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Genius loci dans l'antiquité gréco-romaine : généalogie et valeurs

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Acade´mie de Bordeaux

GENIUS LOCI

DANS L’ANTIQUITE

´ GRECO-ROMAINE :

GE

´NE

´ALOGIE ET VALEURS

INTRODUCTION

L’expression « ge´nie des lieux », genius loci, e´voque pour nous le caracte`re particulier d’un lieu, dote´ d’une atmosphe`re ou d’un charme myste´rieux. Dans le cadre de cette pre´sentation, nous allons remonter a` la notion ge´ne´rale du Genius latin et tenter de cerner ce que l’expression en usage encore aujourd’hui doit a` sa ge´ne´alogie.

Tout en empruntant une se´rie de caracte`res au daemon grec, le Genius fut ne´anmoins une entite´ foncie`rement latine et romaine, qui connut de nombreux de´veloppements, et ce de`s l’e´poque classique. Dans les sie`cles suivants, elle fut objet de critique, voire de rise´e, mais aussi de re´interpre´tations diverses, notamment chez les auteurs chre´tiens, jusqu’a` l’e´poque contemporaine, et ce colloque qui s’ouvre en apporte une e´clatante illustration.

GENIUS, DOUBLE SPIRITUEL ET DIVIN

A l’e´poque archaı¨que − dont nous avons peu de te´moignages e´crits, les dieux romains n’e´taient gue`re individualise´s et le culte qui leur e´tait rendu avait lieu le plus souvent en plein air, sur des autels de verdure. Sous l’influence de la Grande Gre`ce (Sicile et sud de l’Italie), par le biais e´galement de l’Etrurie, qui fut tre`s toˆt au contact des Grecs par des e´changes commerciaux, puis directement de la Gre`ce, la religion romaine e´labora son propre panthe´on des grands dieux− Jupiter, Mars, Quirinus, Junon, Minerve, Diane, Ve´nus, Mercure, Bacchus, ...Mais elle produisit e´galement des se´ries tre`s fournies de divinite´s aux pre´rogatives restreintes, les dieux dits indigitamenta− listes de menus dieux sans preˆtre spe´cial, qui e´taient comme la monnaie, ou la familia de quelques

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18 GENIUS LOCI DANS L’ANTIQUITE´ GRECO-ROMAINE : GE´ NE´ ALOGIE ET VALEURS

« grands », compose´e d’esclaves pre´pose´s aux diffe´rentes fonctions de la vie. Les noms de ces dieux e´taient des noms d’agent : ils prenaient soin, par exemple, des gonds, des serrures, du seuil ; de l’enfant, de sa conception jusqu’a` l’aˆge adulte. Cet e´miettement de fonctions et de divinite´s affe´rentes a suscite´ des commentaires sarcastiques des premiers auteurs chre´tiens. Saint-Augustin, par exemple, se demandait avec quelque malice si « le jeune marie´ avait besoin de l’assistance d’une dizaine de divinite´s diffe´rentes la nuit de ses noces ? »

Plutoˆt que d’y voir un coˆte´ « fruste » des soldats-laboureurs romains, Geor-ges Dume´zil1 propose d’y reconnaıˆtre l’e´volution de la socie´te´ romaine, dans laquelle, de`s l’e´poque re´publicaine, des nue´es d’esclaves e´taient pre´pose´s a` des taˆches bien particulie`res, et toujours les meˆmes, dans les grands domaines agricoles, ou dans les maisons de maıˆtre en ville.

