le cadre des hallucinations est la P300,impliquée notamment dans les processus d’allocation des ressources attentionnelles.

Elle consiste en une déflection positive débutant entre 205 et 500ms après la présentation d’un stimulus cible, et dont l’amplitudemaximalesesitueapproximativementvers300ms[44]. Demanièregénérale,laP300estétudiéeàl’aided’unparadigme dit «oddball», lorsde la présentation d’un stimulus irrégulier parmiunensembledestimulistandards.Denombreusesétudes ontainsimisenévidenceune diminutiondel’amplitudeetde lalatencede laP300chezles patientssouffrantdeschizophré- nie,quipourraitcorrespondreàdesdistorsionsdesmécanismes attentionnelsdanscettepathologie.C’estégalementunecibleclé pourcomprendrecertainssymptômes,productifsnotamment[45], mêmesiles résultats portantsur les corrélationsentreP300et symptomatologierestentencorediscordants.

Activité subvocale et hallucinations

Depuis l’hypothèse de Séglas d’uneorigine motricedes hal- lucinations,de nombreusesobservationscliniques sontvenues confirmerquelorsqu’ilsentendentleursvoix,unnombresigni- ficatifde patients ébauchent des mouvements articulatoireset peuventmême prononcerà voixhautedes paroles.Cesmani- festationssontcaractéristiquesdeshallucinationspsychomotrices verbalesdécritesplushaut.

Gould,en1949,aétélepremieràtenterd’enregistrercephéno- mèneauprèsd’unepatientechezlaquelleilpouvait,d’unepart, percevoirunchuchotementtrèsfaibleet,d’autrepart,observerun mouvementduplancherdelabouchelorsdeshallucinations[46]. L’enregistrementdel’amplificationduchuchotementcorrespon- daitaucontenuhallucinatoiredécritparlapatiente.Cesrésultats ontparlasuiteétérépliqués[47,48].Néanmoins,d’autresétudesont infirmél’hypothèsed’uneimplicationdesmusclesdela parole lorsdesphénomèneshallucinatoires[49,50].

Plus récemment, dans son travail de doctorat, Lucile Rapin (2011)aréexaminécettehypothèsechezdespatientsprésentant deshallucinationssanssubvocalisation,cequin’avaitpasencore étéproposédemanièreexplicitedanslalittérature[51].Sonétude amisenévidencequ’ilexistaitdestendancesàl’augmentationde l’activitémusculaireorofacialeenpériodehallucinatoirechezles patientssouffrantdeschizophrénie.

Autotal,ilsembleeffectivementexisterunlienentrehalluci- nationsetlangagesubvocal.Néanmoins,cetteassociationnedoit pasêtreconsidéréecommeleproduitd’unliendecausalitéentre cedernieretcelles-ci.

Neuro-imagerie des hallucinations

L’imagerie fonctionnelle a pour objectif d’observer et de caractériserlecerveauenaction.Depuislamiseaupointdesdif- férentestechniquesd’imagerie–l’électroencéphalographie(EEG) dès1929,miseaupointparleneurologueHansBerger,puisdans lesannées1990 latomographie parémission depositons(TEP) et l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf)– de nombreuses études ont été consacrées aux hallucinations auditives afinde comprendre leur fonctionnement et les aires cérébralesimpliquéesdanslephénomène.

Lespremièresétudesd’imageriecérébralecomparaientl’activité cérébraleaureposdepatientssouffrantd’hallucinationsverbales à celle de patients sans hallucination, à l’aide de la TEP, qui permettaitdemesurerinvivoetdemanièrequantitativeleméta- bolismecérébral.Cespremièresrecherchesréaliséesaudébutdes années1990visaientàmettreenlienlesdébitscérébrauxobser- véset lesdifférentssymptômesdela schizophrénie.L’étudede Liddleet al.[52],qui fait toujours référenceà ce jour, a mis en évidencequelespatients présentantdesscoresélevésdesymp- tômespositifs,parmilesquelsonretrouveleshallucinations,ont uneactivitécérébralemajoréedanslarégionparahippocampique gaucheet le lobe temporalmoyen gauche, cela allant dansle sensde l’implication du lobe temporaldansles hallucinations auditives[52]. Pourtant, à l’inverse, l’étude de Cleghornréalisée la même annéea montré une diminution du métabolismede cesrégions maisune activité plusimportante, corrélée avec la fréquencedeshallucinationsverbales, danslecortexcingulaire antérieuretlesrégions striatales[53].Cette étudeestinterprétée commeunepreuvedel’implicationdesaireslangagièreslorsdes phénomèneshallucinatoires.

