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ALA RECHERCHE DU «SENS» Xavier Grall ME DEVORE

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Academic year: 2022

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Xavier Grall

L'INCONNU DEVORE ME

!MI

es filles, je vous appelle Divines. Divine, c'était le nom que Saint-Pol Roux avait donnéàson unique enfant. Que je vous appelle Divines, chacune d'entre vous, puisque c'est à chacune d'entre vous que j'adresse ces lignes de méditation, de confession placées sous le signe de Dieu.

Vous vivez dans une époque étrangement mesquine. On a remisé les questions fondamentales dans le placard. On a fait de la Lune un objet fabuleux. Mais c'est toute la création qui est fabuleuse, et très probablement amoureuse. Tout aime. Tout est habité par l'amour. Le cep se trouve enlacé par le tronc avide de la vigne. Voyez les bêtes comme elles se cherchent, s'embrassent dans l'herbe et dans les eaux. L'imperfection de la nature c'est la douceur du péché. Dieu ne s'est pas retiré tout àfait de ce qui vit, de ce qui naît, de ce qui remue àla surface de la terre. Il a laissé en chacun et en tout les traces de sa présence. Et tout est nostalgie

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A LA RECHERCHE DU « SENS»

L'inconnu me dévore

de lui. Et vous aussi vous porterez sa nostalgie même si vous ne la reconnaissez pas. Ces traces, traduisez-les.

Par les nuits tombées, aimez à regarder les étoiles. Ce firmament éclaté de fulgurances appelle le Père qui s'est retiré dans les régions obscures. Les constellations dansent comme des houris la ronde de l'absence. Aimez à entendre le vent gémir d'être privé du souffle souverain. Et regardez la Mer prier le Grand Amant de revenir au plus tôt marcher sur les eaux.

Mes filles, mes Divines, pourquoi me sens-je contraint de vous laisser ce livre comme un testament spirituel? Quel mystère m'y pousse? Quelle main m'a frappé qui me dit qu'il est temps? Ah, je n'ai rien écrit encore. Rien laissé sur le sable. Rien imprimé sur la pluie et le vent. J'ignore le nom de cette force obscure. J'ai l'impression d'écrire sous sa dictée. Il n'y a que Dieu, voilà le vrai et toute entreprise est quête de lui. Une quête qui parfois s'ignore, s'égare ou se pervertit. Mais c'est ainsi.

Vous n'irez pas à lui par la théologie. Si Dieu était explicable et démontrable, il ne serait pas. Ce n'est que par la tendresse que vous le découvrirez. Vous franchirez avec les ans, les unes après les autres, les portes du palais. Il sera tout au bout, il sera tout au fond comme un grand soleil qui féconde et caresse.

Ayez la foi, le reste vous sera donné de surcroît.

C'est à la mort de mon Père que j'ai senti l'abîme se creuser en moi. Et il faut bien que se créent les abîmes pour que s'y engouffrent les vives forces de vérité. L'eau ne coule jamais que là où se lézarde la terre.

J'étais arrivé trop tard pour assister, comme on le dit, à ses derniers moments. Il reposait dans le salon, rigide et pacifique comme un vieil arbre foudroyé. Lesfenêtres du salon étaient fermées.

Un court filet de jour courait sur son visage. Ses mains blanchies serraient un rosaire. C'est de cet homme mort étendu dans sa sérénité que je tenais ma vie. Mon sang battait à contempler ce fils de Dieu

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qui avait eu son histoire, qui avait aimé, qui avait souffert et qui n'était plus. A sa façon, il avait été Moïse. Et il avait été le charpentier. Et maintenant la corruption allaits'emparer de son corps et de son sang.

Après deux jours de veillée, où fut dite l'admirable imploration«Mon âme attend le Seigneur comme un soldat attend l'aurore »,sont venus les atroces hommes en noir qui l'ont soulevé pour le mettre en bière.

C'est une minute cruelle où les veines des vivants ont envie de hurler.