Le mot Genius est forme´ sur la racine gen-, geno, -is et gigno, -is, genui, genitum, gignere : « engendrer, puis, par extension, « produire, causer ». « Le Genius est d’abord une divinite´ ge´ne´ratrice qui pre´side a` la naissance de quelqu’un »2. Selon G. Dume´zil, cependant, il est difficile de de´terminer si cette racine posse`de une valeur active ou passive, si elle signifie « engendrer » ou « naıˆtre » : « faut-il comprendre qui gignit, « qui fait naıˆtre » ou qui genuit, « qui est ne´ » ? Dans les deux cas, quel est le sujet, qui engendre, ou qui naıˆt ? » Car il n’est pas suˆr que le sens meˆme de Genius, substantif archaı¨que et d’un type rare, soit actif. En effet, par comparaison, le compose´ ingenium, qui est d’un type plus courant mais ancien lui aussi, n’a qu’un sens passif, a` coˆte´ du verbe actif ingignere « faire naıˆtre dans », mais ingenium n’est pas « ce qui fait naıˆtre dans, ce qui inculque, mais « proprie´te´, qualite´ inne´e (ou : caracte`re, tempe´rament) », quod ingenitum est3.

Georges Dume´zil propose de voir dans Genius non pas avant tout « ce qui engendre », mais la somme physique et morale de ce qui vient de naıˆtre. Genius, au genre anime´, apparaıˆt individualise´, personnalise´ et, dans une large mesure, divinise´. Ainsi se de´gage dans la religion romaine, avant meˆme son e´mergence dans le droit, l’ide´e forte de « la personne », spe´cifique et singulie`re, appele´ a` une longue destine´e.

La question fut pose´e e´galement de savoir si, a` l’instar des hommes, les femmes avaient un Genius, conside´rant qu’a` l’e´poque classique, on parle de Junon, 1La Religion romaine archaı¨que avec un appendice sur la religion des Etrusques. Paris, Payot, 1974 ; 2000.

2 A. Ernout et A. Meillet, Dictionnaire Etymologique de la langue latine. Histoire des mots. 4e Edition, Paris, Librairie Klincksieck, 1959.

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comme double de la femme. Dans une des Lettres a` Lucilius (19, 110), Se´ne`que e´voque ceux « qui donne`rent a` l’homme son Ge´nie, a` la femme sa Junon ».

Le Genius participe certes de la force qui engendre, mais il est avant tout le re´sultat final que constitue un individu particulier, avec ses caracte`res propres et ses traits individuels. En tant que tel, il est invoque´ dans de nombreuses circonstances de la vie, dans des formules ou` s’exprime l’e´motion ou l’engagement de celui qui l’invoque. Genius apparaıˆt dans des formules compose´es avec des verbes tels que « supplier » (obsecro), « jurer » (juro), « ce´le´brer » (concelebrare), ...

Ce genre d’invocations apparaıˆt fre´quemment dans le the´aˆtre de Plaute, ou` Genius est employe´ avec son doublet : « animus », avec un sens proche de celui du pronom re´fle´chi. Ainsi dans l’expression : Genio / animo indulgere : « satis-faire », ou « prendre soin » de son double, de son Genius. Se laisser aller a` ses penchants naturels (surtout, par euphe´misme, pour la boisson). Mais c’est aussi le ce´le´brer comme un heureux hasard, une heureuse rencontre, il est alors synonyme de bonne fortune.

Genius est e´voque´ e´galement lors des ce´re´monies du mariage, ou` des rites spe´cifiques mettent a` l’honneur le mari et son Genius, auquel la nouvelle e´pouse rend hommage (in honorem Genii ; maritorum Genios advocatis). Il faut consi-de´rer qu’au moment ou` s’e´tablit la condition mate´rielle et le cadre juridique des naissances (et donc des Genii) a` venir, il est naturel que soit e´voque´e la naissance de celui qui sera l’agent de ce prolongement. Genius n’apparaıˆt donc pas directe-ment comme le dieu de la procre´ation : il est plutoˆt le double spirituel d’un homme, tel qu’il est venu au monde, issu d’une suite d’autres hommes dont chacun a eu son Genius, et appele´ a` mettre au monde, a` travers des fils, une autre suite dont chaque terme aura aussi son Genius. Ce n’est pas du point de vue sexuel, − d’ailleurs la partie du corps humain mise en rapport avec le Genius n’e´tait pas l’organe sexuel, mais le front − (Serv. Aen. 3, 607), c’est du point de vue de la gens, en tant que groupe de tous ceux qui se rattachent par les maˆles a` un anceˆtre maˆle [et libre] commun. C’est par e´gard a` la continuite´ des ge´ne´rations et donc des Genii, que se comprennnent et la conse´cration du lit nuptial au Genius du repre´sentant actuel de la se´rie, et l’hommage rendu a` ce Genius par celle qui e´te´ choisie pour continuer la se´rie.