Ces résultats contradictoires peuvent néanmoins s’expliquer parl’absencedecontrôledel’étatcognitifdespatientsaumoment del’imageriefonctionnelle.C’estpourquoiàpartirdumilieudes années1990,desprotocolestrèsprécisdanslesquelslespatients doiventsignalerledébutetlafindeleurhallucinationsverbales ontétédéveloppés[54,55].Cesdesignsd’étudessontinnovantset trèsinformatifspuisquel’expérimentateur,alorsavertidelasur- venuedeshallucinations,peutmesurerl’activationcérébraleau momentoùsurvientlephénomène.Cependant,cesétudessont difficilesàréalisercarellesnécessitentquelespatientsaientune consciencesuffisammentbonnedeleurtroubleafindeladistin- gueraisémentdelaréalité.

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Unedes premières études utilisant cette méthode a été réa- lisée par McGuire et al. en 1993 à l’aide de la tomographie par émission de simples photons (TESP)[56]. Les auteurs ont ici proposé à des patients hallucinés deux mesures. Lorsde la premièremesure,lespatientsdevaientindiquerleurshallucina- tions à l’expérimentateur. Puis ils étaient de nouveau scannés 19semainesplustardlorsqueleshallucinationsavaientdisparu.

Cette étude a mis enévidence une augmentation d’activation cérébraledanslarégiondeBroca,danslecortexcingulaireanté- rieuretlecortextemporalgauche.Silbersweigetal.(1995)ont réalisé, en utilisant la même méthodologie, une étude de cas unique chez un patient souffrant d’hallucinations verbales et visuelles[57].Seshallucinationss’accompagnaientd’activitédans lesrégionsthalamiques,lestriatum,lesrégionslimbiquesetles régionscorticalesoccipitalesetassociativestemporalesgauches.

Les auteurs concluent queles structures profondesdu cerveau pourraient ainsi générer ou moduler les phénomènes halluci- natoires, tandis que les cortex sensorielspourraient affecter le contenusensorieldeshallucinations.

Defac¸oncomplémentaire,uneautreétudeaétéréaliséeen2000 parShergilletal.enIRMfendemandantauxpatients,nonpasde signalerimmédiatementleurshallucinations,maisdedireaprès chaque enregistrement s’ils avaient ou non entendu des voix.

Cetravail avaitpermis demontrer qu’un large réseaucérébral étaitassociéàlasurvenuedeshallucinationsverbales,incluantle gyrusfrontalsupérieurgauche,l’insulabilatérale,legyrusfrontal moyenbilatéral,leslobestemporauxsupérieursetmoyensbilaté- raux,lecortexcingulaireantérieurbilatéral,l’hippocampegauche etlethalamusdroit[58].

Récemment, plusieurs méta-analyses récapitulant les études fonctionnelles qui concernentles activations corticales enlien avec les hallucinations verbales ont été publiées[41,59,60]. De manièregénérale,leszonescérébralesactivéeslorsdecesphéno- mènessontlessuivantes:lelobetemporalgaucheetnotamment l’airedeBroca,lesgyritemporauxsupérieursetmoyensbilatéraux dontlecortexauditifprimairegauche,legyrusfrontalinférieur gauche.Auniveausous-cortical,desaugmentationsd’activitéont étéretrouvéesetlesétudesrépliquéesconcernent:lethalamus,le gyrusparahippocampal,lecortexcingulaireantérieuretl’insula.

Ainsi, la survenuedes hallucinations semble mettreen jeu un réseaucérébraltrèslargementdistribué.

L’activationdecesdifférentesrégionscérébralesvientappuyer certaines des hypothèses cognitives concernant l’origine des hallucinations qui seront développées ultérieurement dans cet article. En effet, l’activation des aires du langage suggère un dérèglementduréseauperceptif–productifdulangagequipour- rait expliquer une anomalie dans la perception de la voix.

L’activationdesairesauditivespourrait,d’unautrecôté,êtreliée à l’écouted’unlangage intérieur,oùà laremémorationdecer- tainestracesauditives.D’autrepart,l’activationdesairesfrontales inférieures pourrait signifier qu’il y a effectivement produc- tiondeparoleintérieurelorsdesmanifestationshallucinatoires.

L’ensembledecesdonnéesmetenévidenceun lienimportant entreles phénomèneshallucinatoiresetlelangage.Néanmoins ilsemblequ’aucunedeshypothèsesdéveloppéesavantledéve- loppementdestechniquesd’imagerienepuisseêtre clairement validée.

Le phénomène n’est donc ni purement moteur ni pure- ment sensoriel. De plus, les émotions semblent jouer un rôle nonnégligeabledansleshallucinationscommelemontrentles activations sous-corticales. La difficultéà caractériser le réseau cérébral impliqué dans les hallucinationsest sans doute égale- ment liée à la complexité de l’expérience hallucinatoire. Une proposition intéressantedeWoodruff en2004 est d’ailleursde sefocalisersurlescaractéristiquesdel’hallucination,surlesdif- férents processus qui amènent le patient à les décrire comme desperceptionsréelles,avantdemettreenévidencelesréseaux cérébraux impliqués[61]. Enfin, d’autres auteurs suggèrent que les mécanismes complexes qui sous-tendent ces processus ne doivent pas seulement être analysés en terme de localisation de structures cérébrales et d’anormalités fonctionnelles, mais également en fonction de la connectivité entre les aires céré- brales qui sont devenus une composante centrale des théories contemporaines[62].