Ils l'ont porté au-dessus d'eux et il était inerte vraiment, et l'image que j'avais de lui s'est trouvée offensée et humiliée. Il avait été le Père, il avait été le mouvement, le rire, la colère, la peine. Et il était maintenant porté par ces hommes, une chose pitoyable, presque dérisoire.

C'estàpartir de ce jour que j'ai recommencéàcroireàl'Amour.

L'âme de mon Père circulait dans les choses que mes yeux créaient.

Elle était dans mon âme. Elle était dans l'odeur du jardin et dans les yeux de ma mère. L'amour sauvait cet homme qui trois jours auparavant avait rendu son dernier soupir. «Ne me fais pas mal »,

avait-il dit àJean, mon frère qui est médecin et s'apprêtait à lui administrer une piqûre. Et puis ses yeux s'étaient fermés à tout jamais.

Il y a deux ans de cela. Depuis j'ai mis un accent grave sur tout et ne pensez pas que cet accent soit obligatoirement quelque chose de triste. C'est au dies irae que l'on découvre le jour et combien nous sommes nus quand le Père s'en est allé et qu'il ne s'en viendra plus franchissant gaiement, royalement, le seuil de sa maison. Oui, l'abîme alors s'est creusé où s'est engouffré le flot de tendresse.

Le Père n'est pas l'ennemi comme le prétendent les docteurs du siècle. Il est le grand ami qui veille sur le jardin et qui nous donne son corps à manger pour que nous n'ayons pas faim. Il est l'ambassadeur d'un lointain pays dont il connaît à peine le prince adorable et dont il applique la loi tantôt avec rigueur, tantôt avec indulgence. Ah si ce temps, en rage d'orphelinat, tirait moins sur le Père, sans doute serait-il plus heureux! Le Père a délégation de Dieu pour transmettre et enseigner la vie. J'applique àvotre endroit

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A LA RECHERCHE DU « SENS»

L'inconnu me dévore

cette tâche sainte et à travers moi, mes Divines, c'est Dieu que vous servirez.

Mon Père dormant, mon Père que je ne verrai plus et que vous ne verrez plus, là-bas sous les fleurs de Bretagne, poussière devenu, implorez-le puisqu'il faut croire que survit son esprit par-delà la défection charnelle.

M

es filles, vous aimerez cette terre jusqu'à la passion.

J'aime à croire que dans le grand dessein, notre planète se trouve privilégiée. Et tournent les constellations autour de la plus adorable, de la plus aimée. «Vue de là-haut la terre est magnifique et toute bleue », ont affirmé les premiers cosmonautes. Vous parcourerez cette patrie humaine, vous laisserez traîner vos pas sur ses chemins. Vous irez par les plaines et par les villes. Vous presserez de vos mains la joie de la terre. Tous ces voyages que je n'ai pas pu accomplir, et ces pèlerinages, puissiez-vous les accomplir en mon nom.

J'ai tout aimé. Et ma sagesse fut d'aimer follement. Comment croire que Dieu n'existe pas quand au large de mon pays se dresse l'infini de la Mer? Comment croire que Dieu n'est pas quand sous le coup d'un mortel malheur crie un enfant dans la ville fermée?

Dieu, je n'ai cherché que Lui dans le silence du désert, dans le verre de l'absinthe, dans le lit des plaisirs. Combien m'a-t-il fallu de jours pour mettre un nom sur cette soif et sur cette insatisfaction! J'ai aimé.

Je me glorifie d'avoir aimé. 0 feu où je me suis traîné. 0 à travers la boue, la lampe brillait. Mes filles, vous n'y échapperez pas. Vous vivrez et peut-être vous détournerez-vous un temps de ma parole donnée. Vous y reviendrez à travers des larmes. Viendra la joie mes Divines. Et pour vous qui retournerez à la bergerie, la nuit rira de bonheur. Le matin est là, à portée. Et il nous échappe. Et il nous vient un jour plus frais que la fraîcheur des fontaines.