DIVINITE´ TUTE´ LAIRE

Genius est aussi un « dieu » : Genius est deus, nous dit Censorinus « sous la tutelle de qui chacun, de`s l’instant de sa naissance, est place´ pour toute sa vie » et qu’il honore par des sacrifices et des libations. Nous en trouvons un e´cho dans une Ode d’Horace (3,17) :

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Tandis qu’il en est temps encore, mets a` couvert ton bois sec. Demain, avec un vin de´licieux, et un porc de deux mois, tu sacrifieras a` ton bon Ge´nie.

Ces libations e´taient fre´quentes et particulie`rement indique´es le jour de la feˆte du Genius − car il en posse´dait une. Cette feˆte e´tait, pour chacun, le jour anniversaire de sa naissance, son dies natalis (Censor. 2, 3). Nous posse´dons de nombreux te´moignages de cette feˆte importante pour la maisonne´e tout entie`re, qui ce´le´brait son paterfamilias. Au culte de ce Genius, toute la familia participe : « chacun de vous se doit de le feˆter » dit un paterfamilias le jour de son anniversaire (Pseud. 165) ; mais c’est une participation ordonne´e, qui laisse les premiers gestes au principal inte´resse´. Censorinus e´crit dans son ouvrage intitule´ pre´cise´ment Livre du jour natal (2, 3) : « Pourquoi et de quelle manie`re on sacrifie au Ge´nie pur. /.../ Ce jour donc, comme le dit Perse, “Marque-le du meilleur caillou”, /.../ et, suivant ce qu’ajoute le meˆme poe`te, “Verse le vin pur au Ge´nie” ».

Si le Genius est ainsi, a` la fois ou suivant les points de vue : la personnalite´ qui s’est constitue´e a` la naissance de la personne, un double de celle-ci, pre´sentant ses caracte`res et ses gouˆts, et enfin un eˆtre se´pare´ d’elle qui la prote`ge : il est naturel que les autres, dans leurs rapports avec elle, la mettent a` l’honneur. Ainsi se comprend l’usage, atteste´ dans les come´dies, que l’esclave jure par le Genius de son maıˆtre, et la fre´quence d’inscriptions votives d’esclaves au Genius du maıˆtre. L’esclave (tout comme les animaux domestiques ou sauvages) n’a pas de Genius propre : il ve´ne`re celui de son maıˆtre. Dume´zil re´sume son statut d’une formule sans appel : « Le seruus n’a pas plus de personnalite´ religieuse que d’existence juridique »4.

LE GENIUS DANS LE CULTE PRIVE´ ET LE CULTE PUBLIC

Avant de s’enrichir des repre´sentations du daıˆmon et du daı¨mon agathos des Grecs, que nous e´voquerons plus loin, le Genius a d’abord fait partie des dieux domestiques et il fut honore´ comme tel, en compagnie d’autres dieux du foyer : les Lares et les Pe´nates. Les Lares sont divers− Lar familiaris, Lares compitales, − ces derniers prote`gent les lieux, maisons et domaines. Les deux sont en relation avec Genius.

Le Lar familiaris est conside´re´ de manie`re assez univoque dans l’Aululaire (La Marmite) de Plaute, non comme un dieu mais comme l’esprit du fondateur de la famille, il est donc le gardien et protecteur de celle-ci. Quant aux Pe´nates, 4 Georges Dume´zil, Mariages indo-europe´ens. Suivi de Quinze questions romaines. Payot, Paris, 1979, p. 332.

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ils sont exclusivement au de´part les divinite´s du penus, le garde-manger, de la « partie la plus recule´e de la maison », et d’ailleurs ils la de´signent me´tonymi-quement. On lit chez Tacite, par exemple :

On a confie´ le soin de la maison et des pe´nates ainsi que des champs aux femmes, aux vieillards et au plus faible de la famille.