Modèles explicatifs des hallucinations

dans les approches cognitives

Depuis les années1990, les neurosciences et notamment les sciencescognitives se sontintéressées à la compréhension des phénomèneshallucinatoires,enutilisantlesdonnéesissues des recherchesenneurobiologieetenimageriecérébrale,maisenpre- nantégalementencomptelesobservationscliniquesquimettent enévidencedestroublesdelapenséeetdel’actiondespersonnes expérimentantcesmanifestations.Plusieursmodèlesthéoriques, qui reposent autant surles hypothèsesdéveloppées au XIXe et auXXesièclequesurlesapportsrécentsdel’imageriecérébrale, ontdoncétédéveloppésensciencescognitives.Nousprésente- ronsci-aprèslessixprincipauxmodèlesquitententd’expliquer cephénomène:l’hypothèsed’uneimageriementaletropvive[63], l’hypothèse d’un troubledela planification du discours (Hoff- man,1986;1999)[64,65],l’hypothèsed’untroubledelamémoire delasource(Bentall,1990)[66];etenfinlesmodèlesquiproposent de décrire les erreurs d’attribution dans les hallucinations des personnessouffrantdeschizophrénieensebasantsurl’idéede consciencedel’actionetsurlanotiond’agentivité:l’hypothèse d’untroubleducontrôledel’action(Frith,1992)[67]etl’hypothèse d’untroubledel’attributiondesactions(Jeannerod,2003)[68].

Miseàpartlathéoriedel’imageriementaletropvive,quirepose sur l’idée d’uneorigine perceptive des hallucinations, tous les modèlesprésentésavancentundéfautd’attributiondu langage intérieur,quel’onpeutdoncassimileràuneorigineproductive deshallucinations.

Hypothèse d’une imagerie mentale trop vive

Cemodèle,quiproposeunlienentrereprésentationmentaleet hallucinations,estbasésurl’hypothèsedéveloppéeparBierrede BoismontauXIXesiècle.Seloncetauteur,l’hallucinationpourrait êtrerésuméeàunesimplemajorationdel’imagementale.Dans lesannées1970,Horowitzarepriscettehypothèseendistinguant troistypesdereprésentationsmentales:lesreprésentationslexi- cales,lesreprésentationsimagéesetlesreprésentationsmotrices ouénactives[69].Ilaégalementproposédediviserlesreprésenta- tionsimagéesenfonctiondesmodalitéssensoriellesimpliquées, celles-ci étant dominées par les images visuelles et auditives.

L’hypothèsed’uneimageriementaletropviveestdoncbaséesur l’idéed’unevivacitédesreprésentationsimagéesauditivesparrap- portauxautrescatégoriesdereprésentations.Ainsi,aucoursdes hallucinations,lesimagesprendraientlepassurlesreprésenta- tionslexicaleseténactives tandisque,demanière générale,un niveau de fonctionnement trop important de ce système pré- disposeraitauxphénomèneshallucinatoires.Chezlespersonnes souffrantdeschizophrénie,lesreprésentationsmentalesauraient doncunequalitéperceptiveplusimportanteetdeviendraientplus difficilesàdistinguerdesperceptsd’origineexterne.

Cetteexplicationdesphénomèneshallucinatoiresparlaviva- cité de l’imagerie mentale a aussi été proposée par Mintz et Alpert[63].Cesauteursontmisenévidenceuneassociationentre imagementaleviveetprédispositionauxhallucinations,etconsi- déraient ce phénomène comme le produit de la combinaison d’une imagerie mentale trop intense avec un déficit de reality testing,commenousleverronsplusloin.

Néanmoins, des études comportementales ont infirmé cette hypothèseenmontrantqu’iln’existepasderelationdirecteentre lavivacitédesreprésentationsmentalesmesuréessubjectivement etlasévéritédeshallucinationsauditives[51].D’autresauteursont égalementfaitremarquerqu’iln’yapasdelienentrel’intensité d’unereprésentationetlacroyancedanssaréalitéperceptive[70]. Eneffet,lespersonneshallucinéesentendentparfoistrèsfaible- mentleursvoix,cequi nelesempêchepasdecroirefortement dans la réalitéde celles-ci. À l’inverse, des individusnormaux peuventexpérimenterdemanièretrèsfortedesévénementsmen- tauxsansquecelalesempêched’enassumerlaproduction.Un telargumentnes’opposepasvraimentàl’hypothèsequifaitdes hallucinationsdesimagesmentales,encesensqueleproblèmene

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