J'ai tout aimé. C'est mon honneur. Vous ne me retirerez pas cela. Non pas cela. Pas cette faim en moi des autres jusqu'à m'enivrer,

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pas cette gourmandise-là. Tous les chemins courent entre les haies d'été vers la rencontre heureuse d'Emmaüs. Et nous sommes sauvés et nous ne le dirions pas?

Mes filles, mes Divines, c'est une révélation. J'ai eu ma préhistoire, mes millénaires de cavernes. Et puis mon temps de poèmes et de bibles. Et voici venue mon ère chrétienne et les lacs de Samarie comment pourrai-je vous les donner à voir? Et la douceur de Christ quand il a touché Lazare de ses humaines mains? Et les larmes qui coulaient de ses yeux quand il avait appris que son ami s'était abîmé dans la mort. Vous aurez vos ténèbres et vous posséderez votre matin. Chaque être recommence pour son propre compte le cycle de l'humanité. En raccourci.

J'ai tout aimé. Et j'aurai aimé aller au-delà des êtres. Y pénétrer comme une troupe de soldats dans une ville, y annoncer l'aurore enfin venue après tous ces cauchemars si longtemps assemblés. Un jour je me vêtirai du tissu de miséricorde et vous aussi, à votre heure, vous vous habillerez de cette admirable parure.

J'ai tout aimé: hommes, femmes, enfants. Sources, lacs, forêts.

Montagnes, plaines, vallées.Je porte le souvenir presque douloureux tant il est intense du Maghreb et ce souvenir m'aide à imaginer, avec quelque ressemblance, la vie charnelle de Christ. Mes narines ont respiré les mêmes odeurs que ses narines. Mes yeux ont vu les mêmes paysages sous le soleil et n'étaient-ce pas ses frères, ces nomades de Ksar-es-Souk foulant la terre du matin après le lourd sommeil au fond d'un caravansérail plein d'ombres et de misères?

Vous aimerez la Joie, vous aimerez l'Amour. Vous irez par la terre recréant les paysages que j'aimais, bénissant la lumière et vous parant d'aurore.

Mes filles, mes Divines, je vous conjure d'admirer. Tout est fabuleux pour qui sait regarder. La fraîcheur du regard est le commencement de la sainteté. Détournez-vous des gens masqués et de l'imbécillité des aveugles. J'ai tendance à croire que tout est fabuleux de ce que frôlent nos yeux et de ce que prennent nos mains.

Les bénisseurs possèdent cette terre.

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ALA RECHERCHE DU « SENS»

L'inconnu me dévore

J'ai tout aimé: les ports gonflés de rêves. Anvers, Amsterdam, ces grands poumons du Nord, ces coques de fer sur le doux clapot des vagues, ces cargos gorgés de richesses et cette animation insensée des peuplades sous la rage des goélands. La vibration des drisses, le miaulement des remorqueurs, l'appel des matelots. Et Dieu là, poussant ses fils à le chercher dans la nostalgie des climats, dans l'or des marchandises. Et le galop des cloches dans les beffrois flamands. J'ai tout aimé: les havres de Bretagne à l'abri sous les pins tandis que dansent les malamocks sur le flux des marées. Le sel!Le soleil! Et ces voiles qui couraient sur la baie de Concarneau comme des âmes inquiètes, errantes cherchant le paradis. J'ai tout aimé. Je me suis rassasié d'amour. Les pistes sont pleines de traces.

Et les vases ne recouvrent pas les ancres de miséricorde. Je voudrais, face à la vie, vous savoir sans crainte et sans tremblement. Si Dieu vous l'a donnée cette vie, c'est qu'elle est bonne et féconde.

L'athéisme est un recroquevillement, une barque immobile. La foi est porte ouverte, seuil franchi, affranchissement, bruit des pas sur la route, bonne brise, voilier filant aux îles. Mes Divines, la foi est aventure, vent claquant, souffle, envolée de colombes, voile gonflée.