« Pe´nates » s’oppose ici a` « champs », comme l’inte´rieur de la maison et la vie domestique a` tout le domaine avec ses activite´s exte´rieures.

Dans une e´pıˆtre d’Horace, nous trouvons une association inte´ressante de divinite´s dans laquelle entrent e´galement les Pe´nates :

Aussi, par ton Ge´nie, par ta main droite, par tes Dieux Pe´nates, je t’en prie, je t’en supplie, rends-moi a` ma premie`re existence » (Ep. I, 7, 94-95).

Il s’agit ici d’un serment dans lequel la dextra est invoque´e comme le symbole de la valeur religieuse ine´branlable du serment ; Genius, dextra et Penates ont en commun d’eˆtre ce que l’interlocuteur posse`de de plus personnel et de plus pre´cieux.

Ces trois sortes de divinite´s paraissent avoir e´te´ ve´ne´re´es dans les meˆmes chapelles, ou laraires, de`s le IV-IIIe sie`cles. Mais les premie`res traces arche´ologi-ques certaines de leur culte se trouvent dans les plus anciennes maisons de Pompe´i (dernier quart du Ve sie`cle jusqu’a` la fin du IIIe.) Le laraire des dieux domestiques est situe´ dans la cuisine − lieu du focus, du feu et du foyer. Le focus, c’est e´videmment le feu qui sert a` cuire les aliments et le mot a alors un sens profane, mais c’est aussi le foyer autour duquel ont lieu les sacrifices de la religion domestique, et, comme en franc¸ais, il a un valeur affective.

Dans la majorite´ des cas, c’est une petite chapelle en forme de niche, plaque´e contre le mur, ou encore une peinture. Celle-ci repre´sente le plus souvent un autel orne´ de feuillages, encadre´ par deux serpents. A Pompe´i, dans une peinture murale place´e sur un mur de cuisine, on peut voir deux zones nettement se´pare´es dans le sens de la hauteur : en bas, deux serpents sont affronte´s de chaque coˆte´ d’un autel sur lequel sont pose´s des œufs et des fruits− les deux serpents repre´sentent le genius du mari et celui de l’e´pouse. En haut, deux Lares − repre´sente´s en tunique courte avec un pas dansant sur la pointe des pieds− encadrent une sce`ne centrale avec un second autel, de´core´ de feuillages : a` gauche, un preˆtre, suivi par un aide, conduit un porc vers l’autel ; a` droite, un Genius veˆtu de la toge pre´texte, tient dans sa main droite une corne d’abondance (sur d’autres repre´sentations, de la main gauche, il tient une coupe a` libations). Le serpent figure le Genius, mais souvent en paralle`le avec des repre´sentations anthropomorphiques.

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Il serait beaucoup trop long ici de parler pre´cise´ment du daemon grec, mais nous voudrions pointer quelques occurrences inte´ressantes pour notre propos sur Genius. Le daemon est d’abord divin et le mot est synonyme de theos « dieu », chez Home`re. C’est plus tard, a` partir d’He´siode, qu’il de´signera e´galement des divinite´s infe´rieures, dieux, demi-dieux, et des he´ros, issus des aˆges d’or et d’argent. Ces entite´s remplissent un roˆle interme´diaire − et d’interme´diaires − entre les dieux et les hommes. Progressivement, le terme se vide en partie de son contenu divin pour se rapprocher du sens de tyche, destin, fortune− bonne ou mauvaise. D’ailleurs, son e´tymologie rattache daemon a` do, dare, daiein : donner, recevoir sa part de bon et de mauvais, destin. L’agathodaemon, le bon ge´nie, est paralle`le a` agathe tyche, ce que le Latin Pline traduit par Bonus Eventus et Bona Fortuna. Cet Agathodaemon e´tait invoque´ dans les repas et on lui faisait une libation de vin pur − rite que nous avons de´ja` rencontre´ dans le monde romain. On trouve aussi comme pendant a` Tyche, au lieu de l’agathodaemon, le dieu Tychon, dont les attributs sont ou le phallus, symbole de la fe´condite´, ou le serpent.