Partez, partez au nom de Dieu [...

J.

O

ui, j'ai aimé tout ce qu'il est possible d'aimer. J'ai aimé l'amitié, j'ai aimé l'amour. Je les ai aimés aussi sauvage- ment que la mer aime la rive. Comme le vent aime l'arbre. Je ne regrette pas cette avidité tremblante. J'ai donné, j'ai jeté ma vie, dans les bars et dans les cœurs. Je fus comme une auberge jamais fermée.

J'ai jeté ma vie dans les rapsodies, les sagas, les ballades. J'ai aimé les matins et les soirs. Et les arbres. Et les bergeries. Et toutes les demeures humaines plantées dans l'éternel poème de la création.

Quelle grâce insensée, presque tragique à force d'être violente! Je vous en fais, mes Divines, les héritières.

J'ai aimé tout ce qu'il est possible d'aimer. Et c'est par ce canal brûlant que j'ai participé à la haute musique du monde et à la vérité de Dieu. J'ai aimé, j'ai pleuré, j'ai béni. J'ai aimé le soleil, les chiens humiliés, j'ai aimé mon pays, je me suis battu, j'ai admiré.

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J'ai eu la perception presque physique du bien et du mal.

C'était parfois atroce et quelquefois merveilleux. Je sais à présent que le mal est une ineptie et l'incroyance, une incroyable infirmité.

Je sais que la fête existe et je peux vous dire aujourd'hui que c'est cette certitude qui m'a poussé àvous écrire cette folle missive.

Je fus créé. Et j'ai créé. J'ai honoré mon Père et j'espère que vous honorerez aussi mon pauvre nom, afin que vous vous reliiez aux vérités fondamentales de l'humanité. J'ai cru longtemps, dans mon pessimisme tenace et navré, que l'Histoire n'avait pas de sens et que l'humour de Dieu s'enracinait dans quelque cruauté inimaginable. Je ne suis pas loin de croire aujourd'hui que cette Histoire emprunte quelque route providentielle et qu'en définitive, malgré les embardées, les guerres qui tombent sur les saisons, les égarements de la pensée, les servitudes, les chaînes, le sang et la mort, l'homme sort gagnant de tout. L'espèce joue àcache-cache avec son Créateur. Ah oui, je tiensàvous le redire, Dieu est poésie et la poésie c'est de l'amour.

Je m'en irai à l'Esprit comme un vagabond chanteur de rue et j'aimerais dire dans un dernier souffle le mot «bonjour»,

J'ai aimé tout ce qu'il est possible d'aimer. J'ai ri avec le rire de la mer. J'ai pleuré avec les détresses des oiseaux. J'ai ragé, j'ai piaffé d'amour sur tous les chemins. Salutles hommes, disais-je, salut les seigles, salut les blés, salut les villes [...].

Le christianisme, mes Divines, c'est cette longue respiration.

Cette amplitude de l'âme. Un fleuve. Un large et puissant fleuve-Amour. Vous vous y baignerez.

Je m'en irai, je me dissoudrai dans l'amour des étoiles et des mondes et je retrouverai mes mortes parentés avant de revivre avec elles dans le pays impérissable.

Je m'en reviendrai avec ma musette pleine de larmes, de livres et de rêves et à mon tour, je dévorerai l'Inconnu dans une ineffable et éternelle étreinte. Je m'en viendrai avec la souvenance des

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ALA RECHERCHE DU « SENS»

L'inconnu me dévore

paysages et des peuples. Chanteront les mers, danseront les galaxies, tressailleront les fleuves.

Donner, se donner, nous sommes tous dans la main du Grand Amant et les premiers balbutiements de notre adoration sont les premiers moments de notre dignité.

A Dieu, je m'abandonne. Les oiseaux de Juin descendent dans le verger.

Xavier GraU

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