Dans la religion grecque, le daemon a fini lui aussi par se morceler en autant de « de´mons » qu’il y a d’hommes, et il finira meˆme par se scinder en deux : l’un bon, l’autre mauvais− nous ne sommes plus si loin de l’ange gardien et du « de´mon tentateur » des Eglises chre´tiennes.

Pour revenir a` Rome, il semble que le ve´ritable lieu du culte des dieux domestiques soit la table, situe´e devant le foyer, ve´ritable autel du culte prive´. La diffe´rence entre les deux re´side, en fait, dans le type d’offrandes que l’on y de´pose : tandis que l’autel est re´serve´ aux sacrifices sanglants, la table rec¸oit les offrandes telles que galettes et gaˆteaux, fruits, œufs, sel, boissons, ou encore tel mets conside´re´ comme particulie`rement cher et traditionnellement consacre´ a` telle divinite´. Ce lien avec la table trouve du reste une confirmation dans la grande fre´quence avec laquelle les laraires de Pompe´i sont situe´s dans l’atrium ou dans la cuisine : l’atrium e´tait originellement la seule pie`ce de la maison, et la table familiale s’y trouvait donc.

La persistance de ces cultes domestiques fut tre`s longue puisque le dernier empereur romain a` re´gner a` la fois sur l’empire d’Occident et d’Orient, The´odose le Grand, dut interdire par de´cret, dans le code qui porte son nom, d’honorer les dieux domestiques paı¨ens, et, en particulier, de faire des offrandes avec « du feu aux Lares, du vin pur au Genius, du parfum aux Pe´nates ».

Multiplie´ ainsi a` l’infini, un par individu, Genius est une notion riche et complexe, elle a donc trouve´ des extensions multiples, non seulement dans le culte domestique prive´, mais e´galement dans le culte public, sur lequel veillaient avec un soin sourcilleux le Se´nat et les diverses instances administratives et

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politiques. Une analogie naturelle a conduit, a` une e´poque que l’on ne peut non plus pre´ciser, a` preˆter un Genius aux dieux meˆmes : ne sont-ils pas des « personnes » comme les hommes et, a` de´faut de mort, n’ont-ils pas, dans la mythologie helle´nisante, une naissance ? On trouve des te´moignages sur des offrandes faites a` Genio Jovis et aussi la mention d’un Genius Junonis chez le poe`te Martianus Capella.

Un Genius est e´galement attribue´ a` des groupements de personnes− a` des « personnes morales » en quelque sorte : et donc a` la famille, a` l’Etat, aux provinces, aux colle`ges, aux unite´s militaires. Egalement a` la Ville de Rome, qui e´tait « ne´e », avait son dies natalis.

GENIUS LOCI

Plus e´loigne´ encore de la de´finition stricte, mais facilite´e par l’assimilation du Genius au Lare− particulie`rement aux Lares compitales, gardiens des carre-fours et, a` la campagne, des domaines qui les jouxtaient, l’ide´e s’est forme´e que chaque lieu avait son Genius, nullus locus sine Genio (Serv. Aen. 5, 95). En effet, collines, sources, vallons avaient leur genius loci, divinite´ protectrice, que les Romains ce´le´braient et auxquels ils faisaient des sacrifices.

Lors de travaux agricoles, si un paysan devait, par exemple, couper des arbres, il cherchait a` amadouer la divinite´ du lieu en lui faisant un sacrifice, accom-pagne´ de la formule : siue mas siue femina, « que tu sois homme ou femme ». G. Dume´zil propose de voir dans cette inde´termination de genre une pre´caution toute juridique, selon l’esprit dans lequel ont excelle´ les Romains.

Dans la litte´rature latine, notamment dans un de ses plus remarquables monu-ments, l’Ene´ide, de Virgile (5, 95), nous pouvons remarquer un rapprochement entre le genius loci et le Lar familiaris. Au “Chant” V, Ene´e ce´le`bre des sacrifices sur la tombe d’Anchise, il voit alors apparaıˆtre un serpent qui:

rampa parmi les pate`res et les coupes de´licates, /.../ E´ ne´e reprend les ce´re´monies commence´es / en l’honneur de son pe`re, ne sachant s’il s’agit du ge´nie du lieu / ou d’un servant de son pe`re.

Remarquons ici la valeur du serpent, figuration fre´quente du Genius. Les poe`tes latins ne se sont pas prive´s de ce´le´brer des lieux d’e´lection, dignes de l’inte´reˆt des dieux et des hommes : ainsi Horace exalte la source Bandousie (3,13,1), dans l’ode qui lui est de´die´e :

Fontaine de Bandousie, plus claire que le verre, / Tu veux de la douceur, du vin avec des fleurs : / C’est un chevreau qu’on t’offrira demain.

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A l’instar des Lares, qui pre´sidaient a` toute portion de sol qui inte´ressait l’activite´ humaine, la notion de Genius a prolife´re´ au point que les portes, les thermes, les e´tables, les marche´s, produisirent le leur. En revanche, il ne semble pas que les res, au sens d’objets mate´riels, se soient ainsi se´cre´te´ des person-nalite´s.

Se´ne`que s’est interroge´ sur les crite`res d’e´lection des lieux sacre´s: montagnes, collines, bois, ... Selon lui, ces lieux e´veillent en l’homme des sentiments puis-sants, de crainte, d’admiration, ... Il est, cependant, difficile de distinguer une ante´riorite´ de mouvement entre le lieu qui s’impose comme particulier, sacre´, et ce que l’homme projette sur ce lieu de ses re´cits, cosmologiques, mythologi-ques ou le´gendaires. Ainsi le choix du site de la future Rome fut de´cide´ d’apre`s le vol augural des oiseaux, interpre´te´ comme un signe faste des dieux.

En appre´hendant le monde, l’homme proce`de par de´coupage et diffe´renciation : c’est d’ailleurs le sens originel du mot templon : de´coupage d’une portion du ciel pour y suivre− et en donner une interpre´tation − les pre´sages, notamment le vol des oiseaux. Dans la mythologie indo-europe´enne, dont de nombreux peuples ont conserve´ des traces, notamment les Romains, le ciel est carre´, la terre est ronde. Aussi, les temples sont carre´s, sure´leve´s car construits sur un podium, afin d’observer le vol augural des oiseaux. C’est le ciel qui donne les orientations cardinales et les temples posse`dent une orientation spe´cifique : en ge´ne´ral est-ouest, − encore qu’elle puisse varier pour s’adapter au lieu (rives d’un fleuve, place du Marche´, ...) ou pour se conformer a` des obligations particulie`res a` une divinite´. C’est ce qu’enseigne Vitruve dans son traite´ De Architectura. En revanche, un sanctuaire comme celui de Vesta a` Rome, foyer du feu perpe´tuel de l’Urbs, e´tait rond, comme la terre, de´pourvu d’une quelconque orientation. D’ailleurs, on parle de l’Aedes Vestae, sanctuaire, foyer, sie`ge, et non de templum, puisque Vesta est une divinite´ terrestre, non ce´leste.

Pour conclure : e´lire un lieu, c’est de´signer, instituer un centre, un inte´rieur et un exte´rieur ; un point de convergence marque´ et un espace sans marque pre´cise − qui peut en recevoir a` tout moment, pour d’autres raisons.

De meˆme qu’un individu posse`de son Genius, sa force vitale qui le fait vivre, « sa » vie, « son » tempe´rament, les Romains ont pareillement dote´ les lieux d’un Genius, qui leur confe`re leur individualite´ dynamique, leur caracte`re propre, qui peut entrer en re´sonance − bonne ou mauvaise − avec la vie humaine. Attribuer un Genius aux dieux, aux lieux qui ont un rapport e´troit avec la vie des hommes, fortifie le singulier dans le multiple, le particulier dans le ge´ne´ral, avec une continuite´ dans l’ordre du divin.

Références

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